[Film] L’Empire des Sens, de Nagisa Oshima (1976)


Une jeune femme s’éprend d’un homme marié. Leur passion va bientôt prendre des proportions insoupçonnées, et les consumer petit à petit, en les isolant du monde.


Avis de Oli :
Inspiré d’une histoire vraie qui bouleversa le Japon dans les années 30, L’EMPIRE DES SENS est un film à la réputation sulfureuse. Et cette réputation n’est pas surfaite. Un producteur français (Anatole Dauman) avait dans l’idée de mettre sur pied un projet de film à caractère pornographique mais qui se détacherait de la production courante par son histoire et sa réalisation soignée. Il trouve en Oshima un réalisateur réceptif, lui confie les moyens nécessaires pour mettre le tout en images, et lui laisse le soin de choisir le sujet. Le réalisateur japonais opte pour l’histoire tragique de ce couple dont la passion va consumer le souffle de vie. L’histoire d’Abe Sada est devenue célèbre, et malgré les atrocités qui ponctuent son récit, une certaine sympathie pour cette femme malade d’amour et de sexe a pris corps au Japon.

Si L’EMPIRE DES SENS est une œuvre à part dans l’histoire du cinéma, c’est avant tout parce qu’il est un exemple (presque) unique de la combinaison d’images à caractère pornographique et d’un vrai film (artistiquement parlant). Les ébats sont en effet filmés au plus près, et les images sont très rarement subjectives. On peut trouver le procédé racoleur, on peut aussi penser qu’il s’agissait là de l’occasion rêvée de mettre en scène un drame passionnel qui trouve sa source avant tout dans le sexe, et qui va rapidement devenir une drogue pour les deux principaux protagonistes. Car petit à petit, Sada et Kishizo vont se replier sur eux même, se couper du monde extérieur. Le film est ainsi tourné essentiellement en intérieurs : des scènes superbes, les plans fixes sont souvent comparables à de véritables tableaux, et parfois même à une scène de théâtre, les mises en scène de Kishizo et Sada se rapprochant parfois de véritables performances artistiques que la présence régulière d’un public (geisha, vieille femme, voyeur…) vient encore renforcer.

La seule fois où l’on peut apercevoir le monde extérieur est lorsque Kishizo sort pour se faire raser, il croisera alors en chemin l’armée japonaise défilant dans les rues : l’histoire prend place juste après une tentative de coup d’état (1936), qui aura comme principale répercussion le renforcement de l’autorité de l’armée. Oshima nous précise ainsi que le monde autour du couple continue de vivre, et que les drames quotidiens sont toujours bien présents. Il nous montre aussi que Kishizo fait tout pour ignorer cela (il détournera les yeux et ne verra pas les soldats lorsqu’ils passeront à côté de lui). Le couple va donc vivre en vase clos le temps que va durer leur passion : vivre pour s’aimer, pour éprouver le plus de plaisir possible, sans trouver le temps de faire quoi que ce soit d’autre, sans trouver un instant pour manger ou bien même dormir. Une œuvre passionnelle, qui nous décrit le mécanisme qui aura pour finalité de projeter le couple en abîmes. Un couple qui ira jusqu’au bout de l’épuisement, afin de se satisfaire mutuellement.

Souvent décrié pour son coté apparemment dépravé, le film d’Oshima est pourtant loin d’être un simple film de sexe et de sueurs. Tout d’abord il impose à l’écran un personnage de femme extraordinairement forte, véritable maîtresse de son couple : manipulatrice jusqu’à l’extrême, elle n’aura jamais en tête que la seule satisfaction de son propre plaisir. Kishizo apparaîtra ainsi, à maintes reprises, comme une simple marionnette tourmentée par un cortège d’émotions. Contrairement à ce qu’ont pu en dire certains à une époque, l’histoire de L’EMPIRE DES SENS ne tourne donc pas autour d’un personnage de femme sali et dominé (c’est même tout le contraire).

LES PLUS LES MOINS
♥ Visuellement superbe
♥ Un film unique
♥ Les personnages
♥ Les questions que pose le film
⊗ Réservé à un public averti
Pour terminer, L’EMPIRE DES SENS a le mérite de s’interroger sur l’amour et ses réminiscences. Mais le film d’Oshima parle-t-il vraiment d’amour ? Abe Sada aime-t-elle son amant ? Ou s’agit-il d’un simple jeu égoïste pour elle ? Kishizo et ses multiples sacrifices enfin, sont-ils pareils à de multiples déclarations d’amour ? Chaque fois plus fortes. Et douloureuses.



Titre : L’Empire des Sens / In The Realm of the Senses / Ai No Corrida
Année : 1976
Durée : 1h42 (1h51 version longue)
Origine : Japon
Genre : Erotique / Drame
Réalisateur : Nagisa Oshima
Scénario : Nagisa Oshima

Acteurs : Eiko Matsuda, Tatsuya Fuji, Aoi Nakajima, Yasuko Matsui, Meika Seri, Kanae Kobayashi, Taiji Tonoyama, Kyôji Kokonoe, Naomi Shiraishi

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Auteur : Oli

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