[Film] Red Dust, de Yim Ho (1990)


Entre le milieu des années 30 et 1949, l’histoire de Shen Shao-Hua, une jeune femme passionnée par l’écriture qui tombera amoureuse d’un intellectuel chinois collaborant avec l’occupant japon.


Avis de Yume :
Trèves de wu-xia pian hystériques bourrés d’effets spéciaux  » made in stabilo  » et de pantalonnades bis où les coups de tatane en série rivalisent avec des blagues carambar plus débiles les unes que les autres, je vais pour une fois parler d’un (très beau) drame historique : Red dust, mettant en scène Lin Ching-Hsia, la déesse du film de sabre aérien.

Réalisé en 1990 par Yim Ho (à qui l’on doit toute la partie se déroulant pendant la révolution culturelle de King of Chess, de loin les séquences les plus intéressantes du film), Red dust est un pur mélodrame dans le sens noble du terme. Un métrage plongeant au cœur de l’intimité d’une jeune femme, de sa vie au cœur des convulsions de l’histoire. Red dust n’est pas tant un film historique que la chronique de la vie amoureuse de Shen Shao-Hua, une jeune fille imaginative, fantasque et fragile (magnifique Lin Ching-Hsia). De fait, le métrage de Yim Ho semble souvent glisser, comme son personnage principal, sur les évènements historiques qui ont lieu. L’héroïne perdue dans son monde est déconnectée des horreurs qui se déroule autour d’elle. Ainsi, d’une nature plutôt bonne, elle tombera tout de même amoureuse d’un fonctionnaire du gouvernement fantoche de Wang Tsing Weï inféodé à la solde des japonais (excellent Han Chin). Toutefois, cette relation ne fait pas de cette écrivain un équivalent chinois de Céline ou de Drieu La Rochelle. Yim Ho est bien plus subtil que cela. Shen Shao-Hua n’a pas d’engagement politique : Elle aime un collaborateur mais sa meilleure amie est une résistante chinoise. Le réalisateur tout le long de son œuvre reste cohérent avec le caractère de son personnage : L’écrivain dédaigne le monde matériel (et donc la politique) pour ne s’intéresser qu’à sa propre création. Cette vision du monde qu’épouse Yim Ho avec intelligence permet de contourner les écueils du manichéisme. Ainsi le collaborateur n’y est pas un être perfide et traître tandis que certains actes de résistances ne sont parfois que de la délation ou une vengeance expéditive irréfléchie. Cependant au détours de certaines scènes, le réalisateur démontre toutefois la barbarie de l’occupation nipponne. Cette capacité à ne pas tracer de frontières nettes entre le bien et le mal évoque souvent, en moins cru et frontal certes, le superbe Black Book de Paul Verhoeven.

D’un point de vue historique, Red dust compte parmi les meilleures chroniques relatant la vie dans un pays occupé. Yim Ho cerne avec acuité une frange de la population (souvent majoritaire) qui continue à vivre comme si l’occupation, malgré ses désagréments matériels, était extérieure à leur propre vie. L’horreur est là, dehors, ils la voient, ils la sentent mais elle ne les concerne pas, elle n’est qu’un décor qui ne doit pas toucher leur vie. On pense évidemment à l’occupation de la France par les nazis, à la routine de la collaboration et aux nombreux artistes qui continuèrent à pondre des œuvres (et parfois des chefs d’œuvres) malgré les évènements. Ainsi, Yim Ho décrit finalement un comportement universel face aux conflits. Toutefois le personnage joué par Lin Chin Hsia n’est pas totalement dénué d’engagements politiques. Ainsi dans cette Chine en déconfiture aussi bien politique que morale (la chute de l’empire a eu lieu une poignée de décennies auparavant, les valeurs confucianistes se durcissent face à la progression des idées communistes, libérales ou progressistes, la droite dure devient de plus en plus nationaliste et autoritaire, etc…), l’écrivain symbolise le combat et l’émancipation de la femme face à une société se retranchant dans son ancestrale tyrannie patriarcale. Ainsi l’héroïne ne cesse de revendiquer sa liberté d’aimer qui elle veut (le début du film commence d’ailleurs par son emprisonnement dans le grenier paternel afin d’entraver un amour inacceptable pour son père). Son statut d’écrivain, hérité de son enfermement, constitue sa principale affirmation de sa nature de femme libre. Pourtant Shen Shao-Hua constitue aussi le stéréotype de la poupée chinoise : effacée, timide… Cela explique son amitié avec le personnage de Maggie Cheung, femme énergique et moderne, qu’elle considère comme un modèle et qui n’hésitera pas à se sacrifier pour l’homme qu’elle aime malgré ses nombreux défauts (qu’elle ne cesse jamais de pointer du doigt). Une amitié entre les deux femmes d’ailleurs souvent ambiguë, à la limite du saphisme, teinté d’attirances et de jalousie. Au fil du film, Shen Shao-Hua affirmera de plus en plus sa nature féminine, devenant même une femme fatale sûre de son corps et de sa sensualité. En face les hommes sont souvent faibles, traîtres, infidèles, grossiers (voire la scène du repas avec Richard Ng) et indécis. La fin du film voit justement un de ces hommes comprendre la force qui habite les femmes et la grandeur de leur sacrifice pour sauver l’objet de leur bonheur, aussi imparfait soit-il.

Le roman que l’héroïne rédige tout au long du film, et dont différentes séquences apparaissent parallèlement à l’action, est la continuation du combat féministe de l’écrivain en évoquant la vie et la quête de l’amour d’une jeune paysanne chinoise en butte au machisme, au viol et à l’exploitation. Le destin de l’écrivain et de son héroïne évoque la condition misérable des femmes chinoises qu’elles soient issues d’un milieu aisé (Shen Shao-Hua) ou pauvre (le personnage de son roman) et leur combat pour accéder au bonheur. Une quête du bonheur se terminant sensiblement de la même façon. L’écrivain devient ainsi une héroïne de ses propres romans et parvient à correspondre à son idéal de la femme. Cette vision de la femme chinoise et de ses sacrifices pour être libre évoque souvent Le palanquin des larmes de Chow Ching Lie, très beau roman œuvre traitant de la Chine des années 40 (Ah, s’il avait été adapté au cinéma au cinéma par Tsui Hark ou Yim Ho au lieu de cette quiche de « Vercingétorix » Dorfmann !). Évidemment, cette distanciation de l’héroïne envers le déroulement de l’Histoire en marche ne peut durer indéfiniment. Les évènements la rattrapent elle aussi. De fait, les bouleversements de la Chine (la défaite nipponne puis le repli du Guomindang vers Taiwan) affecteront son destin à jamais jusqu’au sacrifice. Le roman qu’elle écrit reflète d’ailleurs cette évolution (en témoigne cette scène superbe où le sang, allégorie du communisme, submerge une petite maison typique dans un paysage enneigé). La jeune fille naviguant hors de l’Histoire deviendra alors le symbole d’une guerre froide séparant les peuples, les familles, les amants comme en Chine, comme en Allemagne, comme au Viêtnam au nom de l’idéologie (comme le souligne la réplique finale « The whole nation was also suffering with her »). Ainsi, Red dust narre l’histoire d’une défaite : celle du cœur face à la politique. L’écrivain ne pourra que subir la perte de ses êtres chers au nom de combats politiques qu’elle n’a jamais observé que de loin.

Le talent de Yim Ho réside dans sa façon de traiter une des pages les plus importantes de l’Histoire chinoise (la guerre sino japonaise et ses 20 000 000 de morts environ, la prise du pouvoir par Mao, l’exode vers Formose) en évitant le spectaculaire (il n’y a pas de grandes batailles, justes quelques scènes d’attentats ou de rafles) au profit de l’intime. Pourtant le film possède un véritable souffle épique, une indéniable flamboyance visuelle (la photo est à tomber, hélàs la copie que j’ai vue ne lui rend pas particulièrement justice) et des passages d’une grande poésie (la danse des amants sur le balcon, certaines séquences oniriques à la lisière du fantastique) qui décuplent l’émotion dégagée à de nombreuses reprises… La très belle BO y contribue grandement. A ce titre, le final à la fois sobre et déchirant est un véritable crève-cœur. Pour finir, on pointera du doigt l’excellence de l’interprétation dominée par une Lin Ching-Hsia dans rien de moins que son plus beau rôle (ex-aequo avec Peking Opera Blues), une Maggie Cheung toujours aussi divine et apportant un peu de fraîcheur à l’ensemble. Mais une des grandes surprises de Red dust est sans conteste l’excellent Richard Ng qui, bien que gardant son jeu comique et expressif, se révèle souvent touchant dans la peu de ce riche industriel célibataire (amoureux de Shao-Hua) pas très malin et un poil frustre mais respirant la bonté.

LES PLUS LES MOINS
♥ La vision historique
♥ Un casting magistral
♥ Le souffle épique
♥ Visuellement superbe
⊗ …
Bref, je ne peux que vous conseiller ce poignant portrait de femme, d’une grande richesse dramatique (alors qu’il dure à peine plus d’une heure et demie…En résulte un métrage constamment passionnant et dénué de la moindre longueur), à la fois grave et empreint d’une certaine légèreté le rendant d’autant plus attachant.



Titre : Red Dust / 滾滾紅塵
Année : 1990
Durée : 1h34
Origine : Hong Kong
Genre : Mélodrame historique
Réalisateur : Yim Ho
Scénario : Yim Ho, Echo Chen

Acteurs : Brigitte Lin, Chin Han, Maggie Cheung, Richard Ng, Josephine Koo, Yim Ho, Li Xiao-Li, Zhang Guo-wen, Zhang Yuan, Wang Yan-Zhong, Liu Pi-Xin

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Auteur : Sanjuro

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