L’Agent 999, un policier hongkongais, arpente la Chine aux trousses d’un voleur nommé Rolex. En suivant sa piste, 999 atterrit dans un village coupé du monde dirigé par un chef de police retors ayant trouvé un moyen sordide de nourrir la populace sous ses ordres…
Avis de Paul Gaussem :
En 1979, le grand et prolifique producteur-cinéaste Tsui Hark a tout juste trente ans et est à l’aube de sa carrière. Ayant réalisé un drama pour la télé hongkongaise (Golden Dagger Romance), c’est avec son premier long métrage, Butterfly Murders (1979) que le jeune auteur iconoclaste, malgré un flop financier conséquent, se place parmi les espoirs de la « Nouvelle Vague ». Ne pensant alors pas faire carrière tant sa vision du cinéma était hors des conventions et des standards usités jusqu’alors, Hark tente à peu près tout ce qui émoustille sa fibre créative. Ainsi, après avoir rendu un hommage à King Hu (A touch of Zen, Raining in the Mountain…) en revisitant le film noir et le wu xia pian, c’est sur le genre horror gore et la comédie sarcastique, le tout mêlé de kung fu, qu’il jette son dévolu pour sa deuxième réalisation : Histoires de Cannibales en 1980.
À l’image de son jeune réalisateur survolté et révolté, le film entend fracturer les barrières entre divers genres cinématographiques; les réviser afin de mieux se les approprier. Si l’on devait donner un mot d’ordre à la carrière de Tsui Hark, ce serait bien celui-ci : déconstruire le genre et le marquer de sa patte. Le wu xia pian avec Butterfly Murders, Zu et The Blade, le kung fu pian avec les Il était une fois en Chine, le polar avec L’Enfer des Armes ou Time and Tide, la romance avec The Lovers… Concernant Histoires de Cannibales, notre créateur s’influence des grandes œuvres ayant marqué la période, notamment Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper (1974), film d’horreur culte, sulfureux et novateur narrant les tribulations d’une famille de cannibales et Affreux, Sales et Méchants d’Ettore Scola (1976), satyre sociale, drôle et cruelle, sur le quart monde italien. Avec son village de mangeurs d’hommes, peuplés d’individus à la mine crasseuse et patibulaire, Tsui Hark est vraiment à la croisée des deux œuvres précitées, en puisant la substantifique moelle pour élaborer un récit loufoque et une ambiance mi-grotesque, mi-effrayante ; un mélange improbable et souvent raté mais qui, ici, fonctionne à merveille. Le tout est servi par un casting de premier choix : Norman Chu (Zu, les guerriers de la montagne magique, La 36e Chambre de Shaolin…) parvient très bien à jouer de la limite entre le sérieux et le ridicule pour camper son personnage de policier, courageux mais peu clairvoyant. Eddy Ko (Miracles Fighters, Duel to the Death…) tient parfaitement son rôle de voleur sans scrupule et Melvin Wong (Le Flic de Hong Kong 2, Le Sens du Devoir 2 et 3…) celui de criminel repenti, finalement le moins stupide du film.
Certaines scènes, telle la première séquence se déroulant à l’abattoir, dans laquelle une victime est démembrée et finit par être coupée en deux à la scie, sont particulièrement choquantes et gore – encore plus selon les standards de l’époque. Rappelons qu’il n’y a pas une goutte de sang dans Massacre à la Tronçonneuse. D’autres sont outrageusement hilarantes, à l’image de plusieurs scènes d’action où les protagonistes sont amenés à se montrer tous plus idiots les uns que les autres, débouchant sur des gags cruels mais bidonnants, comme cet homme masqué s’encastrant le crâne dans sa machette plantée dans un arbre en se relevant.
L’intrigue fonctionne et l’on prend plaisir à suivre l’Agent 999, obnubilé par la capture de Rolex, ne se doutant pas le moins du monde de ce qui se trame réellement dans le village. On n’a réellement pas le temps de s’ennuyer devant ce foutoir sans nom, osant toutes les outrances, que ce soit en terme de burlesque ou d’horreur quasiment jusqu’au-boutiste. L’humour cantonais fonctionne plutôt bien (sûrement grâce à son coté excessif et sans limites) et l’on se prend à rire de plusieurs situations, notamment celles, peu politiquement correct, impliquant un travelo immense et monstrueux, et ce, même si, à l ‘instar de votre serviteur, on est peu friand de l’humour type moleitau. Coté action, les chorégraphies de Corey Yuen (Le Sens du Devoir 2, La Légende de Fong Sai-Yuk…), véritable point fort du métrage, sont très inventives. Profitant de cet environnement riche en scies, machettes et autres instruments tranchants, Yuen et Hark concoctent des séquences dynamiques, imprévisibles, parfois même impressionnantes et souvent très drôles. La caméra de Hark est certes moins assurée que dans ses futures réalisations. La mise en scène et le découpage, quoique déjà très novateurs, sont encore un peu sages et classiques en comparaison de certaines de ses folies postérieures. Néanmoins, on sent une réelle aisance et une vision de cinéaste en pleine évolution et affirmation depuis Butterfly Murders, notamment au niveau de la précision du montage.
Le manque de budget est aussi souvent visible, notamment à cause de l’aspect répétitif de l’utilisation de certains décors. En gros, le film doit être tourné sur une cours, deux rues et un bout de forêt. La pellicule est souvent sale et l’étalonnage hasardeux selon les plans. Néanmoins, l’inventivité, la générosité et la confiance de Hark en ce qu’il propose est communicative et le film demeure une belle réussite, ovni parmi les ovnis tant notre génie du cinéma se complait à mettre en image tous ces excès violents et hystériques sans jamais tomber dans la lourdeur, ni les longueurs inopportunes. Dès le départ, beaucoup moins sage, posé et aérien qu’un Butterfly Murders, Histoires de Cannibales met en image le chaos, préfigurant de la sorte les nombreux chefs d’œuvres à venir chez Tsui Hark. Flop à sa sortie, comme beaucoup de réalisations du cinéaste revues à la hausse après coup, il ne resta que neuf jours en salles à Hong Kong. Il faut dire que l’attitude iconoclaste et bordélique d’un auteur tenant toujours à repousser les limites de l’imaginable et du « montrable » a de quoi en décontenancer plus d’un au premier visionnage. En bref, dès son deuxième film, Tsui Hark s’impose comme le roi inégalé du « whatzefuck »!
LES PLUS | LES MOINS |
♥ Des scènes d’action réussies et savamment concoctées ♥ Un rythme soutenu sans trop de longueurs ♥ Un mélange jouissif de bizarreries en tout genre |
⊗ Une photographie parfois approximative ⊗ Un humour plutôt gras |
Enfant dégénéré de Massacre à la Tronçonneuse et Affreux, Sales et Méchants, Histoires de Cannibales ravira tout amateur de bizarrerie décalée et déjantée. Le second coup d’essai d’un des plus grands cinéastes au monde… et l’essai, malgré des restrictions budgétaires visibles, est transformé ! |
LE SAVIEZ VOUS ?
• Une grande partie de la musique de We’re Going to Eat You est tirée du film d’horreur italien Suspiria. Tsui a déclaré que la raison de l’utilisation de cette musique existante à l’époque était qu’il n’y avait pas de budget pour une bande originale.
• We’re Going to Eat You est sorti le 2 avril 1980 et a rapporté 1 054 985,50 HK$ au box-office de Hong Kong. À la fin de l’année, il s’est classé à la 113e place des films les plus rentables de Hong Kong en 1980. C’est très peu par rapport à Dangerous Encounters of the First Kind (L’Enfer des Armes chez nous), qui a été le 33e film le plus rentable au box-office de Hong Kong en 1980. We’re Going to Eat You est sorti sous plusieurs titres, dont Hell Has No Gates, No Door to Hell, We Are Going to Eat You, We’re Going to Eat You ! et Kung Fu Cannibals. Tsui a critiqué le film lui-même, déclarant « qu’il n’a pas bien tourné ».
Titre : Histoires de Cannibales / We’re Going to Eat You / 地獄無門
Année : 1980
Durée : 1h32
Origine : Hong Kong
Genre : Kung Fu horrifique
Réalisateur : Tsui Hark
Scénario : Tsui Hark, Szeto Cheuk-Hon
Acteurs : Norman Chu, Eddy Ko, Melvin Wong, Michelle Yim, Fung Fung, Cheung Miu-Lin, Hon Kwok-Choi, San Kuai, Tai Bo, Lee Chun-Wa, To Siu-Ming, David Wu