[Interview] Mickaël Dusa et Jolan Nihilo (réalisateurs)

Cette année, le FEFFS a proposé une programmation spéciale : Midnight Shorts. Dans mon dossier consacré à la seizième édition du festival, j’étais brièvement revenu sur cette très sympathique soirée en vous mentionnant ce qui était pour moi le métrage le plus réussi du lot : Vénus. Aujourd’hui, je vous propose de faire plus ample connaissance avec les deux réalisateurs de la chose : Mickaël Dusa et Jolan Nihilo avec cette interview dans laquelle les deux jeunes metteurs en scène reviennent bien évidemment sur leurs premiers courts, mais aussi sur leurs attentions et leur vision du cinéma. Dans une production horrifique actuelle qui commence à sérieusement tourner en rond en traitant de sujets d’actualité à toutes les sauces, avec Delirium Tremens et Venus, Mickaël Dusa et Jolan Nihilo ont non seulement choisi des thématiques très personnelles traitées avec sincérité et intelligence, mais qui de plus ne sont que rarement, voire pas du tout, abordées dans le cinéma de genre. Avec ces deux courts-métrages, le duo Dusa-Nihilo a déjà proposé une vision du cinéma d’horreur qui change, aussi bien dans le fond que dans la forme. C’est donc avec impatience que j’attends la suite, et que je tenais à mettre en lumière ces deux réalisateurs à part, prometteurs et sincères. En plus de l’entretien, vous trouverez les avis de Cherycok sur les deux films en question. Merci à lui d’avoir pris le temps de découvrir l’univers Dusa-Nihilo, et d’avoir dégainé sa plume pour l’occasion.

Merci à Mickaël Dusa et Jolan Nihilo pour leur gentillesse, leur disponibilité et d’avoir répondu par l’affirmative à ma demande. Un merci également à Bastian Meiresonne, sans qui cette rencontre n’aurait pas été possible.

Bonne lecture à tous.



Bonjour Mickaël, bonjour Jolan. Pourriez-vous vous présenter ?

Bonjour John et merci pour cette interview. Nous sommes Mickaël Dusa et Jolan Nihilo et nous sommes les réalisateurs des court-métrages Venus et Delirium Tremens. Pour faire une  » brève » présentation, tout a commencé il y a deux ans. Nous étions tous deux acteurs dans une maison hantée, Mickaël était le “clown” et Jolan était le “chainsaw man”. Nous nous sommes rencontrés dans l’obscurité et l’essence. Il y avait même Naya Piquemal, l’actrice de nos courts-métrages, qui jouait un rôle de petite fille possédé. Nous avions tous deux la volonté de s’exprimer à travers le cinéma. Mickaël a très vite parlé d’un scénario qu’il traînait depuis un moment. Naya a proposé sa maison pour tourner le court et a même conseillé sa mère Marylène Kert pour le rôle principal.

En quelques semaines, le film a été lancé (Delirium Tremens). On s’est véritablement rencontré sur le tournage, car c’est à ce moment où nos idées ne faisaient qu’une, on se comprenait, comme une fusion artistique parfaite. Le sujet principal du film était le regard que pouvait porter un enfant face à un parent alcoolique. On a tous les deux vécu ça, pour Mickaël c’était sa mère et pour Jolan son père, le film leur est dédicacé d’ailleurs. Après une post-production passionnante, nous nous sommes lancés sur l’écriture d’un long-métrage tout en réalisant le court-métrage Venus  traitant d’un sujet extrêmement difficile à nouveau. Nous ne sortons pas d’école de cinéma, nous avons souhaité nous éloigner de cette sphère scolaire un maximum, pour tout vous dire Jolan n’a pas son bac.

Nous sommes adeptes de l’autodidaxie et travailler en autoproduction nous a permis d’apprendre chacune des branches du milieu cinématographique. C’est en partie pour cela que nous faisons du cinéma, travailler de l’écriture à la post-production nous anime beaucoup. Nous pensons le cinéma de la même façon (assez durement pour tout vous dire) et avons quelques scénarios de longs-métrages bien en tête qui n’attendent que de se développer pour avoir la chance de montrer notre vision du cinéma de genre.


Vous revenez de Stiges (NDLR: cette interview a débuté en Octobre), comment a été accueilli Venus ? Et puisque c’est ce  festival qui nous a mené à cette conversation, quel a été la réception au FEFFS ?

Et bien Venus a été dans l’ensemble très bien accueilli dans les deux festivals. Évidemment, c’est un court-métrage qui divise mais on a été surpris par autant de retour positif. C’est extrêmement touchant quand des spectateurs ayant vécu le traumatisme dont on parle, viennent nous voir troublés et remués. Ça nous attriste presque de leur avoir montré ce film. C’est pour ça qu’on fait toujours un disclaimer avant la projection. Le but est de sensibiliser et de montrer la violence sexuelle d’un tel traumatisme. Pas de remuer le couteau dans la plaie auprès des victimes.

On peut dire que le FEFFS et le SITGES étaient nos deux premiers festivals, on avait été diffusé au BIFFF, mais on n’avait malheureusement pas pu y aller. On a juste été surpris de l’accueil général, l’ambiance était professionnelle, mais aussi familiale et inclusive, on s’est juste senti chez nous. On a adoré le FEFFS et on tient à remercier l’ensemble de l’équipe de programmation, dont Bastian Meiresonne et Soizic Brossamain ainsi que le directeur du festival Daniel Cohen d’avoir ouvert une nouvelle section “ Midnight Movies “ nous permettant de diffuser Venus qui ne rentrait pas dans la compétition française. Nous reviendrons et c’est certain à Strasbourg !


Avant de parler de Venus, revenons sur votre premier court métrage : Delirium Tremens. Comme vous nous l’avez expliqué, le sujet principal du film est le regard que peut porter un enfant face à un parent alcoolique. Mais vous allez plus loin en exposant également le point de vue du personnage de la mère alcoolique et des difficultés de son sevrage. Était-ce une manière pour vous d’exprimer la détresse d’une personne consciente de son alcoolodépendance ?

On s’est acharné tout le long de notre enfance à essayer de comprendre l’alcoolodépendance. Et finalement, les victimes de cette maladie n’en souffrent jamais par hasard, l’alcool est quelque part une solution à un mal-être déjà présent à l’origine. Dans le film nous avons inséré quelques indices analytiques pour comprendre le passé de cette maigre famille. La femme porte une alliance, laissant la possibilité aux spectateurs les plus investis de deviner la perte du mari.

Enfant, nous avons beaucoup essayé d’aider nos parents respectifs. C’était un déchirement de voir l’image de nos parents s’autodétruire. Lorsqu’ils étaient finalement conscients de leur alcoolisme, ils étaient indubitablement convaincus qu’ils pouvaient arrêter. Ils le voulaient. C’est là que se trouve la détresse absolue dans cette maladie.

Ce qui est le plus dur, c’est de voir quelqu’un s’autodétruire. Et à un certain degré détruire son entourage également. De notre point de vue, nos parents n’ont jamais véritablement réussi à s’en sortir et c’est devenu comme une fatalité. Par moments, leur détermination a nourri de l’espoir, mais ce n’est jamais arrivé à terme et on a fini par lâcher prise.


Avec ce premier court, vous montrez que vous en avez dans le bide d’un point de vue technique. Il y a un sacré travail sur l’éclairage, l’ambiance sonore et la mise en scène, d’autant plus que le film a couté 0€. Si l’on omet, avec difficulté on s’entend, le coté cathartique du film, peut on considérer Delirum Tremen comme une bande démo ?

Delirium Tremens est notre premier court-métrage et il est tout à fait une sorte de bande démo. Nous avons pu nous trouver sur le film tant artistiquement que personnellement. Il est représentatif de ce que nous avons pu faire sans aucun budget et avec un temps très réduit. Nous l’avions tourné avec une très petite équipe en trois jours ce qui était assez fantastique.



La réalisation illustre parfaitement l’ambiance cauchemardesque et glauque de votre scénario. Elle fait également preuve d’une belle fluidité et d’une bonne gestion de l’espace. Comment avez-vous pensé votre mise en scène ? Aviez-vous déjà tous les plans en tête avant de tourner, ou y-a-t-il eu une préparation en amont avec un storyboard ou quelque chose du genre ?

Pour l’instant, nous ne travaillons pas avec un storyboard, mais utiliser cet outil reste évidemment nécessaire pour faire partager notre vision à toute l’équipe de tournage. Nos deux courts-métrages étant réalisés en équipe réduite et sans production, nous n’avions pas la nécessité d’en créer un. Pour nos deux courts-métrages, nous nous sommes contentés d’un découpage technique précis pour aider nos petites équipes à se situer. Mais il est vrai que même si des choses étaient prévues, on s’est rendu compte sur le tournage de Delirium Tremens que parfois l’improvisation donne des belles choses. Le “Cauchemar” de Delirium Tremens, a été quasiment improvisé, même si la séquence et quelques plans étaient prévus. On s’est énormément amusé à s’échanger la caméra et improviser de nouveaux plans, comme celui de l’escalier qui tourne sur lui-même. Nous trouvons l’idée de mise en scène comme un jeu tentant de pousser l’originalité à son maximum (et cela relève de l’amusement plus qu’une prise de tête). Pour Venus, le repérage était impossible, car le lieu était trop loin de chez nous, nous n’avions que quelques photos pour faire le découpage technique. Et étonnamment, on a plutôt bien réussi à se projeter, le plus grand défi, c’était que la salle de bain était toute petite donc on à dû beaucoup tricher en plus il y avait des reflets partout.


Cette part d’improvisation concerne t-il-votre duo d’actrices ? Leurs personnages sont-ils le fruit à 100% de ce que vous aviez en tête ou ont elle pu apporter des idées ?

Oui absolument. C’était assez impressionnant de pouvoir travailler avec Naya Piquemal et Marylène Kert qui ont un panel de jeu aussi important. Nous avons pu laisser place à l’improvisation de ces deux actrices sur des séquences où la performance primait. De plus, la catharsis du film est invraisemblable quand nous prenons en compte que Marylène joue la mère de Naya, mais est aussi réellement sa mère. Le film se déroulait (en plus) dans la maison familiale. C’était donc parfois chargé en émotions.


Comment se sont elles préparées à leurs rôles ? Aviez vous des influences à leur suggérer ou se sont elles basées sur vos histoires personnelles, une manière afin de représenter, toujours dans la catharsis, vos parents à l’écran ? D’ailleurs était ce un but recherché dans Delirum Tremen ?

Malheureusement, nous n’avons pas eu de préparation avant le tournage. Elles avaient déjà conscience de ce que l’on avait pu vivre, mais nous avions tous un rapport à l’alcool très personnel ce qui a pu “ aider “ la compréhension du sujet sans que l’on n’ait eu le temps de bien travailler les rôles. Le but n’était pas de représenter nos parents dans le film, mais plutôt de représenter le sentiment qu’un enfant peut ressentir face à cette situation, tant dans l’horreur que le désespoir. Bien sûr, la figure parentale est ainsi déformée par ces traumatismes.


Delirium tremens, l’avis de Cherycok :

Delirium Tremens, des termes qui évoqueront peut-être quelque chose aux plus alcooliques d’entre vous puisqu’il s’agit du nom d’une très bonne bière belge arborant un éléphant rose, un peu forte (8.5°) mais néanmoins douce et savoureuse. Mais il ne s’agit pas ici de cela mais d’un trouble neurologique lié au syndrome de sevrage alcoolique causant un état d’agitation avec des tremblements, de la fièvre, parfois des hallucinations et même des troubles de la conscience. Et c’est le thème du premier court métrage de Mickaël Dusa et Jolan Nihilo, tout sobrement intitulé Delirium Tremens.
Deux personnages, une mère et sa fille, auxquels on pourrait en rajouter un troisième, ce « démon » qui habite le personnage de Julia, la maman. Il va être ici question d’alcool, de sevrage qui ne se passe pas bien, d’enfant qui grandit trop vite, de la difficulté de se (re)construire autour de ça. Delirium Tremens nous amène dans la psyché de quelqu’un en pleine souffrance, sombrant peu à peu dans la folie à cause du manque, où chaque seconde qui passe est une épreuve. Visuellement très beau, Delirium Tremens va beaucoup jouer avec les couleurs, chacune ayant une signification particulière dans le récit, pour petit à petit virer au noir et blanc, comme pour représenter le quotidien morne de ceux qui tentent de sortir de cette addiction, mais aussi de ceux qui gravitent autour (ici un enfant) et qui la subissent par ricochet. Les deux jeunes réalisateurs ont un vrai talent de mise en scène, un vrai sens du cadre, avec cette caméra qui fait preuve d’une grande fluidité dans ses mouvements qui accompagnent les personnages dans leurs déplacements. A fur et à mesure que la folie prend le dessus sur le personnage de Julia, l’ambiance se fait de plus en plus inquiétante, de plus en plus étrange, et rapidement la mise en scène part dans des délires visuels qui le sont tout autant et qui donnent aux spectateurs cette sensation de claustrophobie, d’être enfermés entre 4 murs comme ces personnages.
Delirium Tremens est un court métrage qui ne met pas à l’aise, qui caresse à rebrousse-poil, mais qui propose une expérience sensorielle assez intense.



Venus part d’une thématique plus sombre encore. Je vous laisse le soin de nous présenter le sujet du film et de nous expliquer pourquoi l’avoir choisi. Quel étaient vos attention avec Venus?

Venus représente le cauchemar d’une femme tombée enceinte suite à un viol. Nous abordons également les thématiques du traumatisme en général. Le terme “cauchemar” est utilisé uniquement pour la compréhension du synopsis, mais ce n’est pas vraiment ça, c’est l’expression même du traumatisme qu’on souhaite représenter dans Venus. Sans en dire plus, nous sommes très sensibilisés aux violences sexuelles et à leurs conséquences. Il est important pour nous d’en parler.


J’ai lu sur votre site internet votre note d’attention. Ce qui m’a frappé c’est que vous vous justifiez sur vos choix pour que le spectateur ne prenne le film pour ce qu’il n’est pas. Comment en êtes vous venu à cette justification ? Il semble qu’il y ait eu une mauvaise expérience dans un festival qui vous a « obligé » a expliquer votre création…

Lors de notre première projection en festival, nous avons constaté que la plupart des spectateurs amateurs de films d’horreur s’attendaient principalement à être divertis par des scènes d’horreur gratuites, surtout dans le cadre des courts-métrages. Nous avons reçu des retours de personnes dans ce festival, qui n’avaient pas du tout compris le propos, même un tant soit peu. Nous pensons que cela témoigne d’un manque de sensibilisation du public aux questions des violences sexuelles. À titre d’exemple, lors de cette même séance, un court-métrage mettant en scène un viol incestueux, dépourvu d’artifices ou d’humour, a provoqué des éclats de rire parmi le public. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’être transparents dès le synopsis en ce qui concerne le sujet de notre film.


Par rapport à Delirium Tremens, comment le tournage s’est-il déroulé ? Avez vous consacré plus de temps à la préparation du film ?

Delirium a été un défi stimulant, étant notre premier court-métrage réalisé avec un budget limité et une équipe réduite. La préparation a été cruciale, surtout avec seulement 3/4 jours pour tourner 25 minutes. Nous avions un programme très serré pour tourner toutes les séquences, d’autant qu’elles avaient leur singularité et des ambiances différentes. Ainsi, nous nous sommes retrouvés à tout préparer en un temps record pour chaque séquence. Mais nous pouvons dire qu’aujourd’hui, nous sommes habitués à tourner dans des conditions, disons complexes…


C’est votre premier film à budget, à quoi ont servi les 300€ investis dans Venus ?

Venus a impliqué des défis différents, avec un budget restreint réservé au défraiement du cadreur Christophe Malaprade et à l’achat de matériel pour les effets spéciaux (autant pour le bébé que pour le sang et tout autres fluides…). Bien que nous avions des idées ambitieuses pour des scènes supplémentaires, la limitation budgétaire nous a empêchés de les concrétiser. Cela nous a incité à explorer des solutions créatives et économiques pour obtenir des effets visuels à la fois percutants et comestibles !


Delirium et Venus sont deux œuvres très différentes techniquement parlant. Ici les couleurs sont beaucoup plus froides et la réalisation colle à la peau de votre personnage. Bien que ce soit un choix pertinent par rapport au thème du film, était-ce un style qui avait été pensé dès le départ ou a-t-il découlé de l’étroitesse du décor ?

Le choix délibéré d’explorer le huis clos avec Delirium a été une expérience enrichissante qui a grandement influencé notre approche créative. Lorsque nous avons abordé le thème que nous voulions explorer dans Venus, il nous semblait naturel d’accentuer cette esthétique du huis-clos en travaillant dans un espace extrêmement restreint. Cette décision n’était pas simplement une réponse à la contrainte du décor, mais plutôt une opportunité de repousser les limites de notre créativité.

L’idée de travailler dans une pièce où il était presque impossible de filmer, ajoutée à la difficulté de visualiser le retour caméra, était une démarche délibérée pour nous pousser à repenser l’espace. L’étroitesse du décor était devenue une composante intégrale de notre narration.

Venus n’était pas simplement une réponse à la contrainte du décor, mais plutôt une volonté délibérée d’explorer les possibilités créatives offertes par le huis clos et de tirer parti de l’étroitesse du décor pour renforcer l’impact émotionnel du film.

Nous aimons donner une nouvelle dynamique à notre travail, et c’est d’ailleurs avec notre prochain projet, Monstera, que nous explorerons une approche de huis clos inversé, se déroulant uniquement à l’extérieur..


Venus, l’avis de Cherycok:

Après le trouble du Délirium Tremens, les deux jeunes réalisateurs s’attaquent avec le court métrage Venus à un traumatisme, celui d’une grossesse issue à un viol, aux conséquences morales que cela engendre sur celle qui la subit. Tout comme le premier court, le spectateur va passer par tout un tas d’émotions car, tout comme le premier court, ils vont mettre en scène des images chocs.

A la différence que dans Venus, c’est dès les premières secondes que cela va arriver avec un curseur de glauque qui va monter en flèche et qui ne va jamais faiblir. On se retrouve scotché à notre écran, presque hypnotisé devant ces images pourtant peu ragoutantes mais à la signification très forte. Une fois de plus, c’est visuellement saisissant. Les couleurs choisies, les angles de caméra, ce jeu avec le flou d’arrière-plan, cela accentue encore plus l’aspect souvent un peu crado, mais aussi la sensation de malaise dans laquelle le court-métrage nous met, un malaise qui doit être bien présent chez le personnage étant donné sa situation mais en beaucoup plus fort. Ce « crado » n’est pas que là pour remuer l’estomac du spectateur. Il fait passer des messages, pas toujours facilement perceptibles mais pourtant bels et biens là.

John Roch parlait d’allégories pertinentes sur son compte rendu du FEFFS au cours duquel il a découvert Venus, et c’est exactement ça. En l’espace de 10 minutes, Venus parle à la perfection de beaucoup de choses que certains ont du mal à exprimer en 2h de long métrage, et c’est quelque chose qu’il faut saluer. Il y aurait également beaucoup à dire sur le seul personnage du film, interprété par une Naya Piquemal très impliquée, qui tout le long donne de sa personne dans des scènes sans doute pas toujours faciles à tourner. Une chose est sûre, c’est qu’on ressort de Venus avec des images et des questions qui restent en tête, et si c’est ce que cherchaient les deux réalisateurs, c’est clairement réussi.


Vos thématiques diffèrent mais ont une chose en commun : l’enfant. Le regard de l’enfant face à un parent alcoolique, le dilemme moral face à un enfant né d’un viol… l’enfant est-il une figure que l’on peut considérer comme le centre de votre œuvre ?

Il est vrai que l’enfant occupe une place centrale dans nos œuvres, car c’est l’enfance qui est à l’origine de la plupart des traumatismes. En soi, ce qui est véritablement au centre, c’est le traumatisme et ses impacts, que ce soit au niveau des relations ou au niveau individuel. C’est une source infinie d’inspiration, et c’est ce qui, selon nous, permet de rendre un personnage touchant. Le spectateur peut alors s’identifier à lui, ou il peut permettre à ceux qui ne s’y retrouvent pas de mieux comprendre la victime du traumatisme en question.


Ce que j’aime avant tout dans votre travail, c’est que vous choisissez des thématiques personnelles et très peu, voire pas du tout, abordées dans le cinéma de genre, alors que celui-ci de manière générale commence à tourner en rond depuis plusieurs années en exploitant des sujets d’actualité à toutes les sauces. Que pensez-vous de la production horrifique actuelle ?

Nous sommes des critiques extrêmement sévères envers nous-mêmes, donc c’est compliqué de ne pas l’être envers les films que nous visionnons. La plupart des films de genre se contentent de screamer, mais on n’a jamais vraiment peur, on sursaute, c’est tout. Ce sont des attractions sans âme qui attirent en salles un public qui vient pour rire et non pour avoir peur. Cela montre à quel point le genre horrifique est devenu une blague bien que nous apprécions certains splatstick. Les films ont tellement répété les mêmes clichés en prônant la “ Référence ” qu’ils sont devenus des caricatures et ont perdu toute crédibilité.

Quelques métrages récents cherchent à cultiver une esthétique raffinée et des scénarios originaux, toutefois, ils demeurent exceptionnels et l’un d’eux ne s’accorde pas souvent avec l’autre. Notre approche cinématographique vise à concevoir des œuvres authentiques, caractérisées par une composition musicale et une direction artistique méticuleusement élaborées, ainsi que des scénarios qui transcendent les archétypes conventionnels.

Le cinéma d’horreur est incontestablement en pleine mutation avec la montée en puissance des effets spéciaux numériques. Cette avancée technologique, bien que remarquable, soulève des interrogations chez nous quant à la qualité visuelle et à la surexploitation de ces artifices. Notre position privilégie l’utilisation judicieuse des effets numériques tout en préservant l’authenticité des techniques manuelles, car elles confèrent une véritable substance artistique.

En définitive, notre vision du cinéma d’horreur vise à rétablir l’équilibre entre une prudence économique souvent stérile et une créativité artistique authentique. Nous aspirons à créer un cinéma jubilatoire et immersif, stimulant le spectateur à travers des expériences visuelles et narratives, où le spectateur est convié à vivre une catharsis inhérente à ce genre cinématographique.


Y-a-t-il une période en particulier du cinéma d’horreur que vous préférez aux autres ?

Nous devons avouer avoir une grande préférence pour les films des années 80-90, mais davantage pour leurs effets spéciaux que pour leurs scénarios. Nous sommes de grands fans de makeup fx ; des films tels que Brain Dead, The Blob, ou encore The Thing, bien que purement divertissants, parviennent à suspendre notre esprit critique pendant un court instant. Malheureusement, je pense que nous n’avons pas de film que nous apprécions vraiment entièrement. Le symbolisme en général est le courant artistique qui pourrait se rapprocher de notre travail, ou encore l’expressionnisme que nous apprécions beaucoup au cinéma, notamment dans The Cabinet Of Dr. Caligari.


De ce fait, si on devait chercher un cinéma qui aurait influencé votre travail, ce serait du coté du cinéma des années 20 ? L’expressionnisme Allemand ou des métrages comme Haxan de Benjamin Christensen par exemple, qui est justement une expérience visuelle et narrative mêlant symbolisme et expressionnisme.

Effectivement, nous reconnaissons volontiers l’influence du cinéma des années 20 sur notre travail, même si nous continuons à s’efforcer de nous séparer de toute influence malgré le fait qu’il en est impossible. Nous trouvons cela quelque part réducteur.

La raison pour laquelle nous apprécions tant cette période est que nous souhaitons ramener au centre de notre cinéma la présence de l’horreur architecturale, telle que des décors déformés, des déséquilibres visuels, et bien sûr des espaces non-réalistes, tout cela se reflétant dans le développement de nos personnages.


En quoi trouvez-vous réducteur d’avoir des influences, en particulier quand celles-ci de manière globale ne sont plus, ou rarement, revendiquées ?

Nous considérons que la dépendance exclusive aux références cinématographiques peut entraîner une certaine réduction de la créativité dans le domaine du cinéma. Le cinéma, en tant que septième art, repose sur une fusion d’expressions artistiques préexistantes. Privilégier uniquement les références filmiques comme source d’inspiration comporte le risque d’une uniformité artistique, conduisant à une répétition stérile de thèmes et de motifs déjà explorés dans le cinéma, compromettant ainsi l’originalité d’une œuvre.

Le choix délibéré de s’inspirer principalement de films risque d’instaurer une circularité artistique, où les œuvres se nourrissent mutuellement sans introduire de nouvelles perspectives significatives. Cela pourrait conduire à des productions qui semblent davantage des hommages ou des pastiches plutôt que des créations originales dotées d’une voix artistique authentique.

Plutôt que de restreindre notre inspiration au seul domaine cinématographique, nous adoptons une approche plus éclectique, intégrant des références issues de la littérature, de l’art visuel, et surtout des réflexions tirées d’expériences intimes. Cette approche, nous l’espérons, nous permettra d’explorer des thèmes sous des angles inattendus.

Nous reconnaissons que certaines œuvres peuvent involontairement intégrer des références préexistantes, inévitables dans un paysage artistique saturé d’influences. Cependant, il est impératif pour nous d’éviter délibérément de baser nos films principalement sur des références cinématographiques. Notre processus créatif s’engage dans une autocritique constante et rigoureuse, cherchant à dépasser les limites des références conventionnelles du cinéma.

De plus, il est particulièrement complexe de se détacher des références cinématographiques, étant donné que le public et les critiques ont souvent une propension à apprécier les clins d’œil à d’autres films. C’est pourquoi nous éprouvons des difficultés à nous inscrire pleinement dans une période cinématographique. Nous apprécions des éléments périodiques tels que les effets spéciaux des années 80 ou l’horreur architecturale des années 20, mais nous ne les considérons pas comme des outils de référence. Nous nous efforçons de nous en détacher autant que possible.


Et que pensez vous du cinéma de genre Français ?

Malheureusement, notre perception du cinéma de genre français demeure teintée de déception. Les échanges avec des réalisateurs et producteurs américains nous ont attristé, car nous avons constaté que notre cinéma trouve plus facilement reconnaissance et opportunités outre-Atlantique, témoignant d’une plus grande facilité à concrétiser notre premier long-métrage.

En France, il nous semble être quelque peu en marge de la production cinématographique actuelle. Bien que des films de genre français aient émergé ces dernières années, nous ne nous y retrouvons toujours pas.

Par conséquent, nous envisageons de privilégier des collaborations internationales, estimant que cette orientation est davantage en accord avec notre vision artistique. Néanmoins, nous persistons aujourd’hui dans nos efforts pour tenter de réaliser nos films en France, même si cela semble actuellement être une tâche ardue.

Après Venus, nous espérions que nos projets nous ouvriraient les portes vers une subsistance modeste, nous procurant ainsi plus de latitude pour nos projets à venir. Cependant, confrontés aux obstacles actuels et au fait que Venus est un court métrage qui suscite une grande réticence chez les producteurs, l’idée de donner vie à notre prochain court-métrage sans le soutien d’une production est de plus en plus envisagée


Vous nous avez évoqué votre prochain projet : Monstera. Que pouvez-vous nous dire dessus ?

Monstera est initialement conçu comme un long-métrage, dont la genèse remonte à la période de création de Venus. Malheureusement, la réalisation du projet sous cette forme est actuellement hors de notre portée en raison de contraintes budgétaires. Nous n’avons pas encore eu l’opportunité de collaborer avec une production, bien que nous aspirons à le faire. Cependant, ce projet ne semble pas susciter l’intérêt des productions françaises pour l’instant. Pour surmonter cet obstacle, nous avons pris la décision de développer un court-métrage en autoproduction qui servira de vitrine pour le film complet. Notre espoir est d’éveiller l’intérêt de collaborateurs potentiels prêts à nous soutenir dans la concrétisation de ce projet. Voici le synopsis de Monstera :

« Dévasté par la perte répétée de leurs enfants mort-nés, un couple est confronté à une nouvelle grossesse. Entre la culpabilité qui les ronge et la nature florissante, ils devront lutter pour ne pas voir leur amour s’enraciner dans les méandres du chaos. »

Nous avons hâte de vous le faire découvrir !


Et bien je partage cette hâte et vous souhaite le meilleur pour la suite. Je vous laisse le mot de la fin.

Nous tenons à te remercier d’avoir pris le temps pour cette interview, et nous exprimons notre gratitude envers le FEFFS de nous avoir permis de présenter Venus et ainsi de nous avoir mis en relation. Nous espérons pouvoir vous présenter bientôt nos prochains projets et souhaitons que vos lecteurs apprécient la lecture ! Venus continue à vivre en festival, et nous serons présents le 12 janvier au Giallo Film Festival à Paris ainsi qu’à d’autres festivals à venir. Hâte de vous y retrouver ! Merci et à très bientôt…

Interview réalisée et mise en page par John Roch – Novembre 2023
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Auteur : John Roch

Amateur de cinéma de tous les horizons, de l'Asie aux États-Unis, du plus bourrin au plus intimiste. N'ayant appris de l'alphabet que les lettres B et Z, il a une nette préférence pour l'horreur, le trash et le gore, mais également la baston, les explosions, les monstres géants et les action heroes.
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