[Film] 3 Billboards : Les Panneaux de la Vengeance, de Martin McDonagh (2017)


Après des mois sans que l’enquête sur la mort de sa fille ait avancé, Mildred Hayes prend les choses en main, affichant un message controversé visant le très respecté chef de la police sur trois grands panneaux à l’entrée de leur ville.


Avis de Cherycok :
En l’espace de quelques films, le réalisateur Martin McDonagh s’est fait une solide réputation. Après un court métrage auréolé d’un Oscar en 2006, Six Shooter, il séduit public et critiques avec son premier long métrage Bons Baisers de Bruges (2008). Peu productif, son film suivant ne sort que quatre ans plus tard mais l’effet n’est pas le même. En effet, 7 Psychopathes, qu’il écrit également, rencontre un succès plus mitigé, tout du moins chez nous, bien qu’il soit petit à petit réhabilité avec sa sortie en DVD/Blu-ray. Il renoue avec le succès avec son troisième film, 3 Billboards: Les Panneaux de la Vengeance (2017) qui va rapporter plus de 160 millions de dollars à travers le monde, et qui gagnera même deux Oscars en 2017 et cinq BAFA en 2018. Au final, ce n’est pas moins de 133 récompenses et 235 nominations que le film obtiendra dans divers Festivals de Cinéma. Mais outre ce succès aussi bien public que critique, ce film aura un impact bien au-delà du monde du cinéma.

L’idée du film est venue à Martin McDonagh après être tombé à la fin des années 90, aux États-Unis, sur deux panneaux d’affichage accusateurs qui prétendaient qu’une femme nommée Kathy Page avait été assassinée par son mari dans une ville du Texas et qui soulignaient l’incompétence de la Police dans la résolution de cet acte. Ayant présumé que ces panneaux avaient été installés par la mère de la victime et, déclarant qu’ils l’avaient profondément affectés et qu’ils étaient longtemps restés dans son esprit, il décida d’écrire un scénario avec ce point de départ. Celui d’une mère qui a perdu un enfant et qui devant l’immobilisme de la Police locale décide de prendre le taureau par les cornes et d’y aller à fond dans la provocation pour faire bouger les choses, quitte à ce que cela ne plaise pas à tout le monde. A sa sortie, le film a marqué énormément de gens. Outre les qualités du film en lui-même (on y reviendra plus bas), c’est l’aspect révolutionnaire de son protagoniste principal féminin qui semble avoir inspiré beaucoup de monde, ainsi que sa façon de faire bouger les choses. Depuis, un peu partout à travers le monde, ce genre de manifestation à base de messages chocs placardés, a fait des émules. En Angleterre en 2018 par exemple, une fresque représentant trois panneaux comme ceux du film ont été érigés à l’extérieur du centre-ville de Bristol pour critiquer la privatisation présumée du système de santé public anglais. Toujours en 2018, le mouvement #OccupyJustice a installé trois panneaux (ainsi que des banderoles) à Malte pour marquer l’anniversaire des quatre mois du meurtre d’une journaliste avec des mots critiquant la justice locale. Autre exemple en Floride, aux États-Unis, où un groupe militant a fait encercler le bureau du sénateur de Floride Marco Rubio par trois camionnettes affichant « Abattus à l’école », « Et toujours pas de contrôle des armes à feu ? », « Comment ça se fait, Marco Rubio ? ». Mais on en récence bien d’autres comme au bâtiment des Nations Unis à New York, au Kosovo pour la journée de la femme, ou encore en 2019 en Chine, à Shanghai, Pékin et Nanjing. Même le vice-président chinois Wang Qishan a déclaré que ce film lui avait permis de mieux comprendre les partisans du Président Américain de l’époque, Donald Trump. Oui, 3 Billboards: Les Panneaux de la Vengeance est clairement un film important.

3 Billboards est un film de vengeance. La vengeance d’une femme envers des autorités qui ne font pas grand-chose contre une injustice. La vengeance d’une femme qui a perdu sa fille et qui n’a d’autres moyens que d’aller dans la provocation, dans des moyens détournés, pour tenter de faire bouger les choses. Une femme qui n’est rien mais qu’on pourrait qualifier de révolutionnaire tant elle ira jusqu’au bout, tant elle ne lâchera rien, quitte à s’insurger contre les autorités. Mais surtout, 3 Billboards est un film extrêmement puissant. Les thèmes de la colère dévorante et de la soif de vengeance sont mis en image avec une nuance et une complexité impressionnantes. Même si le réalisateur Martin McDonagh fait parfois trop passer de choses par le dialogue alors qu’elles auraient été plus puissantes juste avec des silences ou un jeu sur les regards, son propos est fort, pertinent, et fait clairement réfléchir. Il joue avec notre perception de ce qu’est la vengeance. Il nous pose indirectement la question « Vous feriez quoi vous si vous étiez à la place de ce petit bout de femme ? ». Il est capable de réveiller la colère et l’indignation chez certains à n’en pas douter tant il met le spectateur au milieu du combat de cette mère qui a perdu un enfant. Un combat qui au départ semble juste et puissant mais qui, à fur et à mesure que le film avance et que les décisions de plus en plus extrêmes sont prises, pose de nouvelles questions. Oui, le film est parfois un peu maladroit et manque un peu de subtilité sur certains points, comme le portrait peu flatteur du redneck profond adorateur de Mr Trump, bien qu’en cherchant pas bien loin, on se rend compte qu’il est bien plus réaliste qu’on ne le pense. Mais qu’importe, cela permet d’alimenter cet humour très particulier du réalisateur qui est une des forces de ses films.

3 Billboards a beau aborder des thématiques fortes et les traiter avec beaucoup de justesse et de gravité, le réalisateur y injecte son humour habituel, un humour très particulier qui, lorsqu’on rit parfois à gorge déployée, nous fait nous interroger sur nous-mêmes, sur pourquoi on rit exactement. Son cinéma est fait de rires cruels, de violence parfois absurde, de coups bas, et c’est à nouveau le cas ici. Les fions sont lancés au bon moment, les punchlines font mouche à chaque fois, et ce même lorsque le chaos s’installe et que machine arrière devient impossible pour le protagoniste principal. On n’est même plus dans cet humour pince-sans-rire typiquement anglais, on est au-delà. Cet humour parfois borderline, il est magnifiquement retranscrit par le casting qui est sans doute la plus grande force du film. Frances McDormand arrive à rendre la douleur de son personnage parfaitement palpable, dans son regard, dans ses gestes, dans la façon dont elle interprète ses actes, dans son humanité. Toujours juste, elle n’a pas peur de prendre le spectateur à rebrousse-poil et est tout simplement stupéfiante à regarder, à l’instar de Sam Rockwell dans le rôle de ce flic raciste, incompétent, bourrin, violent, qui petit à petit, lorsque la situation va se retourner contre lui, va trouver le chemin de la rédemption. Woody Harrelson trouve également ici un de ses meilleurs rôles en exposant au public toute l’étendue de son talent. Toujours très juste, son personnage est l’élément déclencheur du changement de point de vue de certains autres protagonistes et le traitement qu’en fait le réalisateur est très malin. 3 Billboards est un film sur la vengeance, sur la violence et sur l’acceptation de la mort. La colère n’est pas traitée comme quelque chose qu’il faut guérir (comme souvent dans le cinéma Hollywoodien). Elle est traitée comme un moteur de lutte et elle donne la rage pour le faire. Le scénario de Martin McDonagh est intelligent dans le traitement qu’il fait des thématiques qu’il aborde. Il n’y a au final pas vraiment de héros, ni même de méchants bien définis. Parce que le monde est bien plus complexe que le bien et le mal. Ça, McDonagh le sait bien et il le met extrêmement bien en scène. Son 3 Billboards est une bobine complexe, marquante, sans doute son meilleur film.

LES PLUS LES MOINS
♥ Le casting absolument parfait
♥ Le traitement des thématiques fortes
♥ L’humour féroce
♥ La bande son
♥ Le scénario malin
⊗ Parfois un peu maladroit

3 Billboards est une tragicomédie très ancrée dans la réalité, férocement écrite par un Martin McDonagh au sommet de son art. Il nous fait passer par toutes les émotions avec une facilité déconcertante et on est clairement face à un grand film.

LE SAVIEZ VOUS ?
• Le bandana que porte Mildred est un hommage à Voyage au bout de l’enfer (1978), dont Martin McDonagh et Sam Rockwell sont de fervents admirateurs. Pendant le tournage de 7 psychopathes (2012), ils ont souvent discuté du film avec Christopher Walken.

• La séquence où Dixon agresse Red Welby et le jette par la fenêtre a été réalisée en un seul plan séquence. Selon le réalisateur Martin McDonagh, la scène a été filmée cinq fois et le plan utilisé dans le film est la prise n° 4.

• Woody Harrelson profitait souvent de ses pauses pour signer des autographes et prendre des photos avec les habitants venus assister au tournage. Un jour, lors d’une pause prolongée, il a joué de la guitare de manière impromptue dans le magasin de musique situé à côté du plateau de tournage du commissariat.

• L’Oscar de la meilleure actrice que Frances McDormand a reçu pour ce film a été volé (et immédiatement récupéré) le lendemain de la cérémonie de remise des prix.



Titre : 3 Billboards: Les Panneaux de la Vengeance
Année : 2017
Durée : 1h55
Origine : Angleterre / U.S.A
Genre : Tombé dans le panneau
Réalisateur : Martin McDonagh
Scénario : Martin McDonagh

Acteurs : Frances McDormand, Woody Harrelson, Sam Rockwell, Caleb Landry Jones, Kerry Condon, Clarke Peters, Samara Weaving, Peter Dinklage, Lucas Hedges

Three Billboards Outside Ebbing, Missouri (2017) on IMDb


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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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