[Dossier] 2000 – 2009 : Une décennie de cinéma thaïlandais

Après un mini-âge d’or durant les années 50 et 70 marqué par les westerns Suzi-Wan et les films de super-héros en collants acryliques (et accessoirement Mitr Chaibancha et Sombat Metanee devant la caméra), la production thaïlandaise n’a jamais vraiment réussi à s’imposer sur la scène asiatique. On relèvera anecdotiquement les films engagés du prince Chatrichalerm Yukol ou encore les réalisations fauchées de Panna Rittikrai durant la fin des années 70 jusqu’au milieu des années 90. La terrible crise économique de 1997 est sans doute l’événement qui aurait dû porter le coup de grâce à cette industrie en déliquescence (seulement 10 films ont été produits cette année là). A notre plus grande surprise, une nouvelle génération de réalisateurs va s’émanciper cette même année 1997 et relancer notre intérêt pour ce cinéma thaïlandais. Issus du monde du vidéo-clip ou encore de la publicité, ces enfants terribles vont réussir le pari fou de combiner un cinéma moderne et stylé avec les thématiques décalées, uniques et totalement décomplexées qui composent le cinéma de ce pays. Entre folie visuelle, mélange des genres et exotisme salutaire, la production locale ose tout ! Les ladyboys y côtoient handicapés mentaux, boxeurs thaïs, démons issus du folklore local, crocodiles géants, nounours fumeurs de gitanes maïs et autres cascadeurs suicidaires. Ce cinéma peut tout se permettre, pour le meilleur … et surtout pour le pire ! Et c’est pour cela qu’on l’aime.

À l’aube des années 2000, Pen-Ek Ratanaruang (Fun Bar Karaoke) et surtout Nonze Nimibutr (2499 Dang Bailey’s and Young Gangster) réconcilient le public local et les festivals étrangers avec les productions du pays. Cela a pu être possible avec leurs premiers films respectifs via un joli succès critique pour l’un et un carton inespéré au box-office local pour l’autre. La dynamique est lancée et un vivier de réalisateurs se compose alors à une vitesse ahurissante. Nonze Nimibutr récidive très rapidement avec son deuxième film. Nang Nak (1999) est une exceptionnelle adaptation d’un mythe local plusieurs fois adapté dans le pays. Le public fait honneur au film en remplissant les salles … le record historique de Titanic est pulvérisé. De son côté, Wisit Sartsanatieng (déjà crédité comme scénariste sur 2499 Dang Bailey’s and Young Gangster) impose son style unique lorsqu’il réalise en 2001 Les Larmes du Tigre Noir. Chef d’œuvre pop qui rend hommage aux westerns tournés quelques décennies auparavant dans le pays. Rétro et original, Les Larmes du Tigre Noir séduit autant qu’il étonne par son audace et sa plastique originale. Son style, très marqué par la formation publicitaire de Wisit Sartsanatieng, sera sublimé quelques années après avec le formidable Citizen Dog (2004), ode à l’amour et à l’écologie. Son film d’horreur The Unseeable (2006) sera, quand à lui, un sympathique exercice de style avec une réalisation plus classique afin de coller à ce cinéma de genre extrêmement codifié. Le cinéma thaïlandais commence enfin à asseoir sa réputation lors des marchés du film et des festivals internationaux. Pen-Ek Ratanaruang, lui aussi, s’exerce dans tous les domaines possibles et imaginables : la comédie musicale axée sur le Luk Tung (Monrak transistor), la romance psychédélique (Last Life in the Universe), le huit-clos érotique (Ploy) ou encore le film horrifique (Nymph) à l’instar de son ami Wisit Sartsanatieng.

Dans un registre différent, le cinéma thaïlandais va s’imposer durant cette décennie comme la nouvelle référence en termes de cinéma d’action. Hong Kong étant en perte de vitesse dans le domaine, la Thaïlande devient le nouvel eldorado pour les cascadeurs les plus téméraires. Un personnage est à l’origine de cette formidable dynamique. Lorsqu’il réalise ses films fauchés et amateurs durant les années 80, Panna Rittikrai ne pouvait imaginer qu’il deviendrait la nouvelle référence dans le genre. Après avoir testé tout un tas d’expérimentations dans ses mini-productions à base de combats approximatifs, de cascades surréalistes et de pyrotechnie hasardeuse, il va connaître la consécration en préparant dans l’ombre les séquences les plus impressionnantes d’Ong Bak (2002), Born to Fight (2004) ou encore Chocolate (2008). Il imposera dans ses métrages des acteurs qu’il aura préparé à sa façon durant de longues années : Tony Jaa, Dan Chupong ou encore Nitcharee Wismitanant pour les plus emblématiques. Du très grand calibre puisé logiquement dans la Muay Thai Stunt Team qu’il a créé à la fin des années 70. Un nouveau style est né. Et le style de Panna Rittikrai sera copié aussi bien dans de nombreuses productions locales mineures qu’à l’étranger. Les productions Besson (Banlieue 13 à titre d’exemple) et surtout hongkongaises (SPL ou encore Flashpoint du duo Donnie Yen / Wilson Yip) emboîteront le pas. Ajoutons, pour compléter le tableau, la singularité des films d’action thaïlandais en costumes qui apportent une alternative intéressante aux superproductions chinoises fades et aseptisées. On retiendra surtout le cultissime Bangrajan de Tanit Jitnukul (2000) ou encore le très bancal Suriyothai (2001) du prince Chatrichalerm Yukol.

Par ailleurs, à mille lieues de ce cinéma basé essentiellement sur le divertissement, saluons l’excellent travail d’Apichatpong Weerasethakul qui a su imposer sur la scène internationale un cinéma d’auteur indépendant avec une succession d’œuvres courageuses et engagées. Le tout dans un registre à la fois purement réaliste et à la limite du surnaturel. Etonnant ! Les amateurs d’un cinéma enivrant qui éveille les sens devraient apprécier. Blissfully Yours (2002), Tropical Malady (2004) et Syndromes and a Century (2006) témoignent de cette formidable montée en puissance du réalisateur. À noter que pour produire ses films, Apichatpong Weerasethakul a monté en 1999 la structure Kick the Machine, fer de lance du cinéma indépendant thaïlandais.

Enfin, il serait réducteur de limiter la production thaïlandaise à ses réalisateurs les plus hypes et les plus exposés médiatiquement dans le pays et à l’étranger. En effet, le pays a proposé durant cette décennie une multitude de petites productions ciblant essentiellement un public local avide en bizarreries en tous genres. Nombreux sont les films à avoir titillé notre curiosité même si parfois il a été difficile de lutter face à des intrigues indigestes, un humour désolant, une direction d’acteurs inexistante ou encore des effets spéciaux douteux au possible. Heureusement, ces films à priori inexportables nous interpellent via leur énergie communicative et une réelle envie de bien faire de la part de toute une ribambelle de réalisateurs pourtant limités. Sans compter, que remettre au goût du jour les films de crocodiles géants n’a pas de prix, c’est une évidence ! Aujourd’hui, ce type de cinéma semble avoir trouvé son public et son rythme de croisière … Il ne reste plus qu’à espérer que cet état de grâce prenne fin le plus tard possible. En effet, quelques signes peuvent soulever une inquiétude en somme toute légitime : le manque de renouvellement et d’inspiration concernant les réalisateurs les plus confirmés, l’absence de relève digne de ce nom ainsi qu’une probable tentation de certains acteurs à vouloir s’expatrier. Espérons tout simplement que le cinéma thaïlandais puisse conserver de longues années encore son incomparable singularité.

Les films qui ont marqué la décennie :

Bangrajan – Tanit Jitnukul (2000)
Larmes du Tigre Noir
Wisit Sartsanatieng (2001)
Saving Private Tootsie
– Kittikorn Liasirikun (2002)
Mekong
Full Moon Party – Jira Maligool (2002)
Ong Bak
– Prachya Pinkaew (2002)
Monrak transistor
Pen-Ek Ratanaruang (2002)
Blissfully Yours
Apichatpong Weerasethakul (2002)
The Beautiful Boxer
– Ekachai Uekrongtham (2003)
Tropical Malady
Apichatpong Weerasethakul (2004)
Born to Fight
– Panna Rittikrai (2004)

Les films que l’on aurait aimé ne pas voir :

Krai Thong – Suthat Ntaranupakorn (2001)
Muay Thai – Nai Khanom Tom
– Paitoon Ratanon (2003)
Scorpion Warrior
– Arri Smithan (2003)
The Bullet Wives
– Kittikorn Liasirikun (2004)
Jao Tark
– Tanit Jitnukul (2004)
Night Falcon
– Ram Thanadpojanamart (2004)
Princess of the Beasts
– Shek Dawus (2004)
Spicy Beauty Queen
– Poj Arnon (2004)
Mr.Tim : Muay Thai Fighter
– (2005)
Colic
– Pympan Chalayacupt (2006)


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Auteur : Laurent

Un des membres les plus anciens de HKmania. N'hésite pas à se délecter aussi bien devant un polar HK nerveux, un film dansant de Bollywood, qu'un vieux bis indonésien des années 80. Aime le cinéma sous toutes ses formes.
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