[Avis] The Cove, de Louie Psihoyos

Titre : The Cove / The Cove – la baie de la honte / ザ・コーヴ
Année : 2009
Genre : un documentaire qui fait flipper
Origine : USA
Réalisation : Louie Psihoyos
Avec : Richard O’Barry, Louie Psihoyos, Kirk Krack, Isabel Lucas, Moronuki Hideki, Hayden Panettiere, Joe Chisholm, John Potter, Flipper le dauphin (images d’archives)

Synopsis : Un groupe d’activistes œuvrant pour la protection des dauphins se rend dans la région de Wakayama, et plus précisément dans la petite commune de Taiji. Les intéressés braveront les interdictions et les diverses pressions des autorités locales pour mettre à jour les conditions d’abattage des dauphins, dans une petite baie étrangement soumise au secret absolu. Pourquoi continue-t-on à tuer des dauphins, puisque presque personne n’en mange au Japon ? Pourquoi certaines personnes s’obstinent-elles à vendre (voire à donner) du dauphin…alors qu’il est quasiment acquis que cette viande est très dangereuse pour la santé ?

 

Je ne suis bien évidemment pas japonais, aussi mon ressenti n’est-il pas la réalité, mais l’image que j’en ai…pour avoir, par exemple, discuté du sujet avec beaucoup de personnes différentes, au Japon. Indépendamment du contenu de THE COVE, il me semble que ce qui a choqué un bon nombre de Japonais était surtout le fait que des étrangers viennent jusque chez eux leur faire la morale. Eux qui n’élèvent jamais la voix sur aucun sujet, qui ne s’amusent pas à critiquer la confection du foie gras en France, la tauromachie ou encore les chiens abattus pour leur viande en Chine ou en Corée du Sud. Alors imaginez un peu, quand ces critiques viennent d’Australiens (dont le pays a broyé la communauté aborigène), d’Européens sur lesquels je ne reviendrai pas, voire même d’Américains (sont-ils les plus légitimes pour faire la morale sur le dossier nucléaire, en Iran ?), on peut comprendre que ça irrite quelques citoyens japonais.

Le public japonais se fait du sushi

Bien évidemment ce n’est pas une raison pour fermer les yeux, mais cet éclaircissement me paraissait nécessaire pour bien faire le point sur la situation de ce documentaire au Japon. Après, sur le fond du problème, les habitants du petit village visé par les critiques (car on ne mange pas de dauphin dans tout le Japon, n’est ce pas) me semblent s’être parfois défendus maladroitement. En invoquant, par exemple, le coté culturel de la chose. Ce ne sont pas les premiers à faire ainsi, et ils ne seront sans doute pas les derniers. Mais il n’y a rien de plus inutile et vide que le « principe culturel » pour argumenter sa défense. Dans certains pays l’excision n’est-elle pas considérée, par beaucoup, comme une pratique aussi bien coutumière que culturelle ? Les jeux du cirque, à Rome, ne faisaient-ils pas partie intégrante de la culture locale ? Quid de la tauromachie ? Bref vous l’aurez compris, la société évolue, et il n’est marqué nulle part que la culture est immuable.

Le documentaire, un dossier monté à charge, est en lui-même critiquable. Parfois construit comme un thriller, bâti à grands coups de dollars et de dissimulations pour s’immiscer dans les lieux, il ne donne pas toujours la parole à la défense…parce que celle-ci n’a, visiblement, pas souhaité s’exprimer. Maintenant, pour parler franchement et donner mon avis, je pense que le secret est à bannir. Aussi l’administration japonaise (ici la mairie de Taiji) a sa part de responsabilité. Ils tuent des dauphins ? Soit. Autant dévoiler tous les rouages de la chose, ouvrir les « abattoirs » à la presse et on n’en parle plus (ou moins). Mais cette culture du secret, du mensonge, jusqu’aux plus hauts étages du gouvernement et des médias est critiquable. Dans le film, plusieurs responsables politiques japonais mentent ouvertement sur les techniques d’abattage (sans même parler de la toxicité de la viande de dauphin !). Régulièrement, les mensonges affluent lorsqu’il s’agit de défendre le droit de la chasse à la baleine (passons sur le lobbying très sale qui est mis en place –prostitution incluse, aux frais du Japon –donc de mes impôts). Dernier exemple en date, il y a quelques mois au sujet de la pêche au thon rouge : les chiffres diffusés au Japon étaient trafiqués, histoire de se mettre l’opinion publique dans la poche. Ces modernes intrigues de palais (normal quand on parle de politique culinaire), sont vraiment un cancer pour le peuple.

Sur un plan humain, abattre des dauphins de manière violente est en général mal perçu de par le monde, comme l’est également le gavage des oies ou encore la tauromachie. La controverse ne se limite donc pas aux dauphins de Taiji, mais ce n’est pas une raison pour ne pas en parler. Après, faut-il commencer à protéger les animaux en fonction de leur intelligence ? Le dauphin, souvent cité comme l’animal le plus intelligent derrière le singe, mérite-t-il donc qu’on le respecte plus que les bovins ? Le débat est ouvert, et n’est pas anodin.

Pêcheurs japonais pris dans les filets…de la technologie moderne

Techniquement, cinématographiquement j’ai même envie de dire, THE COVE est assez remarquable pour un documentaire. Même si comme je l’ai déjà dit son aspect « thriller » pourra en énerver plus d’un (et particulièrement les Japonais), tout cela est quand même bien fichu (les moyens sont conséquents avec des caméras dignes d’un film de James Bond) et passionnant (et ne se limite pas à la critique du village de Taiji, les armées ayant auparavant utilisé des dauphins en prenant aussi pour leur grade). THE COVE se suit donc presque comme un film, c’est un peu un « documentaire ludique » (encore une fois, certains pourront détester le titre pour cette raison). On suit l’équipe dans ses préparatifs, on voit tous ces gens poser leurs pièces comme sur un échiquier, tendre des pièges (le député responsable de la pêche aura un grand moment de solitude –assez génial, à la fin du documentaire) et finalement se lancer dans l’action, en pleine nuit, à la manière d’une série à suspense…avec tension, coups de théâtre (un garde japonais est sur le point de surprendre tout le monde) et fuite salvatrice (le chauffeur de l’équipe arrivera juste au bon moment). Quelques jours plus tard, l’équipe remettra ça, cette fois avec succès. Et ce qui ressemblait jusque là à un thriller documenté va se transformer, suivant le degré d’implication de chacun, en film d’horreur animalier.

La théâtralisation grotesque des évènements, la mise en avant de l’émotionnel sensationnel au détriment d’une explication sociale du « fanatisme apparent » de certains pêcheurs, le titre français qui ne laisse aucune place à l’appréciation du spectateur (merci au distributeur Luc Besson ?), l’attribution de l’Oscar en grandes pompes, tout cela est peut-être de trop pour ce qui devait être un « simple » documentaire. Critiquable sur sa forme (en plus on se tape comme d’habitude le carrefour de Shinjuku), THE COVE a le mérite, malgré son coté « rentre-dedans », de faire déjouer des menteurs et de lever des secrets (de polichinelle, diront certains, ce qui n’est pas faux même si au Japon ce terme a une toute autre ampleur). Tout cela n’est  donc déjà pas si mal. A noter, pour la petite histoire, que le poster japonais est (curieusement) le plus original avec, qui plus est, une pointe d’humour noir pas désagréable. On y voit en effet un dauphin effectuer un saut depuis une marmite (du nabe, ou pot-au-feu japonais – pour faire très simple).

Le documentaire – et son sujet, diviseront. En tous les cas, ses effets secondaires sont réels, et prennent aujourd’hui la forme d’un véritable ras de marée sur les côtes de Taiji, village hautement traumatisé dont on parle régulièrement, à présent au Japon. Alors, l’abattage des dauphins…c’est assez ?

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Auteur : Oli

Amateur de cinéma japonais mais de cinéma avant tout, de Robert Aldrich en passant par Hitchcock, Tsukamoto, Eastwood, Sam Firstenberg, Misumi, Ozu, Claude Lelouch, Kubrick, Oshii Mamoru, Sergio Leone ou encore Ringo Lam (un intrus s'est glissé dans cette liste, sauras-tu mettre la main dessus - attention il y a un piège).
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