[Film] Love Massacre, de Patrick Tam (1981)


A San Francisco, Ivy a une liaison avec deux hommes, dont un assassine les femmes de son immeuble…


Avis de Eric Draven :
Voici un film honteusement oublié. Il y a très peu d’informations circulant sur ce film, sur le net tout d’abord, mais aussi dans son pays d’origine. J’ai eu beaucoup de mal à me procurer ce film du fait de sa rareté. Je me suis tout d’abord renseigné au « HK film Institute » basé à Hong-Kong, mais ils n’avaient aucune copie du film. Pire encore, ils n’avaient aucun renseignement sur le film : aucun prospectus publicitaire, aucun wallpaper, aucune fiche disponible, rien. Le vide total ! Je me suis risqué à contacter directement Patrick Tam par mail, sans espérer avoir une réponse de sa part (je me souviens avoir été reçu avec un lance pierre lors d’une visite à la Workshop à HK). J’avais tort. Très gentiment, il m’a répondu, me disant qu’il n’avait aucune copie de ce film (il a juste le DVD français de « The Sword » et le DVD japonais de « Final Victory » en sa possession) et qu’il était désolé de ne pas pouvoir m’aider. Apparemment, aucun de ses films ne lui a donné entière satisfaction, il les considère comme de purs exercices cinématographiques et n’en a gardé aucune copie. Quoi qu’il en soit je me retrouvais coincé…

Bref, après de nombreuses galères, j’ai enfin pu y mettre la main dessus, mais dans une version non sous-titrée. Le résultat est vraiment impressionnant !!! Le film s’ouvre sur un superbe pré générique nous montrant Brigitte Lin marchant seule dans le désert. Tout de suite après, on passe directement sur le suicide d’une jeune fille s’ouvrant les veines après une rupture amoureuse avec son compagnon. Un long plan séquence sur un pont, une photographie superbe, des plans au millimètre montrent que Patrick Tam veut donner à son film une mise en scène originale et une structure nouvelle dans le cinéma de Hong Kong (comme tous les réalisateurs de la nouvelle vague). De nouveau, une coupure nette intervient : le générique s’ouvre, le changement des écritures se fait au rythme d’une musique géniale de Sky (reprenant une musique de Vivaldi), très proche du style des Goblin, (premier lien avec les films de Argento), un peu à la manière du piano rythmant celui de « Eyes Wide Shut » de Kubrick. Néanmoins, il y a très peu de chance que ce dernier ait vu « Love Massacre » pour avoir recopié l’idée.
Les liens avec Argento ne s’arrêtent pas à la musique. Tout au long du film, la couleur rouge vif, présente dans chacun des plans (la voiture, les draps, la robe, carreaux de la salle de bain …), renvoie directement à « Suspiria ». Ne parlons pas de la seconde partie du film qui est ni plus ni moins qu’un énorme slasher dont n’aurait pas renier l’auteur de « Phenomena ». Cette seconde partie est la plus intéressante du film : la tension, la violence graphique des meurtres (on voit la lame rentrer dans la chair en gros plan, encore un point commun avec Argento), le sadisme et les flots de sang déversés mettent le spectateur mal à l’aise. Conçu comme un immense jeu de massacre plutôt terrifiant, les personnages sont plongés dans un véritable cauchemar dont personne ne sera épargné (même les enfants y passent, poignardés dans des draps blancs). Il est d’autant plus étrange que le film, après le générique de début, commence comme une comédie romantique dans la veine de ce qu’a fait auparavant Brigitte Lin des dizaines de fois à Taiwan.

Elle hérite ici de l’un de ses rôles les plus intéressants de sa carrière. Elle n’a jamais été aussi belle, resplendissante, et livre l’une de ses meilleures performances. De ce fait, le triangle amoureux développé dans le film fonctionne très bien. Le final du film lui donne l’occasion de développer un large registre d’émotions différentes. Chang Kuo Shu (vu dans Butterfly Murders de Tsui Hark) est également très bon dans le rôle de l’amoureux jaloux et psychopathe, se transformant peu à peu en tueur en série. Grâce à lui, la tension du film est décuplée : on ne sait jamais de quoi son personnage est capable, comment il va réagir ou quand il va faire exploser sa rage et sa colère. Même si Charlie Shin est un peu plus effacé que ses partenaires, tous les personnages principaux sont très bien écrits et développés. Il est intéressant de remarquer que le film a été tourné aux USA, à San Francisco exactement, cela nous donne droit à de superbes plans désertiques ainsi qu’un cadre original pour cette terrifiante histoire.
La mise en scène et le niveau technique du film sont exceptionnels. Tous les plans du film sont hyper soignés et calculés, comme de véritables tableaux : composition des plans, cadres, poses et gestes des acteurs, teintes très élaborées grâce à des filtres de couleurs rappelant le superbe Green Snake. Je pense que Patrick Tam a envisagé son film comme une gigantesque expérimentation visuelle et une énorme réflexion sur l’art. Une scène dans laquelle les héros visitent un musée composé de tableaux basés sur la dualité des couleurs (présente dans chaque plan, trouvant son aboutissement lors de la scène finale avec les draps) vient renforcer cette idée.

En plus de Argento, on pourrait presque dire que sa mise en scène se rapproche d’un Malick pour le coté formel : chaque plan du film est un régal pour les yeux. Le plan de l’avion atterrissant sur un pont, juste au-dessus des voitures, est à ce titre réellement impressionnant et fascinant. Le rythme du film est calqué sur celui des montagnes Russes (d’ailleurs une des scènes du film se déroule à l’intérieur en vue subjective) : les deux parties bien distinctes (l’histoire d’amour puis le film d’horreur), les plans séquences très différents (superbes plans fixes très lents et plans en caméra portée très efficaces et tendus), une montée de la tension entretenue avec soin, dans un style proche de The Ring. Patrick Tam maîtrise son film à 200%, tant au niveau du rythme, que du visuel ou encore de la direction des acteurs. Malgré le look un peu daté des personnages et un petit passage à vide de dix minutes au milieu du film, Love Massacre est un authentique chef d’œuvre que nous avait livré Patrick Tam en 1981. Film oublié, maudit, j’ai fait cette critique pour justement rappeler à tous les fans de films de Hong-Kong que ce film existe, et qu’il mérite mieux que l’oubli et l’anonymat dans lequel il est tombé avec le temps.

LES PLUS LES MOINS
♥ Un des meilleurs rôles de Brigitte Lin
♥ Une superbe mise en scène
♥ La bande son
♥ Très bonne montée en tension
⊗ Un petit passage à vide
Note :
On parle souvent de « Night Caller » de Philip Chan comme le seul « giallo / slasher » réussi dans le paysage cinématographique de Hong-Kong. Sachez juste que Love Massacre lui est largement supérieur.



Titre : Love Massacre
Année : 1981
Durée : 1h30
Origine : Hong Kong
Genre : Slasher / Thriller
Réalisateur : Patrick Tam
Scénario : Joyce Chan

Acteurs : Brigitte Lin, Chang Kuo-Chu, Charlie Chin, Pong Yuen-Yuen, Ann Hui, Patrick Lung Kong, Deannie Yip, Tina Lau, Cheung Yeuk-Shu, Yau Kam-Yuk

 Ai sha (1981) on IMDb


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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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