[Film] Subdue The Devil, de Zhou Tian-Hu (2022)


Zhou Chu, ayant acquis des pouvoirs surnaturels depuis sa plus tendre enfance n’en finit pas d’insupporter par son comportement les habitants du Comté de Wu. Cependant, face à la menace grandissante d’une meute de tigres démoniaques, celui devra affronter son destin et prendre les décisions qui s’imposent.


Avis de Paul Gaussem :
Dans le flot des DTV produits en Chine continentale actuellement, il est parfois dur de s’y repérer, voire même de faire une réelle différence entre les diverses propositions, souvent interchangeables, tant au niveau visuel que narratif, et se succédant les unes les autres à un rythme effréné. C’est d’autant plus le cas concernant les genres très codifiés du wu xia pian et du kung fu pian, soit des films d’époque aux chartes graphiques peu dissemblables d’une production à l’autre. Seulement, de temps à autre, quelques une de ces réalisations à tout petit budget, n’ayant pas d’autres ambitions que d’étoffer les sélections des diverses plateformes de streaming chinoises (Youku, iQiYi), sortent leur épingle du jeu. C’est le cas de Subdue The Devil qui, sans être – loin de là – un grand film, offre un court et plaisant spectacle, se distinguant par un coté bis assumé et un traitement assez particulier de ses personnages, du moins au départ.

Tiré d’un ouvrage patrimonial datant de l’ère Song (420-479) intitulé Shishuo Xinyu (Shih-shuo Hsin-yü: A New Account of Tales of the World), Subdue the Devil narre les tribulations fortement romancées d’un personnage historique, le général Zhou Chu (236-297), devenu le héros d’un conte dont le titre pourrait signifier « éradiquer les trois fléaux ». Les trois fléaux en question sont une bande de tigre-démons en rivalité avec les hommes, un dragon géant… et Zhou Chu lui-même. Et c’est bien évidement ce que le film, réalisé par Zhou Tianyu (ayant mis la même année en scène un piètre remake du chef d’œuvre de Ronny Yu La Mariée aux Cheveux Blancs), s’emploie à mettre en images. Zhou Chu, dans le conte comme dans le film, est dépeint comme l’un des grands maux infligés aux habitants du Comté de Wu, déjà menacés par une horde de tigres pouvant prendre forme humaine et le dragon que nous venons de mentionner. Seulement, la région ne doit son salut qu’à la troisième de ses catastrophes : Zhou Chu, jeune garçon dont la cruauté et la violence n’ont d’égales que sa force, acquise petit grâce aux pouvoirs de la pierre du Tianxing. Après un affrontement dantesque avec le fils du roi des tigres, qu’il vaincra, s’engage alors un conflit ouvert avec ce dernier, logiquement assoiffé de vengeance.

2022 est donc, en Asie, une année pendant laquelle les combats entre humains et tigres ont fait des émules. On mentionnera notamment le sublime RRR de l’indien S.S. Rajamouli et le sympathique Mutant Tiger du chinois Liu Wen-Pu. Ici aussi, le film s’ouvre sur l’affrontement entre Zhou Chu, campé par le jeune He Yu, et un tigre blanc qui, malgré certains effets numériques médiocrement incrustés, fait tout de même le taf. Les potards du bis sont au maximum et Zhou Tianyu est totalement décomplexé, laissant les CGI (à la chinoise, mais réellement honnêtes) et sa caméra donner consistance à tous les excès qu’il semble pouvoir imaginer. Pour l’exemple, on pourra admirer He Yu saisir le pauvre tigre par la queue et le balancer de gauche à droite afin que celui-ci s’écrase contre le sol à de multiples reprises. La scène, se basant sur des tons rouges et bleus, installe une ambiance très comic book. On l’aura compris : nous sommes ici devant un Marvel made in China qui, à la vue de son budget de plusieurs centaines de fois moindre que ceux de ses homologues américains, n’a franchement pas à rougir du résultat. Nous ne savons si Zhou Tianyu avait pu, à l’heure de tourner, visionner le combat opposant un tigre géant à N.T. Rama Rao Jr. dans RRR mais l’on est forcément obligé d’y penser, tout comme l’on se remémore une scène fameuse de La Bataille de la Montagne du Tigre (Tsui Hark, 2104). Quelques minutes plus tard, ce seront des bobines telles que La Rage du Tigre (Chang Cheh, 1971) ou le plus récent Rise of the Legend (Roy Chow Hin Yeung, 2014) qui, lorsque notre anti-héros affronte à lui seul une centaine d’adversaires dans une ruelle étroite, se rappellent à notre bon souvenir. Seulement, Zhou Tianyu, bien qu’appliqué, n’est ni Liu Chia-Liang, ni Corey Yuen et sa direction de l’action, mollassonne et attendue, ne convainc pas. En effet, les acteurs ne sont visiblement pas des artistes martiaux et le kung fu en est réduit à sa portion congrue. La caméra, oscillant constamment entre plans aériens pris au drone et plans moyens cassant les mouvements (ou cachant de mauvaises performances ?) finit par ennuyer.

Mais ceci n’est pas l’intérêt du film. Subdue the Devil n’est ni un véritable wu xia pian, ni un authentique kung fu pian. Non. La note d’intention est claire : concevoir un efficace film de super-héros se déroulant à l’époque médiévale. Rien de plus, ni de moins. Le réalisateur prend donc beaucoup plus d’aisance à filmer ses protagonistes à la force surhumaine, s’envoyant toutes sortes de rayons et autre boules de feu à la figure avant de s’envoler dans les cieux, que de les voir rivaliser de dextérité martiale. La première partie de l’intrigue est donc bien divertissante et même souvent très drôle. Beaucoup de fun, de touches d’humour inattendues et efficaces (le ton étant d’ailleurs plus proche des blagounettes d’un Taika Waititi que celui d’un moleitau). Exemple : un petit garçon observe avec admiration Zhou Chu, s’approchant de lui au ralenti après avoir terrassé un dragon géant… pour simplement lui voler la barbe à papa qu’il avant dans les mains. On s’amuse aussi à voir notre délinquant sous stéroïdes faire voler ses opposants d’une simple pichenette ou en les agrippant par les testicules. La chose est bien faite, les effets plutôt convaincants, la photographie très honorable (très clipesque ou « snyderienne », comme elle l’est dans nombre de productions chinoises ces derniers temps) et, de plus, ça ne se prend pas au sérieux. Globalement très sympathique donc.

Cependant, les choses se gâtent quelque peu par la suite. Le Comté de Wu est envahi par les tigres démoniaques, menés par un Danny Chan (Man on the Edge, Ip Man 3 et 4, Shaolin Soccer, Crazy Kung Fu…) toujours impeccable – qui a d’ailleurs laissé notre héros pour mort. Zhou Chu, finalement vivant, doit se remettre en question et véritablement choisir son camp. Il doit devenir le héros libérateur que le peuple attend et cesser de se comporter comme un voyou. Le film change alors de ton et devient plus solennel, voire larmoyant… et logiquement, ce qui faisait l’intérêt du métrage disparait dans le même temps. Non pas que le tout devienne mauvais… mais simplement terriblement classique. Notre coquin de Zhou se réforme, comprend le sens de sa mission et la responsabilité qu’impliquent ses pouvoirs (cc Spiderman), combat le roi tigre et met fin à sa tyrannie. Rideau. Retour au présent : un petit garçon, inspiré, regarde un spectacle de marionnettes traditionnel avec son père dans lequel sont repris les événements que nous venons de voir. Zhou Chu, Patrimoine Chinois. Zhou Chu, Gloire Nationale. Zhou Chu, le troisième fléau, héros imparfait mais nécessaire, finalement seul défenseur de la patrie contre les invasions étrangères et belliqueuses (bonjour la propagande). Zhou Chu, réponse chinoise, honorable mais fauchée, au mastodonte Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux (Destin Daniel Cretton, 2021). À vrai dire, pourquoi pas ?

LES PLUS LES MOINS
♥ Un certain sens de la démesure
♥ Un humour efficace
♥ Une réalisation soignée
⊗ Une rupture de ton inopportune
⊗ Une direction de l’action limitée

Après une première moitié des plus satisfaisantes, Subdue the Devil s’enlise par la suite dans une trame et un propos plus classiques. Davantage qu’un véritable kung fu pian, le film semble se vouloir une réponse aux blockbusters super héroïques américains. Inégal mais bienvenu.



Titre : Subdue The Devil / 浪子降魔
Année : 2022
Durée : 1h22
Origine : Chine
Genre : Action / Drame / Fantasy
Réalisateur : Zhou Tian-Hu
Scénario : Wang Jun, Zhou Tian-Yu

Acteurs : He Yu, Danny Chan, Tang Ben, Jerry Liau, Lu Yong, Wu Da-Ke, Li Xiao-Bo, Han Mo, Xu Zhong-Yi, Shi Zhan-Biao, Liu Yu-Chen, Leng Hai-Ming, Tie Niu


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Auteur : Paul Gaussem

Si vous connaissez un film dans lequel un cow-boy solitaire et un barbare sanguinaire chassent des mutants venus d'ailleurs à l'aide de mecha sur les hauteurs du mont Wu Tang, faîtes moi signe ! Perdu dans un Milius en compagnie de Tsui Carpenter et Steven Otomo, je ne cherche plus à retrouver mon chemin.
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