[Film] Millennium Mambo, de Hou Hsiao-Hsien (2001)


Vicky travaille le soir dans une boîte de nuit alors que son copain Hao-hao est au chômage. Jaloux, il la surveille étroitement. Elle ne le supporte plus et va se réfugier chez son ami Jack, sorte de mafieux zen.


Avis de Cherycok :
Pour être tout à fait honnête avec vous, je ne connais que peu Hou Hsiao-Hsien. De ce que j’ai pu comprendre en me renseignant, il s’est rapidement imposé comme une sorte d’historien national, explorant avec ses films l’histoire coloniale de Taïwan et la crise d’identité qui en découle. Bien que ses films parlent d’individus et de familles, Hou Hsiao-Hsien garde en général avec sa caméra une certaine distance avec ces groupes de personnes écrasés par leur environnement physique et/ou politique, en évitant par exemple les gros plans. Avec Millennium Mambo, il semble du coup avoir une approche complètement opposée en faisant un portrait très rapproché de Vicky, cette jeune femme de 20 ans à la dérive, au style de vie hédoniste, symbolisant à la fois le passé, le présent et l’avenir d’un Taïwan semblant en pleine transformation. Cette Vicky, la caméra ne la quittera presque jamais des yeux. Elle est le centre du récit, celle autour de qui tout tourne, et elle est interprétée par une Shu Qi (Viva Erotica, City of Glass) qui trouve ici un de ses plus beaux rôles.

Présenté pour la première fois au Festival de Cannes 2001, Millennium Mambo est un film sur le doute. Le doute d’une jeune femme, Vicky, qui sort avec Hao Hao, un jeune homme jaloux, qui n’a jamais travaillé de sa vie, capable de voler la Rolex de son père et de la vendre pour se faire de l’argent. Elle doute sur sa relation, d’autant plus qu’un homme, Jack, arrive à la rassurer rien que par sa présence, un homme plus mature, plus posé, aux activités qu’on devine douteuses mais auprès de qui elle se sent bien. Vicky doute de son avenir, professionnel certes, avec son job qui ne lui plait pas, mais aussi de son avenir tout court, avec ce nouveau millénaire qui commence et dans lequel elle ne se sent pas forcément à sa place. Il faut dire que la relation dans laquelle se trouve son personnage n’est pas simple. La jalousie maladive de Hao Hao devient de plus en plus envahissante, ce dernier allant jusqu’à fouiller son sac, surveiller ses appels ou encore la sentir pour voir s’il ne renifle pas le parfum d’un autre homme. Vicky est dans une relation toxique mais cette toxicité, elle l’alimente elle-même en revenant sans cesse auprès de Hao Hao, même lorsqu’elle décide de le quitter. Vicky semble être dans une phase d’autodestruction et les quelques lieux dans lesquels elle se rend en sont l’exemple même. Cette boite de nuit aux néons bleus et remplie de gens qu’on devine peu fréquentables n’a rien de très recommandable. L’abus d’alcool dans lequel elle se plonge, même lorsqu’elle est chez elle, est une manière de se détruire à petit feu. Car Vicky a beau être entourée de gens, elle est désespérément seule et seule sa rencontre avec ces deux jeunes japonais tout simplement agréables et sympathiques fait naitre en elle une petite étincelle. Son séjour au Japon sera une parenthèse éclairée dans sa vie.

Plutôt que de découper la vie de Vicky en trois actes, passé présent et futur, Hou Hsiao- Hsien fait ça bien plus finement. Le passé plein d’espoir vient se mélanger avec le présent désabusé, et le futur n’est uniquement là que par la voix off du film qui narre certains évènements. La narration est éclatée, un peu comme si on était dans le bordel qu’il semble y avoir dans la tête de Vicky. Cette voix off qu’on entend tout le long, c’est celle de Vicky qui raconte ces évènements dix ans plus tard, avec sa vision à elle, ses souvenirs à elle, mais le tout à la troisième personne, comme si elle s’était aujourd’hui détachée de tout ça. Comme si elle était aujourd’hui bien plus apaisée et qu’elle pouvait enfin voir ce passé avec de la distance, avec de l’objectivité sur elle-même. Elle revient sur sa vie, presque aussi floue que les images du film, mettant parfois l’accent sur des minuscules émotions ou des moments un peu désinvoltes, sans jamais trouver un réel sens à ce qu’elle a vécu. Pourtant, c’est ce qu’elle a vécu, c’est aussi ce qui a fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui, et ce sont peut-être tous ces doutes qu’elle avait dix ans auparavant qui lui ont permi d’arriver à se remettre en question, à passer à autre chose. Ces doutes, ces moments parfois durs, mais aussi malgré tout quelques moments joyeux, Hou Hsiao-Hsien en fait quelque chose de languissant qui, malgré des moments un peu creux, arrive à emmener avec lui le spectateur dans cette ambiance nocturne rythmée sur les battements de la musique techno.

La mise en scène est une grande réussite. La photographie est superbe, avec ses couleurs qui changent en fonction des lieux, mais parfois aussi en fonction des humeurs/sentiments de Vicky. La musique tantôt agitée (la techno de la boite de nuit donc), tantôt douce et calme (le reste du temps), accompagne merveilleusement bien des images semblant parfois hors du temps. Millennium Mambo est constitué de toute une série de très longs plans sans coupe, comme pour capturer ces moments de vie et pour qu’ils soient les plus réels possible. Lorsqu’un personnage est au téléphone, il y a des longs silences, car il écoute son interlocuteur. Quand Vicky boit des coups au bar, on la voit boire ses verres et finir ses verres, … Si vous rentrez dans l’ambiance hypnotique du film et son univers de néons, vous serez happés par celle-ci et elle vous amènera au plus près des personnages, comme si vous étiez avec eux, dans cette chambre où ils se disputent pour savoir qui Vicky a bien pu appeler aussi longtemps, dans cette boite de nuit à la musique étourdissante. A l’inverse, le film nous éjecte parfois de toute cette toxicité pour nous remettre au rang de spectateur devant notre écran afin de nous montrer tantôt des moments assez crus (les engueulades, les cuites dans le bar) ou à l’inverse des moments plus joyeux (le Japon sous la neige), lorsque Vicky sort elle aussi de ce poison qui la ronge. L’autre grosse attraction du film, c’est clairement Shu Qi qui n’a jamais semblé aussi à l’aise, aussi naturelle dans un film. Hou Hsiao-Hsien la sublime complètement avec cette caméra qui s’attarde sur elle, avec ces mouvements calmes, avec des cadrages tantôt millimétrés, tantôt volontairement chaotiques où elle erre librement dans le cadre, faisant ressortir à la fois l’envie de liberté et la peur de la liberté. Naturel, c’est bien ce qui représente le casting. On a l’impression que le réalisateur a capturé des moments de vie sans aucun artifice, comme s’il avait posé sa caméra devant de vrais gens et qu’il avait juste saisi leurs émotions, leurs troubles, leurs doutes.

LES PLUS LES MOINS
♥ Visuellement impeccable
♥ Très bon casting
♥ L’ambiance hypnotique
♥ La bande son
⊗ Quelques moments creux

Avec Millennium Mambo, Hou Hsiao-Hsien signe un magnifique portrait d’une femme désabusée, pleine de doutes, donnant pour l’occasion à Shu Qi un de ses meilleurs rôles. Il sublime la forme pour adoucir le fond en nous embarquant dans une virée douce-amère. Une grande réussite !

LE SAVIEZ VOUS ?
• Le tournage d’une scène intime entre Shu Qi et Tuan Chun-hao ne fut pas chose aisée. Les deux comédiens n’étant pas très à l’aise, il a fallu recommencer plusieurs fois la prise, ce qui irrita fortement Hou Hsiao-Hsien, réalisateur très exigeant, qui se saisit d’une chaise et l’explosa au sol.

• Millennium Mambo a obtenu de nombreux prix. Il a par exemple gagné le Prix du Jury au Festival de Cannes 2001, le Prix de la Meilleure Musique et celui du Meilleur Son aux Golden Horse Film Festival, ou encore le Hugo d’Argent du meilleur film au Festival du Film de Chicago.

• Hou Hsiao-Hsien étudie méticuleusement ses projets. Pour Millennium Mambo, qui se déroule en grande partie dans l’univers crépusculaire et survolté de la scène rave de Taipei, il s’est plongé dans la culture des jeunes. Il a fréquenté les discothèques locales et a même expérimenté l’ecstasy.

• Le film a été choisi par Les Cahiers du Cinéma comme l’un des 10 meilleurs films de l’année 2001.


MILLENNIUM MAMBO est sorti chez Spectrum Films en coffret UHD / Blu-ray au prix de 40€. Il est disponible à l’achat ici : Spectrumfilms.fr

En plus des films, on y trouve : Introduction de Ryan Swen, Présentation du film par Olivier Joyard, « Une histoire de temps » par Wafa Ghermani, Essai vidéo de Jean-Baptiste Thoret, Arnaud Lanuque à Taïwan, Interview Hou Hsiao Hsien, Interview exclusive de Jack Kao, Millenium Mambo vu par La Caution, Gilb’R, Huong Thanh et Damien Fleau et Bande-annonce



Titre : Millennium Mambo / 千禧曼波
Année : 2001
Durée : 1h45
Origine : Taïwan / France
Genre : Hypnotique
Réalisateur : Hou Hsiao-Hsien
Scénario : Chi Tien-Wen

Acteurs : Shi Qi, Jack Kao, Tuan Chun-Hao, Chen Yi-Hsuan, Jun Takeuchi, Doze Niu

Millennium Mambo (2001) on IMDb


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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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