[Film] La Isla Minima, de Alberto Rodriguez (2014)


Deux flics que tout oppose, dans l’Espagne post-franquiste des années 1980, sont envoyés dans une petite ville d’Andalousie pour enquêter sur l’assassinat sauvage de deux adolescentes pendant les fêtes locales. Au cœur des marécages de cette région encore ancrée dans le passé, parfois jusqu’à l’absurde et où règne la loi du silence, ils vont devoir surmonter leurs différences pour démasquer le tueur.


Avis de Cherycok :
Réalisateur de Les 7 Vierges (2005), de Groupe d’Elite (2012) ou plus proche de nous Prison 77 (2022), Alberto Rodríguez a mis tout le monde d’accord avec La Isla Minima, sorti en 2014, film aux 52 victoires dont 10 à la 29ème Cérémonie des Goyas dont celles du meilleur film, du meilleur scénario et du meilleur réalisateur. Et on comprend pourquoi tant son film, malgré un déroulement assez simple et classique de son intrigue, a quelque chose d’unique. Souvent comparé à la série True Detective, tout du moins la saison 1 avec laquelle le film partage l’année de sortie, pour son ambiance, sa mise en scène et son duo de policiers, mais également au coréen Memories of Murders de Bong Joon-Ho, La Isla Minima fait partie de ces thrillers qui, à l’instar de Seven ou autres du même genre, ont quelque chose d’hypnotisant, qui vous attrape dès les premiers secondes et qui ne vous lâche plus jusqu’à l’arrivée du générique de fin. La marque des grands films diront certains. Une chose est sûre, c’est que même s’il n’égale pas les plus beaux fleurons du genre, La Isla Minima est un très bon film.

Le film s’ouvre sur des plans aériens des marais du Guadalquivir en l’Andalousie et on y découvre des paysages tout proprement hallucinants, ressemblant parfois à s’y méprendre (du moins vus du dessus) à des organes humains, comme pour nous mettre dans le bain et nous annoncer que nous serons ici dans quelque chose d’organique, de sensoriel. Ces plans aériens reviendront d’ailleurs plusieurs fois dans le film, parce que ces paysages de cette région hostile de l’Espagne sont un personnage à part entière. A l’exception de certains films américains se déroulant à la Nouvelle-Orléans, rares sont les films qui placent leur histoire dans de tels décors alors qu’on se rend vite compte que le résultat est des plus intrigants. On passe d’un sol aride asséché par la chaleur, à des marécages extrêmement humides. L’ambiance qui y règne est très particulière, et on sent tous les efforts faits au niveau de la photographie pour donner à La Isla Minima un rendu assez exceptionnel. L’ambiance y est poussiéreuse, se fait même parfois poisseuse, et oui, définitivement, planter l’histoire de ce double meurtre de jeunes filles dans un tel décor était une excellente idée. Tout est ici parfaitement harmonisé, des cadrages au millimètre pour à la fois mettre en valeur les paysages et y laisser vivre les personnages, à la bande son, certes un peu trop présente parfois, mais qui accompagne à merveille ces images au ton volontairement vieillot, le film se passant en 1980, en passant par cette faculté d’Alberto Rodriguez à nous faire sentir à chaque seconde qu’il y a quelque chose de louche et qu’il peut arriver quelque chose à tous moments aux personnages. La tension est parfaitement gérée, aussi bien celle de l’histoire en elle-même que de cette période un peu trouble dans laquelle l’Espagne se trouvait à la fin des années 70, après la mort de Franco, avec cette démocratie qui n’en était encore qu’à ses balbutiements. Cette Espagne où le choc des mentalités était plus que jamais présent, avec d’un côté les nostalgiques, toujours franquistes dans l’âme, et de ceux bien décidés à passer à autre chose, avec tout ce que cela va impliquer de silences pesants, de mensonges, de non-dits, de coups-bas.

Au milieu de tout ça, on retrouve les deux personnages centraux qui représentent eux-aussi ce choc de générations, interprétés avec brio par le duo Javier Gutiérrez (Campeones, Froid Mortel) et Raul Arévalo (Insiders, El Plan), deux policiers très différents (la vieille garde et le jeune nouveau), qui ne s’aiment pas, mais qui vont devoir collaborer sur cette enquête malgré leurs désaccords, malgré leurs méthodes différentes, quitte à ce que l’un déteigne parfois sur l’autre lorsque d’étau se resserre et qu’ils se retrouvent en difficulté. Leur interprétation est absolument excellente, et on comprend aisément pourquoi Javier Gutiérrez a remporté le Goya du meilleur acteur pour ce film, bien que son comparse n’ait clairement pas démérité. Plus profond qu’il n’y parait, souvent à fleur de peau, leur duo marque les esprits. Les seconds rôles ne sont pas en reste, avec des performances là aussi à souligner. On regrettera malheureusement que certains personnages secondaires ne soient pas assez développés car il y avait clairement la place pour eux. Peut-être que le budget était trop serré pour aller au-delà des 1h40 du film (génériques compris), peut-être est-ce volontaire, à l’instar de ces personnages mêlés à cette enquête mais dont on ne connait pas le sort, un peu comme si le réalisateur ne nous donnait que les pièces essentielles du puzzle mais pas celles qui ne nous empêchent pas deviner nous-même la suite de l’histoire. Mais bien que cela n’entache pas réellement la qualité du film, on aurait aimé en voir plus de ces parents endeuillés interprétés par les excellents Antonio de la Torre et Nerea Barros. On aurait aimé en savoir plus sur l’implication de ce jeune beau gosse joué par Jesus Castro. Le scénario préfère laisser ça de côté pour se concentrer sur l’essentiel. Qu’importe au final car le résultat est déjà de très belle tenue et La Isla Minima prouve une fois de plus la vivacité du cinéma espagnol et sa capacité à nous pondre des petites pépites depuis maintenant pas mal d’années.

LES PLUS LES MOINS
♥ Formellement superbe
♥ Excellent casting
♥ L’ambiance très travaillée
♥ Déroulement très fluide
⊗ Certains persos secondaires pas assez exploités

Avec son excellent duo d’acteurs et son atmosphère fascinante, La Isla Minima est un très bon thriller espagnol dans lequel les exceptionnels paysages andalous amènent une ambiance unique. Les 10 Goyas que le film a reçu sont amplement mérités.

LE SAVIEZ VOUS ?
• Les photographies aériennes du début du film et d’autres que l’on peut voir par-dessus ont été numérisées par Israel Millan à partir de photographies d’Hector Garrido. Ce photographe a publié un livre intitulé « Armonía fractal de Doñana y las marismas » (Harmonie fractale de Doñana et des marais) qui comprend certaines des images utilisées dans le film. Les images correspondent à différents marais d’Andalousie, comme ceux de Coto Doñana et les Salinas de San Fernando à Cadix.

• Le médecin légiste définit un groupe sanguin en examinant le sperme, mais cette technique n’était pas encore disponible en 1980 et ne l’est que depuis 1990.



Titre : La Isla Minima
Année : 2014
Durée : 1h45
Origine : Espagne
Genre : Thriller andalou
Réalisateur : Alberto Rodriguez
Scénario : Rafael Cobos, Alberto Rodriguez

Acteurs : Javier Gutiérrez, Raul Arévalo, Maria Varod, Perico Cervantes, Jesus Ortiz, Jesus Carroza, Salva Reina, Antonio De La Torre, Nerea Barros, Ana Tomeno

Marshland (2014) on IMDb


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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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