[Film] Vorace, de Antonia Bird (1999)

Durant la guerre États-Unis-Mexique, le capitaine Boyd est envoyé aux confins du pays, dans une contrée où des meurtres d’une monstruosité inouïe se succèdent, attribués à un militaire cannibale rendu fou par le froid et les privations.


Avis de John Roch :
Antonia Bird s’est retrouvée sur sa première et dernière production Hollywoodienne par un concours de circonstance. Vorace était au départ prévu pour Milcho Manchevski, qui quitta le navire 2 semaines après le début du tournage suite à des rapports conflictuels avec la production. Production qui voulait parachuter Raja Gosnel à la barre, idée contre laquelle l’équipe du film s’est insurgée et on les comprend, il faut dire que le cinéaste qui n’avait qu’à son actif Maman je m’occupe des méchants et Collège Attitude ne semblait pas être l’homme de la situation. La présence d’Antonia Bird, on la doit à Robert Carlyle qui a su imposer la réalisatrice avec qui il avait collaboré par deux fois dans le passé à l’occasion de Priest et Face. À sa sortie en 1999, Vorace est un échec commercial et critique avec 2 millions d’entrées pour un budget de 12 aux USA ; à l’international ce n’est guère mieux, prenons la France où malgré des critiques plus élogieuses, le film ne dépasse pas les 35500 entrées. La faute à une campagne marketing ratée qui s’est limitée à une bande annonce qui ne reflète pas vraiment ce qu’est le métrage et une affiche sympa mais hors sujet. Il faut dire que devant le résultat, Fox 2000 devait bien être emmerdé pour vendre Vorace qui joue sur les apparences : Western fantastique ? Film d’horreur ? Film de cannibales ? Vorace est un peu de tout ça sans l’être vraiment, un mélange de genres parfois cachés dans un sous texte qui surprend par sa richesse thématique. Le héros de Vorace est Boyd, soldat décoré de la médaille du mérite pour avoir pris un fort à lui tout seul lors de la guerre Mexico-Américaine. Plus que l’exploit, c’est sa lâcheté qui est récompensée car, pour avoir fait le mort et ainsi avoir pu franchir les lignes ennemies, le soldat est envoyé dans un fort perdu au milieu de nulle part, dernier checkpoint avant les montagnes rocheuses qui mènent vers la Californie. Après avoir fait connaissance des autres gardiens du fort (le colonel sympa, le soldat à la virilité hyper développée, le religieux peureux, un amérindien et sa sœur), le groupe sauve du froid Colqhoun, unique survivant d’une expédition qui s’est perdu dans les rocheuse en croyant avoir trouvé un raccourci vers la Californie. Le chef de l’expédition a perdu la raison et a assassiné et dévoré ses pairs, sauf peut être une femme qui était encore vivante lorsque Colqhoun s’est échappé de la grotte où les chercheurs d’or se sont réfugiés. Les gardiens du fort partent alors en mission de sauvetage, sur place ils vont découvrir que les dires de Colqhoun ne reflètent pas exactement la vérité, jusqu’à sa réelle identité.

Vorace s’inspire de deux faits divers authentiques d’une partie de l’Histoire Américaine, la fièvre de l’ouest. D’une part de l’expédition Donner, ruée vers l’or de 87 personnes qui se sont perdues dans les rocheuses en pensant trouver un raccourci vers la Californie. Seul 47 membres de l’expédition ont survécu en ayant recours au cannibalisme. D’autre part, l’histoire d’Alfred Packer, guide de cinq chercheurs d’or, qui se perdit lors d’une expédition dans les montagnes rocheuses du Colorado et assassina ses compagnons pour se nourrir, tout du moins dans la version officielle depuis remise en question, Packer n’aurait au final uniquement manger les cadavres de ses compagnons déjà morts pour survivre. Ces deux histoires forment le point de départ de Vorace, qui prend rapidement le chemin d’un survival en milieu naturel avant de changer tout aussi rapidement de direction, car Ted Griffin, dont c’est le premier scénario, fait prendre à l’histoire une autre tournure, non sans quelques petites facilités scénaristiques, qui donne une autre dimension au métrage en intégrant un élément fantastique : la légende du Wendigo, selon laquelle un homme qui mange la chair d’un autre homme absorbe sa force et son esprit, homme qui n’est jamais rassasié et est en quête perpétuelle de proies à dévorer jusqu’à en perdre son âme et se transformer en créature sanguinaire. De prime abord anodin, l’introduction du Wendigo dans le récit de Vorace permet de ne plus parler de cannibalisme à des fins de survie, mais de pouvoir. Et de pouvoir il en est question dans le métrage, qui n’est autre que le reflet d’une société toujours plus individualiste, où il est plus simple de bouffer les plus faibles pour accéder au pouvoir afin d’étancher sa soif d’avidité et de cupidité. Toute la seconde partie de Vorace va tourner autour de cette notion de pouvoir, mais aussi d’autres thèmes tels que la virilité, la rédemption ou l’homosexualité via des dialogues à double sens où la gourmandise et la tentation sont évoqués au cours de dialogues entre Colqhoun et Boyd, où le premier tente de convertir le second à sa cause pour ne pas finir seul, ce qui donne à Vorace une petite touche film de Vampire, on pense notamment à Anne Rice et son Entretien Avec un Vampire .

Si thématiquement Vorace est plutôt chargé et appelle à de multiples interprétation, techniquement le film est également un petit bijou. Tout y est maîtrisé, des moments de tensions (la scène de la grotte est un sacré morceau de suspens au montage bien pensé) à ceux plus spectaculaires (le saut de la falaise est franchement impressionnant), à des choix judicieux (le retour de Boyd au fort qui fait le pont entre la première et la seconde partie du film, qui n’est ni plus ni moins qu’un nouveau générique), Antonia Bird prouve là qu’elle avait tout d’une grande réalisatrice, aidée par un casting impeccable, de Guy Pearce à Jeffrey Jones, en passant par Neal McDonough et David Arquette, tous se sont investis à fond dans leurs rôles. Mais la star de Vorace, c’est bien Robert Carlyle, déchaîné comme jamais, qui passe de la peur à la folie, de la paix à la rage en un battement de cil, l’acteur trouve ici un personnage qui lui permet d’exprimer tout son talent. La musique n’est pas en reste et participe à la réussite du métrage. Composé par Damon Albarn et Michael Nyman, sans qu’ils ne se soient rencontrés pour mettre en commun leurs idées, le score de Vorace est un mélange de sonorités aux antipodes les unes des autres, deux compositions qui s’éloignent tout en se complétant même si le résultat est par moment particulier, voire hors sujet par rapport aux images qu’elles illustrent, ce qui donne un cachet particulier à l’ensemble d’un film déjà unique en son genre. Vorace est une réussite, un film autre qui n’a pas mérité son échec, échec dont Antonia Bird ne se relèvera pas puisqu’elle ne travaillera plus que pour la télévision par la suite, et est décédée dans indifférence générale en 2013. Une fin de carrière prématurée qui peut donner une autre dimension à Vorace, en la personne de Martha, seul personnage féminin du métrage, témoin de la déchéance de l’homme dans sa quête de pouvoir et de virilité, mais qui peut également être perçue comme une femme qui attend son tour dans une industrie cinématographique à majorité masculine écrasante avant de se résilier et de quitter le milieu, comme si la réalisatrice avait prédit que les portes d’Hollywood ne lui seraient jamais ouvertes, interprétation peut être tirée par les cheveux, mais néanmoins crédible pour un film qui se bonifie à chaque vision et qui ne finit pas de surprendre par sa richesse thématique.

LES PLUS LES MOINS
♥ Très bonne mise en scène
♥ Les paysages naturels bien mis en valeur
♥ Un mélange de genres intéressant
♥ Un film thématiquement chargé et intelligent, sujet à de multiples interprétations
♥ Le duo Guy Pearce/Robert Carlyle
♥ Le reste du casting
♥ La musique
⊗ Quelques facilités scénaristiques
Échec cuisant à sa sortie et toujours trop méconnu aujourd’hui, Vorace est une œuvre forte, intelligente et techniquement très réussie. À découvrir, ou à redécouvrir pour sa richesse thématique qui surprend à chaque vision.

LE SAVIEZ VOUS ?
• Guy Pearce a mâché de l’agneau lors des scènes de cannibalisme, une épreuve pour le comédien qui est végétarien.
• Le film a inspiré les paroles de la chanson « The First Supper » du groupe Daughters.
• Le personnage de Martha était à l’origine un homme.



Titre : vorace
Année : 1999
Durée : 1h41
Origine : Angleterre / U.S.A
Genre : Viande surgelée
Réalisateur : Antonia Bird
Scénario : Ted Griffin

Acteurs : Guy Pearce, Robert Carlyle, Jeffrey jones, David Arquette, Neal Mc Donaugh, Jeremy Davies, John Spencer, Stephen Spinella, Joseph Runingfox, Sheila Tousey

 Vorace (1999) on IMDb


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Auteur : John Roch

Amateur de cinéma de tous les horizons, de l'Asie aux États-Unis, du plus bourrin au plus intimiste. N'ayant appris de l'alphabet que les lettres B et Z, il a une nette préférence pour l'horreur, le trash et le gore, mais également la baston, les explosions, les monstres géants et les action heroes.
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