[Semaine Western] Jour 6 : Le Grand Silence, de Sergio Corbucci (1968)


Dans la province de l’Utah, aux Etats-Unis. Le froid extrême de cet hiver 1898 pousse hors-la-loi, bûcherons et paysans affamés à descendre des forêts et à piller les villages. Les chasseurs de prime abusent de cette situation. Le plus cruel se nomme Tigrero. Mais un homme muet, surnommé « Silence », s’oppose bientôt à eux…


Avis de Cherycok :
Considéré par bon nombre de fans et de spécialistes du genre comme un des meilleurs westerns spaghettis, il était normal de retrouver Le Grand Silence (1968) d’un des maitres du genre, Sergio Corbucci, pour cette semaine spéciale Western. D’autant plus que s’il y a un western atypique, non conformiste, c’est bien lui, ne serait-ce que parce qu’il va préférer le froid glacial des montagnes enneigées comme décor plutôt que l’habituelle chaleur étouffante des déserts. Les westerns ayant fait ce choix sont plutôt rares (La Chevauchée des Bannis, Jeremiah Johnson, John McCabe), et pourtant l’esthétique visuelle qui en découle est simplement marquante. Quand on connait l’amour de Tarantino pour les western spaghettis, il y a fort à parier qu’il se soit inspiré de ce Grand Silence pour sa scène dans la neige de Django Unchained ou tout simplement pour son Hateful Eight avec lequel il comporte bien des points communs. Mais une chose est sûre, c’est que Le Grand Silence n’est pas un western comme les autres. Sergio Corbucci va pervertir les codes du genre, les titiller, les triturer, tout en prenant toujours soin de les respecter. Et le résultat final est tout simplement sublime. Le Grand Silence est un grand film.

Sergio Corbucci a touché à tous les genres dans sa carrière. Les mélodrames, les péplums, les comédies, les films policiers, et j’en passe. Mais c’est clairement dans le western spaghetti qu’il a laissé son empreinte. Considéré comme un des trois piliers du genre avec Sergio Leone (la Trilogie du dollar, la trilogie Il Etait Une Fois) et Sergio Sollima (Colorado, Saludos Hombre), on lui doit des westerns tels que Django (1966), Navajo Joe (1966), Le Mercenaire (1968), Compañeros (1970) ou encore Le Grand Silence (1968) qu’il décide de faire après avoir pris conscience que le genre commençait à s’épuiser. Le succès de la trilogie du dollar de Sergio Leone ayant eu un tel impact dans le cinéma mondial, les western spaghettis ont envahi les écrans italiens au milieu des années 60. En l’espace de quelques années, ce sont plusieurs centaines de films du genre qui ont vu le jour et ça a très vite commencé à tourner en rond. Corbucci a eu bien conscience des limites du genre et a décidé qu’il était temps de les repousser. C’est ainsi qu’est né Le Grand Silence, un western sombre, noir, pessimiste, à l’ambiance oppressante. Un film qui va par la suite en inspirer beaucoup, de Joe Kidd (1972) de John Sturges, à Ruggero Deodata pour son Cannibal Holocaust (1980), en passant par les frères Coen (pour Fargo), Clint Eastwood (Gran Torino) ou encore, comme stipulé précédemment, Quentin Tarantino. Il se voudrait même que le film Goyokin : La Terreur des Sabaï (1969) de Hideo Gosha, sorti quelques mois après, serait un hommage au film de Corbucci. Mais ce n’est pas tout puisque le personnage principal de la bande dessinée Durango de Yves Swolfs est inspiré par celui qu’incarne Jean-Louis Trintignant dans Le Grand Silence.

Atypique, Le Grand Silence l’est immédiatement avec ses décors neigeux. On ne parle pas ici de la petite neige, mais bel et bien d’amas de neige dans lesquels les chevaux s’empêtrent et ont du mal à trotter, où les diligences menacent de se renverser au moindre coup de blizzard. Une neige pure, blanche, qui va contraster avec le ton noir, nihiliste, désespéré du film. Sergio Corbucci va utiliser à merveille ce climat glacial et créer une ambiance froide, presque spectrale, où les décors vont servir de congélateur géant à des cadavres très vite recouverts par la neige qui tombe en abondance. Une neige immaculée mais qui ne le restera pas longtemps et qui ne fera que plus ressortir le rouge du sang qui va couler. Le Grand Silence est un western qui n’a rien de joyeux, qui ne fait preuve d’aucun humour. Ici, c’est le pessimisme qui prime. Le ton est désespéré, à l’image de son héros fataliste et impuissant, et nous fait ressentir une grosse amertume. Rarement un western aura poussé le nihilisme aussi loin. Rarement un western nous aura montré un final aussi glaçant, sorte de théâtre de mort d’un film laissant toute leur place aux raclures, où les hommes laissent ressortir ce qu’ils ont de plus primaire en eux, faisant la part belle à la violence sèche, sans concession, qu’on a l’habitude de voir chez Corbucci. Ajoutez à cela une musique crépusculaire de Ennio Morricone, et vous obtiendrez un des westerns spaghettis les plus marquants qui soient.

Marquant, Le Grand Silence l’est également grâce à ses personnages. Jean-Louis Trintignant tout d’abord, pas habitué à ce genre de rôle, dans son personnage au passé traumatisant nous expliquant pourquoi il est dans l’incapacité de parler. Un personnage mutique, as de la gâchette, mais complètement dépassé par la réalité dans laquelle il évolue, où les riches notables vont jouer de leur pouvoir pour faire bannir les plus pauvres de la société juste pour acquérir leurs terres, en mettant leur tête à prix ; où les chasseurs de prime sont avides de massacre, même pour toucher une maigre récompense, le tout sous couvert de la loi. On retrouve le toujours flippant Klaus Kinski (Fitzcarraldo, Aguirre La Colère de Dieu) dans un rôle qui l’est tout autant, parfait avec sa gueule de l’emploi en chef de file de ces chasseurs de prime qui saute sur la moindre occasion de faire du pognon, aussi immonde soit-elle. Un personnage très tendancieux car toujours dans les clous des lois. Des lois horribles car allant dans le sens de ceux qui ne cherchent que le profit et le pouvoir. Et puis il y a le shérif, interprété par Frank Wolff (Il Etait une fois dans l’Ouest, Salvatore Giuliano), seul personnage réellement positif du film, qui représente la vraie justice, mais qui n’est au final qu’un pantin qui n’a aucun pouvoir dans une société où c’est la loi du plus fort, la loi de celui qui a le pognon, la loi de celui qui a de quoi se payer des gens pour faire le sale boulot.

Marquant, Le Grand Silence l’est également par sa mise en scène. Le rythme assez lent du film en devient vite hypnotisant, avec ses longs plans sur ces carrioles qui se déplacent, sur ces chevaux qui pataugent dans tant de neige, sur ces moments de silence glaçants. Il va s’éclater avec ses cadrages. Tantôt plans ultra larges, permettant d’admirer les superbes paysages montagneux, ce village semblant figé dans la neige, … Tantôt ultra serrés, du genre à quatre dans une diligence, nous permettant de ressentir l’ambiance tendue, parfois électrisante, de ses scènes. Les images sont fortes, certaines séquences tiennent du baroque, et chaque scène nous fait passer par tout un tas d’émotions, que ce soit des moments très durs (le flashback) ou très tendres (la relation entre le héros et la jeune Pauline). Comment rester insensible à ce massacre final… Comment rester insensible à cette société corrompue qui nous est présentée, où les gens qu’on a appauvris pour leur prendre leur terre sont forcés de voler pour se nourrir (« Des bandits m’ont pris mon cheval pour le manger ») et qu’on va les punir pour ça en mettant leur tête à prix ; où le Capitalisme nous est présenté dans ce qu’il a de plus horrible. Peut-on y voir là un parallèle avec la politique de l’époque du pays ? Est-ce que le film est un brulot désespéré contre le gouvernement italien des années 60 ? Une chose est sûre, c’est qu’il est question ici de chasseurs, de proies et de charognards, et que l’épilogue final risque d’en secouer plus d’un.

LES PLUS LES MOINS
♥ Une ambiance unique
♥ Le casting, impeccable
♥ Le score d’Ennio Morricone
♥ Tension qui monde crescendo
⊗ …
Avec Le Grand Silence, Sergio Corbucci signe sans doute son meilleur film et un des meilleurs westerns spaghettis. En choisissant de localiser son histoire dans des montagnes enneigées et en faisant le pari d’adopter un ton résolument nihiliste, il signe un western atypique, fort, et surtout marquant.

LE SAVIEZ VOUS ?
• Selon la rumeur, Jean-Louis Trintignant aurait accepté le rôle uniquement pour faire plaisir à un ami producteur du film. Il aurait émis comme condition qu’il n’ait aucun texte à apprendre, et ça serait pour cela que son personnage est dans l’incapacité de parler. Une autre rumeur dit que c’est parce que Trintignant était incapable de parler anglais
• Les producteurs, ayant trouvé la fin beaucoup trop sombre, avaient demandé à Corbucci une fin bien plus optimiste. Elle fût tournée mais n’aurait pas été retenue tant elle est invraisemblable. Il se dit que Corbucci l’aurait volontairement bâclée afin qu’elle ne soit pas retenue au montage. On peut la voir dans les bonus qui accompagnent la plupart des éditions DVD / BR.
• La série japonaise de 1973/1974 Oshi Samurai : Kiichi Hôgan est un remake du film Le Grand Silence. L’histoire est celle d’un maitre épéiste Kiichi Hogan qui part à la recherche d’un épéiste espagnol qui a tué ses parents et lui a coupé la gorge lorsqu’il était enfant.
• Le personnage joué par Klaus Kinski est en partie calqué sur celui de Gorca, joué par Boris Karloff, dans Les Trois Visages de la Peur (1963).
• [SPOILERS ALRT] La scène finale où Silence, Pauline et les hors la loi sont assassinés par Tigrero et sa bande a été conçue par Sergio Corbucci comme une référence explicite à la mort d’Ernesto ‘Che’ Guevara et Malcolm X.


Titre : Le Grand Silence / Il Grande Silenzio
Année : 1968
Durée : 1h45
Origine : Italie / France
Genre : Le Grand Western
Réalisateur : Sergio Corbucci
Scénario : Sergio Corbucci, Vittoriano Petrilli

Acteurs : Jean-Louis Trintignant, Klaus Kinski, Frank Wolff, Luigi Pistilli, Vonetta McGee, Mario Brega, Carlo D’Angelo, Marisa Merlini, Raf Baldassarre

 Le grand silence (1968) on IMDb


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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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