[Film] Les Bouchers Verts, de Anders Thomas Jensen (2003)


Deux amis, l’ambitieux Svend et Bjarne le rêveur, décident de monter leur propre boucherie afin d’échapper à un patron étouffant. La clientèle se fait rare jusqu’à ce que leur ancien employeur les mette à l’épreuve en leur offrant d’organiser le dîner du Rotary Club. La chance tourne à la suite d’un malencontreux accident qui permettra à Svend d’offrir, une recette « sauce maison », une viande à la saveur très originale mais à l’approvisionnement plus que délicat…


Avis de Cherycok :
Je vous en parlais il y a quelques mois sur ma chronique du film français Barbaque (2021), les films dans lesquels des humains vont se faire découper et servir contre leur gré de nourriture ne sont pas nouveaux et remontent même à de nombreuses années. On pourrait citer Soleil Vert (1973) et Eating Raoul (1982) pour les States, Delicatessen (1991) pour la France, The Untold Story (1993) pour Hong Kong, ou encore Les Bouchers Vert (2003) pour le Danemark. Non, Barbaque n’a rien inventé, mais là n’est pas la question nous avons déjà dit ce que nous pensions de ce film. Aujourd’hui, c’est Les Bouchers Verts qui nous intéresse, et quand l’humour pince sans rire nordique rencontre un sujet tel que le meurtre et le cannibalisme, ça donne un cocktail étonnant et détonnant, servi par un casting magistral et qui, malgré quelques longueurs, est un petit régal d’humour noir.

Svend et Bjarne sont deux loosers qui travaillent dans une boucherie très populaire. Un jour, alors qu’ils en ont assez des critiques de leur patron, ils décident de se mettre à leur compte en ouvrant leur boucherie bien à eux. Ils trouvent un local, un peu cher, surtout qu’en plus certaines pièces ont des soucis d’électricité, et se lancent dans l’aventure. Mais, comme l’avait prédit leur ancien patron, ils n’ont pas de client. Lorsque ce dernier leur rend visite, il les met au défi de fournir la viande pour un dîner qu’il organise. C’est alors qu’un accident tragique se produit. Svend enferme sans s’en rendre compte l’électricien dans la chambre froide en fermant son magasin. Le lendemain, avant l’ouverture, Svend découvre le corps sans vie de ce dernier et, paniqué, par peur des représailles, au lieu d’appeler la Police, il décide de commencer à le découper afin de le servir à ses clients. C’est un succès incroyable et d’un coup d’un seul, tous les habitants du village veulent gouter à cet incroyable « poulet » et sa marinade maison. Sauf que rapidement, cette nouvelle matière première commence à manquer et, malgré le refus de son collègue Bjarne, Svend ne voit pas d’autre solution que de tuer d’autres personnes afin d’alimenter sa chambre froide. En s’appuyant sur ces thématiques du meurtre et du cannibalisme, le réalisateur Anders Thomas Jensen, dont c’est le deuxième film, va nous dépendre le portrait de deux personnages inadaptés socialement, l’un ayant de gros problèmes de sudation, peu sûr de lui et profondément tordu, l’autre encore choqué, des années après, par l’accident causé par son frère et qui a tué sa femme et ses parents, ne trouvant le repos qu’en reconstituant des squelettes d’animaux. Deux personnages qui sur le papier auraient eu vite fait de tomber dans la caricature mais qui, grâce aux performances assez exceptionnelles des acteurs, deviennent assez fascinants, et même attachants.

Mads Mikkelsen est extraordinaire et arrive à rendre le personnage de Svend à la fois drôle, émouvant, et effrayant. Affublé d’une coupe de cheveux hallucinante, donnant l’impression qu’il a un front beaucoup trop grand, son jeu rappelle parfois celui d’un Christopher Walken de la grande époque avec ce regard froid et perçant. Nikolaj Lie Kaas n’est pas en reste. Interprétant un double rôle (son personnage a un frère jumeau intellectuellement limité), il arrive à tellement métamorphoser son jeu qu’il est même possible de croire qu’il s’agit de deux acteurs différents. La réalisation de Anders Thomas Jensen est dans la lignée de ce qui se faisait dans le mouvement « Dogme » à la fin des années 90, c’est-à-dire des films penchant vers le naturalisme, avec un souci de rendre l’ensemble le plus réaliste possible. La mise en scène est sobre, les couleurs sont froides, tout comme l’humour qui verse dans le macabre, encore plus pince-sans-rire que l’humour anglais, et jamais le film ne tombe dans le gore facile et grotesque. Là où The Untold Story allait dans la surenchère, Les Bouchers Verts est tout dans la retenue. On y voit bien des bouts de corps dans l’arrière-boutique, mais jamais d’effusion de sang. La folie de certaines situations est également contenue comme lors de certains dialogues complètement improbables mais qui sont récités avec un aplomb exemplaire par des acteurs qui tiennent le film à bout de bras. Il y a fort à parier que sans le duo d’acteurs principaux, la réussite du film aurait été moindre et les mésaventures de ces deux inadaptés sociaux n’auraient pas eu le même impact. D’autant plus que derrière ces personnages bizarres, le film semble renvoyer vers des questions plus profondes telles que « jusqu’où est-on capable d’aller pour réussir et être aimé ? » ou encore « à quel point un passé tragique change fondamentalement un être ? ». Alors oui, il est clair que le film pourra en rebuter certains, déjà par les thèmes qu’il aborde, son ambiance très étrange ou tout simplement parce qu’il y a malgré tout quelques longueurs, surtout dans son premier tiers (le film joue pas mal avec les silences longs). Mais réellement, il faut tenter l’expérience et se laisser porter par le charme bizarre et l’humour morbide.

LES PLUS LES MOINS
♥ L’excellent casting
♥ L’ambiance étrange…
♥ Des dialogues parfois truculents
♥ L’humour froid
⊗ Parfois un peu longuet
⊗ …qui va diviser

Les Bouchers Verts est une comédie dramatique immorale très réussie, portée par un duo d’acteurs exceptionnels. Ça ne plaira certes pas à tout le monde, mais le ton cinglant et macabre lui procurent un charme unique.

LE SAVIEZ VOUS ?
• Mads Mikkelsen et Nikolaj Lie Kaas avaient tous deux déjà travaillé avec Anders Thomas Jensen sur Flickering Lights (2000). Depuis, ils ont joué dans tous les films de Jensen.

• Le tournage a duré huit semaines. Tous les intérieurs ont été créés en studio, et les extérieurs ont été filmés sur l’île de Fyn. Le budget total du film avoisine les trois millions de dollars, ce qui représente, selon le réalisateur, « à peine la moitié des frais d’une cantine d’une superproduction ! »

• Mads Mikkelsen est devenu célèbre à travers le monde pour le grand public en incarnant Hannibal Lecter, un chef cuisinier cannibale, dans la série télévisée Hannibal (2013).

• Le titre du film semble faire à la fois référence aux tenues vestimentaires des deux protagonistes principaux, des tabliers verts, et au fait que les corps humains soient « recyclés » de façon écologique.



Titre : Les Bouchers Verts / The Grenn Butchers / De Grønne Slagtere
Année : 2003
Durée : 1h40
Origine : Danemark
Genre : Il est bon mon poulet, il est bon !
Réalisateur : Anders Thomas Jensen
Scénario : Anders Thomas Jensen

Acteurs : Nikolaj Lie Kaas, Mads Mikkelsen, Line Kruse, Ole Thestrup, Bodil Jorgensen, Aksel Erhardtsen, Lily Weiding, Nicolas Bro, Camilla Bendix

 Les bouchers verts (2003) on IMDb


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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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