[Film] Les Monstres de l’Apocalypse, de Tetsuya Yamanouchi (1966)


Durant une période sombre du Japon féodal, le général Yuki Daijo et son complice le sorcier Orokimaru trahissent leur souverain, le seigneur Ogata. Assaillant son château, ils l’assassinent lui et son épouse afin de l’évincer du trône. Son jeune fils, le prince Ikazukimaru, est alors exfiltré de la place forte assiégée par des hommes de confiance. Lors de leur fuite, un dragon géant et vindicatif fait irruption et attaque leur embarcation mais un oiseau, lui aussi de taille conséquente, sauve le jeune héritier d’une mort certaine. Recueilli et élevé par un maître en arts martiaux et en pratiques magiques (ninjitsu) pendant dix ans, celui-ci acquiert des capacités martiales et surnaturelles hors du commun. Son maître se fait alors sournoisement tuer par Orokimaru qui, jadis son disciple, s’était emparé d’un parchemin secret permettant la transformation en créature géante. Ikazukimaru, découvrant ses origines et le martyr familial, décide de venger ses parents et son sensei. Lors de ses tribulations, il croisera le chemin de Sunate, jeune orpheline à la recherche de son père et devra mettre hors d’état de nuire les hommes, mais aussi les monstres, qui veulent l’empêcher de reprendre les rênes du pays.


Avis de Paul Gaussem :
Dragons, grenouilles et araignées géantes, ninjas et samouraïs, sorciers volant dans les airs, boules de feu et autres anneaux luminescents, il n’en faut plus (n’est-ce déjà pas assez ?) pour que The Magic Serpent – Kairyu Daikessen en japonais, Les Monstres de l’Apocalypse dans nos contrées – attire l’attention de tout amateur de Tokusatsu (film à SFX nippon) bien décomplexé. Et l’amateur, à n’en point douter, ne sera pas déçu. Mélange jouissif, mais somme toute assez rare, entre le chambara (film de sabre japonais) et le kaiju ega (film de monstres géants), ce métrage de 1966, dont la volonté de convenir à tout public freine les effusions de sang typiques du genre, est hélas quasiment inconnu en Europe. Une simple édition DVD est, semble-t-il, très difficilement accessible, voire indénichable. Au mieux trouverez-vous quelques rares affiches françaises en vente ici et là et une version VF intitulée Ninja Apocalypse – à ne pas confondre avec son homonyme de 2014 – sur un site d’hébergement et de partage français ainsi qu’une version anglaise, bien plus regardable, chez un concurrent américain. The Magic Serpent, importé aux Etats-Unis par l’American International Pictures, a connu, à l’instar de quelques autres titres – The X from Outer Space (Kazui, Nihonmatsu, 1967) ou les productions Daiei telles que la saga des Gamera (1965-1971) et celle des Daimajin (1966) – quelques diffusions télévisées. Il est ainsi davantage réputé outre-Atlantique. De fait, il serait bon qu’un éditeur français se penche sérieusement sur sa réédition tant ce tokusatsu des familles, honorable survivant d’une époque révolue, brille par sa générosité et sa poésie intemporelle.

Affirmons-le de suite sans ambages : il faudra au spectateur une bonne dose de crédulité et une capacité d’enchantement assez enfantine pour apprécier le métrage à sa juste valeur. Beaucoup pourront être décontenancés devant le kitch suranné des SFX proposés, conçus de manière artisanale avec un budget logiquement restreint. Certains pourront encore déclarer que le film n’est qu’un nanar ayant subi les affres du temps. Seulement, ceux-là même seraient-ils prêts à déclarer que la Dynamation et la Stop Motion de Ray Harryhausen (Sindbad, Jason et les Argonautes…) ne vaut pas tripette comparé à la CGI des blockbusters actuels ? Si l’affirmation est déjà plus que discutable, elle est en plus injuste et fait preuve d’une méconnaissance confondante de l’évolution des techniques cinématographiques ainsi que de l’ingéniosité dont ces pionniers ont fait preuve. Quant aux friands et connaisseurs des codes esthétiques et visuels des tokusatsu et autres kaiju eiga, il y a fort à parier qu’ils reconnaitront dans The Magic Serpent l’un des fleurons de l’âge d’or du genre. Hélas, le film n’ayant laissé que très peu de traces, il n’est pas aisé de recueillir des informations précises concernant le staff technique et autre département des SFX ayant concouru à sa réalisation. Avouons aussi que, bien que de facture honorable et éminemment sympathiques, ces derniers ne sont pas à la hauteur du travail d’un Eiji Tsuburaya, illustre responsable des effets spéciaux des productions Toho (Godzilla) et créateur de la licence Ultraman  (dont le dernier opus, annoncé pour 2022, réalisé par Shinji Higuchi et écrit par Hideaki Anno, s’annonce très convaincant à la vue des derniers trailers). Néanmoins, Le réalisateur Tetsuya Yamanouchi semble connaître ses limites budgétaires et techniques et, en artisan efficace et polyvalent, délivre un spectacle de très bonne facture si on le compare aux standards de l’époque. D’ailleurs, les informations concernant notre homme sont tout aussi parcimonieuses.

Réalisateur affilié au studio Toei, mythique institution davantage portée sur la production de chambara, d’anime (Mazinger Z, Voltron …), de metal heroes et autres sentai (Kamen Rider, X-Or…) et ayant laissé la production de kaiju eiga à sa rivale la Toho, seule capable de débloquer les budgets nécessaires à leur mise en œuvre, il est lui aussi quasiment inconnu en France. Sa filmographie, pour un cinéaste japonais, est d’ailleurs assez sommaire. Né en 1934 et décédé en 2010, sa carrière de réalisateur s’étend de 1964 à 1995, période durant laquelle il fut essentiellement engagé par la Toei afin de réaliser des chambara comme Ninja-gari (Ninja Hunt) en 1964 ou Mondosoke Sanban Shobu (1965). Son dernier fait d’arme est la réalisation d’un spin-off sur Kagero Ogin, la fameuse kunoichi (femme ninja) interprétée par Kaoru Yumi dans la mythique et interminable série télévisée Mito Komon (42 saisons entre 1969 et 2011), véritable institution dans l’archipel nipponne. Notons aussi sa participation à l’élaboration des scenarii des différents volets de la saga des Jirocho Sanguki de 1963 à 1965, adaptant la vie du chef yakuza Shimizu Jirocho à l’écran. Autre fait notable : l’incursion de notre réalisateur sur le terrain du cinéma HK avec Nacha and the Seven Devils (1973), wu xia pian co-produit par la Shaw Brothers et la Jih Mao Film Company.
The Magic Serpent n’est donc pas un film « d’auteur » et émane essentiellement d’une volonté de la Toei. Le projet est ce qu’il est convenu de nommer un « film de studio ». L’intrigue est basée sur une légende du folklore japonais, Jiraiya Gokestsu Monogotari, titre phare du théâtre kabuki au XIXe siècle relatant les aventures d’un maître de ninjitsu combattant des forces maléfiques en chevauchant des créatures géantes. Le but du film, essentiellement commercial, est de démontrer – s’il le fallait encore après des films tels que Prince of Space (Eijiro Wakabayashi, 1959-1962) ou encore Les Envahisseurs viennent de la mer avec le regretté Sonny Chiba (Hajime Sato, 1966) – le savoir-faire de l’illustre maison en matière de tokusastu et, pourquoi pas, de tenter une incursion dans le genre du kaiju eiga, alors monopole de la Toho. Et force est de constater que la Toei et Yamanouchi n’ont pas lésiné sur les moyens et se sont assurés d’offrir au public un spectacle ultra-rythmé et riche en scènes toutes plus imaginatives et audacieuses les unes que les autres.

En une petite poignée de minutes et avant même le générique, nous avons droit à l’attaque d’un château par une escouade de ninjas (dont les plans panoramiques installant l’ambiance et le décor sont de toute beauté), de quelques meurtres suivis de l’apparition d’un dragon aquatique que vient combattre un oiseau géant. Le ton est directement donné et ne faiblira pas durant les 81 minutes de la pellicule. En effet, s’ensuit un flot impressionnant de séquences à l’imagination débordante qui, bien que souvent loufoques, ne sont jamais gagnées par le ridicule (si toutefois l’on sait appréhender ce type de productions pour ce qu’elles sont). Notre héros Ikazukimaru (Hiroki Matsukata, figure légendaire du chambara ayant fait une dernière apparition dans le 13 Assassins de Takashi Miike en 2010 avant sa disparition en 2017) se voit attaqué puis décapité par une horde de ninjas. Qu’à cela ne tienne ! Ce dernier pose sa tête sur un tronc d’arbre et abat ses opposants avant de la faire voler dans les airs jusqu’à ce qu’elle retrouve sa place initiale. Un peu plus tard, il convoque le fantôme de son défunt père et, à coups d’éclairs et d’explosions occasionnant un changement d’étalonnage astucieux (prenant pendant quelques minutes des tons bleutés), il vient à bout de la bande de son ennemi Yuki Daijo (Bin Amatsu) à l’aide d’un lasso phosphorescent enserrant les belliqueux. Au cours du film, il sera aussi enfermé dans une pièce, cerné et attaqué par des portes volantes pour une séquence du plus bel effet. Tout cela se poursuit jusqu’à l’ultime combat de kaiju impliquant un dragon, une grenouille et une araignée se battant à coup de flammes et de jets d’eau; détruisant et incendiant le château seigneurial mentionné plus haut.

Les combats ponctuant le métrage sont très correctement chorégraphiés et habilement – et classiquement – montés. Certains pourront arguer que plusieurs faux raccords se glissent ici et là mais ceux-ci n’entachent en rien le plaisir que l’on prend à suivre les aventures de nos protagonistes. En revanche, nous sommes en terre nippone. De fait, les amateurs de combats câblés et du style virevoltant et aérien des chorégraphes HK type Yuen Woo-Ping ou Ching Siu-Tung devront se contenter d’opposition plus terrestres (malgré quelques rares envolées et sauts, d’ailleurs effectués essentiellement à l’aide d’incrustations). Les seuls câbles que l’on puisse apercevoir sont finalement ceux animant les kaiju lorsqu’ils ne sont pas assez bien intégrés au décor. Néanmoins, cela ne suffit pas à amoindrir la satisfaction née de ce spectacle généreux et inventif ; surtout si, à l’instar de votre serviteur, vous êtes un amoureux des SFX « maison » et bricolés comme est susceptible de nous les offrir un véritable cinéma d’artisan. Pyrotechnie, incrustations, effets optiques, tout l’éventail des techniques de trucage alors connues est ici utilisé afin de soumettre notre regard à un émerveillement de chaque instant. Le tout est d’ailleurs sublimé par une photographie soignée, rappelant le grain chaud des péplums, western et autres wu xia pian de la période, renforçant efficacement l’aspect intemporel et délicieusement kitsch du film. Nous sommes bien devant du cinéma, du vrai, et de plus sans prétention, visiblement passionné par ce qu’il propose. Et on ne peut nier que la passion est communicative. Avouons que, par ces temps de vaches maigres et de CGI envahissante et aseptisée, cela fait le plus grand bien.

Pour finir, malgré son statut de petite pépite quasiment inconnue, The Magic Serpent semble avoir laissé un héritage, et pas des moindres. En effet, cette histoire au sein de laquelle un vieux sage est trahi par son disciple ayant voué l’utilisation de son art à des dessins funestes, mais charge un autre de ses élèves, plus jeune et loyal, de mettre fin à son règne maléfique, n’est pas sans rappeler les relations entre Yoda, Luke Skywalker et Darth Vador. Et la chose devient plus que probable lorsque l’on apprend que Orukimaru (Ryutaro Otomo), le méchant de service, n’est autre que le père de la jeune Sunate (Tomoko Ogawa), devenant alors « l’ancêtre-prototype » d’une certaine princesse galactique. Lorsque l’on sait à quel point Georges Lucas fut inspiré par le cinéma japonais et que l’on connait son amour notoire pour Akira Kurosawa (mais aussi pour le cinéma chinois de Chang Cheh), on ne serait pas étonné en apprenant que le créateur de Star Wars ait lui aussi fortement apprécié The Magic Serpent.

LES PLUS LES MOINS
♥ Un mélange délectable de chambara et de Kaiju Eiga
♥ Un rythme soutenu
♥ Des SFX au charme intemporel
♥ Une inventivité sans cesse renouvelée
⊗ Une disponibilité problématique
⊗ Un aspect quelque peu nanardesque pour certains (ce n’est pas notre cas)
Véritable friandise visuelle, The Magic Serpent saura surpendre même le plus avisé et curieux des cinéphiles. Ce mélange jouissif d’arts martiaux, de romance, de fantasy et de kaiju eiga mérite largement le coup d’œil et la réédition.

LE SAVIEZ VOUS ?
• Le crapaud géant de Jiraiya a été utilisé dans une autre production de Toei sur le thème des ninjas, la populaire série télévisée Kamen no ninja Aka-Kage (1967), comme monstre de la semaine.



Titre : Les Monstres de l’Apocalypse / The Magic Serpent / 怪竜大決戦
Année : 1966
Durée : 1h26
Origine : Japon
Genre : Chambara Fantasy
Réalisateur : Tetsuya Yamanochi
Scénario : Masaru Igami, Mokuami Kawatake

Acteurs : Hiroki Matsukata, Tomoko Ogawa, Ryûtarô Ôtomo, Bin Amatsu, Nobuo Kaneko, Izumi Hara, Kensaku Hara, Masataka Iwao, Seizô Fukumoto, Akira Shioji

 Les monstres de l'apocalypse (1966) on IMDb


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Auteur : Paul Gaussem

Si vous connaissez un film dans lequel un cow-boy solitaire et un barbare sanguinaire chassent des mutants venus d'ailleurs à l'aide de mecha sur les hauteurs du mont Wu Tang, faîtes moi signe ! Perdu dans un Milius en compagnie de Tsui Carpenter et Steven Otomo, je ne cherche plus à retrouver mon chemin.
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