[Film] Possessor, de Brandon Cronenberg (2020)

Tasya Vos est agent au sein d’une organisation secrète utilisant une technologie neurologique afin d’habiter le corps de n’importe quelle personne, et la pousser à commettre des assassinats aux profits de clients très riches. Mais tout va se compliquer pour Tasya lorsqu’elle va se retrouver coincée dans le corps d’un suspect involontaire dont l’appétit pour le meurtre et la violence dépasse le sien de très loin.


Avis de Rick :
Autant vous dire que je suis de près la carrière de Brandon Cronenberg. Non seulement car il est le fiston de David Cronenberg (qui a donc arrêté sa carrière après le moyen Maps to the Stars), mais parce que son premier essai derrière la caméra, Antiviral, qui date déjà mine de rien de 2012, m’avait convaincu à presque 100%. L’influence de son père était belle et bien présente, dans les thématiques (la chair, les virus), parfois dans l’approche filmique quasi clinique, mais il y avait également plus. Brandon Cronenberg amène en effet un côté actuel à son œuvre. Non pas que son père David ne le faisait pas, Videodrome est de plus en plus d’actualité au fur et à mesure des années, mais Brandon Cronenberg semble vouloir en faire un élément crucial de son œuvre. Ce que vient confirmer son second long métrage prévu pour 2020 sur lequel j’ai pu poser mes petits yeux pleins d’étoiles et d’espoirs. Après Antiviral et sa société vendant des virus ayant appartenu à des stars à leurs fans (les fans, c’est con, je l’ai toujours dit haha), il va plus loin avec Possessor, tout en gardant sa ligne de conduite qui fait froid dans le dos, puisque plaçant son film dans un univers réaliste, et donc rendant le tout plausible.

Possessor, c’est l’histoire d’une société plutôt secrète qui utilise une technologie avant d’envoyer l’esprit d’une personne dans le corps de quelqu’un d’autre afin d’accomplir des meurtres commandités. Et Brandon Cronenberg met en scène ce procédé de manière très réaliste, rendant crédible sa machine, son concept. L’on pourrait me dire que la CIA utilise véritablement cette machine que je le croirais. Et en y réfléchissant deux secondes, cela fait clairement froid dans le dos. Si l’on reste dans le fond dans des thématiques déjà explorées par son père, le réalisateur le fait à sa sauce, avec un côté bien plus actuel. Car si le propos est le concept sont réalistes, Brandon Cronenberg n’hésite pas à foncer tête baissée dans un rendu visuel parfois agressif et surréaliste, qui rappelle le cinéma de Panos Cosmatos (ça tombe bien, ils ont commencés leur carrière presque en même temps, et on tous les deux seulement deux métrages à leur actif). D’ailleurs, Possessor a du casting de choix. Andrea Riseborough tient le rôle de cette agent qui va dans le corps d’autres personnes, après avoir été victime dans Mandy chez Cosmatos. À ses côtés, on trouve dans l’agence Jennifer Jason Leigh, qui avait joué pour le père Cronenberg dans eXistenZ, et du côté des manipulés et autres victimes, Christopher Abbott que j’avais découvert dans l’excellent It Comes at Night en 2017, et le toujours prêt à mourir quoi qu’il arrive Sean Bean (Goldeneye, Games of Throne, Silent Hill).

Un casting solide donc, mais derrière la caméra, une équipe solide également, puisque la photo est gérée par Karim Hussain, qui s’était déjà occupé d’Antiviral, mais aussi du génial Hobo With a Shotgun, et que l’on retrouve à la musique Jim Williams (le splendide score musical de Grave, de Julia Ducourneau). Et avec un budget sans doute limité, vu le propos du film et son style plutôt particulier, cette équipe parvient à livrer un film solide, et même mieux, un film qui nous retourne, nous interroge, et qui va nous scotcher sur la fin. Dès le début, on est absorbé d’ailleurs par cette ambiance froide, lente, limite contemplative, jusqu’à ce que seulement quelques minutes après, nous subissons, comme les personnages, un premier excès de violence gore et rentre-dedans. Possessor n’est pas un film qui va nous ménager, à aucun niveau. Que ce soit dans son histoire, dans son rythme, dans sa violence, dans sa nudité même, le film ne fait absolument aucune concession. Et tant mieux, cela renforce clairement son impact. D’Antiviral, l’on retrouve un côté très froid dés que le métrage se déroule au sein de la société clé du film, même si les décors échangent le blanc immaculé et médical pour un noir sombre. Le blanc médical de la société visible de tous contre le noir de la société secrète inconnue du public. C’est facile certes, mais ça fonctionne, et ça donne clairement une identité visuelle au film. Film qui n’en oublie pas pour autant de nous laisser souffler, comme lors de ces échanges entre Tasya (Andrea Riseborough) et sa patronne, Girden (Jennifer Jason Leigh), ou encore avec sa famille, son mari Michael et son fils Ira. Des moments plus calmes, plus simplistes également dans la mise en image, mais qui montrent le quotidien des personnages, et donc, la psychè de Tasya, ses remords, ses peurs, et finalement, son envie de retourner au travail coûte que coûte. Comme si elle se sentait vivante dans le corps d’un autre, en ressentant des émotions qui ne lui appartiennent pas, même si cela veut dire qu’elle devra encore une fois affronter la mort.

Car pour pouvoir revenir dans son propre corps, son corps de substitution doit obligatoirement mourir. D’ailleurs, comme nos le prouve le film, ne doit-elle pas déjà laisser son propre corps mourir afin d’en rejoindre un autre ? Un peu comme une boucle éternelle. Sauf que forcément, rien ne va se passer comme prévu. Et à ce stade, on touche sans doute le point le moins convaincant du métrage, sans que cela ne soit vraiment un défaut (quoi que ?). Dans sa narration et certains choix importants, Possessor se fait classique, peut-être un peu trop. Le contrat qui tourne mal, le personnage censé mourir qui reste en vie, ne comprend rien mais va chercher à se venger comme pour reprendre le contrôle sur sa vie, contrôle qu’il avait perdu depuis plusieurs jours lorsque Tasya était en lui. Toutes ces thématiques ne sont pas nouvelles. Mais la façon de les mettre en image elle, l’est assurément, tant Brandon Cronenberg décide de ne pas nous ménager. La violence est radicale, limite gore par moment, et n’hésite pas à être ultra frontale, voir choquante par moment, notamment lors de son final. Lors de l’utilisation de la machine, et donc, du changement de corps, et plus tardivement, de quelques hallucinations qui seront importantes pour le cheminement du récit et des personnages, Brandon Cronenberg décide de nous agresser à nouveau, visuellement, avec un montage plus speed, désorganisé, des objectifs déformants, des couleurs bien plus vives, un usage du son beaucoup plus assourdissant. Le spectateur est comme bousculé, très souvent, par des idées de mise en scène, par des idées de narration, par une violence aussi brute qu’expéditive, et par moment une mise en avant de la sexualité frontale aussi, et cela donne clairement des images inoubliables, des images fortes qui nous hantent. Malgré un lien toujours évident avec le cinéma de David Cronenberg (qui ne disparaîtra sans doute jamais), Brandon Cronenberg prouve néanmoins qu’il cherche à s’en éloigner dans sa manière de mettre en image, et y parvient ici, avec un style plus agressif. Chapeau en tout cas, car son film, sans être parfait, m’aura marqué.

LES PLUS LES MOINS
♥ Un concept génial
♥ Une ambiance cauchemardesque
♥ Des images marquantes
♥ Certains excès de violence
⊗ Quelques éléments narratifs bien trop classiques
note2
Le but était de nous plonger dans un cauchemar surréaliste à base d’assassinat et de changement de corps, et Possessor de Brandon Cronenberg y parvient. Les images sont marquantes, la violence et le sexe présents et parfois dérangeants, et le film marque les esprits.



Titre : Possessor

Année : 2020
Durée :
1h42
Origine :
Canada
Genre :
Science Fiction
Réalisation : 
Brandon Cronenberg
Scénario : 
Brandon Cronenberg
Avec :
Andrea Riseborough, Jennifer Jason Leigh, Christopher Abbott, Sean Bean, Tuppence Middleton, Kaniehtilo Horn et Rossif Sutherland

 Possessor (2020) on IMDb


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Auteur : Rick

Grand fan de cinéma depuis son plus jeune âge et également réalisateur à ses heures perdues, Rick aime particulièrement le cinéma qui ose des choses, sort des sentiers battus, et se refuse la facilité. Gros fan de David Lynch, John Carpenter, David Cronenberg, Tsukamoto Shinya, Sono Sion, Nicolas Winding Refn, Denis Villeneuve, Shiraishi Kôji et tant d'autres. Est toujours hanté par la fin de Twin Peaks The Return.
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