[Interview] Rock Brenner, programmateur chez Outbuster

Les offres françaises SVOD commencent à se multiplier, c’est un fait. Histoire de changer un peu des chroniques, bien que cela reste notre fond de commerce, nous avons décidé de lancer un cycle « Interviews des plateformes de SVOD françaises ». Après celle de FREAKS ON, et celle de SHADOWZ, c’est au tour de OUTBUSTER de répondre à nos questions. C’est Rock Brenner, le programmateur de la plateforme qui va se plier à l’exercice, et ce qu’il a à nous dire est des plus intéressants.

Bonne lecture à tous.



Pourriez-vous présenter Outbuster à nos visiteurs ?

Je suis l’actuel programmateur de la plateforme Outbuster. Initialement, je réalise des films en autoproduction à Strasbourg et c’est comme ça que j’ai été amené à rencontrer Etienne Metras, le fondateur de la plateforme, via mon film « La Capitale du Bruit » que je lui avais envoyé début 2020. Je connais Outbuster depuis sa création (2016) grâce à un ami. Je suis un grand fan de « The Dirties » de Matt Johnson (2013) et je saoule mes potes avec ce film depuis que je l’ai découvert, mais il était indisponible avec des sous-titres français, donc pas facile à faire découvrir à des non-anglophones. En 2016, un ami m’a envoyé un article d’AlloCiné parlant d’une plateforme qui allait projeter « The Dirties » dans une salle de cinéma à Paris et le diffuser simultanément sur Internet. Déjà, la démarche me semblait audacieuse, mais en plus il s’agissait de ce film… Je me suis tout de suite abonné à Outbuster, j’ai épluché pas mal de films du catalogue et j’ai fait des recommandations.

Depuis que je construis ma cinéphilie, je me suis beaucoup intéressé à ces films dont on ne parle pas ou trop peu. Ces films qui ne franchissent pas les frontières françaises pour différentes raisons et je me suis aperçu, tout comme Etienne, qu’on passait à côté de pas mal de pépites. Il faut admettre que le téléchargement illégal nous permet d’accéder à certains de ces films facilement, mais en tant qu’auteur, j’ai trouvé ça génial et important qu’un lieu, même virtuel, puisse proposer quelques-unes de ces œuvres de façon légale et, surtout, avec passion. Outbuster a un côté ciné-club que j’aime beaucoup. C’est pour ça que j’ai envoyé « La Capitale du Bruit » à la plateforme début 2020 ; un long-métrage autoproduit avec 1500€. J’avais peu d’espoir et je pensais enterrer le film dans YouTube, mais il m’a écrit pour m’annoncer qu’il souhaitait le diffuser. Quelques semaines plus tard, pendant le premier confinement, je lui ai proposé de faire un « Outbuster Original » intitulé « Quarantaines », un long-métrage collectif réunissant dix réalisateurs internationaux qui réalisent des courts-métrages en autoproduction pendant la pandémie. Je lui ai proposé aussi que les recettes du film soient versées à la fondation Abbé Pierre et à Médecins du Monde et il a accepté. Je pense que peu d’autres plateformes auraient accepté cette proposition.
Début 2021, Etienne m’annonce qu’il va rejoindre l’équipe de Filmo TV, mais qu’il souhaite qu’Outbuster puisse continuer à vivre et évoluer. Notre vision du cinéma semble assez proche, on aime les idées surprenantes, les audaces, le ton décomplexé, on aime déterrer des pépites cinématographiques, découvrir des œuvres du monde entier et partager nos découvertes. Du coup, il m’a formé sur la gestion de la plateforme et de la programmation.


Vous avez été parmi les premiers à créer une plateforme de SVOD en France, avec comme envie de faire découvrir des films inédits chez nous et appréciés par les critiques amateurs. Comment vous est venue l’idée de créer Outbuster ?

Je vais parler pour Étienne : je sais qu’il travaillait auparavant pour le pôle VOD d’une chaîne de télévision et qu’il faisait souvent des recommandations qui ont été mises à la poubelle au profit de films plus populaires, mais souvent moins intéressants. C’est ce qui lui a donné envie de créer une plateforme qui mettrait en lumière ces films qui ne trouvent pas leur place.



Comment faites-vous le choix des films qui arrivent sur votre plateforme ? Il semble que vous vous appuyez sur le site Senscritique, mais est-ce qu’il y a d’autres critères qui rentrent en jeu ?

On scrute énormément les programmes des festivals. On a évidemment nos festivals favoris : Fantasia, Sundance, South by Southwest, le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (on en a créé une catégorie), On vous ment ! Festival documenteur (la catégorie « Documenteurs » est en partenariat avec le festival), Imagine Film Festival, Black Movie, Calgary Underground Film Festival, l’Etrange Festival, la Berlinale, 2300 Plan 9, Lausanne Underground Film & Music Festival, etc… Les films les plus populaires programmés à ces festivals trouvent en général un distributeur pour la France, mais pas mal d’autres films n’y parviennent pas. Pas parce qu’ils sont mauvais, tout simplement parce qu’il n’y a pas de place pour tout le monde. Distribuer un film en salles ou en vidéo est un pari, parfois très risqué.
Il y a aussi le bouche à oreille. Je sais que c’est ainsi qu’Etienne a découvert pas mal de films asiatiques, notamment grâce à Antoine Guérin – le gérant de Spectrum Films – qui est en général de très bon conseil. De mon côté, ce sont des amis qui m’ont conseillé des films tels que « 7 boxes » ou « The Icarus Line Must Die ». Nicolas Landais du festival On Vous Ment, nous conseille pas mal de films, ce qui est très important surtout pour un genre aussi peu mis en avant que le documenteur.

Outbuster a démarré en partenariat avec SensCritique parce que, en général, ce sont les critiques amateurs qui font découvrir les films méconnus. La presse professionnelle est occupée par l’actualité cinématographique « officielle » en France, ce qui est normal, mais du coup il y en a assez peu qui laissent place à de la pure découverte. Je sais que Victor Bonnefoy (a.k.a InThePanda), à l’époque où il réalisait les « Unknown Movies » sur YouTube, utilisait SensCritique pour déterminer si un film devait ou non être chroniqué dans sa vidéo. Pour être chroniqué dans « Unknown Movies », le film devait avoir moins de 500 notes sur SensCritique. Et Victor devait bien sûr aimer le film. Outbuster fonctionne un peu comme ça aussi : les notes SensCritique et IMDb devaient être bonnes mais basées sur peu d’utilisateurs (aux alentours de 1000) et Etienne devait avoir envie de défendre le film en question.
Ça, c’était le point de départ, mais ça a un peu évolué. De très bons films (ou au moins intéressants) peuvent avoir des notes faibles, tout comme des films qu’on considère très moyens peuvent avoir d’excellentes notes. Des films comme « Lake Michigan Monster », « Bitch », « Most Beautiful Island » ou « Playdurizm » (qu’on va sortir prochainement) ne font pas l’unanimité sur ces sites, mais est-ce une raison pour les enterrer ? Ça reste très subjectif, mais on y voit beaucoup de qualités et on espère sincèrement voir les nouveaux projets de ces auteurs dans le futur.
Donc, vous l’aurez compris, l’un des critères principaux est le coup de cœur, le désir de faire découvrir et de défendre des œuvres.

Il y a aussi ces films qui cartonnent ailleurs mais ne sortent jamais chez nous ! Prends par exemple un film comme « The Terror Live » qui a attiré près de 5 millions de spectateurs en Corée du Sud, « Wetlands » qui en a attiré un million en Allemagne, « Bruna Surfisthina » qui a cartonné au Brésil et « New Kids Turbo » qui est encore aujourd’hui le plus gros succès du box-office néerlandais. Au bout d’un moment, si ces films attirent autant de gens dans leur pays d’origine, c’est qu’il y a un truc.



Comment se passe l’exploitation des films de votre catalogue ? Est-ce qu’ils y restent définitivement une fois qu’ils y rentrent ? Ou alors est-ce qu’ils ne sont là que pour une durée limitée ?

En général, on signe pour un an d’exploitation ; on renouvelle l’exploitation de certains films pendant deux, trois ans ou plus parce qu’ils plaisent beaucoup à notre communauté comme « Wetlands », « Primer » ou les films asiatiques. On se sépare malheureusement de certains titres pour des raisons économiques et pour continuer à proposer de nouveaux films.


Les films que vous proposez arrivent de tous les horizons, parfois de pays assez « exotiques » pour beaucoup de monde (Hongrie, Serbie, Pays-Bas, …), n’avez-vous pas peur de « brusquer » les habitudes des gens et, du coup, de vous priver d’un certain public moins curieux ?

Les plateformes les plus populaires proposent aussi quelques films provenant de pays « exotiques », mais ils ne sont presque jamais mis en avant ; ce sont souvent les mastodontes anglophones qui règnent en maîtres. Lorsqu’Etienne a créé Outbuster, il entendait souvent des gens dire que c’était super et qu’ils voulaient justement voir autre chose que des produits Netflix. J’entends la même chose de mon côté, mais je ne vous cache pas que la plupart d’entre eux ne franchissent jamais l’étape de l’abonnement à Outbuster, justement parce qu’ils sont emprisonnés par ces habitudes. C’est comme les gens qui disent en avoir marre des films Marvel, mais qui continuent à aller les voir en salle. C’est bien dommage, surtout pour les gens qui se prétendent cinéphiles, parce qu’ils passent à côté de différentes cultures encore trop souvent dans l’ombre. Et dans ces cultures, vous verrez des qualités de mise en scène et/ou d’écriture que vous ne verrez peut-être jamais ailleurs. Je suis très admiratif de l’écriture et de la mise en scène de films comme « J’espère que tu crèveras la prochaine fois » ou « FOMO », par exemple, mais pour les découvrir il faut se dire « ok, ce soir je me fais des films hongrois que personne ne connaît ». Parfois, les gens regardent des films pas forcément par intérêt pour l’œuvre, mais pour maintenir un lien social, suivre un mouvement. Je ne juge pas, il m’arrive de le faire aussi, c’est même très normal. Mais peu de gens osent lancer des « hypes » à leur petite échelle (à part peut-être les critiques amateurs, les plateformes indépendantes et les éditeurs DVD/BR indépendants). Donc oui, le catalogue d’Outbuster est risqué, mais si on ne prend pas de risque, on ne se démarque pas et on ne saura jamais si ça valait le coup ou non. De mon point de vue, ça vaut le coup parce que les quelques échanges avec les abonnés de la plateforme sont riches et eux-mêmes nous font découvrir des films via leurs suggestions. Le meilleur est le film sud-coréen « Digital Video Editing with Adobe Premiere Pro » de Hong Seong-Yoon que je ne connaissais pas, mais qui nous a été suggéré sur Twitter. Résultat : nous allons organiser une séance pour ce film au festival On Vous Ment à Lyon le 8 mai à l’Aquarium Ciné Café, on espère pouvoir le proposer prochainement sur la plateforme et c’est devenu un de mes films favoris de ce début de décennie.



Vous semblez jouer la carte du second degré avec Outbuster, si on se fie aux noms des catégories (avec l’arrivée récente de « Le Doigt dans le Culte »), aux #, aux Pourquoi / Pourquoi pas, ou même parfois avec le choix des films. Il y a une raison particulière à cela ?

En échangeant avec Etienne, j’ai appris qu’Outbuster s’est créé notamment grâce au film néerlandais « New Kids Turbo ». Il avait adoré ce film – qui est clairement l’une des comédies les plus connes et hilarantes des années 2010 -, mais aucun distributeur français n’a osé le sortir, même pas en DVD. Donc, à partir du moment où un film comme celui-ci te marque tellement au point de créer une plateforme juste pour espérer le proposer, ça en dit long sur ton sens du l’humour et sur ton approche du cinéma.

Comme Etienne, j’aime aussi regarder des films plus sérieux, mais on a tous besoin de ces films fous pour désacraliser le cinéma et la manière de le vivre. Le monde en général et celui du cinéma sont à la fois sérieux et involontairement drôles, je pense qu’il était important de créer un espace qui fasse sourire les spectateurs pour qu’ils prennent la vie un peu moins au premier degré ne serait-ce que pendant 1h30, d’où la catégorie du « Doigt dans le culte » et des choix de films parfois surprenants comme « Who Killed Captain Alex ? » ou « The Velocipastor ». On ne propose pas ces films pour s’en moquer, on affectionne sincèrement les nanars et les films qui ont une approche décomplexée du cinéma.

Les # sont entrés dans le langage courant grâce aux réseaux sociaux et, sur la plateforme, il fallait trouver un moyen relativement simple de proposer un lot de films qui sont à peu près dans le même état esprit, un peu comme les photos sur Instagram. Si tu veux un peu d’action, tu vas cliquer sur #bourpifs, si tu veux te marrer tu vas sur #zygomatik et si tu veux voir des épaules dénudées tu vas sur #petitcochon, mais tu n’es jamais sûr du sens dans lequel ton poil va être caressé.


N’est-il pas trop difficile de se faire une place face aux mastodontes que sont Netflix et Disney+, bien que vous proposiez un catalogue complémentaire qu’on ne verra sans doute jamais chez eux ?

Si, très difficile. Ces plateformes proposent parfois des choses très intéressantes, surtout en documentaire et en stand up, mais sur les films et séries elles formatent un peu l’esprit des gens. Les films Netflix ont un cahier des charges technique à respecter, ce qui te donne l’illusion que le même chef opérateur travaille sur presque tous les films Netflix. L’œil s’y habitue et c’est parfois difficile d’attirer un public vers des films esthétiquement plus libres. Et pourtant, on a parfois des films qui pourraient très bien être des films Netflix comme les très chouettes « Incroyable Irène » de Pat Mills et « Aurora » de Miia Tervo. Il n’y a pas de secret, le plus difficile pour nous est la communication ; une bonne com’ ça coûte cher et, malheureusement, nous n’avons pas ce budget même si on espère encore que cela change un jour.



Depuis quelques temps, les offres SVOD se multiplient en France et nous avons vu arriver des plateformes telles que ShadowZ, Salto ou tout récemment Freaks On. Est-ce que cela impacte votre nombre d’abonnés ? Comment se passe la « cohabitation » ? N’avez-vous pas peur que, à la longue, cela puisse poser problème ?

Je dois admettre qu’on a eu quelques craintes lorsque ShadowZ a débarqué parce que qu’ils reprennent certains titres de notre catalogue mais, maintenant, nous reprenons aussi certains titres de leur catalogue comme « Night Shot » d’Hugo König qui était une exclusivité ShadowZ pendant sa première ou ses deux premières années d’exploitation. Personnellement, je vois ça comme un relais. Les films ont besoin de vivre – les réalisateurs seront les premiers à vous dire -, de rencontrer différents publics et si nous avons envie de montrer un film parce que nous l’avons aimé, ce serait dommage de se l’interdire sous prétexte que le film en question était sur une autre plateforme pendant X temps.

Nous avons de très bons rapports avec Freaks On qui est assez complémentaire à Outbuster, je trouve, car ils ont aussi une approche décomplexée du cinéma (exclusivement de genre, pour le coup). Comme ShadowZ, ils reprennent parfois des films de notre catalogue et nous reprenons parfois les leur. Ils sont passionnés et d’une gentillesse exemplaire. Si on pouvait tous cohabiter comme ça, ce serait top.

Il y a forcément de la concurrence, tout comme il peut y en avoir entre les salles de cinéma d’une même ville ou avec ton cousin qui a mieux réussi que toi avec lequel tes parents n’arrêtent pas de te comparer. Ce sera toujours comme ça, mais pour que la cohabitation se passe le mieux possible, il faut respecter le travail des uns et des autres même si, parfois, tu jalouses secrètement dans ton coin, on ne va pas se mentir !


Si vous deviez conseiller quelques films de votre catalogue à nos visiteurs pour leur donner envie de s’abonner, quels seraient-ils et pourquoi ?

• « Play » de Ruben Ôstlund, parce que c’est le meilleur film du réalisateur de « The Square » et « Snow Therapy ».
• « The Terror Live » de Byeong-woo Kim, parce qu’il m’a fait penser à la tension et au plaisir ressentis devant « Speed » et « Phone Game ».
• « God Bless America » de Bobcat Goldthwait, parce que c’est un putain d’exutoire et que c’est un miracle qu’un film comme ça ait pu se réaliser.
• « J’espère que tu crèveras la prochaine fois » de Mihály Schwechtje, parce que le traitement et le scénario sont très surprenants.
• « Bad Black » de Nabwana I.G.G., parce que c’est un film qui te troue d’balles.
• « Brother’s Nest » de Clayton Jacobson, parce que c’est tellement bien écrit et interprété.
• « FOMO » d’Attila Hartung, parce que ça fait mal et que c’est un film important.
• « Gook » de Justin Chon, parce que j’ai été ému, que le noir et blanc est super classe et qu’il a tout pour être un film à Oscars.
• « The Dirties » de Matt Johnson, parce que c’est un de mes films préférés des années 2010 ; un film autoproduit qui réussit à faire rire avec un sujet qui n’est pas drôle et il m’a donné le courage de me lancer dans la réalisation de « La Capitale du Bruit ».
• « Wetlands » de David Wnendt, parce qu’un bukkake au ralenti sur une pizza avec de la musique classique en fond, on ne voit pas ça tous les jours.


Le mot de la fin ?

Outbuster va bientôt avoir une nouvelle interface qui sera plus fluide et pratique pour les utilisateurs. Je ne sais pas encore à quelle date elle sortira, mais c’est une question de mois.
Si vous voulez soutenir le cinéma indépendant et une plateforme indépendante comme la nôtre, sachez que ça vous coûtera le prix de trois tickets de métro par mois et que nous sommes ouverts à vos suggestions.

Merci DarkSideReviews !


Nous vous remercions énormément pour le temps que vous nous avez accordé et nous espérons que Outbuster continuera d’exister pour proposer des films différents comme on les aime chez DarkSideReviews.

Interview réalisée et mise en page par Cherycok – Avril 2022
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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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