[Avis] Le visage d’un autre, de Hiroshi Teshigahara

Titre : Le visage d’un autre / The face of another / Tanin no kao
Réalisateur : Hiroshi Teshigahara
Durée : 124 min
Origine : Japon
Année : 1966
Genre : Nous nous cachons tous derrière un masque …

Acteurs : Hira Mikijiro, Irie Miki, Nakadai Tastuya, Okada Eiji, Kishida Kyoko, Kyo Machiko, Igawa Hisashi

Synopsis : Un homme d’affaires atrocement brûlé suite à l’incendie d’un laboratoire, décide de se faire faire un nouveau visage. Peu après l’opération qui est un succès, il réussit à séduire la femme du chirurgien. Mais peu à peu, un étrange sentiment l’envahit : le masque semble avoir une influence néfaste sur lui, comme s’il commandait sa volonté…

Avis de Slimdods : [Spoiler Inside] Seuls ses yeux et un bout de sa lèvre apparaissent au milieu de ce désert blanc. Le bandage recouvre toute sa tête, pas un seul cheveu ne dépasse du masque qui semble être la seule alternative à sa vie. Rapidement, cet homme nous apparaît perturbé par l’image qu’il renvoie. Il semble proie à lui-même et le masque commence à prendre possession de son esprit, de son corps, de sa vie… Mais il n’y a pas que lui qui a changé, son entourage semble aussi atteint du syndrome du masque. La femme du masqué ne peut assouvir les envies de son marie à cause de cette barrière étrange crée par le masque, la secrétaire du boss semble apeurée devant cet être si différent, ce corps sans visage. Bref, en plus d’être assez insupportable (il grogne de son sort la plupart du temps), le masqué est un homme refoulé par tous, y compris par lui-même. Mais une chance s’ouvre à lui : un docteur peut lui donner le visage d’un autre grâce à une technologie qui ne cesse d’évoluer…

Un film philosophique rempli de questions qui trouveront certainement des réponses différentes selon sa propre personnalité, sa propre perception de la vie : voilà ce que Hiroshi Teshigahara nous propose. En effet, Le visage d’un autre est une œuvre plutôt difficile d’accès, relativement lente dans sa narration et agrémentée d’une mise en scène proscrivant tout mouvement de caméra au profit de la réflexion. N’étant pas un habitué du cinéma nippon de cette période, je me suis tout de même laissé envouter par une ambiance étrange, parfois irréelle et assez dérangeante crée uniquement grâce à quelques images superbement traitées de l’homme masqué face à ses interlocuteurs. Les discussions souvent épicées entre le masqué et les autres jouissent d’une qualité d’écriture assez remarquable, chaque échange permettant de mieux cerner les perceptions de chacun, le film nous aidant qui plus est à connaître le ressenti des différents personnages. Et c’est là que le film se veut une énorme réussite : il prend son temps pour que l’on puisse s’identifier au personnage, au background de ce monde vu par un homme qui ne semble plus faire partie de l’espèce humaine. La différence est donc bien un fardeau et ce fardeau, ce n’est autre que lui-même, l’homme masqué !

Le film offre de plus une narration toute propre pouvant se diviser en trois parties bien distinctes : la découverte de la vie avec le masque, le questionnement du masqué sur la causalité de son futur et enfin ses conséquences. La première partie nous montre donc la vie avant la naissance, la vie d’un homme différent. La longue séquence avec le couple pose le thème sans attente : la vie ne sera plus jamais comme avant avec le masque. Il est à noté que l’aval ne nous est pas évoqué, Hiroshi Teshigahara nous laissant libre cours à notre imagination sur le passif du masqué et de son entourage. Quelques indices pourront tout de même vous permettre de vous forger votre propre opinion, le caractère des différentes personnes étant, on l’imagine, en contradiction par rapport à avant. M’enfin, le parcours de notre homme est subtilement négocié par le réalisateur, que ce soit dans sa vie professionnelle (via son boss et la secrétaire), personnelle (via se femme) et sa vie quotidienne (via quelques plans larges notamment où notre homme crée autour de lui un vent de curiosité).
Après avoir posé les bases, Hiroshi Teshigahara nous place en face d’un Dieu en la personne d’un docteur en chirurgie esthétique (il n’y a qu’à voir son cabinet, visuellement assez abstrait, une salle semblant en suspension et géométriquement trop parfaite : impression très bizarre). C’est à partir de ce moment là que l’espoir apparaît chez notre masqué, un espoir semblant vain d’apparence car l’existence du masqué prête encore à confusion : doit il porter un bandage à vie où s’approprier le visage d’un autre ?

Question hautement existentielle, le choix d’une vie assurément, mais à quels prix ? Aujourd’hui, le masqué est rejeté par sa femme, semble possédé par ses propres démons et se comporte bizarrement. Le masque le possède et l’homme jadis présent n’est plus. Mais peut-il revivre ? Il veut faire revivre le désir de sa femme envers lui, il veut que le regard des autres redevienne normal, il veut fuir la différence. Le docteur semble avoir la réponse par l’intermédiaire d’un visage moulé puis ensuite transposé sur la tête de notre victime. Mais le risque d’un raté lors de l’opération est toujours présent, d’ailleurs il est marrant de constater que Hiroshi Teshigahara avait une vision du futur assez juste à son époque sur le sujet de la chirurgie esthétique…M’enfin, après avoir posé le pour et le contre, le masqué finie par céder. Il veut renaitre, il veut une vraie vie, il veut la normalité.

Puis la renaissance a lieu, ce visage apparaît soudainement à la place de ce bandage blanc, le docteur est fier de son travail, le visage semble parfait. La genèse même d’un autre soi semble avoir lieu devant nos yeux, d’une vision d’horreur lointaine et floue, le visage devient clarté, propre et normal. Ainsi, il repasse par les mêmes chemins pour voir si tout est redevenu normal et, de prime abord, les regards étranges ne fusent plus, il n’est plus l’intrus parmi les autres, il se fond dans la masse comme n’importe qui. En parallèle, la relation entre le docteur et son patient ne cesse d’évoluer sur la question éthique, sur le changement soudain de vie et des précautions à prendre. A partir d’ici, nos hommes vont petit à petit connaître un destin différent de celui prévu à l’origine et c’est là que Hiroshi Teshigahara se révèle minutieux, car il nous montre bien que l’on ne peut pas se prendre pour Dieu sans qu’il n’y ait de graves conséquences. L’habit ne fait pas le moine et malgré le visage parfait, le subterfuge est démasqué par une jeune femme relativement simple d’esprit lors d’une séquence quasi identique repris de la première moitié du film. Ce jeu de miroir montrant d’un côté la vie avant l’opération et de l’autre la vie après l’opération est de plus accentué par une mise en scène quasi identique (jusqu’aux plans prêts).

Y a-t-il une différence entre l’avant et l’après ? Peut être, mais le résultat est en fin de compte le même, l’homme ne se supporte plus, il n’est plus lui, il ne pourra plus l’être et puis c’est tout. Mais le docteur est lui aussi proie à lui-même, notamment lors de cette superbe séquence où des hommes et femmes sans visage passent à côté de notre duo. On se croit tout d’un coup dans un monde rêvé (où cauchemardé) par l’un comme par l’autre, fruit de leurs imaginations et reflets de leurs âmes. On comprend ainsi que l’un comme l’autre vivent sous un masque, celui-ci étant aussi bien physique que morale. Et si nous étions tous les mêmes ? Nous serions libre de tout droit, de toute action, bonne ou mauvaise (voir le masqué entrain de séduire sa propre femme sous le visage d’un autre) quitte à transgresser les frontières car non reconnaissable envers nos semblables, non condamnable. Voilà peut être une des définitions les plus définitives de la liberté (d’ailleurs, la fin du film se veut carrément explicite sur ce sujet).

Hiroshi Teshigahara nous propose ainsi quelques indices à travers ce long métrage afin de nous aider à comprendre ce qu’est l’identité propre grâce à un raisonnement par l’absurde (contourner la question en traitant un sujet antagoniste : la perte d’identité) et bien sûr, il nous propose une belle réflexion sur la recherche d’un soi perdu. D’ailleurs, pas besoin de coller un visage à un homme pour que l’émotion n’en ressorte…

Note : 8/10

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Auteur : slimdods

Rejeton Hkmaniak-O-dépressif, je suis le vrai « Bouffe tout » de la famille : du polar urbain sérieux à la comédie kitsh, du Kaiju-eiga au Wu Xia Pian volant, aucun genre n’est épargné par ma faim. D’ailleurs, j’ai un faible pour l’anticonformisme assumé et mon Tsui Hark d’époque me manque énormément. Heureusement que mon Baby Godzilla est réconfortant !
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