[Film] Operation Scorpio, de David Lai (1992)


Fai Yuk Shu, jeune étudiant passant plus de temps à dessiner des super-héros et à se rêver en justicier invincible qu’à travailler, se met en tête de protéger les plus faibles et d’apprendre à se battre. Tentant de secourir une jeune servante maltraitée, il se mettra dos le gang criminel de Mr. Wong. Devant la menace, Yuk Shu se tournera vers les enseignements de Bully, un culturiste, et de Maître Lo, un gangster reconverti en cuisiner. Il devra alors rivaliser d’endurance et d’imagination pour espérer vaincre Sonny Wong, fils de son ennemi et détenteur d’une technique de combat apparemment sans rivale.


Avis de Paul Gaussem :
Operation Scorpio (ou The Scorpion King) n’est pas un film souvent cité lorsque l’on parle des productions hongkongaises des années 90 et ce, malgré une édition française chez HK Vidéos (une seconde édition sortira plus tard chez Metropolitan, portant d’ailleurs le bandeau mensonger « Par le réalisateur de La 36ème Chambre de Shaolin », mais nous y reviendrons) et des qualités indéniables. Pourtant, avec le recul, le film de David Lai, de par son originalité et sa créativité, semble être l’un des précurseurs de bien des choses qui marqueront les réalisations des années à venir. Il faut dire que cette Kung-Fu Comedy sort au mauvais moment. Si le genre a connu ses heures de gloire dans les années 80, notamment grâce au travail de Jackie Chan et Sammo Hung, le début des années 90 est essentiellement marqué par un retour aux aventures épiques et historiques moins contemporaines, lorgnant souvent vers le fantastique. En effet, les Histoire de Fantômes Chinois (trois films entre 1987 et 1991) et autres Il Était une Fois en Chine (1991), produits ou réalisés par le trublion et génial Tsui Hark, avaient déjà orienté le cinéma HK vers d’autres horizons. Pour l’heure, seul le polar urbain – dominé à ce moment par John Woo grâce à une suite de réussites comme The Killer (1987), Une balle dans la Tête (1990) ou A Toute Epreuve (1992) mais par aussi via l’apport d’autres cinéastes talentueux tels que Benny Chan (A Moment of Romance, 1990) ou Ringo Lam (Full Contact, 1992) – pouvait encore tenir la dragée haute face au flot de wu xia pian survoltés produits en ce début de décennie (Swordsman, L’ Auberge du Dragon, The Bride With White Hair, Evil Cult, Flying Dagger …).

Operation Scorpio a toutefois de sérieux atouts. Premièrement, le film réunit une somme de talents, tout corps de métiers confondus, assez impressionnante. Produit par la Golden Harvest, maison mythique dominant les deux décennies précédentes avec les grands succès de Bruce Lee, mais aussi ceux de Jackie Chan (Police Story, Le marin des Mers de Chine, Operation Condor…) et de Sammo Hung (L’Exorciste Chinois, Eastern Condors, Shanghai Express …), pour ne citer qu’eux, il bénéficie aussi de la co-production de la Bo Ho Films, firme tenue par ce dernier. Néanmoins, il est rapporté par plusieurs sources que Sammo Hung n’aurait contribué au film que financièrement et n’aurait même jamais été aperçu sur le tournage (certains diront qu’il n’a jamais vu le film). Ceci dit, il est assez difficile de croire au manque d’implication du producteur lorsque l’on connait son perfectionnisme et tant le film, par bien des aspects, porte sa marque. Nous tenterons, au cours de ces lignes, de l’expliquer tout en sachant pertinemment que nous ne saurons jamais le fin mot de l’histoire…

Concernant le script, il n’est pas attribué à un inconnu mais au fameux Barry Wong, talentueux et prolifique scénariste – et acteur à ses heures – d’une foule de films, pour la plupart des comédies ayant marqué l’histoire cinématographique de l’archipel (L’Exorciste Chinois 2, Mr. Vampire, La Fureur du Revenant, Le Flic de Hong-Kong, Mister Dynamite, Une flic de Choc, Double Dragon, A Toute Epreuve…). Spécialiste de l’humour à la chinoise, des ruptures de tons si spécifiques au genre, des retournements et des quiproquo vaudevillesques, l’apport de Wong, concernant la bonne marche de ce type de production, est chose notable. Sur Operation Scorpio, Wong élabore une trame assez inédite à l’époque, consistant à transposer dans une comédie populaire un univers très proche du comic book. En effet, cette histoire, détournant les codes de la bande dessinée de super-héros, dans laquelle un jeune garçon fantasme sur les héros qu’il dessine jusqu’à se convaincre de pouvoir lui aussi en devenir un n’est pas une chose courante à l’époque. Elle le deviendra davantage par la suite, et pas uniquement au sein de l’industrie asiatique, avec des films tels que Scott Pilgirm (Edgard Wright, 2010) ou Kick-Ass (Matthew Vaughn, 2010). À Hong Kong, le fait qu’un cinéaste comme Johnnie To se mette lui aussi, dès l’année suivante, à s’investir dans le très pulp Heroic Trio n’est pas anodin. Enfin, comment ne pas voir dans Operation Scorpio, aussi bien au niveau ses apports scénaristiques que comiques et visuels, une des inspirations majeures d’un réalisateur comme Stephen Chow, qui poussera le genre dans ses dernières limites au fil de sa filmographie (Shaolin Soccer, Crazy Kung-Fu…) ?

D’ailleurs, si le film semble avoir influencé Chow, c’est aussi – et même essentiellement – grâce à ses scènes de combat, opposant des personnages au charisme très cartoonesque, flirtant sans cesse, avec un équilibre remarquable, entre le grotesque et le spectaculaire. Le personnage le plus marquant, donnant même son titre au film, est certainement celui de Sonny Wong, campé par l’acteur et cascadeur coréen Won Jin qui, avec son costume violet et son caractère outrancier de gangster clownesque, semble être tout droit sorti d’un manga de Hirohiko Araki (Jojo’s Bizarre Adventure). Le style martial adopté par ce protagoniste, à savoir la technique du scorpion, forçant l’acteur à n’utiliser quasiment que ses jambes de façon surprenante (rappelons que Won Jin est coréen et pratiquant de tae kwan do, art martial se concentrant sur les mouvements de jambes), constitue le point d’orgue du métrage et inspirera d’ailleurs de nombreuses réalisations ultérieures. Par exemple, le jeu vidéo de combat Martial Masters (1999) reprendra aussi bien le style que le chara-design du personnage pour créer l’un de ses combattants. Il en sera de même, de manière un peu plus discrète, avec le combattant Lei Wu-long, issu des différents jeux de la série Tekken parus entre 1999 et 2015. Du côté de la chanson, le groupe de K-Pop Infinite mettra au point la « Scorpion Dance », explicitement basée sur les mouvements de Sonny Wong, pour le clip de leur titre « BTD ». On le comprend, malgré son statut étrange de « film culte méconnu », Operation Scorpio, via ses trouvailles chorégraphiques et visuelles, a tout de même le mérite d’avoir créé un personnage dont la trace se retrouve dans divers domaines de la pop culture asiatique. Le tournage fut d’ailleurs éprouvant pour Won Jin, assurant lui-même ses cascades et mettant son corps à rude épreuve tant les mouvements du « style du scorpion » demandent élasticité et virtuosité. Seule la scène où son personnage, expulsé d’une fenêtre, roule dans les escaliers, est réalisée par le cascadeur Chi-Chuen Cheung, qui finira d’ailleurs grièvement blessé à l’issue du tournage de cette séquence. Les différents intervenants ont donc mis toutes leurs compétences à contribution afin de faire de Operation Scorpio un film d’action de très haute tenue. Ceci ne se concrétise pas seulement par la présence du personnage de Sonny Wong. En effet, le style de l’anguille (consistant à ramper et rebondir sur le sol comme un ver sous produits dopants) utilisé afin de « contrer le scorpion » par le héros Fai Yuk Shu, joué par le champion de breakdance Chin Ka-Lok (Le sens du devoir 2, Dragons Forever, Combats de Maître, Full Alert…), reprend lui aussi ce savant dosage de ridicule et d’acrobaties impressionnantes faisant définitivement la marque du film au niveau des combats.

Il faut dire qu’à la manœuvre nous retrouvons deux grands et incontournables chorégraphes, au savoir-faire unanimement plébiscité : Liu Chia Liang et Corey Yuen. Le premier est, comme beaucoup le savent, le légendaire chorégraphe de plusieurs des films du grand Chang Cheh (Un Seul Bras les Tua Tous, La Rage du Tigre…) et le réalisateur de films devenus cultes (Les Exécuteurs de Shaolin, La 36e Chambre de Shaolin, Les Huit Diagrammes de Wu-Lang…) – C’est d’ailleurs son statut mérité de génie du cinéma d’arts martiaux qui amènera Metropolitan à le créditer à la réalisation du film sur la pochette de leur édition DVD – Dans Operation Scorpio, au sein duquel il joue aussi le rôle de Maître Lo, ancien assassin devenu restaurateur et enseignant improvisé du jeune Yuk Shu, le génie de l’action s’en donne à cœur joie. On retrouve d’ailleurs sa patte, qu’il a en commun avec Sammo Hung, de défendre une vision très orthodoxe de la représentation filmée des arts martiaux. Peu adepte des combats aériens et câblés trop irréalistes, le chorégraphe utilise essentiellement les techniques et les mouvements pour donner emphase et dynamise aux diverses oppositions. D’ailleurs, le fait d’adopter une gestuelle calquée sur les mouvements animaliers n’est pas chose inédite. Cette façon d’aborder et de concevoir les techniques martiales est directement issue des enseignements traditionnels des écoles de kung-fu, simplement revus ici à la « sauce comics books ». Le second directeur de l’action n’est autre que Corey Yuen, réalisateur et chorégraphe parmi les plus prolifiques et rentables de l’industrie hongkongaise (Le Sens du Devoir 2, Saviour of the Soul, La Légende de Fong Sai-Yuk, The Defender…). Avec Yuen, nous ne sommes encore pas très loin de Sammo Hung. Étant, à l’instar de ce dernier, l’une des « sept petites fortunes » (groupe d’artistes martiaux formés ensemble à l’Opéra de Pékin par Yu Jim-Yuen durant les années 60, constitué de Jackie Chan, Sammo Hung, Yuen Biao, Yuen Wah, Yuen Tak, Yuen Mo et Corey Yuen), le chorégraphe partage avec son collègue et son producteur une même vision de la direction martiale, plus réaliste qu’un Yuen Woo-Ping ou un Ching Siu-Tung quant aux mouvements, adoptant un sens du découpage et du cadrage moins frénétique et plus globalisant, mais ne s’interdisant aucune innovation en matière de mise en scène et de technique. Tout ce petit monde a l’habitude de travailler ensemble et cela se sent (et c’est peut-être aussi pour cela qu’apparemment absent, l’ombre du producteur Sammo Hung semble tout de même rôder sur le métrage). La réunion des deux maitres se concrétise par une série de séquences marquantes, athlétiquement et visuellement époustouflantes. Les scènes d’action d’Operation Scorpio sont méthodiquement et magistralement exécutées, les techniques et mouvements étant sublimées par un découpage des plus précis et efficace, laissant le temps aux différents protagonistes, au sein de plans moyens et larges s’alternant à un rythme convenu, de mettre en valeur toute leur dextérité. Le film est visuellement un spectacle haletant, ne laissant que peu de temps au spectateur pour reprendre son souffle devant l’enchaînement de séquences martiales inédites, caractérisées par une créativité peu commune.

Quant à la réalisation elle-même, elle est assurée par David Lai. Si celui-ci n’a jamais acquis la réputation des autres intervenants déjà cités, il n’en demeure pas moins un réalisateur fiable et un artisan expérimenté. Débutant comme cameraman pour la chaine télévisée RTV, homme de studio et exécutant appliqué, David Lai ne s’est jamais réellement distingué par à une touche particulière (on peut remarquer, sans toutefois en exagérer la teneur, une certaine appétence pour une colorimétrie saturée et une image à l’esthétique assez clipesque, moins réaliste que ce qui était la norme HK à cette époque). Le cinéaste s’est essayé à tous les genres, réalisant tour à tour des romances (Crimson Street), des films fantastiques (Possessed) et des polars (Runaway Blues). C’est en 1991 qu’il rencontre Corey Yuen, avec lequel il collaborera par la suite sur de nombreux projets (Saviour of the Soul 1 et 2, Women on the Run, Mahjong Dragon, Le Transporteur…). Le style plutôt esthétisant de notre homme, pouvant dérouter l’audience sur plusieurs de ses métrages, colle ici parfaitement à l’esprit « comics » qu’il entend développer. Un étalonnage tirant sur les tons jaunes et bleus, des jeux d’ombres et de lumière à la sauce MTV, un cadrage et un découpage volontairement outrancier, faisant de chaque plan la représentation d’une case de bande dessinée, des transitions s’insérant grâce à un jeu de triangle très cartoonesque… tout est fait pour que le spectateur soit immergé dans un univers pulp et fun et ce, malgré quelques lourdeurs. La stratégie est maîtrisée et la sauce prend grâce à la convocation d’une suite de personnages loufoques et hauts en couleurs s’insérant dans un récit construit autour de scénettes liant entre elles des scènes d’action mémorables (qui sont, il faut le dire, le principal intérêt du film). Conçu par des pointures ayant l’habitude de collaborer et se connaissant bien, Operation Scorpio se caractérise par une générosité de tous les instants et l’exposition d’un savoir-faire, fruit d’une longue expérience collective.

On pourra, bien entendu, et surtout si l’on est peu habitué aux codes du cinéma populaire hongkongais, reprocher au film une direction d’acteur somme toute médiocre, quelques ficelles scénaristiques grossières et un ton parfois trop lourdaud pour être réellement drôle (la séquence d’entrainement de culturistes complètement crétins, assez hallucinante et à l’homo-érotisme sûrement inconscient, est un modèle du genre et fonctionne à merveille, pour qui sait apprécier l’humour décalé de ce type de production). Les ruptures de tons, faisant passer le film du comique de gestes à des séquences réellement dramatiques (par exemple, l’humiliation de Maître Lo dans son restaurant, les révélations sur son passé d’assassin…) sont, une fois n’est pas coutume, amenées au bon moment et insérées de façon à ne pas perturber le récit, participant pleinement à la démonstration de mise en scène basée sur cette constante recherche d’équilibre et de dosage entre le loufoque et le sérieux que nous avons déjà mentionné plus haut. Operation Scorpio est conscient de ce qu’il est : une « bande dessinée live » dans laquelle chaque personnage, chaque scène n’est que le prétexte à divertir et à enthousiasmer, tout en conservant une écriture assez élaborée pour que l’on s’attache aux différents personnages et à leurs péripéties. Tout y est exagéré, la limite du fantaisiste et du burlesque y étant poussé dans ses derniers retranchements sans jamais perdre de vue que cet coté borderline doit servir le récit, et non pas l’inverse. Si l’on considère Operation Scorpio, en plus de son statut de divertissement d’action, comme une réflexion sur le genre et une mise en pratique d’un exercice de style encore peu abordé, on ne peut qu’applaudir devant l’indéniable succès de l’expérience. Et c’est de plus cette conscience qu’elle a d’elle-même qui fait de la pellicule une réussite. Operation Sorpio est un des meilleurs exemples du « film qui ne se prend pas au sérieux réalisé avec le plus grand sérieux », transpirant la bonne humeur et parvenant à nous la communiquer tout en faisant preuve d’un professionnalisme et d’une maitrise qui marquerons, comme nous l’avons dit, plusieurs réalisateurs des grands succès à venir. C’est uniquement le but que David Lai, Corey Yuen, Liu Chia Liang et Sammo Hung, se sont fixés en mettant sur pied cette sympathique série B sans prétention autre que de délivrer une histoire burlesque, des séquences de combat de haute volée et de personnages inoubliables. Objectif atteint.

LES PLUS LES MOINS
♥ Des chorégraphies inédites et anthologiques
♥ Un mélange entre action et burlesque savamment dosé.
♥ Une réunion des plus grands artisans du cinéma populaire hongkongais
⊗ Une photographie parfois trop saturée
⊗ Une bande son assez horripilante
Réunion des plus grands noms de la scène HK des années 80 et 90, Operation Scorpio propose des séquences de combats et des oppositions de style inoubliables et devenues cultes en elles-mêmes. Le film parvient à délivrer un spectacle haletant sans trahir le côté comics et burlesque qu’il met en image, plusieurs années avant que cela ne soit la tendance à suivre. Une réussite en matière d’équilibre, de créativité et de chorégraphie

LE SAVIEZ VOUS ?
• Toutes les illustrations dessinées à la main par le personnage de Yuk-shu dans le film ont été réalisées par Kar Lok Chin lui-même.

• La technique « Heaven’s Knife Whirlwind Kick » exécutée dans le film par Won Jin peut être utilisée comme technique de combat en incarnant le personnage Lei Wu-long dans les jeux suivants de la série Tekken : Tekken 4 (2001) ; Tekken 5 (2004) ; Tekken 5 : Dark Resurrection (2005) ; Tekken 6 (2007) ; Tekken Tag Tournament 2 (2011) ; Tekken 7 (2015). Dans ces jeux, il est appelé le « Comet Kick ».



Titre : Operation Scorpio / The Scorpion King / 蠍子戰士
Année : 1992
Durée : 1h36
Origine : Hong Kong
Genre : Comédie / Arts Martiaux
Réalisateur : David Lai
Scénario : David Chan, Barry Wong, Lui Sau-Fung

Acteurs : Chin Ka-Lok, Liu Chia-Liang, May Lo, Kim Won-Jin, Wu Fung, Victor Hon Kwan, David Lo, Frankie Chan, Yuen Shun-Yi, Tiffany Lau, Lawrence Lau

 Opération Scorpio (1992) on IMDb


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Auteur : Paul Gaussem

Si vous connaissez un film dans lequel un cow-boy solitaire et un barbare sanguinaire chassent des mutants venus d'ailleurs à l'aide de mecha sur les hauteurs du mont Wu Tang, faîtes moi signe ! Perdu dans un Milius en compagnie de Tsui Carpenter et Steven Otomo, je ne cherche plus à retrouver mon chemin.
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