[Film] Mad Fate, de Soi Cheang (2023)


Alors qu’un sérial killer tueur de prostitués sévit à Hong Kong, un médium au bord de la folie tente d’empêcher un psychopathe au mauvais karma de sombrer dans le meurtre.


Avis de Nasserjones :
Après le joli succès critique de Limbo, venu rappeler au monde entier que non seulement le cinéma de Hong Kong n’est pas mort mais aussi que Hong Kong reste une des places fortes mondiales du polar urbain, le nouveau film de Soi Cheang était forcément attendu. Au-delà de la réussite artistique de Limbo, c’est surtout le succès (du moins d’estime) du film qui m’a fait plaisir lors de sa sortie en salles en France, récoltant des critiques assez dithyrambiques auprès de la presse spécialisée et aussi bénéficiant de très belles retombées sur les réseaux sociaux. N’allons donc pas par quatre chemins, ce nouveau polar de Soi Cheang est une véritable douche froide.

Bien sûr, je ne m’attendais pas à ce que Mad Fate soit du même niveau que Limbo. On ne peut pas réaliser des bombes comme Limbo tous les ans. Rien qu’entre Dog Bite Dog, l’autre grande réussite de la carrière du réalisateur et Limbo, presque 20 ans se sont écoulés. Entre temps Soi a évidemment signé d’autres œuvres très recommandables comme le diabolique Accident, le très efficace Motorway où le puissant blockbuster martial SPL 2, mais jamais des films de la trempe de Dog Bite Dog ou Limbo. Donc j’avais des attentes tout à fait modérées concernant ce Mad Fate mais je dois dire que toute cette modération n’a même pas suffit à empêcher la déception. Alors oui évidemment Mad Fate a quelques qualités. On ne passe pas de virtuose à manchot d’un film à l’autre et évidemment que Soi Cheang ne pouvait pas tout rater sur ce film. Visuellement, le film est assez soigné. Il y a une belle photographie typiquement hongkongaise avec plusieurs scènes baignant dans des couleurs roses, pour le plus grand bonheur des amateurs de néons comme moi. Esthétiquement, sans être renversant, le film est une belle réussite. On a droit aussi à quelques passages filmés dans les ruelles les plus étroites et les plus sales de Hong Kong qui viennent nous rappeler encore une fois les meilleurs moments de Limbo ou Dog Bite Dog, quelques fulgurances aussi, des passages assez sanglants dans la plus pure tradition du polar HK et une bande-son atmosphérique avec de jolis passages acoustiques très sympas également. On retrouve aussi toute la noirceur et la radicalité du cinéma de Soi Cheang, sa marque de fabrique depuis le magnifique et désespéré Love Battlefield qui fait de lui l’un des réalisateurs les plus sombre et radical de l’île depuis Ringo Lam. Le problème c’est que c’est un peu tout en fait, mis à part son esthétisme et sa vaine noirceur, Mad fate n’a pas grand-chose à offrir.

Mad Fate est une production Milkyway et ça se sent, le film est fortement imprégné du style du studio. Malheureusement, ce qui était à la fin des années 90 et jusqu’au début des années 2010 un sérieux gage de qualité ne l’est plus du tout aujourd’hui. Pour retrouver un vrai bon film produit par la Mikyway il faut remonter à 2014 avec le Drug War de Johnnie To et depuis, force est de constater que le studio peine à nous offrir des films excitants et Mad Fate vient s’ajouter à la liste des échecs artistiques de la structure. Bien que le film soit réalisé par Soi Cheang, le scénario a été écrit par Yau Nai-hoi, fidèle collaborateur de Johnnie To qui a scénarisé ou co-scénarisé la plupart des meilleurs films de Johnnie To et on retrouve donc un thème déjà abordé dans d’autres films de Johnnie To : les croyances bouddhistes et principalement les notions de destin et de karma, thèmes de Running on karma ou Mad Detective. Et justement c’est un gros souci puisque Mad Fate apparait comme une nouvelle version ratée de Mad Detective, un mauvais remake inutile faisant pale figure devant le film original. Là où Mad Detective était à la fois drôle et surprenant, porté par un Lau Ching Wan génial, Mad Fate est sans surprise et ennuyeux. Difficile de ne pas faire la comparaison entre le personnage de fou illuminé joué par Lau Ching Wan dans Mad Detective et celui du medium schizophrène joué par Lam Ka-Tung dans Mad Fate et à ce jeu des comparaisons, Lam Ka-Tung pourtant habituellement impeccable est largement perdant. Là où Law Ching Wan était drôle et attachant dans Mad Detective, Lam Ka-Tung est tout juste pathétique dans Mad Fate et c’est encore pire pour l’autre personnage principal du film interprété par le nouveau venu Lokman Yeung, un taré qui tue des chats depuis gamin, qui a charcuté sa propre sœur sans raisons et fait vivre un cauchemar à ses parents.

Difficile de ressentir la moindre empathie pour un des personnages, ce qui est assez problématique dans un film de genre. Mad Fate, malgré sa galerie de personnages complètement allumés et son ambiance flirtant avec le film d’horreur, ne parvient jamais ni à amuser, ni à faire peur, ni à instaurer un quelconque suspens ou une quelconque tension. En fait, le film ne parvient jamais à faire naître une quelconque émotion si ce n’est un peu de dégout envers les personnages principaux. On a d’ailleurs l’impression que Soi Cheang a réalisé ce film à la va-vite pour rendre service à son copain Johnnie To entre la post-production de Limbo et le tournage de son prochain très attendu Kowloon Walled City. D’ailleurs sur certains sites, deux autres réalisateurs sont crédités à la réalisation : Wylie Chan et Becky Chan. N’étaient-ils qu’assistants ou ont-ils vraiment réalisés une partie du film ? En tout cas difficile d’imaginer qu’il s’agissait ici d’un projet personnel pour Soi Cheang et si pour le réalisateur Mad Fate cela apparait comme une parenthèse anecdotique dans sa carrière, pour la Mikyway c’est un échec de plus continuant d’enfoncer le studio au fond d’un trou de plus en plus profond. C’est peut-être une des raisons qui a poussé Wai Ka-Fai, l’autre fidèle lieutenant de Johnnie To, à aller voir ailleurs et à réaliser son Detective vs Sleuths pour un autre studio, film qui en plus d’être 1000 fois plus fun que ce Mad Fate, a cartonné au box-office chinois…

LES PLUS LES MOINS
♥ Visuellement assez propre ⊗ Histoire ennuyeuse
⊗ Personnages antipathiques
⊗ Manque d’une quelconque émotion
⊗ Lam Ka-tung mal exploité en pâle copie du Law Ching Wan de Mad detective

Après le choc Limbo, le nouveau polar de Soi Cheang Mad Fate est une énorme déception. Une production Milkyway peu inspirée que Soi Cheang semble avoir réalisé à la va-vite pour rendre service à son ami Johnnie To dont la compagnie semble de plus en plus battre de l’aile.



Titre : Mad Fate / 命案
Année : 2023
Durée : 1h44
Origine : Hong Kong
Genre : Polar / Fantastique
Réalisateur : Soi Cheang
Scénario : Yau Nai-Hoi, Lee Chun-Fai

Acteurs : Gordon Lam, Yeung Lok-Man, Berg Ng, Ng Wing-Sze, Peter Chan, Bonnie Wong, Koo Tin-Lung, Wong Ching-Yan, Pancy Chan, Yuen Yee-Man, Winston Yeh, Brenda Chan

Mad Fate (2023) on IMDb


5 1 vote
Article Rating

Auteur : Nasserjones

Fan névrosé de cinéma HK, élevé aux girls with guns et heroic bloodsheed, j'essaye depuis quelques années de me soigner comme je peux en m'ouvrant un peu plus à des films plus intimistes et différents. Des Philippines au Kazakhstan, de la Corée à l'Indonésie, je poursuis tant bien que mal mon auto-thérapie.
S’abonner
Notifier de
guest

4 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Inline Feedbacks
View all comments