[Film] Sakra, de Donnie Yen et Kam Ka-Wai (2023)


Abandonné par ses parents à la naissance, Qiao Feng est élevé dans un temple Shaolin où il devient un guerrier hors du commun et développe des pouvoirs surhumains. 30 ans plus tard il est à la tête du gang des mendiants, un clan de chevaliers errants mais il va être injustement accusé de trahison et banni du clan. Dès lors, il n’aura de cesse de découvrir la vérité sur ses origines.


Avis de Nasserjones :
[ATTENTION SPOILERS] Quand on aime le cinéma d’action de Hong Kong ou plus généralement les films d’arts martiaux et de baston, on aime forcément Donnie Yen. Donnie Yen, c’est l’assurance qualité en matière de spectacle martial, un savoir-faire unique acquis en quarante ans d’expérience, faisant de lui le plus grand chorégraphe en activité à l’heure actuelle. Donc forcément quand Donnie Yen réalise un wu xia qu’il chorégraphie lui-même avec son équipe, le résultat ne peut qu’être bon.

Oui les combats dans Sakra sont bons. Ils sont dans la continuité de ce que Kenji Tanigaki a fait sur la saga Kenshin mais en plus extravagants, avec plus de câbles et plus d’idées folles. Les personnages glissent, rebondissent sur les murs comme des balles de tennis, Donnie Yen bouge comme s’il avait toujours 30 ans, toujours aussi rapide et fluide dans ses mouvements. On est ici dans le pur wu xia fantaisiste à la Duel to the Death ou à la Swordsman. Ici le personnage de Donnie Yen peut même voler comme Chow Yun Fat dans Tigre et Dragon ou faire valser tous ses ennemis à distance comme Keanu Reeves dans Matrix 4 et les guerriers détruisent tout le décor autour d’eux pendant leurs affrontements, tables, murs, portes ou toits. Bref sans être révolutionnaires, les combats de Sakra se veulent extrêmement funs et spectaculaires, dans un style assez différent de ce que Donnie Yen à l’habitude de faire. Le tout est très bien emballé façon blockbuster chinois contemporain, c’est-à-dire avec une belle photographie, de beaux décors, de beaux costumes, de jolis plans de paysages. Et est-ce-que tout ça suffit à faire un bon wu xia pian ? Eh bien oui et non. On ne va pas se mentir, dans un wu xia, on attend forcément beaucoup des combats et ces derniers étant réussis, Sakra vous fera forcément passer un bon moment. Si Donnie Yen avait opté pour un scénario prétexte, genre une banale histoire de vengeance, juste histoire de mettre en scène ses combats, Sakra aurait été une totale réussite. Seulement voilà, Yen a vu grand, trop grand pour lui et il a décidé d’adapter un roman de Jin Yong (ou Louis Cha), une énorme épopée fantastique se déroulant sur plusieurs décennies avec multiples personnages et intrigues complexes et forcément réussir à condenser en 2h10 une fresque se déroulant sur plusieurs décennies, c’était l’échec couru d’avance. Comme pour Seven Swords de Tsui Hark, la mission était impossible en fait.

Dès le début, c’est problématique et on comprend de suite que Yen ne savait pas par où commencer pour raconter cette histoire. En deux minutes top chrono, le héros Qiao Feng est recueilli bébé par de pauvres gens, entrainé dans un temple Shaolin où il apprend à se battre et même développe des pouvoirs surnaturels et puis prend la tête du gang des mendiants. Oui tout ça en deux minutes, on a 30 ans qui ont défilé. Et c’est quoi le gang des mendiants ? Des voleurs ? Des mercenaires ? Et bien on ne le saura jamais, on sait juste que c’est une bande de guerriers avec des têtes de pirates. Le film va se poursuivre comme ça tout le long avec des personnages qui sortent de nulle part, sans aucune présentation et apparaissant dans l’histoire comme des cheveux dans la soupe et une narration chaotique sans queue ni tête. Tout le long du film par exemple, on n’a aucune précision sur le contexte historique ou sur l’époque pendant laquelle se passe le film et, en toute fin de film, on a un flashback de 10 minutes qui vient nous expliquer que le fin mot de tout l’histoire c’était en fait la guerre entre les Khitans et les Song. Un peu du genre : « Ah oui mes chers spectateurs, avant que le film se finisse j’ai oublié de vous dire que Sakra se passe pendant les guerres avec les Khitans. Autre gros point noir du film : pendant ses péripéties, Donnie Yen va sauver la vie d’une espionne qui est en fait l’esclave de son ennemi, qui lui est le fils de l’ennemi du père de Donnie (quand je vous dis que le truc était inadaptable en deux heures). Donnie Yen et l’espionne vont donc manger une soupe ensemble au bord de l’eau et les voilà amoureux, prêts à aller élever des moutons ensembles, loin du monde. Le problème c’est que cette histoire d’amour va prendre une place très importante en milieu de métrage, et qu’on n’y croit pas une seconde, elle ne dégage aucune émotion, l’idylle est très mal amenée et là j’ai eu l’impression de revoir Legend of the Wolf ou Ballistic kiss où, là aussi, Donnie Yen voulait absolument nous raconter des histoires d’amour qui ne fonctionnaient pas du tout. Donc voilà, entre chaque baston, le film patine sévèrement dans la semoule, enchaine les coïncidences. Le grand méchant va ensuite manipuler Donnie Yen pour que celui-ci le débarrasse d’un de ses rivaux, un grand maître d’art martiaux qui sort lui aussi de nulle part, Donnie Yen s’en va le tuer mais comme par hasard sa compagne va apprendre en le rencontrant que c’est son père qu’elle n’avait jamais vu … Plus on avance dans l’histoire en fait, et plus on se demande comment Donnie Yen a pu s’embarquer dans un bourbier pareil où même le plus grand réalisateur se serait planté (chose qu’il n’est pas) et le fait que six personnes différentes soient créditées au scénario ne pouvait rien y changer. Pour adapter un tel roman, il aurait clairement fallu quatre heures de métrage. Alors oui on peut choisir de regarder Sakra en se moquant complètement de ce qu’il raconte et en ne s’intéressant qu’à ses combats virevoltants et surnaturels, chose que je ferai sans doute la prochaine fois que je reverrai le film au cinéma pour sa sortie française, mais ce n’est pas avec ce film que Donnie Yen va « redéfinir le wu xia » comme il l’avait promis sur son compte Facebook.

LES PLUS LES MOINS
♥ Les combats
♥ La photographie
♥ Les décors
⊗ La narration chaotique
⊗ Une adaptation de roman complètement ratée
⊗ L’histoire d’amour pas touchante

En voulant adapter à l’écran une épopée se déroulant sur plusieurs décennies en tout juste deux heures dix, Donnie Yen s’est lancé dans un pari impossible et perdu d’avance. Reste à Sakra ses combats câblés survoltés nous ramenant aux grandes heures de Yuen Woo-Ping et Ching Siu-Tung.

LE SAVIEZ VOUS ?
• Après The Battle Wizard en 1977, Demi-Gods and Semi-Devils en 1984 et The Dragon Chronicles en 1994, Sakra est la quatrième adaptation cinéma du roman Jin Yong paru sous forme de nouvelles de 1963 à 1966 à Hong Kong et Singapour.

• Sakra a eu droit à des sorties cinéma à Singapour et en Malaisie mais pas en Chine où il est directement sorti sur les plates-formes streaming pour le Nouvel an Chinois.



Titre : Sakra / 天龙八部之乔峰传
Année : 2023
Durée : 2h10
Origine : Chine / Hong Kong
Genre : Wu Xia Pian
Réalisateur : Donnie Yen, Kam Ka-Wai
Scénario : Sheng Ling-Zhi, Zhu Wei, He Ben, Chen Li, Chen Le-Jing, Xu Yi-Fan

Acteurs : Donnie Yen, Yukee Chen, Cya Liu, Grace Wong, Kara Hui, Wu Yue, Eddie Cheung, Du Yu-Ming, Ray Lui, Tsui Siu-Ming, Cai Xiang-Yu, Xu Xiang-Dong, Zhao Hua-Wei

Sakra (2023) on IMDb


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Auteur : Nasserjones

Fan névrosé de cinéma HK, élevé aux girls with guns et heroic bloodsheed, j'essaye depuis quelques années de me soigner comme je peux en m'ouvrant un peu plus à des films plus intimistes et différents. Des Philippines au Kazakhstan, de la Corée à l'Indonésie, je poursuis tant bien que mal mon auto-thérapie.
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