[Film] Herbes Flottantes, de Yasujiro Ozu (1959)


Arashi Komajuro est le directeur d’une troupe de théâtre itinérante. De retour dans un village qu’il avait quitté il y a maintenant de nombreuses années, ses employés s’inquièteront de le voir passer l’essentiel de son temps chez une femme qui vit seule avec son fils. Le père de ce dernier serait décédé il y a bien longtemps… Une actrice très attachée à Komajuro va alors mener sa propre enquête…et découvrira bientôt que son amant est bel et bien le père de cet enfant, dont il a pourtant toujours prétendu être l’oncle.


Avis de Oli :
HERBES FLOTTANTES est un remake par Ozu de l’un de ses propres films tournés en 1934 et intitulé HISTOIRE D’HERBES FLOTTANTES. Le procédé n’est pas exceptionnel pour Ozu, puisque l’on peut voir des similitudes entre plusieurs de ses films muets et des titres de l’époque du cinéma parlant (GOSSES DE TOKYO et BONJOUR, par exemple).

Ozu passe donc ici du film muet en noir et blanc au film parlant et en couleur. Passés ces détails (certes importants), il convient de préciser que le remake est presque une copie carbone du film original. Celui-ci, chef d’œuvre bouleversant, était déjà proche de la perfection, il est donc parfaitement logique qu’Ozu n’y ait pas apporté de nouveautés majeures. On retrouvera même, dans le remake qui nous intéresse, de nombreux plans repris à l’identique (le train qui disparaît à la fin, cette scène absolument extraordinaire entre Komajuro et l’actrice principale de sa troupe, se faisant face, chacun étant sur un trottoir différent et séparés par une pluie abondante). Un clin d’œil évident nous rappelle également le film muet, puisque l’acteur Mitsui Koji qui jouait le fils dans HISTOIRES D’HERBES FLOTTANTES, incarne ici l’un des acteurs du théâtre. Au rayon innovation, nous pouvons malgré tout citer quelques éléments qu’Ozu ne pouvait sans doute pas aborder de front en 1934 : dans HERBES FLOTTANTES on assiste en effet à une  » scène d’hôtel  » entre Kayo et le fils de Komajuro, ainsi qu’à plusieurs baisers (certes toujours très discrets). Les ellipses sont également moins nombreuses (on en apprend ici d’avantage sur le passé de l’amante de Komajuro). Mais la différence majeure entre les deux films se situe ailleurs, dans le subjectif, dans le rapport intime qu’une œuvre d’art est susceptible d’entretenir avec son spectateur.

Pour ma part, j’ai ainsi noté une différence de ton majeure entre le long métrage muet et le parlant. Le premier m’est en effet apparu plus amer, dur et mélancolique. Cela peut avant tout s’expliquer par la différence évidente entre une image en noir et blanc et la même vue avec des couleurs plus vivantes. Mais la scission entre les films est, à mon sens, à chercher plus en profondeur : du côté d’Ozu tout d’abord, puisque celui-ci, dans la dernière partie de sa fabuleuse carrière, n’a qu’exceptionnellement traité de thèmes sombres et désespérés. Dans les années 30 au contraire, cela lui est arrivé plusieurs fois d’envisager la noire destinée humaine. Les acteurs, enfin, peinent à retranscrire la magie distillée par leurs homologues du cinéma muet. Ozu ayant toujours été excessivement dirigiste, on peut penser là qu’il s’agissait d’un choix délibéré de sa part : ainsi la mère abandonnée, ici interprétée par Sugimura Haruko, n’exprime pas la moitié de toutes les émotions traversant les regards et petits sourires crispés de Iida Chouko, dans le premier film. Le directeur de la troupe de théâtre également, est beaucoup plus touchant car plus ambigu, dans la version originale. L’extraordinaire et presque organique Yagumo Emiko enfin, demeurera absolument inoubliable dans le rôle d’Otaka, en 1934. Certes, la version de 1959 jouit de la présence de la sublime Wakao Ayako, mais dans l’ensemble le nouveau casting ne distille pas vraiment la même charge d’émotions qu’à l’époque du muet.

LES PLUS LES MOINS
♥ Des scènes extraordinaires
♥ Wakao Ayako
♥ La mise en scène
⊗ Des acteurs en demi-teinte
Si vous ne devez voir que l’un des deux films, préférez sans aucune hésitation possible la version de 1934. Si vous aimez Ozu et son cinéma, amusez-vous donc à découvrir les deux titres dans l’ordre chronologique, l’expérience s’avère en effet extrêmement enrichissante.



Titre : Herbes Flottantes / Floating Weeds / 浮草
Année : 1959
Durée : 1h59
Origine : Japon
Genre : Drame
Réalisateur : Yasujiro Ozu
Scénario : Kogo Noda, Yasujiro Ozu

Acteurs : Ganjirô Nakamura, MAchiko Kyô, Ayako Wakao, Hiroshi Kawaguchi, Haruko Sugimura, Hitomi Nozoe, Chishû Ryû, Kumeko Urabe, Natsuko Kahara

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Auteur : Oli

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