[Film] Rampo Noir, de Akio Jissōji, Atsushi Kaneko, Hisayasu Satō et Suguru Takeuch (2005)


Adaptations de quatre nouvelles de l’écrivain japonais Edogawa Rampo : Mars Canal, réalisé par Takeuchi Suguru, L’enfer des miroirs, réalisé par Jissoji Akio, La chenille, réalisé par Sato Hisayasu, Vermine, réalisé par Kaneko Atsushi.


Avis de Oli :
Voici donc pour le plus grand plaisir des fans de Rampo une nouvelle adaptation de ses écrits pour le grand écran japonais, avec en prime un casting de qualité et notamment l’acteur Asano Tadanobu, qui apparaît dans la totalité des segments. Envisageons-les dans l’ordre :

MARS CANAL (Kasei no unga)
Ça commence mal, car je n’ai pas grand-chose à développer à propos de cette histoire-là… A dire vrai, j’ignore même de quel écrit de Rampo le réalisateur Takeuchi Suguru a bien pu tirer son étrange trip visuel. Car il s’agit bel et bien d’un trip, avec effets visuels et sonores (le début est entièrement muet, sans doute pour mieux nous casser les oreilles lorsque le son, strident, pointe enfin à la surface de nos tympans). C’est donc très court, je n’ai pas compris grand-chose, mais certaines admiratrices (et pourquoi pas aussi admirateurs) seront ravi(e)s d’apprendre que le beau Asano dévoile ici ses fesses nues sous tous les angles possibles et imaginables.

L’ENFER DES MIROIRS (Kagami jigoku)
Publié en France chez Picquier Poche dans le livre ANTHOLOGIE DE NOUVELLES JAPONAISES

Cet épisode-ci, filmé de manière beaucoup plus classique par Jissoji Akio (qui avait déjà adapté du Rampo en 1994 pour le cinéma), rend hommage à une nouvelle elle aussi relativement classique de l’écrivain, mais aussi parfaitement révélatrice de son talent à mêler les genres, à savoir principalement le fantastique, le policier et l’érotisme (pour le grotesque, il vaut mieux se pencher sur les deux segments qui suivent). L’ENFER DES MIROIRS est donc une aventure policière de l’immense détective Akechi Kogorô, personnage de fiction crée par Rampo et qui revient dans plusieurs de ses histoires (dont l’une de ses plus fameuses : LE LEZARD NOIR). A la fois raffiné et cruel (comme les nouvelles de Rampo), le segment L’ENFER DES MIROIRS ne décevra pas les fans ni même les néophytes : les histoires mystico-policières de Rampo ont en effet l’avantage de pouvoir plaire au premier coup d’œil, la connaissance du background de l’auteur ou de son personnage fétiche n’étant absolument pas indispensable à la bonne compréhension de l’ensemble, l’histoire se suffisant à elle-même. Mais revenons un instant sur Asano, qui connaît ici le lourd privilège d’incarner le mythique Akechi Kogorô. Je dois avouer que j’ai eu particulièrement de mal à croire à sa prestation : trop beau, trop carré, trop cool avec sa longue chevelure tombant jusque dans le bas du dos, non définitivement non, je ne m’étais jamais imaginé le célèbre détective avec une pareille allure…

LA CHENILLE (Imomushi)
Publié en France chez Picquier Poche dans le livre LA CHAMBRE ROUGE

Un soldat, revenu du combat en homme tronc, se retrouve comme livré en pâture à sa femme… LA CHENILLE est, de l’aveu de beaucoup, un chef d’œuvre de son auteur dans le genre érotico-grotesque. Très courte, la nouvelle originale parvenait en simplement une petite dizaine de pages à dégager une atmosphère irréelle et étouffante, nimbée d’un érotisme déviant et d’un drame humain poignant. Le réalisateur Sato Hisayasu peine hélas à retranscrire toutes ces émotions dans son court métrage. Pire même, il commet quelques infidélités qui dénaturent complètement le récit. Tout d’abord, les scénaristes ont intégré le détective Akechi Kogorô dans l’histoire, alors qu’il n’y a jamais eu sa place. L’idée, pourtant, n’est finalement pas si mauvaise, car à la fin du segment on nous laisse clairement entrevoir une interaction à venir entre l’histoire de LA CHENILLE et celle de L’ILE PANORAMA (une nouvelle géniale à propos d’un collectionneur fou). Le spectateur tombe hélas de haut, car au moment où l’on s’attend à embarquer pour l’île, le segment s’arrête net pour enchaîner sur le suivant : VERMINE. Grosse déception donc, et surtout une bonne idée qui n’est pas exploitée. Mais une autre le sera, puisque non content de faire un clin d’œil à L’ILE PANORAMA (ou encore à la nouvelle VERMINE, puisqu’un trait physique de l’héroïne rappelle celui de la suppliciée de la nouvelle précitée), le réalisateur sabote la magnifique fin de LA CHENILLE (que je ne dévoilerai pas) en calquant son dénouement sur LA BETE AVEUGLE (un autre écrit de Rampo, adapté au cinéma par Masumura). Un peu comme si la véritable histoire de LA CHENILLE n’était pas suffisamment violente et dérangeante comme cela, et qu’il fallait absolument en rajouter encore une couche pour parfaitement illustrer Rampo. Non-sens.

VERMINE (Mushi)
Publié en France chez Picquier Poche dans le livre MIRAGE

Réalisé par Atsushi Kaneko, VERMINE conte l’histoire tragi-comique d’un homme dégoûté à un tel point par l’espèce humaine qu’il en viendra à développer une terrible allergie. Fasciné par sa patronne, une actrice de théâtre, il va bientôt réaliser qu’il n’y a qu’à ses côtés, qu’il se sent calme et reposé. Il tentera alors de se l’approprier… Le dernier segment de RAMPO NOIR est réussi : VERMINE mêle en effet psychose, horreur et humour dans un savoureux mélange à peine miné par quelques chutes de rythme. Sur le fond, l’histoire est fidèle à la nouvelle (hormis un petit détail à la fin, qui demeure sans conséquence). Sur la forme, on sent par contre que le réalisateur impose sa marque de fabrique et s’éloigne quelque peu de l’univers visuel de l’écrivain, et au final cela se révèle plutôt comme une bonne idée, même si un ou deux passages font visuellement beaucoup trop Lynchien (lorsque Asano disparaît dans un couloir sombre pour « changer d’univers », c’est évidemment emprunté à LOST HIGHWAY).

Au final, les amateurs de Rampo devraient s’avérer légèrement déçus : non pas que les différents segments n’adaptent pas fidèlement les nouvelles de l’écrivain (même si je ne me prononce pas sur MARS CANAL, que je ne connais pas, et que LA CHENILLE aurait mérité un scénario différent). Le principal reproche à faire se situerait donc au niveau de la réalisation : très peu inspirée sur LA CHENILLE, et peut-être trop décalée pour plaire aux fans sur VERMINE (encore que ce point prête à discussion), les différents segments auraient mérité plus d’attention sur la forme. On aurait aimé avoir de vrais talents à la caméra (Tsukamoto aurait été parfait, lui qui a déjà adapté une nouvelle de Rampo) car, à dire vrai, deux des réalisateurs me semblent être des débutants au grand écran (je n’avais jamais entendu parler de Kaneko et de Takeuchi jusqu’à aujourd’hui).

LES PLUS LES MOINS
♥ Tadanobu Asano, très bon
♥ Certains segments sortent du lot
♥ Un ensemble qui tient la route/td>
⊗ Certains segments en deçà
⊗ La forme parfois mise de côté
RAMPO NOIR demeure malgré tout un divertissement de qualité, proposant, tout au long des quatre segments parsemant le récit, différentes facettes de l’écrivain Edogawa Rampo : le genre érotico-grotesque avec LA CHENILLE, les intrigues fantastiques et policières d’Akechi Kogorô avec L’ENFER DES MIROIRS et, enfin, l’humour et l’horreur décalée, illustrés par VERMINE.



Titre : Rampo Noir / Ranpo Jigoku / 乱歩地獄
Année : 2005
Durée : 2h14
Origine : Japon
Genre : Drame / Policier / Horreur
Réalisateur : Akio Jissōji, Atsushi Kaneko, Hisayasu Satō, Suguru Takeuch
Scénario : Akio Jissōji, Atsushi Kaneko, Hisayasu Satō, Suguru Takeuch

Acteurs : Tadanobu Asano, Yûko Daike, Chisako Hara, Tamaki Ogawa, Hiromasa Taguchi, Hanae Kan, Ryuhei Matsuda, Masami Horiuchi, Kaiji Moriyama

 Ranpo jigoku (2005) on IMDb


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Auteur : Oli

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