Kalan Varkey est boucher dans un village reculé. Il fait face à de nombreux problèmes lorsqu’un buffle qu’il était censé abattre s’enfuit…
Avis de Cherycok :
Film indien indépendant appartenant à la nouvelle vague du cinéma malayalam (Mollywood), réalisé par un des fers de lance de cette New Wave, le prolifique Lijo Jose Pellissery (City of God, Amen), Jallikattu se traine une réputation assez impressionnante. Présenté en avant-première mondiale en 2019 au Festival International du Film de Toronto, le film a largement été salué par la critique. Son réalisateur a reçu le trophée du meilleur réalisateur au 50ème Festival International du film de l’Inde. Jallikattu a même été sélectionné pour représenter l’inde pour la 93ème cérémonie des Oscars, même si ce n’est pas lui qui a été nommé, alors que seuls deux autres films malayalam avaient eu droit à ce privilège (Guru et Adaminte Makan Abu). Jallikattu figure dans le classement des 25 meilleurs films malayalam de la décennie établi par The Hindu et est largement considéré comme l’un des films phares du mouvement New Wave. Il est arrivé chez nous en blu-ray grâce à Spectrum Films, et attendez-vous à vivre une expérience sensorielle assez hallucinante avec des images qui resteront gravées dans votre mémoire pendant longtemps.

Si on reprend la définition de Wikipedia, le jallikattu est une pratique tauromachique, plus largement sociale voire religieuse, propre à certaines régions du sud-est de l’Inde, dans l’actuel État du Tamil Nadu. Il consiste en un lâcher d’un taureau sur une place où des athlètes tentent de maîtriser, à mains nues, l’animal à l’intérieur d’une limite de distance. Il n’est pas question de faire du mal au taureau mais de prouver sa dévotion envers Shiva qui peut purifier les fautes des hommes courageux, car tuer un tel animal constitue toujours un péché selon les Lois de Manu, le texte en vers le plus important et le plus ancien de la tradition hindoue du dharma. Les pratiquants au Jalliklattu tentent notamment de saisir un butin de pièces détachées aux cornes du taureau. Le film qui nous intéresse aujourd’hui va détourner cette tradition en lâchant un buffle au milieu d’un petit village reculé avec toute une population qui va se mettre en chasse de la bête, sans héros clairement identifié au point que l’ensemble du village devient un protagoniste à part entière. Jallikattu va utiliser le conflit violent entre l’homme et l’animal pour mettre en scène une histoire aussi visuellement obsédante que riche en sous-entendus. Le film n’est pas axé sur une intrigue, rapidement expédiée (un buffle s’échappe de l’abattoir et sème la panique), mais traite plutôt d’évènements et d’une armée de personnages qui, comme d’un seul homme, se déplacent constamment d’un endroit à l’autre, tout en délivrant un message fort sur les traits animaux qui caractérisent les êtres humains, surtout si le côté civilisation se fissure quand l’instinct prend le dessus et que l’irrationnel collectif se met en route. Le déclencheur est minuscule, un buffle qui s’échappe, mais l’effet est disproportionné et l’escalade de peurs / tensions / violences qui va se mettre en place est assez fascinante. Dès la scène d’introduction, Jallukattu annonce la couleur, avec ses images rythmées au son d’un tictac d’horloge, et on comprend qu’on ne sera pas dans un film classique mais dans une expérience visuelle et sensorielle qui pourra certes en dérouter certains, mais qui en scotchera d’autres. Très vite, on comprend que cette histoire de traque au buffle est une métaphore de la violence primitive qui se cache dans chaque être humain. Le village et ses alentours deviennent un terrain de jeu, et alors que les villageois traquent en apparence un buffle, le réalisateur pointe la nature profonde de la foule et cette pulsion de mort collective qui prend le dessus dès que la raison s’efface.

Dans la première moitié du film, très souvent en plein jour, on voit le buffle piétiner des jardins agricoles, le feu, une charrette à roues, une banque, allant même jusqu’à interférer avec la politique créée par les humains. Le peuple est uni devant cet animal qui détruit tout ce que l’homme a construit, aussi bien tout ce qui est matériel que ce qui se rapporte au social. Dans la seconde moitié, lorsque l’obscurité de la nuit prend place, c’est la descente aux enfers et cette unité va voler en éclat pour laisser place à l’égoïsme, la luxure, la fierté, le machisme, la tromperie ou encore les combats, avec une Police devenant complètement inutile car incapable de gérer ces errances humaines. Nous sommes au 21ème siècle, oui, mais au final les comportements primitifs de l’homme sont toujours là. Lorsque le buffle est enfin trouvé, que le dernier acte du film se lance, les hommes deviennent des moutons, courant par centaines dans le même sens, guidés par leur égoïsme et leur instinct de chasseur, de guerrier, qui n’a pas bougé depuis l’antiquité. Dans le climax, l’homme n’est plus qu’un animal comme les autres, laissant parler son instinct de bestialité, avec une nature qui va finir par l’absorber lors d’une scène d’une puissance quasi mythologique tout bonnement hallucinante. Jallikattu défie les codes du récit classique pour proposer quelque chose de viscéral qui met tous nos sens en éveil avec par exemple un travail assez hallucinant au niveau de la musique, aux accents tribaux, mais aussi des effets sonores. Le son (bruits, foule, nature) joue un rôle essentiel dans l’ambiance, tout comme la photographie impressionnante (le film a remporté le National Film Award de la meilleure photographie) en particulier lors des scènes de nuit en forêt éclairées par des centaines de torches. Même la caméra bouge comme un animal et, dans le dernier acte, on est happé, pris à la gorge, envahis par ces cris, ces bruits de tambours, ces halètements, au point de ressortir essoufflé du film. Un film comme Mad Max Fury Road sent la tôle froissée et le kérosène ? Jallikattu sent la sueur et la boue. Certes, il sacrifie un peu la psychologie au profit des sensations, mais cette frénésie ambiante est une expérience ébouriffante, à la fois physique et philosophique, dont on ne ressort pas indemne tant elle pousse à réfléchir sur notre condition d’êtres humains.

| LES PLUS | LES MOINS |
| ♥ L’ambiance tribale ♥ La bande son viscérale ♥ La photographie marquante ♥ La mise en scène ♥ La métaphore de l’humanité |
⊗ Une psychologie un peu sacrifiée |
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| Jallikattu, c’est un vertige cinématographique, une expérience hypnotique qui met tous les sens en éveil, un film qui nous oblige à réfléchir tout en nous divertissant. A n’en pas douter, un indispensable du cinéma malayalam. | |

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JALLIKATTU est sorti en blu-ray chez SPECTRUM FILMS dans la collection Division Noire au prix de 25€. Il est disponible à l’achat ICI. Sur le blu-ray, en plus du film, on trouve : Présentation de Logan Boubady, Entretien avec François Cau, Ali – Court-métrage récompensé à Cannes 2025 et bande-annonce. |
Titre : Jallikattu / ജല്ലിക്കട്ട്
Année : 2019
Durée : 1h31
Origine : Inde
Genre : Une expérience sensorielle
Réalisateur : Lijo Jose Pellissery
Scénario : S. Hareesh, R. Jayakumar
Acteurs : Antony Varghese, Chemban Vinod Jose, Sabumon Abdusamad, Jaffar Idduki, Santhy Balachandran, Tinu Pappachan, Thomman Kunju, Rajkumar




















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