[Film] Blaze, de Del Kathryn Barton (2022)

Blaze, une jeune adolescente, est le seul témoin d’un crime choquant. S’efforçant de donner un sens à ce qu’elle a vu, elle déclenche la colère de son dragon imaginaire.


Avis de John Roch :
Depuis ses premières expositions au milieu des années 90, Del Kathryn Barton s’est imposée comme une figure majeure de l’art contemporain en Australie. Double lauréate du prix Archibald (prix prestigieux Australien qui récompense les portraits), l’un pour son auto portrait et l’autre pour celui de Hugo Weaving, le style de Del Kathryn Barton est défini comme organique. Ses œuvres, situées entre le fantastique et l’érotisme, met sur un même pied l’humain, l’animal et la nature qui sont mélangés dans un monde fécond et vivant avec un net accent sur la femme, toujours au centre de ses créations. Créations qui ne se limitent pas à la peinture car en plus de sculptures saluées pour leurs capacités à retranscrire la sensibilité de ses tableaux en trois dimensions, l’artiste s’est également distinguée en tant que réalisatrice. Tout d’abord avec deux courts métrages. Le premier : l’animé The Nightingale and the Rose d’après Oscar Wilde, est sélectionné pour le festival du film de Berlin et rafle des prix en Australie. Le second : Red, dans lequel elle dirige Cate Blanchett, annonce quant à lui le style visuel et la thématique féministe de Del Kathryn Barton en tant que réalisatrice. Style et thématique que l’on retrouve dans Blaze, son premier long métrage. Et pour un premier long, Del Kathryn Barton s’en tire avec brio. Elle signe avec Blaze une œuvre puissante, un véritable coup de maître qui la propulse dans le haut des réalisatrices à suivre de très près, si toutefois l’artiste remet le couvert pour un autre métrage..

L’idée de Blaze, elle a émergé lorsque Del Kathryn Barton est tombée sur un article parlant de féminicides en Australie, ou en moyenne une femme est tuée sous les coups de leurs maris tous les neuf jours. Ça parait peu par rapport à d’autres pays (on recense neuf féminicides rien qu’en Janvier 2023 en France par exemple), mais c’est déjà de trop. Blaze parle donc de féminicide mais pas que, car il s’agit également d’une œuvre semi-autobiographique et féministe (dans le bon sens du terme, mais j’y reviendrai), d’un film sur le passage de l’enfance à l’adolescence mais aussi, sujet plus grave, du regard et des traces que peuvent laisser ce genre de drames sur les enfants témoins de ces événements. Ici, le regard de Blaze, fillette de 12 ans, encore enfant vivant dans son monde à elle, qui va malgré elle être témoin du viol puis du meurtre d’une femme dans une ruelle. Pour faire face à ce traumatisme, elle se réfugie dans son monde imaginaire, mais entre les adultes qui ne comprennent pas l’état psychologique de la gamine, le procès de l’agresseur qui pèse et l’adolescence qui commence à se pointer, son entrée dans le monde des grands fait que son monde va peu à peu s’écrouler. Il y a dans le personnage de Blaze toutes les thématiques susmentionnées, à commencer par Del Kathryn Barton elle même. Longtemps jugée socialement inadaptée pour une scolarité normale du fait qu’elle se réfugiait trop dans son monde, l’artiste a également vécue une expérience traumatisante dans son enfance qu’elle n’évoque jamais lors des interviews à propos du métrage. Dans Blaze, elle exorcise en quelques sortes son enfance à travers la protagoniste du métrage, mais pas que puisque le film développe la psychologie du personnage coincée entre son monde intérieur et la dure réalité du monde tel qu’il est.

La perte de son innocence, Blaze va la subir en passant par des stades allant de la honte à la culpabilité en passant par la colère. Le métrage alterne entre rêve et réalité, ce dernier point est de prime abord le moins intéressant mais ce n’est jamais le cas. Au contraire, en montrant Blaze dans la vie de tout les jours, à parler avec ses amies de garçons, de puberté ou d’autres choses de son âge, cela ne fait qu’accentuer sa déchéance mentale, car chaque moment de sa vie aussi espiègle soit-il, qui devrait aspirer bonheur, se transforme en cauchemar dès lors que son trauma refait surface et change sa perception de la vie. Seule solution pour l’enfant : plonger dans son monde où elle est protégée par son ami imaginaire Zéphyr le dragon. Mais là encore, le traumatisme du féminicide, sa colère et l’adolescence qui ne demandent qu’à sortir d’elle font de son refuge une sorte de purgatoire, ce qui fait de Blaze une sorte de conte cruel sur la fin de l’enfance. Pour illustrer ce monde imaginaire, c’est celui de Del Kathryn Barton qui est illustré avec brio. Car en plus d’une mise en scène complètement maîtrisée, le film est d’une beauté renversante. Les scènes se déroulant dans la tête de la jeune fille sont toutes aussi sublimes et poétiques les unes que les autres et ne sont pas là par hasard. Ce que l’on peut craindre avec un artiste qui passe à la réalisation, c’est de se retrouver avec des images cryptiques que seul son auteur pourrait comprendre, mais il n’en est rien. Chaque scène, chaque image a un sens dans Blaze, et les multiples séquences qui tiennent du rêve éveillé, à l’ambiance parfois bucolique ou parfois cauchemardesque par moments émouvantes, sont autant de symboliques qui sont au service de l’histoire et non pas l’inverse, tout comme la BO aux morceaux astucieusement choisis.

Del Kathryn Barton est une militante féministe et Blaze est un film qui va dans ce sens. Le message final du film ne porte aucun jugement sur l’homme,  il est destiné aux générations futures qui pourraient être victimes de violences auxquelles la réalisatrice demande de ne pas faire la même erreur que les précédentes : se taire. Féministe oui, mais dans le bon sens du terme. L’artiste milite pour l’égalité et les droit des femmes dans un pays en retard sur la question de la parité homme-femme, bien que des progrès aient été fait ces dernières années. Comprenez par la que Blaze n’est pas un réquisitoire contre les hommes tel que l’on peut en voir depuis les mouvements néo-féministes issus de l’ère post #metoo. Au contraire, dans Blaze, il y a deux personnages masculins : le violeur/tueur qui sert de moteur à l’intrigue et par extension parler de féminicide. Mais celui-ci n’est au final que peu présent dans l’intrigue et celle ci se concentre sur l’autre figure masculine du métrage : le père de Blaze. Un homme bienveillant qui élève seul son enfant, mais dépassé par la situation et en constant dilemme entre la personnalité de sa fille et l’utilisation de méthodes qu’il pense être bénéfiques pour sa progéniture alors que celles-ci ne font que détruire encore plus son innocence. Un rôle difficile, qu’interprète avec justesse Simon Baker, également producteur du film. Mais coté casting, si il ne fallait ne retenir qu’un nom, c’est Julia Savage. La jeune actrice, dont c’est la première prestation dans un long métrage, est tout simplement incroyable et bouleversante dans un rôle titre loin d’être facile à interpréter et a tout pour devenir une comédienne de talent. Une véritable révélation, tout comme Del Kathryn Barton en tant que réalisatrice qui signe une œuvre intelligente, cruelle, émouvante et d’une beauté incroyable.

LES PLUS LES MOINS
♥ La mise en scène maîtrisée
♥ Un film parfois cruel, poétique et émouvant à la fois
♥ Un métrage intelligent dans le traitement de ses thématiques et dans son discours féministe
♥ Visuellement sublime
♥ La BO aux morceaux bien choisis
♥ Simon Baker, impeccable
♥ Julia Savage, une véritable révélation
♥ Del Kathryn Barton, une réalisatrice à suivre
⊗ Savoir que c’est une boite Française que je ne nommerai pas qui est en charge des ventes du film, sans qu’une sortie Française ne soit toujours pas envisagée… quand ils veulent une sortie en salle (à voir sur grand écran absolument!)

A la fois film semi-autobiographique, métrage sur le passage de l’enfance à l’adolescence mais aussi sur le regard des enfants témoins des violences des adultes et des traces que peuvent laisser des drames tels que le féminicide ou les violences domestiques, Del Kathryn Barton signe avec Blaze une œuvre intelligente, cruelle, émouvante et d’une beauté incroyable.



Titre : Blaze
Année : 2022
Durée : 1h41
Origine : Australie
Genre : œuvre d’art
Réalisateur : Del Kathryn Barton
Scénario : Del Kathryn Barton et Huna Amweero

Acteurs : Julia Savage, Simon Baker, Yael Stone, Josh Lawson, Rebecca Massey, Will McDonald, Heather Mitchell

Blaze (2022) on IMDb


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Auteur : John Roch

Amateur de cinéma de tous les horizons, de l'Asie aux États-Unis, du plus bourrin au plus intimiste. N'ayant appris de l'alphabet que les lettres B et Z, il a une nette préférence pour l'horreur, le trash et le gore, mais également la baston, les explosions, les monstres géants et les action heroes.
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