[Film] Bodied, de Joseph Kahn (2017)

Adam, un étudiant blanc issu des beaux quartiers, déchaîne les passions lorsqu’il décide de rejoindre le monde provocateur des rap battles, au grand dam d’Anna, sa petite amie féministe et possessive…


Avis de John Roch :
Joseph Kahn n’est en apparence pas un réalisateur prolifique. De son premier à son dernier, ce sont seulement trois longs métrages qu’a à son actif le metteur en scène, et pas des moindres. Kahn a commencé avec Torque : La Route s’Enflamme (tes yeux aussi), wanna be Fast and Furious avec des motos avec lequel il s’est foutu la honte, mais qui a gagné avec le temps un statut de film culte au States (pas impossible que j’y revienne un jour). Puis il y a eu Detention, qui commence comme un Slasher, finit comme un Slasher, au milieu c’est un festival de mélange des genres très fun et d’une inventivité de tous les instants, qui fut également l’un des premiers films à quitter la période nostalgique ultra rabâchée des 80’s pour un hommage à la décennie suivante. Mais là où Kahn est prolifique, c’est dans le milieu du clip, avec 140 music videos à son actif, un joli palmarès qui compte des collaborations avec Britney Spears, Taylor Swift, The Backstreet Boys, U2, Korn, Rob Zombie, Jennifer Lopez, Faith No More, Kylie Minogue, DMX ou encore Eminem. Eminem justement, qui produit et participe à l’écriture du troisième et dernier long métrage en date de Joseph Kahn : Bodied, qui se déroule dans le milieu des battles de rap. Autant prévenir tout de suite, si vous êtes allergique chronique au Hip-Hop, vous pouvez passer votre chemin, ce qui serait fort dommage car Bodied est le genre de film qui a tellement à offrir dans le fond que s’arrêter à la forme ne serait pas lui rendre justice. De justice, il n’y en a pas concernant sa visibilité qui se limite à Youtube uniquement, Bodied étant la première exclusivité Youtube Red, alors que le métrage aurait gagné à être découvert sur le plus grand écran possible, avec le son à un volume à s’en faire péter les tympans.

Si depuis sa création dans les années 70 le Hip Hop est passé de contre et de sous culture à culture de masse, le monde des battles de rap, bien qu’il commence à faire de plus en plus parler de lui notamment en France avec les Rap Contenders, reste encore relativement confidentiel. C’est pourtant là que l’on retrouve ceux qui en veulent, qui ont de la punchline à revendre, loin de ce qu’est devenu le genre musical de nos jours. Si l’on met de coté 8 Miles dont le final était une série de battles mémorables et qui ont fait l’effet d’une bombe (il n’est pas rare de m’entendre hurler 313 fuck Free World les soirs de pleine lune), les battles de rap ne sont pas un sujet abordé au cinéma, et Bodied s’impose comme le film définitif sur cet univers, et bien plus. Univers dans lequel pénètre Adam, étudiant en lettres qui prépare une thèse sur les battles de rap et de l’utilisation du mot en N par plusieurs ethnies au seins de ceux-ci. Naturellement doué pour les rimes et l’improvisation, il est pris sous l’aile de Behn Grimm, homme respecté du milieu, qui va l’initier à cette discipline où les apparences sont trompeuses, non pas sans dommage sur sa personnalité puisqu’en participant à la violence des joutes verbales des battles, il va passer au sein de son univers de blancs privilégiés pour un raciste, un homophobe et un misogyne en plus d’être accusé d’appropriation culturelle. Dans la forme, Bodied est un récit initiatique, qui s’articule autour d’un homme qui perce dans un monde qui n’est pas le sien, avec ce que ça apporte de réussite, de chute, de résurrection et d’amitié qui se développe pour mieux se briser. On va donc suivre Adam et sa nouvelle bande de potes : son mentor Behn donc, mais aussi Devine Whright, femme Afro-Américaine, Prospek Coréen-Américain et Che Corleone, un Hispano-Américain, puis un genre d’ennemi commun : Megaton, un colosse qui non seulement à un flow intimidant mais est du genre à mettre ses adversaires au tapis au sens figuré mais aussi au sens propre. Tous ont une personnalité propre et savent à quoi s’exposer en participant à des battles, une exposition aux pires des clichés qu’ils bravent en surenchérissant lorsque leurs tours viennent. Les battles justement, Bodied est une merveille d’écriture. Les joutes sont tout simplement hallucinantes et jamais un film n’a contenu autant de punchlines à la seconde, de vannes qui fusent de partout de référence à la pop culture. Le film a été écrit par des gens du milieu, et cela se ressent, il est également tourné avec des gens du milieu, car tout les aspirants rois du battle game sont joués par de vrais pros de la discipline, et encore mieux, ils sont tous crédibles dans leur rôle respectif. Une écriture aux petits oignons donc, chacun des battles étant présenté et filmé comme de véritables combats, dans une mise en scène toute en retenue par un Joseph Kahn que l’on aura connu plus fou, ce qui n’empêche pas une inventivité dans ses plans, son montage, et des effets rajoutés en post-prod qui illustrent à la perfection les flows incessants qui se déroulent sous nos yeux ébahis. Des affrontements lyriques absolument incroyables, souvent très drôles, tout comme le film dans son entièreté, qui prennent une ampleur magistrale dans les 40 dernières minutes, une succession de battles par moments loufoques, mais aussi parfois d’une brutalité et d’une violence verbale complètement folle, un enchaînement de punchlines, de rimes et de vannes qui prend aux tripes au point d’en avoir les larmes aux yeux. Soyez prévenu, Bodied n’est pas à mettre un soir avant d’aller se coucher, c’est un tel concentré de hargne, de lyrics maîtrisés et de réflexion qu’on en ressort rincé mais surexcité.

Réflexion justement, car dans le fond, Bodied est également une merveille. Rien n’est laissé au hasard, ainsi à travers les personnages, les situations et les battles, Joseph Kahn passe au lance flamme la société actuelle, en particulier celle de la génération woke, qui a décrété savoir mieux que les générations précédentes ce qui est choquant ou non dans la société, mouvement qui est pour la reconnaissance des minorités cultuelles, ethniques, raciales et sexuelles tout en étant contradictoire dans ses idées et pensées. C’est via le personnage de Maya, la petite amie de Adam, et de ses amis que Kahn incarne sa critique acide de cette génération, elle qui ne fait qu’entendre sans pour autant comprendre et contextualiser les insultes misogynes et prétendues racistes, quand elle ne déforme tout simplement pas les propos (Adam lui parle d’homophone, elle entend homophobe) ou diffuse des vidéos des clashs d’Adam en les sortant de leurs contextes. Kahn interroge sur cette génération qui a, mine de rien, installé un certain climat de terreur dans une société où chaque phrase, mot ou comportement vont être analysés, interprétés puis jugés et critiqués. De l’autre coté, c’est le pouvoir des mots et les conséquences qu’ils peuvent avoir qui est abordé, du cliché au stéréotype en passant par des propos réellement racistes. Les échanges entre les différents personnages et les vannes lancées sont si stigmatisés dans la société actuelle que le film en devient une œuvre transgressive, qui ose frontalement se moquer tout en remettant en question la légitimité de sortir de tels propos. C’est la tout le génie de Bodied, de confronter les membres d’une société où prône le politiquement correct et l’auto censure à un milieu où il n’ y a aucune règle et aucun respect, et où toutes les origines et communautés en prennent dans les dents, tant que les propos restent sortis pendant les battles, tout en en exposant les limites des deux univers, et interroge le spectateur sur la notion de racisme, de misogynie et d’homophobie : où s’arrête la vanne, où s’arrête le respect, où commence le monde à réellement devenir raciste, homophobe ou misogyne ?

Bodied dézingue également l’appropriation culturelle, utilisée à tout va par les wokes pour dénoncer un soi-disant pillage des cultures minoritaires par une autre qui est considérée comme dominante, un concept qui n’a aucun sens puisque l’on peut être blanc (culture dominante) et être imprégné de la culture hip-hop (culture issue d’une communauté minoritaire) et être extrêmement talentueux dans le domaine. Ce que le dernier plan de Bodied nous rappelle car arrivée la dernière phrase du métrage et son générique de fin, celui-ci prend une autre dimension et devient non pas une suite spirituelle, ou un reboot comme il est souvent mentionné, mais une variation de 8 Miles. Sans pour autant être à la gloire d’Eminem (qui en prend aussi pour son grade), ce qui tient du rappeur est en total accord avec le reste de Bodied, qui renvoie à son amour pour la manipulation des mots et les galères qu’il a du traverser pour se faire respecter dans le milieu du Hip Hop. Un final qui inverse la vapeur et rappelle ce que l’un des rappeurs les plus talentueux de sa génération (et des suivantes) a dû subir comme méfiance et de préjugés sur sa couleur de peau, de racisme et d’accusation d’appropriation culturelle. C’est sans compter sur le fait que Marshall Mathers était né pour être rappeur, et est encore aujourd’hui l’un des seuls à encore accorder de l’importance aux mots, aux métaphores et aux rimes multisyllabiques (écoutez Godzilla pour voir que ce n’est pas en parlant vite que l’on brise le record du monde de mots enchaînés à la seconde, ça va bien au-delà). C’est ce talent qui a déjà à l’époque mis tout le monde d’accord et à prouvé que de se revendiquer d’une culture, aussi minoritaire soit elle, n’est pas une question de couleur et d’appropriation, mais de talent, de passion de compréhension et d’appréciation.

Ps : une pensée particulière pour celui qui a été en charge des sous-titres Français de Bodied. Bien qu’un bon niveau d’anglais est recommandé pour apprécier pleinement le film, il faut néanmoins saluer l’effort d’adaptation qui a dû nécessiter un boulot de dingue et un sacrifice de quelques touffes de cheveux. Respect, sous-titreur, respect.

LES PLUS LES MOINS
♥ Les battles de rap
♥ Une écriture incroyable
♥ Des punchlines en veux-tu en voila
♥ Les 40 dernières minutes divines qui prennent aux tripes
♥ La mise en scène
♥ Thématiquement chargé et intelligent
♥ Une durée de 2h00 parfaite, sans temps mort ni rien à jeter
♥ Calum Worthy Crédible en rappeur
♥ Le casting de rappeurs crédibles en tant qu’acteurs
♥ Le reste du casting
♥ Des personnages excellents
♥ La bande son qui démonte
⊗ Disponible uniquement sur Youtube
⊗ Malgré tout les efforts fait pour les sous-titres, un bon niveau d’anglais requis pour savourer les battles comme il se doit
Que les allergiques au Hip-Hop ne fuient pas, Bodied est tout simplement incroyable. Un film intelligent dans les thématiques qu’il aborde, servi par une incursion dans le monde du battle de rap à l’écriture tout simplement exceptionnelle. Deux heures de pur bonheur pour les yeux, les oreilles et le cerveau.

LE SAVIEZ VOUS ?
• Dizaster, qui joue Megaton, a réellement frappé un adversaire lors d’ un battle.

• Alors qu’ il préparait Bodied, joseph Kahn avait annoncé travailler sur un reboot de Sauvez Willy.

• bien que Bodied soit une exclusivité Youtube Red, Eminem a organisé deux séances ciné à Detroit, avec des places offertes par ses soins aux premiers arrivés sur les lieux.



Titre : Bodied
Année : 2017
Durée : 2H00
Origine : U.S.A
Genre : ultime
Réalisateur : joseph Kahn
Scénario : joseph Kahn, Alex Larsen et Dizaster

Acteurs : Calum Worthy, Jackie Long, Rory Uphold, jon Park, Walter Perez, Shoniqua Shandai, Dizaster, Charlamagne Tha God, Anthony Michael Hall

 Bodied (2017) on IMDb


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Auteur : John Roch

Amateur de cinéma de tous les horizons, de l'Asie aux États-Unis, du plus bourrin au plus intimiste. N'ayant appris de l'alphabet que les lettres B et Z, il a une nette préférence pour l'horreur, le trash et le gore, mais également la baston, les explosions, les monstres géants et les action heroes.
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