[Film] Owl, de Kaneto Shindô (2003)


De retour de Mandchourie, où elles vivaient sous l’occupation japonaise, Yumie et sa fille Yumiko s’installent dans un village peu à peu déserté. Maintenant seules habitantes, elles ne reçoivent comme visites que des ouvriers d’une mine, ou des employés de la compagnie d’électricité, auxquels elles offrent du réconfort, avant de les tuer.


Avis de Yume :
La passion n’a pas d’âge, et Kaneto Shindo en est une des meilleures preuves. Né en 1912, Kaneto Shindo commence sa carrière de réalisateur dans les années 50, après avoir travaillé avec Kenji Mizoguchi. Quelques 50 années plus tard, Kaneto Shindo continue à enchaîner les tournages, et les écritures de scénarios pour d’autres. En 2003, à 92 ans, l’homme signe Fukurô, un film formellement simple, dont le second degré de lecture n’épargne personne, tout en restant dans la lignée des thématiques qui lui sont chères.

Minimaliste semble être tout d’abord le maître mot de la réalisation. Le film se passe en effet dans une seule et même pièce, quasi vide de meubles et donc froide. Une unité de lieu assez « désorientante » qui tend à perdre les repères temporels que le spectateur pourrait avoir. Des repères qui sont d’ailleurs encore plus à mal par le leitmotiv constant du film, une répétition systématique d’événements : un homme entre, discute avec les femmes, couche avec l’une d’elles, se fait empoisonner, puis les deux femmes partent l’enterrer en chantant. Le reste de la réalisation est à l’image du coté théâtre filmé que suppose ce seul et unique décor : longs plans fixes, discussions interminables, aucuns effets spectaculaires. Kaneto Shindo semble avoir choisi de laisser le fond prédominer la forme, donnant une homogénéité rare à son propos digne de la farce, à laquelle il rajoute une subtile couche de cynisme.

Certains ne manqueront pas de rapprocher ce Fukurô d’un des films les plus connus de Kaneto Shindo, le merveilleux Onibaba. Un parallèle qui mérite d’être abordé tant les deux films se ressemblent. Dans les deux cas, nous retrouvons un couple de femmes, une âgée et une jeune, vivant dans un lieu déshumanisé (le marécage, et cette maison sans vie), qui survivent grâce à des crimes, après une période de guerre. Un quotidien fait de folie, mais où prédomine un aspect important de l’être humain pour Kaneto Shindo : la pulsion sexuelle. Si dans Onibaba le sexe est matière à l’opposition des deux femmes, il est dans Fukurô un lien entre la mère et la fille. Toutes deux couchent avec les visiteurs avant de les tuer. A tel point que les personnages de Yumie et Yumiko sont quasi interchangeables dans l’histoire de Owl, comme le laisse supposer la scène de douche. La scène débute par la fille lavant la mère, puis sans raccord, Shindo montre la mère lavant la fille. Avant cette scène la mère couchait avec les futures victimes, après la fille le fait. Les deux femmes apparaissent complètement déshumanisées, proches de l’animal qui lutte pour survivre. Mais leurs victimes ne sont pas en reste, cédant elles aussi à la pulsion sexuelle, et mourant dans un râle étrange, la bave aux lèvres, mais tous en criant comme des animaux.

Puis elles quittent la maison, ne laissant pour seul témoin que le Hibou du titre. J’avoue avoir du mal à voir où Kaneto Shindo veut en venir avec ce film, n’ayant pu saisir que l’histoire, et non les dialogues du fait d’un visionnage en VO pure. Mais à n’en pas douter Kaneto Shindo porte ici, une fois de plus, un regard sans complaisance sur une époque quelque peu laissée en suspens de l’histoire japonaise. Reste cependant une expérience cinématographique intéressante, à tenter ne serait-ce que pour le jeu halluciné des deux actrices principales. Shinobu Otake semble habitée par son rôle, et forme un duo absolument convaincant de complicité avec Ayumi Ito (qui une fois de plus n’hésite pas à donner d’elle-même, comme dans les films de Shunji Iwai).

LES PLUS LES MOINS
♥ La mise en scène déroutante
♥ Le côté farce cynique
♥ Une expérience cinématographique
⊗ Le minimalisme qui pourra rebuter
Bien sur la mise en scène froide et répétitive peut laisser de marbre, car éloignée des standards de narration, mais Kaneto Shindo signe ici, une fois encore, un film intelligent, inspiré, mais diablement déroutant. Avoir 92 ans, et innover encore, chapeau bas Mr le réalisateur.



Titre : Owl / Fukurô / ふくろう
Année : 2003
Durée : 1h59
Origine : Japon
Genre : Théâtre acide
Réalisateur : Kaneto Shindô
Scénario : Kaneto Shindô

Acteurs : Shinobu Otake, Ayumi Ito, Tomorowo Taguchi, Katsumi Kiba, Mansaku Ikeuchi, Akira Emoto, Daijiro Hara, Kintaro Sakikage, Naomasa Musaka, Ippei Kanie

 Fukurô (2003) on IMDb


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Auteur : yume

Un bon film doit comporter : sailor fuku, frange, grosses joues, tentacules, latex, culotte humide, et dépression. A partir de là, il n'hésite pas à mettre un 10/10. Membre fondateurs de deux clubs majeurs de la blogosphere fandom cinema asitique : « Le cinema coréen c’est nul » World Wide Association Corp (loi 1901) et le CADY (Club Anti Donnie Yen).
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