[Avis] Rumah Dara, de Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto

Titre : Rumah Dara / Macabre
Année : 2009
Durée : 1h34
Origine : Indonésie / Singapour
Genre : The Jakarta Chain Saw Massacre

Réalisateur : Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto a.k.a. The Mo Brothers

Acteurs : Julie Estelle, Shareefa Daanish, Ario Bayu, Imelda Therinne, Sigi Wimala, Daniel Mananta, Ruli Lubis, Mike Muliadro, Arifin Putra, Dendy Subangil

Synopsis : Adjie (Ario Bayu) et Astrid (Sigi Wimala) passent une dernière soirée en compagnie de leurs amis avant de quitter le pays pour s’installer en Australie. Astrid est alors enceinte de 8 mois. La fête touchant à sa fin, le groupe s’installe dans un van afin de rejoindre Jakarta en pleine nuit. Au moment du départ, les jeunes fêtards croisent une belle et mystérieuse femme qui s’appelle maya (Imelda Therinne). Elle semble avoir été violentée et elle demande à ce que le groupe fasse un détour afin de la raccompagner chez elle. Une fois arrivés au domicile de Maya, Adjie et ses amis font connaissance avec la mère de celle-ci, Dara (Shareefa Daanish), une femme élégante et à la beauté juvénile … C’est alors le début d’une lente et douloureuse descente aux enfers …

Avis de Laurent : Le cinéma d’Asie du Sud-est prend petit à petit une dimension inédite dans le domaine du genre horrifique. Cette nouvelle géopolitique de la bidoche met donc en concurrence tout un tas d’obscures productions fauchées face aux blockbusters japonais et coréens. Ce sont cependant toujours ces derniers qui monopolisent depuis des années les vidéothèques des cinéphiles louches. Au niveau purement qualitatif, La Malaisie, l’Indonésie et les Philippines ont encore du chemin à parcourir pour rivaliser avec ce qui se fait de mieux. Le pire côtoie souvent le « pas mal » mais le film de référence se fait malheureusement encore attendre. Pourtant les thématiques fascinent et le contexte social et religieux de ces pays permet de s’approprier des sujets originaux … Seulement, le manque de moyens et la présence de cinéastes limités à la réalisation ne permettent pas au genre de s’émanciper au-delà des frontières de ces pays. Aujourd’hui, cette injuste lacune est comblée par Rumah Dara, re-titré Macabre pour l’international, brillant slasher inspiré du classique The Texas Chain Saw Massacre de Tobe Hooper dans lequel les réalisateurs Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto (a.k.a. The Mo Brothers pour les intimes) vont devenir les nouveaux maîtres étalons du genre à l’échelle du continent asiatique.

Inconnus du grand public, Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto ont fait leurs premières armes sur le court-métrage Dara en 2007 qui posait la base de leur fascinant Rumah Dara dont il est aujourd’hui question. Seulement, la transposition sur une longue durée de cet obscur court-métrage va être accompagnée par des fonds étrangers. En effet, la production vient de Singapour et on retrouve même le très respectable Eric Khoo (réalisateur de Be With Me présenté à Cannes en 2005) dans la longue liste des producteurs … Ce panasiatisme n’est pas étonnant lorsque l’on connaît les liens culturels et économiques qu’entretiennent Jakarta, Kuala Lumpur et la cité-État de Singapour dans la région. Rumah Dara n’est alors que le fascinant résultat de cette coopération. L’Indonésie connaît actuellement un dynamisme incroyable au sein de sa production cinématographique avec un vivier de talents qui ne demande qu’à confirmer. Singapour, la plaque tournante incontestable et incontestée des financiers de la région, peut investir sans avoir à subir la censure très forte appliquée par les autorités locales.

Rumah Dara centre son récit sur un groupe de jeunes adultes raccompagnant Maya, une belle jeune femme traumatisée par une agression. Celle-ci insiste pour que ses sauveteurs viennent faire connaissance avec Dara, sa mère dont l’épiderme est étonnamment épargné des affres de la vieillesse. Dara est mystérieuse, fascinante et angoissante. Malgré le désir de rentrer sur Jakarta, le groupe prend place autour de la table familiale afin de partager un copieux repas … Sans doute le dernier. En effet, cette mise en scène sera les prémices à une succession de meurtres tous plus horribles les uns que les autres. Rumah Dara ne révolutionnera pas, dans le fond, le sous-genre horrifique qu’est le slasher. Même si la maturité et l’âge des victimes apportent du crédit supplémentaire par rapport à la moyenne de la concurrence, on retrouvera toujours cette succession de meurtres plus horribles les uns que les autres ainsi que ses personnages stéréotypés. Les situations grotesques et les réactions incompréhensibles des différents protagonistes sont et resteront toujours la base de ce type de film peu regardant sur la profondeur du scénario. Ce qui fait la force de Rumah Dara réside dans la mise en scène absolument impeccable des frères Mo avec un sens incroyable du cadre et une appropriation totale d’un climax ultra-oppressant. Morbide, violent, gore, révoltant … Rumah Dara use et abuse des qualificatifs subversifs. Les meurtres théâtralisés au possible sont d’une richesse et d’une variété salutaires dans ce genre codifié au possible. Vivisection à la tronçonneuse, décapitation, chasse à l’homme à l’arbalète, défonçage de mâchoire à la crosse de fusil … l’amateur de sensations fortes en aura forcément pour son adrénaline. Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto, que l’on découvre un peu par hasard, s’installent désormais comme les grands cinéastes du genre dans la région avec le réseau de techniciens affutés comme nulle part ailleurs qui va avec. Les productions Rapi Films qui ont inondés les salles indonésiennes durant les années 80 font désormais partis de la préhistoire pelliculaire. Terminé les SFX bricolés et autre débrouillardise exotique. Rumah Dara est tout simplement parfait dans sa maîtrise des maquillages, de la pyrotechnie et de la boucherie. Si on associe à cela des plans millimétrés, une photographie claustrophobique et une bande son oppressante, vous comprendrez aisément la sensation machiavélique qui envahit vos pupilles et anesthésie votre nerf auditif à la vue de cette pépite.

L’autre pilier essentiel à la bonne tenue de Rumah Dara réside dans son casting absolument impeccable à l’exception de quelques seconds rôles qui cabotinent légèrement. Deux personnages crèvent l’écran au sens propre comme au figuré. Tout d’abord Julie Estelle au nom étonnamment franchouillard dans le rôle de la femme forte victimisée à l’extrême. Une courte recherche permet de déchiffrer son métissage harmonieux puisque son père se révèle être franco-américain et sa mère sino-indonésienne. Sa plastique se détériore au fur et à mesure des coups qu’elle reçoit dans la tronche mais sa prestance est pleine d’assurance et de maturité pour une actrice totalement inconnue du grand public. Pourtant, elle peut déjà se vanter d’une filmographie intéressante et axée sur le cinéma d’horreur. L’autre révélation de Rumah Dara est liée au personnage de Dara incarnée par Shareefa Daanish. Son habituel physique de Lolita a été laissé au congélateur pour faire place à une métamorphose radicale. Cette transformation est aussi bien liée à son physique qu’à sa personnalité transcendée pour l’événement. Dara est une sirène démoniaque au jeu sobre et millimétré. L’étrangeté de sa plastique fascine autant qu’elle met mal à l’aise. Son personnage de Dara lui assure désormais une sacré carte de visite quant à sa capacité à incarner des rôles aux antipodes de ce qu’elle semble représenter. Sacré trouvaille !

En définitive, Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto redonnent un intérêt au slasher en transposant dans un cadre exotique un classique incontesté du genre. Quand The Texas Chain Saw Massacre rencontre le folklore exotique d’une Indonésie culturellement complexe à saisir, cela donne un Rumah Dara saisissant et brutal. Peu original dans le fond mais totalement maîtrisé dans la forme, cette nouvelle référence dans l’épouvante asiatique promet pour l’avenir et servira sans doute de modèle pour tout une pépinière de réalisateurs qui ont dorénavant un bel exemple de ce qu’il est possible de faire.

Note : 8/10

 

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Auteur : Laurent

Un des membres les plus anciens de HKmania. N'hésite pas à se délecter aussi bien devant un polar HK nerveux, un film dansant de Bollywood, qu'un vieux bis indonésien des années 80. Aime le cinéma sous toutes ses formes.
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