[Dossier] Essor, déclin et revival de la Ghost Kung Fu Comedy

Essor, déclin et revival de la Ghost Kung Fu Comedy

Panorama d’un sous genre emblématique du cinéma HK


    1. Introduction
    2. Génèse d’un genre : l’héritage de l’Opéra de Pékin et de la Kung Fu Comedy
    3. Naissance et déclin de la Ghost Kung Fu Comedy
    4. Les raisons d’une telle longévité

Les années 80 marquent l’explosion d’un genre dans le cinéma hongkongais : la Ghost Kung Fu Comedy. Savoureux mélange d’horreur, de fantastique, de kung fu et d’humour cantonais bien vaudevillesque, la tendance offrira parmi les films les plus cultes de la période, notamment sous l’impulsion de personnalités telles que Jackie Chan, Sammo Hung, Ricky Lau ou encore Yuen Woo Ping, qui contribueront chacun d’une façon ou d’une autre à la création de ce genre hybride. Nous ne livrerons pas une liste exhaustive et fastidieuse de la profusion de métrage produits en quarante ans d’existence du genre. En revanche, nous en dresserons l’historique, en mentionnerons les films nous paraissant les plus notables et nous arrêterons davantage sur ceux qui en imposèrent les codes ou, au contraire, en marquèrent les ruptures. Nous nous poserons aussi la question des influences et des transferts culturels que ce genre occasionna et nous questionnerons sur les raisons de sa longévité dans le paysage audiovisuel chinois, voire international.


Génèse d’un genre : l’héritage de l’Opéra de Pékin et de la Kung Fu Comedy

La Ghost Kung Fu Comedy est née de l’action de multiples individus et entités et plus particulièrement de ceux déjà cités plus haut. Fait important, hormis Ricky Lau, la carrière des trois autres démarre à l’Opéra de Pékin. Né au XVIIIe siècle, l’Opéra de Pékin était le divertissement national chinois avant l’avènement du cinéma. Contrairement à ce qu’un occidental pourrait être amené à penser, ce n’est ni un lieu, ni une institution bien située mais un genre de spectacle mêlant chant, danse, musique, théâtre, acrobaties et arts martiaux ; davantage axés sur la beauté du geste que sur l’efficacité au combat. Le tout est effectué lors de représentations scéniques au sein desquelles les artistes paradent dans des costumes traditionnels colorés et richement ornés. Plusieurs écoles contribuent à la formation des acteurs d’opéra, recrutés dès la prime enfance, contraints à un entraînement austère et rigoureux et astreints à une discipline de fer. Painted Faces de Alex Law (1988) relate d’ailleurs avec brio les dures conditions de cet entraînement et la sévérité du maître, incarné dans le film par Sammo Hung.

Le genre tombant en désuétude avec l’arrivée du cinéma, les différentes écoles se mettent alors à offrir les services de leurs élèves à l’industrie du cinéma qui elle est en plein essor. Engagés au départ le plus souvent comme cascadeurs, l’Opéra de Pékin fournit au cinéma HK une flopée de futurs acteurs et réalisateurs. Parmi ces écoles, celle du maître Yu Jim Yuen est certainement la plus fameuse puisqu’elle formera ce qu’il est convenu de nommer « les sept petites fortunes » : Jackie Chan, Sammo Hung, Yuen Biao, Corey Yuen, Yuen Tak, Yuen Miu et Yuen Wah ; soit sept des plus grands acteurs de films d’arts martiaux de l’aube des années 80, voire même avant pour certains d’entre eux. Très jeunes, ils côtoient les plus grands et participent aux tournages de films d’envergure. Par exemple, lors d’une interview, le mythique réalisateur King Hu (L’hirondelle d’or 1966, A touch of zen 1971), déclare avoir « pris Han Yingjie de l’Opéra de Pékin comme directeur des chorégraphies sur l’Hirondelle d’or. Son assistant était Sammo Hung et parmi les enfants apparaissant dans le film, on trouve Jackie Chan, Ng Min Choï et Ching Tsiu Tung » (A study of the Hong Kong swordplay film, 1996, p.211)  L’Opéra de Pékin aura donc une influence très importante sur le cinéma HK. En effet, que ce soit dans les postures, le jeu des acteurs et les styles de combat vus sur les écrans, l’enseignement de l’Opéra est prédominant et même certains effets spéciaux, comme les épées ou les sabreurs volants, sont directement issus de ses techniques.

Durant les années 70, le cinéma martial classique type « Shaw Brothers » s’essouffle peu à peu. Figé dans des codes trop usités, le genre finit par lasser le public. Genre culminant quelques années auparavant, le cinéma d’arts martiaux traditionnel correspondait à une attente du public et à une certaine période historique de la Chine. En effet, les massacres de l’armée japonaise de 1937 à 1945 et l’avènement de la République populaire de Chine et de son régime communiste en 1949 provoquèrent l’émigration vers Hong-Kong de millions de chinois du continent qui finirent par former la part majoritaire de la population de l’île, placée sous mandat britannique. Les films de kung fu, mettant en valeur la grandeur et la noblesse d’un glorieux passé, permettaient à cette population de rester en lien avec la Chine continentale et de rester connectés à leur histoire et leur tradition. De plus, le cinéma de kung fu de la Shaw Brothers dispensait des valeurs propres au contexte de forte croissance économique de l’île des années 60 et 70 : glorification du travail acharné, de la discipline et du refus de l’échec.

Cependant, le temps aidant, un véritable culture et des préoccupations typiquement hongkongaises voient le jour dans ce territoire à la culture politique et économique très différente du continent. Port commercial ouvert sur le monde, Hong Kong connait un véritable boum économique et industriel et reçoit inévitablement les influences de créations de toutes sortes venues d’Occident, d’ailleurs interdites en Chine depuis 1949 alors que les films américains représentaient 75% du marché chinois entre les années 30 et 40. Une mentalité spécifiquement hongkongaise se forme alors et les attentes cinématographiques d’un public en demande de nouveauté et de modernité ne sont plus comblées par le cinéma proposé jusqu’alors.

C’est un chinois venu des États-Unis, Bruce Lee, qui dynamite les genres et les codes et parvient à  propulser le film d’arts martiaux à l’international. Son charisme et sa manière quasi féline de combattre attirent les publics asiatiques et occidentaux et remplissent les caisse de firmes telles que la Golden Harvest. Il est la preuve que les films de kung fu sont solubles dans des trames plus contemporaines et qu’ils peuvent aussi s’exporter. Sa mort brutale en 1973 laisse un grand vide et l’industrie du cinéma se met en tête de dénicher un nouvel ambassadeur ; d’où la naissance de ce que l’on nommera la Bruceploitation et sa myriade de films.

La Bruceploitation

En 1976, le réalisateur Lo Wei, ayant mis en scène Bruce Lee sur Big Boss (1971) et La Fureur de Vaincre (1972), repère Jackie Chan et tente de l’imposer comme le digne héritier de ce dernier avec Fist of fury, suite officielle de La Fureur de Vaincre. Le succès n’étant pas vraiment au rendez-vous, Jackie Chan se refuse à singer la star internationale et, sous l’impulsion du réalisateur Yuen Woo-Ping, trouve sa voie en 1978 avec Le Chinois se Déchaîne : un style acrobatique hors du commun et un humour ravageur. Une nouvelle formule est née : la Kung Fu Comedy, ou film d’arts martiaux burlesque, incorporant au genre l’aspect clownesque et virtuose des comédies de l’Opéra de Pékin, dont sont issus la nouvelle star et son réalisateur. Épuré de la violence propre aux films de la Shaw Brothers ou de Bruce Lee, le style « Jackie Chan » devient vite une attraction familiale et les sorties se succèdent à un rythme soutenu : Le maitre chinois (Drunken Master) de Yuen Woo-Ping en 1978, L’Irrésistible de Lo Wei en 1978, La Hyène Intrépide qu’il réalise lui même en 1979 et bien d’autres.

Le Maitre Chinois (1978) / La Hyène Intrépide (1979)

Le genre dépasse alors les frontières et la star se permet même d’attaquer le marché américain avec Le chinois et Le retour du chinois, productions sino-américaines réalisées par Robert Clouse en 1980 et James Glickenhaus en 1985, n’obtenant toutefois pas un grand succès. C’est en revanche cette aventure américaine qui permet à l’acteur-réalisateur de découvrir le cinéma muet de Charlie Chaplin et Buster Keaton, participant fortement à modeler son art de la mise en scène et de la chorégraphie et qui, par conséquent, influencera la Kung Fu Comedy dans sa globalité.

Jackie Chan n’est pas le seul à prendre d’assaut le genre et y apporter une touche singulière. Dans le même temps, Sammo Hung, plus âgé que Jackie Chan et à la carrière d’acteur bien remplie, amène lui aussi son savoir faire hérité de l’Opéra de Pékin pour délivrer un cinéma burlesque aux combats visuellement impressionnants. En 1978, il réalise Enter the fat dragon et tourne déjà en dérision la Bruceploitation en faisant de son surpoids un arme comique du plus grand effet. Le moine d’acier (1977), Warriors Two (1978), Le maître intrépide (1979) ou encore The Prodigal Son (1981) l’imposent comme un acteur et réalisateur de premier plan de la Kung Fu Comedy.

Cependant, un public toujours en demande de nouveauté amène Sammo Hung à se poser la question de l’apport de nouveaux éléments dans le genre. Inspiré par les histoires que lui racontait sa grand-mère et par des romans tels que Conte de l’étrange du studio du bavard de Ru Pongling (qui inspira aussi Histoire de fantômes chinois de Ching Tsiu Tung, dont King Hu nous a déjà parlé, et Tsui Hark), il mit au point le film qui allait donner naissance à un genre mêlant kung fu, comédie et fantastique et en devenir le modèle absolu : L’exorciste chinois en 1980.

Enter the Fat Dragon (1978) / The Prodigal Son (1981)


Naissance et déclin de la Ghost Kung Fu Comedy

Le cinéma chinois a souvent eu recours au fantastique, notamment dans certains wu xia pian (films de sabre) où les héros évoluent dans des mondes peuplés de fantômes et d’esprits tirés du folklore national ou des légendes et romans patrimoniaux comme, par exemple, L’ombre enchanteresse de Li Han Siang en 1959.

Dragon Swamp (Lo Wei, 1969) ou The devil’s mirror (Sung Chung, 1972) proposent déjà du kung fu saupoudré de fantasy. En 1975, Liu Chia-Liang (La 36e chambre de Shaolin 1978, Les huit diagrammes de Lu Wang 1983…) insère des ressorts et des effets surnaturels dans son film The spiritual Boxer. La même année, La légende des sept vampires d’or marque la collaboration entre Hong Kong et les États-Unis. En effet, La Hammer et la Shaw Brothers s’associent et chargent le grand Chang Cheh (Un seul bras les tua tous 1967, La rage du tigre 1971…) et Roy Ward Baker (Troublez moi ce soir 1952, Les monstres de l’espace 1967…) de réaliser un métrage mêlant vampires et arts martiaux. Il s’agit d’un intéressant mélange des cultures et des représentations dans lequel Van Helsing (Peter Cushing) se rend en Chine pour aider un village à se débarrasser de ses vampires.

De fait, dès l’année 1975, il est attesté que le genre du fantastique et ses mythes représentent une incroyable passerelle culturelle entre l’Orient et L’Occident, comme le furent les films de Chaplin et Keaton pour la Kung Fu Comedy.

La Légende des Sept Vampires d’Or (1975)

Pareillement, un film comme Le bal des vampires de Roman Polanski (1967), habile mélange d’horreur et d’humour, est une des inspirations indéniables de la Ghost Kung Fu Comedy. Le genre saura reprendre les thèmes et les codes d’un cinéma américain comme celui de la Hammer pour en faire un objet de cinéma purement chinois, totalement ancré dans son folklore et ses légendes.

Cependant, c’est avec L’exorciste chinois de Sammo Hung que celle-ci va réellement se définir ; autant dans ses codes, son ton, que dans ses visuels, et devenir une sous-division officielle du cinéma d’arts martiaux. Tous les ingrédients marquant le genre y sont déjà présents : Le moine taoïste (fat-si), les vampires sauteurs (gyonji), les fantômes, les gags et le kung fu. S’inspirant des vieilles croyances chinoises selon lesquelles la nature, vivante, peut faire revenir à la vie les défunts afin de perturber les vivants mais aussi d’œuvres majeures de l’horreur occidentale – le score puisant sans vergogne dans les soundtrack du culte Suspiria de Dario Argento ou encore de celui du non moins mémorable Shining de Stanley Kubrick – Sammo Hung, en réalisateur visionnaire, influence le cinéma chinois pour les 30 ans à venir. Le film est une sorte de vaudeville dans lequel un jeune pratiquant de kung fu se voit cocufié par sa femme et son maître. Ce dernier engage un moine pour l’assassiner mais, bien entendu, rien ne se passe comme prévu, ce qui occasionne son lot de rebondissements burlesques mais aussi de scènes de combats témoignant d’une haute maîtrise de l’action.

L’exorciste chinois fut un véritable succès, la suite sortit d’ailleurs en 1989. La surprise passée et la vague du genre déjà très entamée. Ce deuxième opus n’aura pas le même succès que son ainé et restera moins ancré dans la mémoire collective. Pourtant, c’est une réalisation plus qu’honorable, poussant d’ailleurs la folie encore plus loin que le précédent. De plus, cette fois-ci, la réalisation n’est pas que le fait de Sammo Hung. Ce dernier s’adjoint en effet les services de Ricky Lau (crédité en tant que chef opérateur), réalisateur de la saga cultissime des Mr. Vampire (1985), dont Sammo Hung est le producteur. En réalisateur chevronné maîtrisant parfaitement cet exercice de style, Ricky Lau, avec L’exorciste Chinois 2, nous livre la copie ultime de la Ghost Kung Fu Comedy naît dix ans auparavant. Remake non avoué du premier, le film est mieux réalisé, plus audacieux, plus fou et s’inscrit clairement dans son époque en proposant une atmosphère et une ambiance plus proches d’Histoires de Fantômes Chinois (Ching Tsiu Tung, 1987), succès international qui, bien que reprenant les codes du genre, emmènera le cinéma fantastique HK vers d’autres horizons.

L’Exorciste Chinois (1980)

Ricky Lau est donc un personnage majeur dans l’histoire du burlesque horrifique à la chinoise. Mr Vampire, sa troisième réalisation, est certainement le film le plus connu et l’un des plus marquants et réussis du genre. Avant cela, il commis deux films de kung fu : La rage de vaincre (1979) et Two touthless tigers (1980) ; film important pour notre homme car c’est à cette occasion qu’il fit la connaissance de Sammo Hung qui y jouait l’un des rôles principaux.

En 1985, les deux complices mettent sur pied la saga des Mr Vampire, une quadrilogie culte mais inégale, développée après le succès retentissant du premier opus (nominé 13 fois à la 5e cérémonie des Hong-Kong Films Awards). Le premier et le troisième sont très réussis, le quatrième est assez sympathique et le deuxième franchement dispensable. L’action y est déplacée au XXe siècle. Toute l’ambiance faisant le sel du premier opus en est donc absente ; n’en reste finalement qu’une comédie à l’humour lourdaud avec, en prime, peu de combats.

Mr. Vampire, à la suite de L’exorciste chinois, met définitivement la Ghost Kung Fu Comedy en orbite, en imposant pour de bon les codes et spécificités: les vampires sauteurs (gyonji, qui seraient pour nous, occidentaux, plutôt des zombies), un moine taoïste (fat-si), des disciples stupides, une bonne dose d’humour et, surtout, des scènes d’action aux chorégraphies de haut niveau. La vague est lancée et parvient même à gagner l’international. En France, ce sont surtout les magazines HK Vidéo qui éditent quelques uns des films les plus emblématiques du genre. Les boutiques du 13e arrondissement de Paris fournissent aussi les amateurs en copies piratées.

Tout a été écrit sur ce métrage, et de nombreuses critiques ou reviews en font souvent l’éloge, sinon l’inventaire. Nous concernant, nous ne nous attarderons donc pas plus sur ce monument que nous ne pouvions toutefois pas omettre de mentionner comme l’œuvre la plus identifiable du genre. Mentionnons toutefois l’acteur et réalisateur Lam Chi-Ying, personnage emblématique du genre car présent au casting de deux de ses plus mythiques franchises (L’exorciste chinois et Mr Vampire). Également formé à l’Opéra de Pékin ; il devient alors le modèle type du moine chasseur de vampires (fat-si) et incarne ce rôle dans des dizaines de films et séries, à la qualité variable, jusqu’à son décès en 1997.

Mr Vampire (1985)

Il convient aussi de nous arrêter un moment sur un autre personnage déjà plusieurs fois cité ici ; autant pour sa créativité, ses réalisations que pour son rôle imminent de passeur culturel entre la Chine et l’Amérique : Yuen Woo Ping. Formé par son père Yuen Siu Tin (1912-1980) de l’Opéra de Pékin, sa connaissance aiguë des arts martiaux et son peu d’attachement à une certaine orthodoxie l’amèneront à s’imposer comme l’un des plus grands chorégraphes de combats de l’industrie. Son père est connu pour avoir amené le style martial du nord à Hong Kong et a eu un rôle important dans le développement des films de kung fu des années 50 et 60. Yuen Woo-Ping,  comme ses onze frères et sœurs, connait donc le parcours âpre d’un enfant de l’Opéra et débute en tant que figurant et cascadeur dans des films de la Shaw Brothers comme The Chinese Boxer (Wag Yu, 1970). En 1971, il dirige ses premières chorégraphies dans Mad Killer de Law Chun. Véritable connaisseur des différents types de combats et spécialiste du « style nordique », Yuen Woo-Ping, contrairement à d’autres réalisateurs et chorégraphes plus attachés à la tradition,  saura comprendre les besoins et les changements attendus des années 80. Il apportera à ses chorégraphies ce montage très cut, aux plans insolites qui feront son succès et sa marque de fabrique, ainsi que sa théorie de « la poésie autour de l’objet » consistant à utiliser toutes les potentialités d’un objet dans une scène de combat afin d’en faire une aide ou une arme et, par ce biais, de créer une séquence originale et souvent très drôle.

En 1982, il délivre un film des plus singuliers s’inscrivant toutefois dans la tendance initiée par L’exorciste Chinois : Miracle Fighters. Le maître de la chorégraphie d’action, toujours accompagné de son clan, la famille Yuen (très présente au casting), propose ici un spectacle saisissant. Déjà inventeur de la Kung Fu Comedy en 1978 avec Le maître chinois, il s’immisce dans la comédie fantastique lancée par Sammo Hung et se laisse aller à toutes les folies visuelles et acrobatiques.

Le scénario situe l’action au XVIIe siècle, dans une Chine ou les mariages inter-ethniques sont interdits. L’officier Kao (Eddy Ko), Mandchou marié à une Han, voit sa femme assassinée devant ses yeux. La scène est d’ailleurs fortement inspirée par la fameuse séquence de la douche du Psychose d’Alfred Hitchcock. Parvenant à fuir, il est pourchassé par le maître chauve-souris, sorcier à la solde du pouvoir, qui finira par le tuer. Son fils adoptif, aidé par deux vieux maîtres taoïstes, entreprend alors de le venger.

L’histoire, somme toute simpliste, n’est ici que prétexte à délivrer des scènes de combat anthologiques et complètement foutraques. En véritable Houdini du film d’arts martiaux, Yuen Woo-Ping se fait aussi illusionniste et pousse sa créativité à son apogée : des humains enfermés dans des jarres se battant en roulant, des papillons de papiers se mettant à voler, des techniques de combat « bras en bas- jambes en haut », un poisson qui parle, des pantins de bois faisant du kung fu, le héros se faisant nain le temps d’un combat ou parvenant à se faire pousser un troisième bras, des jambes marchant sans leur corps, un combattant gonflant son corps comme un ballon de baudruche (John Carpenter repiquera d’ailleurs l’idée dans Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin en 1986)…

Une incroyable succession de bizarreries et de séquences toutes plus folles les unes que les autres, encore plus surprenantes lorsque l’on connaît les budgets et les moyens techniques de l’époque à Hong Kong.

Miracle Fighters est inclassable. S’inscrivant dans le genre de la Ghost Kung Fu Comedy, ne serait-ce que par ses aspects fantastiques, son humour loufoque et ses effets parfois un peu gore, il se démarque de la production de son époque pour la dépasser en terme de folie créative et de chorégraphie. Véritable hommage à l’Opéra de Pékin, le métrage est un ovni filmique faisant de Yuen Woo-Ping le réalisateur de l’une des œuvres les plus marquantes et originales du genre, influençant même Tsui Hark et son Zu, les guerriers de la montagne magique, sorti un an plus tard.

Miracle Fighters (1982)

D’ailleurs, en 2017, ce dernier écrira et produira pour Yuen Woo-Ping ce qui est considéré comme un remake de Miracle Fighters. Seulement, on peine à savoir en quoi The thousand faces of Dunjia reprend le film de 1982 car il s’agit d’une histoire et de personnages totalement différents. Les deux maîtres à la manœuvre y livrent un spectacle souvent divertissant mais, malheureusement, à l’intrigue difficilement compréhensible, aux longueurs pesantes et à la CGI souvent peu convaincante.

Ce sont d’innombrables films qui sont alors produits. La fureur du revenant (Wu Ma) en 1982, Hocus Pocus (Ching Yuet San) en 1984, Abracadabra (Peter Mak) ou encore Vampire’s breakfast (Wong Chung) et The close encounter of the vampire (Yuen Woo Ping) en 1986, Return of the demon (Wong Ying) en 1987, Spooky, Spooky (Sammo Hung) en 1988, Burning sensation (Wu ma) en 1989… et bien d’autres.

La Fureur du Revenant (1984) / Vampire vs Vampire (1989) / Hocus Pocus (1984)

Certains de ses métrages, à la qualité très inégale, toujours ancrées dans les croyances et le folklore chinois se réfèrent toutefois explicitement aux blockbusters américains du moment tels que Devil Fetus de Hung Chuen Lau qui en 1983, lorgne du coté de L’exorciste (1973), d’Alien le huitième passager (1979) ou encore de Poltergeist (1983). The Evil cat de Dennis Yu (1987), avec son chat maléfique passant de corps en corps s’inspire de The Thing (1982) et autres Body Snatchers. En 1988, Ronny Yu rend hommage à Ghostbusters (1984) avec son amusant SOS Maison Hantée. Vampire vs. Vampire de Lam Ching-Ying, quant à lui, nous propose une opposition entre vampires chinois (gyonji) et vampires européens très « draculesques » en 1989.

Cette tendance se poursuit dans les années 90. Mortuary Blues (Jeff Lau,1990) parodie Indiana Jones et le Temple Maudit (1984). La même année, Wellson Chin lance lui aussi des clins d’oeil à Ghostbusters avec son Ghostly Vixen. Le sympathique Crazy safari (Billy Chan, 1991) reprend Les dieux nous sont tombés sur la tête (1980). En 1992, à l’instar du Doctor Vampire de 1990 (Jamie Luk),  l’incontournable Wu Ma récupère l’opposition entre christianisme et taoïsme initiée par La légende des sept vampires d’or et Vampire vs. vampire avec le peu dynamique Exorcist Master.

Crazy Safari (1991) / Ghostly Vixen (1990)

Durant la décennie, le flot des sorties est ininterrompu : Magic Cop (Wei Tong,1990), Till death shall we start (Ricky Lau,1990), The Ultimate Vampire (Andrew Law,1991), Blue jeans monster (Ivan Laï Kai Ming,1991), Gambling ghost (Cliffon Ko), Ghost Punting (Ricky Lau et Sammo Hung,1991), Eternal combat (Thomas Yip,1991), Vampire Kids (Lee Pak Ling,1991), Skin striperess (Billy Chan, 1992)…et la liste est encore longue.

Fatalement, le genre s’essouffle, les métrages se succédant rapidement, frôlant souvent la série Z et se clonant les uns les autres. Malgré quelques films sympathiques, La Ghost Kung fu Comedy semble en bout de course et ne plus avoir grand à dire ni à monter. Même Ricky Lau, créateur du genre avec sa saga Mr Vampire, tente l’aventure de l’auto-remake et sort un Mr. Vampire 1992 très peu convaincant.

Skin Striperess (1992) / Magic Cop (1990) / Ghost Punting (1991)

De plus, dès 1987, Ching Siu-Tung, accompagné de Tsui Hark en production (enfin… officiellement tant l’interventionnisme du producteur est proverbiale), siffle la fin de la récréation avec Histoire de fantômes chinois. Reprenant une bonne partie des codes de la Ghost Kung Fu Comedy (jeune naïf, moine taoïste, humour, horreur, kung fu…). Les deux associés emmènent le genre plus loin, lui conférant un aspect plus sombre et un sous texte plus profond. Depuis ses débuts avec Butterfly Murders (1979) ou Zu, les guerriers de la montagne magique (1983), Tsui Hark s’est mis en tête de revisiter et rénover le wu xia pian fantastique et continue son entreprise en surfant cette fois ci sur la vague initiée par Sammo Hung et Ricky Lau. Ce film au succès international et ses deux suites, n’étant d’ailleurs pas classées dans le genre par la plupart des spécialistes, orientent peu à peu le cinéma fantastique HK vers des wu xia pian de fantasy un peu moins axés sur l’humour et influencent les succès des années à venir tels que les Royal Tramp et Evil Cult de Wong Jing en 1992 et 1993, en passant par la trilogie Swordsman de Ching Siu-Tung et Tsui Hark (1991-1993) jusqu’au Stormriders d’Andrew Law  en 1998. Dépassée par cette vague et la déferlante de polars urbains provoquée par les succès de John Woo (Le syndicat du crime 1986, The killer 1989, À toute épreuve 1992…), la Ghost Kung Fu Comedy semble alors avoir vécu, ne se déclinant plus alors que sous la forme de rares films fauchés ou de séries TV peu ambitieuses.

Les années 2000 furent compliquées pour le cinéma hongkongais et davantage pour son cinéma fantastique. La rétrocession à la Chine continentale en 1997 a provoqué son lot de contraintes pour l’industrie insulaire : afin de se voir allouer des budgets conséquents, la plupart du temps nécessaires aux effets spéciaux propres au genre, les réalisateurs et producteurs doivent entrer en co-production avec des firmes continentales. Seulement, le parti communiste chinois, dirigeant d’une main de fer population, entreprises…et artistes, interdit l’utilisation du fantastique dans les fictions. En 2004, l’interdiction absolue laisse la place à un compromis assez restrictif : le fantastique doit être tiré du folklore et de la littérature chinoise patrimoniale ou pouvoir s’expliquer rationnellement. En bref, s’en est fini des vampires, monstres et autres fantômes, à part si ces derniers sont issus d’une légende séculaire telle que le Roi Singe par exemple (d’où ses multiples adaptations ces dernières années). Pour la Ghost Kung Fu Comedy, c’est, pour ainsi dire, l’arrêt de mort et l’avenir paraît bien sombre.

Quant au cinéma purement hongkongais refusant ou ne pouvant pas entrer en partenariat avec le continent, les budgets s’amoindrissent et le genre fantastique se fait de plus en plus rare. En 2003, Tsui Hark, via sa firme la Film Workshop, tente de redonner vie aux films de vampires hongkongais avec Era of vampires de Wellson Chin. À mi chemin entre Histoire de fantômes chinois et Mr. Vampire, le film met en scène les tribulations d’une bande de chasseurs de vampires en proie aux manœuvres retorses d’un maître de maison maléfique, ayant la fâcheuse habitude d’embaumer à la cire les membres défunts de sa famille et de cacher son or. Era of vampires reprend tous les poncifs du genre (les vampires, les zombies sauteurs, les moines taoïstes) mais en remaniant le ton et l’atmosphère. Épaulé par un score que ne renierait pas la Hammer et des décors morbides à souhait, le film nous plonge dans une ambiance horrifique plutôt convaincante. Jouant sur les teintes rouges et vertes et les nuits brumeuses teintées de bleu, Tsui Hark, que l’on sait à la manœuvre, déploie encore son imagination débordante en matière d’idées, de plans et de mouvements de caméra inédits : il joue avec la lumière pour livrer des séquences d’ombres chinoises élégantes, fait dévorer des chevaux par un sol glouton, opère ses chers travellings « à la Time and tide » en nous plongeant, par exemple, dans la rétine d’un cheval dans laquelle se reflète une explosion. Le métrage offre bien sûr des scènes de combats toujours bien ficelées. N’égalant toutefois pas les chefs d’œuvre du virtuose, c’est une petite réussite. Cependant, le métrage connaitra une version américaine amputée de vingt minutes. Le montage y est donc diffèrent et l’étalonnage revu fortement à la baisse. Il sera d’ailleurs rebaptisé pour l’occasion Tsui Hark’s Vampire’s Hunters et c’est hélas la seule version potentiellement visible en occident à ce jour. Le film demeure plus que sympathique pour les amateurs du genre mais se place réellement en dessous de la version originale, d’où les critiques parfois acerbes de certaines recensions du film en Europe.

Era of Vampires (2003)

Mentionnons aussi la tentative de revival purement HK : Shaolin vs. Evil Dead 1 et 2 (Douglas Kung), mettant en scène dans le premier opus la star mythique du film d’arts martiaux Gordon Liu (La 36e chambre de Shaolin, Retour à la 36e chambre…) afin de redorer le blason du genre. Nous retrouvons ici tous les codes du genre avec ses vampires sauteurs et ses esprits maléfiques, ses lieux hantés, ses pratiques rituelles magiques et, bien entendu, ses séquences de kung fu. Le film, au demeurant appréciable, plutôt destiné aux nostalgiques du genre, ne tente pas vraiment d’innover. C’est un travail appliqué, aux effets visuels convenables, ne remettant toutefois pas le genre sur le devant de la scène. En 2010, le fauché et nanardesque Vampire Warriors (Dennis Law) montre la teneur du problème : la Ghost Kung Fu Comedy n’ a plus de budget et encore moins d’idées.

En 2013, le sursaut d’honneur représenté par le film Rigor Mortis (Juno Mak) est des plus agréable. Produit par le japonais Takashi Shimizu et se voulant être un hommage à la Ghost Kung Fu Comedy en reprenant le casting de films cultes tels que Mr Vampire ou L’exorciste chinois (Chin Siu Ho, Billy Lau, Chung Fat, Richard Ng, Anthony Chan), le métrage, très bon par ailleurs, verse plus dans l’horreur sombre à la japonaise -le kung fu en plus- type Ju-On (Takashi Shimizu, 2000) ou Dark Water (Hideo Nakata, 2003) que dans les pitreries survoltées des productions précitées. Néanmoins, par son intrigue et ses acteurs, il se veut être une révérence ambitieuse au genre aux visuels particulièrement soignés. On peut dire qu’il y parvient en nous promenant dans les méandres d’un immeuble lugubre au sein duquel prêtres taoïstes et fantômes s’affrontent. Le film, même sans verser dans l’humour, pleure constamment la piteuse situation du genre : Ching Siu Ho y campe un acteur suicidaire en pleine traversée du désert, les moines taoïstes, tel Anthony Chan, y sont ici leurs descendants, reconvertis en commerçants faute d’activité et de motivation, on y entend l’un des thèmes musicaux de Mr. Vampire, une photo du regretté Lam Ching-Ying se laisse apercevoir au détour d’un plan…

Rigor Mortis (2013)

En 2014, Wong Jing rédige le scénario du dispensable Sifu vs. Vampire et tente de faire redécoller la machine. Hélas malgré la présence de l’acteur Yuen Biao et de plusieurs scènes d’action de bonne tenue, le film peine à convaincre et surtout, à apporter du neuf à un genre qui demeure enfermé dans les mêmes codes depuis plus de trente ans. Il en est de même pour Vampire cleanup department (Chiu Sin Hung, 2018) et la production Taoïst Master (Wu Yingxiang, 2020) qui, malgré une réalisation assez soignée et des SFX remis aux gouts du jour, ne font que ressasser les mêmes topics que leurs ainés, sans le même brio ou la même inventivité.

En 2021, la sortie de Taoïst Priest, production sino-hongkongaise au budget conséquent pour un film du genre enthousiasme les amateurs. Il est important de s’arrêter un peu sur ce métrage pour trois raisons :

  • C’est une co-production entre firmes chinoises et hongkongaises et l’on connait les conditions draconiennes du continent en matière de fantastique, peu adaptées à la Ghost Kung Fu Comedy.
  • C’est une réalisation de Ricky Lau, co-créateur du genre avec Sammo Hung et réalisateur de la cultissime saga des Vampire.
  • C’est, à notre connaissance, le métrage le plus récent du genre.

Forcément, tout cela amène une série de questions : le film parviendra-t-il à retrouver l’esprit de la saga tout en proposant du neuf ? Comment Ricky Lau va t’il se dépêtrer des restrictions gouvernementales en matière de fantastique ?

Tout d’abord, force est de constater que tout est fait pour satisfaire les nostalgiques et donner toutes ses chances à cette énième tentative de revival. On retrouve à l’affiche des acteurs fétiches comme Chin Siu Ho et Billy Lau. Le regretté fat-si Lam Ching-Ying, décédé en 1997, est ici remplacé par Zhang Dicai, affublé des mêmes énormes sourcils légendaires que son modèle. Ce dernier y assume d’ailleurs aussi la  chorégraphe des scènes d’action.

Lam Ching-Ying dans Mr Vampire 2 (1986) / Zhang Dicai dans Taoïst Priest (2021)

Le scénario situe l’action dans la ville de Mezihou. Un médecin, un maitre de kung fu et leurs disciples tentent de démêler et stopper une suite d’événements surnaturels (apparitions de vampires et de fantômes) pour en combattre les instigateurs, mené par le « roi fantôme », impeccablement campé par Norman Chu, autre grande figure de l’âge d’or hongkongais (La 36e chambre de Shaolin, Duel to the Death, Zu Warriors…).

Dès la première scène, le fan service est assuré : vampires sauteurs en habits d’apparat, maître aux monosourcils imposants, disciples peureux et un peu débiles, gags, kung fu… on est ravis.  Seulement, la teneur fantastique du récit ne dure que très peu de temps. Notre équipe d’investigateurs, aidée par ses connaissances scientifiques, s’aperçoit vite que ces phénomènes paranormaux sont le fruit d’une supercherie. En effet, les gyonji et les fantômes n’en sont pas réellement et le roi fantôme se révélé être un trafiquant d’opium tentant de faire main basse sur la ville en terrorisant sa population.

La seconde partie du film met donc en scène l’affrontement entre le gang de criminels et nos héros et se mue davantage en film de kung fu classique, d’assez bonne facture soit dit en passant. Les chorégraphies de Zhang Dicai, n’égalant  pas l’inventivité de celles d’un Sammo Hung ou d’un Yuen Woo-Ping, sont fluides et dignement exécutées. Le métrage est d’ailleurs très généreux en la matière et les scènes d’actions parsèment abondamment le récit. En revanche, elles se révèlent être un peu répétitives au niveau des mouvements et de la mise en scène. Le montage est toujours le même, très cut, très rapide et les mouvements de caméra, très volatiles, nuisent parfois à la lisibilité de certaines prouesses martiales.

Nous sommes devant un travail conscient et respectueux de son héritage. Les décors et l’atmosphère générale du film sont assez fidèles à celles de ses ainés. La mise en scène et l’image sont soignées et les pitreries des deux disciples rappellent le ton puéril des comédies des années 80. Point positif : les CGI, généralement peu convaincantes dans les productions chinoises actuelles, sont peu nombreuses et, à la vison de celles présentes, on peut dire que c’est très bien comme ça.

Taoïst Priest (2021)

Au final, Taoïst Priest est un bon divertissement. Ce n’est pas un grand film et il ne rejoindra certainement pas ses illustres prédécesseurs au panthéon de la Ghost Kung Fu Comedy.  Ricky Lau réussit quand même ici à se tirer des griffes de la censure continentale de façon plutôt honorable. Le discours final de nos héros, expliquant qu’il est important pour le peuple de se défaire de ses superstitions moyenâgeuses grâce à la science et la raison illustre parfaitement les conditions dans lequel le film a été produit. Un cliffhanger final semble annoncer au moins l’intention d’en faire une suite… à suivre donc.


Les raisons d’une telle longévité

Ce bref panorama permet de constater la longévité du genre, malgré des redondances scénaristiques et visuelles conséquentes et des métrages de qualité on ne peut plus variable durant quarante ans. Cette durée dans la longueur s’explique essentiellement par deux facteurs : la véritable modernité du genre, en phase avec les aspirations artistiques et les attentes publiques du moment et, paradoxalement, son ancrage profond dans la culture et les croyances traditionnelles.

Le supernaturel, la mystique et les croyances, qu’elles soient superstitieuses ou religieuses, occupent une place importante dans l’histoire, le folklore, les légendes et la psyche chinoise. Hors, l’une des spécificités hongkongaises est d’avoir toujours tenté d’accéder à une totale modernité sans pour autant rompre avec sa tradition millénaire. De plus, le goût pour l’horreur et le fantastique se fait toujours plus prégnant en temps de crise, qu’elle soit d’ordre économique ou identitaire ; deux crises que subira l’ile ces dernières décennies. Dès les années 60, Hong-Kong, consciente de sa spécificité culturelle (chinoise mais aussi par certains aspects occidentale) tente de définir, non sans mal, son identité. La crise économique mondiale née du choc pétrolier de 1973 renforce davantage cette angoisse face à l’avenir d’une société en quête d’elle-même et fortement implantée dans l’économie mondiale. Ce n’est donc pas un hasard si les productions empruntant des thèmes et personnages horrifiques commencent à émerger dès cette période. Le cinéma fantastique est souvent le produit d’une société tentant de combattre ses propres démons, de juguler les effets de son altérité face au monde et ses rapports avec ce dernier ; le fantôme, ou le monstre, n’étant alors qu’une image de cette altérité et de ce monde dont on ignore les règles. Ces angoisses existentielles seront encore plus fortes à partir des années 80, lorsque le spectre de la rétrocession à la Chine de 1997 s’annonce de plus en plus imminent. De fait, La Ghost Kung Fu Comedy s’inscrit indéniablement dans les préoccupations de l’époque, les métaphorisent à un tel point que le genre perdure malgré des productions de plus en plus anecdotiques.

Les aspects comiques du genre, aussi paradoxalement que pour le fantastique, ancrent celui-ci autant dans la modernité que dans la tradition. La plupart du temps proposant des comédies légères destinées au grand public, ses productions sont à l’image de toutes celles réalisées dans n’importe quelle société de grande consommation à travers le monde. En revanche, le jeu des acteurs volontairement exagéré ou grandiloquent est directement issu de l’Opéra de Pékin et du cinéma typiquement cantonais du mo lei tau (« illogique, insensé »), comédies parodiques axé sur les jeu de mots, l’absurdité et les situations rocambolesques. Encore une fois, la Ghost Kung Fu Comedy répond par ce biais aux attentes d’un public avide de créations contemporaines mais se considérant aussi comme le gardien d’un patrimoine culturel spécifique. En adaptant des éléments traditionnels (légendes ancestrales, opéra, mo lei tau…) à des thèmes, des scenarii et des techniques modernes, la Ghost Kung Fu Comedy est l’un des genres les plus représentatifs de cette tendance. Elle ressemble à Hong-Kong, on pourrait même dire qu’elle en est une des allégories les plus pertinentes.

Cette recherche de modernité à laquelle elle répond se fait aussi par le mélange des genres et l’apport d’influences venues d’occident. Comme nous avons pu le voir au fil de notre étude, La Ghost Kung Fu Comedy, et sa grande sœur la Kung Fu Comedy, ont énormément puisé dans le cinéma américain ; que ce soit les films de Chaplin ou Keaton, de la Hammer ou les grands blockbusters de la période (L’exorciste, Alien, Indiana Jones, Ghostbusters...). Cependant, la création d’un genre hybride et ouvert culturellement n’est pas le propre de la Ghost Kung Fu Comedy. Au contraire, celle-ci s’inscrit dans une tendance de fond du cinéma HK, démarrée à la fin des années 70 avec l’arrivée des créateurs constituant ce que l’on nomme « la nouvelle vague », férus de cinema européen et américain et parfois même formé aux Etats-Unis, comme Tsui Hark par exemple. Des réalisateurs comme ce dernier, Ringo Lam, John Woo et d’autres, pleinement conscients du statut colonial de Hong Kong, sont prompts à donner une identité locale et unique à leur cinéma en le mâtinant de références occidentales. Cette tendance se retrouve dans le wu xia pian, le polar ou le film de guerre et pas uniquement dans la Ghost Kung Fu Comedy qui, une fois de plus, démontre par là qu’elle est un pur produit de son temps et de sa société et, de fait, participe au grand mouvement de transferts culturels amorcé alors.

Si le transfert ne s’opère que dans un sens dans un premier temps, c’est que la plupart des pellicules hongkongaises ne sont pas visibles en Occident, à part pour quelques initiés. Néanmoins, on a vu la Hammer s’intéresser au kung fu dès les années 70 et John Carpenter rendre un vibrant hommage à Tsui Hark et Yuen Woo Ping avec Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin en 1986.

Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin (1986)

Les années 80 et 90 ont aussi étaient marquées aux Etats-Unis par toute une vague de séries B plus ou moins marquantes exploitant le filon du kung fu en l’incluant à leurs métrages. Que ce soit les films Karaté Kid (John G.Avildsen,1984), ceux de Jean-Claude Van Damme (Kickboxer 1989, Bloodsport 1988), de Steven Seagal (Désigné pour mourir 1990, Piège en haute mer 1992) ou certaines productions de la Cannon ou autres (American Warrior 1985, Dans les griffes du dragon rouge 1991), tous revendiquaient une affiliation plus ou moins directe avec l’action made in China.

Avec le temps, les mode de transmission et de diffusion se multipliant, c’est toute une génération de réalisateurs américains qui revendiquent clairement leur attachement à ce cinéma. Nous avons pu voir les Wachowski inclurent des arts martiaux dans les combats de leur saga Matrix (1999 et 2003) et faire appel à Yuen Woo-Ping pour les chorégraphier. Quentin Tarantino fera de même pour sa déclaration d’amour au cinéma hongkongais et japonais Kill Bill 1 et 2 (2003 et 2004). On pourra aussi voir Chow Yun-Fat interpréter un pirate asiatique dans Pirates des caraïbes : Jusqu’au bout du monde en 2007. Disney, avec ses deux adaptions de Mulan (1998 et 2020) et Marvel, avec le récent Shang-Chi et la légende des dix anneaux montrent aussi leur appétence pour le folklore et l’action à la chinoise. Aussi, de plus en plus de stars du cinéma HK, tels Donnie Yen, Tony Leung, Michelle Yeoh ou  Jet Li apparaissent au casting de gros blockbusters hollywoodiens.

Matrix (1999) / Kill Bill (2003)

Bien entendu, dans cette histoire, il n’est pas affaire que de transferts culturels mais aussi d’échanges économiques. En Chine, le cinéma est le premier domaine de consommation et de loisirs d’une classe moyenne en pleine croissance. Aux États-Unis, ce n’est que le troisième et les studios hollywoodiens lorgnent sur ce marché gigantesque. La Chine fait aussi des efforts : alors qu’en 1994, seul dix blockbusters étrangers par an étaient autorisés sur le territoire, le gouvernement en a ajouté quatorze supplémentaires en 2012. Aujourd’hui, plusieurs grands groupes chinois sont devenus incontournables à Hollywood. Par exemple, le président de Dalian Wanda, un groupe immobilier chinois, est Wang Jianlin, l’un des hommes les plus riches de Chine et l’un des plus grands propriétaires de chaines de cinémas mondiaux. Il a récemment pris le contrôle de Legendary Entertainment et est dernière les succès de The Dark Knight (2008), Godzilla (2014) Jurassic World (2015) mais aussi La Grande Muraille de Zhang Yimou (2016). Assurément, le cinéma chinois, et la Ghost Kung Fu Comedy avec lui, a encore de beaux jours devant lui.

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Auteur : Paul Gaussem

Si vous connaissez un film dans lequel un cow-boy solitaire et un barbare sanguinaire chassent des mutants venus d'ailleurs à l'aide de mecha sur les hauteurs du mont Wu Tang, faîtes moi signe ! Perdu dans un Milius en compagnie de Tsui Carpenter et Steven Otomo, je ne cherche plus à retrouver mon chemin.
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