[Film] La Vie d’O’Haru Femme Galante, de Kenji Mizoguchi (1952)


Pour avoir osé aimer un homme de plus basse condition alors qu’elle était promise à un mariage arrangé, Oharu se verra bannie de la cour de Kyoto. Sa vie ne sera ensuite que déception et misère.


Avis de Yume :
La vie d’Oharu : Femme galante est une tragédie dans le plus pur sens du terme. La vie de cette héroïne ne cessera de suivre la spirale de la déchéance malgré ses efforts et sa vitalité. D’ailleurs, la fin du film est annoncée dès le début, où une femme âgée, fatiguée par la vie, et vagabonde se remémore son passé à la vue d’une statue dans un temple bouddhiste. Une vie qui passera de l’enfance dorée à sa condition miséreuse actuelle. Le ton est tout de suite donné, et Mizoguchi trouve ici un sujet qui lui permet de tourner ce qui restera un de ses films les plus noirs et sordides avec Les femmes de la nuit.

Il faut dire que le scénario de La vie d’Oharu, femme galante tenait vraiment à cœur à Mizoguchi. Il avait d’ailleurs quitté les studios Shochiku car ces derniers refusaient de financer le film à la fin des années 40 jugeant le film trop cher. Et leurs craintes se sont révélées à posteriori fondées, car le tournage de La vie d’Oharu connu de larges dépassements de budget du fait de la minutie de reconstitution voulue par Mizoguchi, tant et si bien que la Shintoho, productrice du film, fit pression sur Mizoguchi pour accélérer la finition de la dernière partie du film quitte à la bâcler. Mais heureusement, Mizoguchi ne céda pas et réussit à garder la main mise sur ce film, qu’il considérait lui-même comme sa réussite majeure. Ce côté maniaque de la reconstitution minutieuse sert le film avec une rare force. Mizoguchi réussit ici l’incroyable tour de force de reconstituer, en studio (il n’aimait pas tourner en extérieur afin de garder un contrôle total sur tous les éléments), le Japon du XVII siècle.

De la cour aristocratique de Kyoto au plus minable des quartiers pauvres, le soin apporté aux décors et costumes est ahurissant de détails et de vérité. Et cette approche techniquement irréprochable permet de mettre en exergue le destin d’Oharu et le rendre plus réel. Mizoguchi a ainsi voulu raconter la vie d’une femme sur plusieurs décennies, sa lente mais implacable chute vers la misère pour avoir voulu aimer. Car Oharu, si elle est victime, ne l’est que de la privation totale de libre arbitre dont elle souffre tout le long de sa vie. Fille d’aristocrate promise à un mariage arrangé mais doré, elle tombera dans les bras d’un homme de caste inférieur. Et pour avoir écouté son cœur, et donc bafoué les conventions, elle sera bannie à jamais, laissée pour compte à une vie d’errance et de rencontres qui scelleront son tragique destin. Un sujet en or massif, miroir parfait de l’approche féministe du cinéma de Mizoguchi. La fatalité qui s’acharne sur Oharu résulte de l’esclavagisme moral et des conventions d’étiquettes imposées par les hommes. En effet, quel que soit l’angle sous lequel le spectateur prend les différentes étapes de la vie d’Oharu, il n’y a qu’une seule conclusion : chaque chute vers les tréfonds de la misère est due au machisme radical de la société. Même les quelques lueurs d’espoir entrevues à certains moments se terminent par une déconvenue énorme, entraînant Oharu encore plus bas.

Cette lente et tragique déchéance est filmée sur un mode neutre, entendez par là qu’a aucun moment Mizoguchi ne trahit une quelconque tendresse pour Oharu ou une quelconque dureté envers ceux qui la trahissent et se jouent d’elle. Son regard de réalisateur est froid et rigoureux ; à en faire peur. Cette objectivité, constante chez Mizoguchi film après film, donne au film un réalisme effrayant, cru et parfois sordide. La Vie d’Oharu, femme galante, est donc avant toute chose une formidable analyse sociologique et affective. On ne peut que pleurer devant chaque revers de fortune qui frappe sans relâche la pauvre Oharu, on ne peut que frémir d’horreur devant le douloureux mécanisme de soumission totale que les japonais imposaient à leurs femmes. C’est cela la force du film, créer des sentiments forts chez les spectateurs tout en maintenant un regard complètement objectif, réaliste et détaché sur le destin de cette femme blessée par la vie, dont l’interprète est aussi à elle seule une des raisons de la réussite majeure que constitue La vie d’Oharu, femme galante. Pour la douzième fois, Mizoguchi a en effet choisi de laisser le rôle-titre à son actrice favorite, Kinuyo Tanaka. Incarnation parfaite de Oharu, se vieillissant au fur et à mesure du film sans réels artifices, son jeu donne toute la dimension de l’accumulation du poids des épreuves que traverse son personnage. Du sourire radieux du début du film, à la démarche courbée et peu sure de la fin, Kinuyo Tanaka fonde ici une grande partie de sa légende. A ses côtés, il faut aussi noter la courte, et seule incursion dans la filmographie de Mizoguchi, du désormais légendaire Toshiro Mifune.

LES PLUS LES MOINS
♥ Une reconstitution minutieuse
♥ L’approche féministe
♥ La mise en scène précise
♥ Kinuyo Tanaka
⊗ …
Tour de force majeur dans une filmographie d’exception, La Vie d’Oharu, femme galante ne souffre d’aucun défaut. A la fois attachant et révoltant, ce pamphlet mizoguchien mérite sans hésitation sa place dans toute vidéothèque qui se respecte. Une pièce rare dans laquelle le dernier regard d’Oharu à la caméra et à la vie ne cessera de vous hanter.



Titre : La Vie d’O’Haru Femme Galante / The Life of Oharu / 西鶴一代女
Année : 1952
Durée : 2h28
Origine : Japon
Genre : Tragédie
Réalisateur : Kenji Mizoguchi
Scénario : Yoshikata Yoda, Kenji Mizoguchi

Acteurs : Kinuyo Tanaka, Ichirô Sugai, Tsukie Matsuura, Toshirô Mifune, Eitarô Shindô, Sadako Sawamura, Hiroshi Oizumi, Jûkichi Uno, Masao Shimizu

 La vie d'O'Haru femme galante (1952) on IMDb


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Auteur : yume

Un bon film doit comporter : sailor fuku, frange, grosses joues, tentacules, latex, culotte humide, et dépression. A partir de là, il n'hésite pas à mettre un 10/10. Membre fondateurs de deux clubs majeurs de la blogosphere fandom cinema asitique : « Le cinema coréen c’est nul » World Wide Association Corp (loi 1901) et le CADY (Club Anti Donnie Yen).
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