[Film] Demons, de Lamberto Bava (1985)


Dans les couloirs du métro de Berlin, la jeune étudiante Sharel croise le chemin d’un curieux personnage masqué, qui distribue des tickets pour une projection le soir-même dans un nouveau cinéma, le Métropol. Sharel rejoint dehors son amie Cathy et, plutôt que d’aller au cours du soir, elle réussit à la convaincre de se rendre au cinéma avec elle. Dans un ancien bâtiment restauré, de nombreux spectateurs curieux assistent à la projection d’un film d’horreur sans titre. Celui-ci présente la mésaventure de quatre jeunes gens partis explorer des ruines, découvrant le cercueil de Nostradamus, puis se transformant en démons meurtriers. Dans la salle, un masque de démon, le même aperçu dans le film et sur le visage de l’homme du métro, qui a coupé au visage une prostituée, sème la contagion. Inexplicablement enfermés dans la bâtisse, les spectateurs se rendent à l’évidence que le mal est réel, puis tentent de repousser les assauts des démons affamés de chair fraîche…


Avis de Ghoulish :
1985. Alors que le cinéma d’horreur transalpin nous a déjà donné ses plus beaux fleurons, notamment au niveau du gore, en variant les sous-genres (giallo, zombisploitation, cannibalsploitation, nunsploitation, possession), grâce à des auteurs talentueux tels que Dario Argento, Lucio Fulci, Ruggero Deodato, Mario Bava, et de nombreux artisans efficaces (Umberto Lenzi, Sergio Martino, Luigi Cozzi), l’imagination s’essouffle. Si les films italiens parvenaient à trouver des sujets originaux et à lutter à bien moindre coût avec le cinéma américain depuis les années 60 (les deux premiers ‘Vendredi 13’ du début des années 80 copieront même ‘La baie sanglante’ de Mario Bava, sorti en 1971), la tendance s’inverse en ce milieu de décennie. Désormais, la plupart des titres surfent sans vergogne sur les succès américains (et autres), de la grosse production à la série B. L’australien ‘Mad Max 2’ engendre ainsi en Italie un gros nombre de copies en général fauchées, sans réel intérêt artistique, mais néanmoins distrayantes. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

‘Evil dead’ de Sam Raimi (1982), film d’horreur au budget minuscule mais contenant une bonne dose d’intelligence technique et de folie pure, inspire beaucoup le film qui nous intéresse ici. Lamberto Bava, fils du regretté Mario Bava, qui s’est déjà fait la main sur des films de Ruggero Deodato (‘Cannibal holocaust’ notamment), puis est assez brillamment passé à la réalisation avec ‘Baiser macabre’ (1980) et ‘La maison de la terreur’ (1983), est alors associé avec le grand Dario Argento. Le projet ‘Démons’ (‘Demoni’ en italien) débute donc avec des noms synonymes de qualité : Argento à la production et au scénario, Bava fils à la mise en scène et au scénario également, puis Dardano Sacchetti (fidèle collaborateur de Lucio Fulci) et Franco Ferrini toujours à l’écriture. Quatre scénaristes donc, plus une équipe technique qui sait faire ses preuves, principalement Sergio Stivaletti et Rosario Prestopino (assistant de Gianetto de Rossi sur ‘L’enfer des zombies’ et concepteur des masques de zombies sur ‘Le manoir de la terreur’) aux effets spéciaux et aux maquillages. Sans oublier l’ex claviériste des Goblin, Claudio Simonetti, en solo à la bande originale.
Que du beau monde pour un film qui va, sans atteindre des sommets de subtilité cinématographique, marquer durablement le cinéma de genre, demeurant aujourd’hui l’un des derniers gros succès du cinéma d’horreur made in Italia.

Ce qui frappe d’emblée à la vision du produit fini, c’est l’osmose entre Argento et Bava. Les deux compères, très impliqués dans leur travail, livrent une œuvre visuellement très réussie. On reconnait la patte argentesque avec les très nombreux éclairages colorés (rouge, vert, bleu) et l’utilisation habile d’un décor vaste, angoissant et aux multiples recoins dangereux, ici un cinéma à l’ancienne. On pense beaucoup à ‘Suspiria’, non seulement pour les couleurs flamboyantes, mais aussi pour ces fameuses couches de décor du cinéma, rappelant l’école de danse de Suzy Banner dans le film de 1977. Encore ici, les personnages, plus ils tentent de fuir, plus ils s’enfoncent dans un cinéma labyrinthique. Rideaux rouges épais qui n’en finissent pas alors qu’une victime est pourchassée par un démon, bouche d’aération qui se révèle plus un piège qu’un moyen de s’échapper, sous-sols et couloirs divers, grandes pièces désaffectées et murées derrière la salle principale, cabine de projection autonome, mise en place des sièges comme barricades et qui forment une nouvelle ‘couche’ de décor (les protagonistes tentant lors des attaques de fuir par-dessous), le cinéma de ‘Démons’ est une véritable annexe de l’Enfer avec un grand E, qui semble aussi immense qu’il se révèle paradoxalement claustrophobique. La découverte surprenante des murs qui bloquent toutes les sorties, alors que les spectateurs ne sont rentrés dans l’enceinte que depuis peu de temps, donne au film une dimension absurde et surnaturelle qui se raccroche immédiatement à l’univers du réalisateur d’’Inferno’, auquel on pense aussi beaucoup.

‘Démons’ s’inspire aussi bien sûr du cultissime ‘Evil dead’ (‘La nuit des démons’ est d’ailleurs son discret sous-titre français !), avec la découverte d’un ouvrage démoniaque (le Necronomicon pour le film de Raimi, et un livre de prédictions de Nostradamus pour le Bava), l’isolement dans un lieu fermé, puis la possession des victimes en démons baveux et leurs multiples attaques sanglantes. ‘Zombie’ et les films du genre sont aussi de la partie, la contagion se propageant très vite et les victimes ayant beaucoup tendance à revenir après la mort. Certes, les sujets sont loin d’être originaux, mais leur traitement plutôt novateur emporte l’adhésion. Il faut dire aussi que fiston Bava aborde, bien que sans le développer, le thème du pouvoir de l’image sur la réalité. ‘La rose pourpre du Caire’, sorti la même année, demeure l’une de ses inspirations.
Pour bien comprendre le processus assez délirant de ‘Démons’, il ne faut pas oublier que le métrage prend parti pour une exagération volontaire des situations. On pousse certaines séquences jusqu’à l’absurde et l’excès, qu’il s’agisse du gore (le scalp, aussi brutal qu’inattendu), de la musique (les morceaux de métal bien bourrins lors de la fuite des protagonistes, mais surtout l’assaut en moto contre les monstres sur du Accept, scène d’ailleurs qui semble très inspirée d’un passage similaire dans ‘Le survivant’ avec Charlton Heston), ou des retournements de situation. L’hélicoptère qui atterrit sans prévenir en plein milieu de la salle en demeure le meilleur exemple, même si cela peut s’expliquer rationnellement (deux hommes dans un hélicoptère survolent la ville, l’un d’eux a été blessé par un démon, il se transforme, attaque le pilote et celui-ci perd le contrôle, chutant sur le toit du cinéma qui s’écroule à cause du choc et du poids).

Si le duo Bava/Argento privilégie les atmosphères bizarres accentuées par des éclairages surréalistes, ils n’en oublient pas non plus l’horreur purement graphique. ‘Démons’ présente un véritable catalogue d’effets spéciaux et de maquillages divers. Les moments gores comme les coups de griffes sont réalisés en direct sur le plateau (l’attaque dans les toilettes), on utilise des têtes animatroniques pour la chute des dents remplacées par des crocs, pareil pour les mains dont les ongles poussent exagérément… Nous avons même droit à une langue bien longue qui surgit sans prévenir d’une victime qui se transforme (référence à ‘La compagnie des loups’). Sans oublier les classiques passages gores : scalp, égorgement, décapitation, empalement, corps écrasé. Pour couronner le tout, une miniature est utilisée pour la chute de l’hélicoptère. Bref, le film représente un tour de force technique au vu de son modeste budget de petite série B.
Niveau comédiens, on retrouve uniquement des professionnels, même si, dans l’ensemble, l’interprétation demeure plutôt classique et sans réelle surprise. Néanmoins, la présence des superbes Natasha Hovey (la première demoiselle dont je suis tombé amoureux), Paola Cozzo, Nicoletta Elmi (aaahhh mais quelle belle femme mystérieuse que nous avons là !!!), Fabiola Toledo (déjà vue dans ‘La maison de la terreur’), Fiore Argento (la discrète autre fille de Dario) parvient à maintenir une attention certaine. Pour les messieurs, on retient le jeu outrancier mais efficace de l’excellent Bobby Rhodes, lequel n’a aucun mal à éclipser tous ses partenaires lors des séquences où il prend la parole. Les deux héros, Urbano Barberini et Karl Zinny, demi-frères dans la vraie vie, n’ont pas un jeu exceptionnel, mais restent attachants et sympathiques. On retient aussi un Michele Soavi très inquiétant en personnage masqué, annonciateur du mal, et, pour les plus observateurs, l’apparition éclair de Lamberto Bava, lequel sort d’une rame de métro au tout début du film, à la manière des apparitions d’Alfred Hitchcock ! Anecdote : le personnage de l’aveugle devait à l’origine être incarné par le mythique Vincent Price. Hélas, le célèbre comédien n’était pas libre au moment du tournage. Du coup, le personnage, qui devait être bien plus important, fut considérablement réduit. Pas très grave dans la mesure où ce personnage reste assez curieux.

Alors, oui, beaucoup disent que ‘Démons’, c’est crétin, ça n’a ni queue ni tête, et ça ne fait que reproduire des recettes déjà établies par les films de zombies comme ‘La nuit des morts-vivants’ et ‘Evil dead’. C’est pourtant bien vite oublier l’efficacité visuelle de la chose, la précision du montage, l’ambiance générale très travaillée et les multiples rebondissements, l’action et l’horreur permanentes permettant aux spectateurs avides de sensations fortes de passer un moment palpitant de bout en bout. Lamberto Bava n’a jamais eu la prétention d’égaler son père, il trace son propre chemin, même s’il reste très proche (et on le comprend) de Dario Argento, au style si particulier. Et le mélange de tous ces talents détonne à l’écran. C’est bien mieux que tous ces Bis certes distrayants mais artistiquement sans intérêt comme tous les post-apocalyptiques et les films de guerre qui ont précédé et qui vont suivre, amenant la mort prématurée du cinéma de genre italien. Après ce beau succès, dès l’année suivante, le duo Argento/Bava reprend du service pour proposer un ‘Démons 2’ certes tourné très vite, un peu moins soigné techniquement, mais toujours jouissif et hyper efficace. Nous en reparlerons.

Sans révolutionner le genre, l’œuvre, bien ancrée dans son époque, permet de croiser les influences, italiennes et américaines, pour livrer un produit de distraction pure, une bande dessinée délirante et sanglante qui propose une nouvelle vision pré-apocalyptique, habilement scénarisée. Une sorte de film de zombies ‘new-look’ qui va rester dans les mémoires, ‘Démons’ obtenant un très gros succès dans le monde entier. Grâce au nom de Dario Argento, placé en haut et en gros caractères jaunes sur la magnifique affiche bleutée désormais culte, ‘Démons’ (et son titre à la police de caractère elle aussi inoubliable, qui sera imitée par ‘Zombi 3’) se vend, fait un carton au cinéma (haha, logique) et bien sûr en vidéo. Et l’ajout d’une bande originale détonnante n’y est pas non plus étrangère. Jugez plutôt : Claudio Simonetti, ex Goblin, compose donc la musique du film, une soundtrack électronique nerveuse, entêtante, alternant morceaux rapides style rock/new wave (le formidable main theme ‘Demon’, mais aussi ‘Killing’) et plages plus atmosphériques et angoissantes (‘The evil one’, ‘Threat’). Pour couronner le tout, c’est une véritable compilation pop/rock/heavy metal qui nous attend, avec au programme : Rick Springfield, Mötley crüe, Pretty maids, Go west, The adventures, Billy Idol, Accept et Saxon (sans oublier Scorpions, qui, s’il figure sur l’affiche cinéma française, n’intervient que dans la version italienne, remplaçant le morceau ‘Night danger’ des Pretty maids par ‘Dynamite’).
Beaucoup diront que ça ne convient pas à un film d’horreur et que ça gâche les ambiances ? Que nenni, tous ces morceaux, de très bonne qualité, devenus célèbres pour la plupart, servent parfaitement le style excentrique et nerveux du film, s’accordant superbement bien avec la composition de Simonetti. Lorsque le film se termine, avec d’ailleurs un pré-générique amenant une bien belle surprise (pas forcément logique, mais le réalisateur en est conscient), l’amateur du genre se sent revigoré par un tel spectacle. Je me souviens qu’à l’époque, j’avais loué la cassette, il devait d’ailleurs s’agir de mon cinquième film d’horreur, et je m’étais pris une bonne claque (ou plutôt une patate dans la gueule). C’est là que je suis entré dans l’univers argentesque…

Pour la vidéo, depuis les VHS sorties à trois reprises en France chez UGC-vidéo (cassette locative avec jaquette grand format bleue, puis deux éditions de vente avec jaquette petit format, dont la dernière dans la fameuse collection ‘Cauchemar’ ), nous n’avons eu droit dans notre pays qu’à une édition basique en DVD, déclinée trois fois aussi ( en pack avec Mad movies, le même disque ressortant plus tard à l’unité, puis en pack avec sa suite ‘Démons 2’, et enfin en boîtier digipack slim dans la collection ‘Les grands classiques de l’horreur’ ). Si l’image est plutôt belle, le format d’écran ne propose que du 4/3, nous n’avons droit qu’à la version française et à un chapitrage, sans l’ombre d’un bonus. Dommage, car à l’étranger, si les premières éditions ne proposent aussi que du 4/3, elles sont plus riches en suppléments. Avec le Blu-ray, ça s’accélère : l’anglais Arrow tire le premier en 2012 et propose une chouette copie restaurée du film, même si la colorimétrie reste un peu trop pâlichonne. L’américain Synapse corrige la chose en 2014 et sort la plus belle copie du film à ce jour (tout comme sa suite).

Parlons un peu aussi de la bande originale, éditée de multiples fois, en LP et en CD. Pour les chansons, mieux vaut vous reporter aux albums correspondants chez les groupes concernés, assez facilement trouvables. Certains morceaux sont disponibles sur quelques disques rares mélangeant chansons et morceaux instrumentaux de Simonetti, mais pas tous, et les disques sont très rares (je pense notamment à une édition japonaise éditée dès la sortie du film et tirée à 500 copies). Pour la composition de Maître Claudio, l’édition la plus récente et la plus complète reste la version du label italien Rustblade records, présentant, à la fois en LP et en CD, la majeure partie du score (il manque la version single du main title par exemple), plus quelques reprises, ainsi que des inédits, sans oublier un album entier consacré à des reprises pas vilaines de groupes divers. Pour les complétistes, l’album édité par Deep Red (en version boîtier cristal avec fourreau et aussi en version digipack) propose à quelques exceptions près le même programme. On peut aussi se reporter sur la jolie compilation ‘Evil tracks’, présentant quatre scores de Simonetti, dont une douzaine de minutes de ‘Démons’ (avec le main theme en version single).

LES PLUS LES MOINS
♥ Techniquement créatif et varié
♥ Eclairages superbes
♥ Nerveux, gore et distrayant
♥ Bande originale d’enfer
⊗ Ca se finit trop vite !
⊗ Personnages trop peu développés, mais ce n’est finalement pas l’intérêt
‘Démons’, c’est l’un des derniers grands représentants du cinéma Bis italien dans ce qu’il possède de plus noble. Spectacle généreux, action permanente, effets spéciaux et gore en pagaille, musique tonitruante, jolies demoiselles aux yeux perçants, une véritable BD au charme indéniable et qui traverse les années avec cette même énergie folle et furieuse. A revoir encore et encore !!!



Titre : Demons
Année : 1985
Durée : 1h27
Origine : Italie
Genre : Horreur/Gore/Monstres
Réalisateur : Lamberto Bava
Scénario : Dardano Sacchetti, Franco Ferrini, Dario Argento, Lamberto Bava

Acteurs : Urbano Barberini, Natasha Hovey, Karl Zinny, Paola Cozzo, Bobby Rhodes, Fiore Argento, Michele Soavi, Nicoletta Elmi, Fabiola Toledo, Geretta Giancarlo, Stelio Candelli, Pasqualino Salemme, Peter Pitsch

 Démons (1985) on IMDb


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Auteur : Ghoulish

Contaminé par le cinéma d'horreur depuis l'âge de sept ans ( avec 'La nuit des vers géants' de Jeff Lieberman ), Ghoulish ne l'a plus lâché depuis, tout en se passionnant pour d'autres genres ( policier, action, western, aventure, plus bien sûr fantastique et SF ). Ghoughoul a touché à la ( micro ) réalisation et a joué dans une paire de courts-métrages. Il se consacre davantage à l'écriture ( chroniques, nouvelles ). Cinéastes fétiches ? George Romero, Dario Argento, Lucio Fulci, Tobe Hooper, Stuart Gordon, Sam Peckinpah, Jacques Deray, Henri Verneuil.
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