
Simon, trentenaire, travaille à l’usine et vit reclus dans une ferme décrépite. C’est un homme solitaire, en charge de sa sœur Estelle, lourdement handicapée à la suite d’un jeu qui a mal tourné dans leur enfance. Malgré ses remords et l’agressivité du monde environnant, Simon garde au plus profond de sa chair le secret espoir de sauver sa sœur en la libérant de la pesanteur terrestre. Et si leur salut venait des cieux ?
Avis de Seyren :
Le long métrage de Quarxxx, film ovni dans un cinéma français rongé par les comédies de mauvais goût, aborde de façon brutale et sincère une actualité muette. Digne hérité de Calvaire, Tous les Dieux du Ciel met en scène une ruralité laissée pour compte, noyée dans ses névroses, sa solitude et sa pauvreté. Loin de se contenter de représenter de façon exclusivement caricaturale les redneck du fin fond des campagnes françaises, Quarxx aborde de façon subtile cette question au travers du personnage de Simon. Oui les personnages d’Albert Delpy, Alvaro Lombard, ou encore Jean Michel Ropers sont clichés. Sans atteindre le grotesque de Sheitan, ils incarnent tout ce que l’on peut imaginer du plouc, du bouseux, bref tout ce dont la capitale nous accable (oui j’habite à la campagne et je sais lire et écrire).
Mais Simon est un personnage plus complexe. C’est un homme qui aime (mal) sa sœur, s’occupe (mal) d’elle et se soucie (mal) de ses besoins. Un homme modeste et fragile qui tente d’évoluer dans un temps figé. La maison ne change plus et, à l’image d’Estelle nue et seulement vêtue comme le serait une enfant d’une couche, tout est resté dans son jus. Celui du jour où la jeune sœur s’est logée une balle dans le crâne. L’univers est à l’image de la psychose de Simon. En pause. Et tout le long métrage s’inscrit dans cette démarche. Les plans fixes sont relativement longs, les séquences s’enchaînent lentement et nous plongent ainsi dans une quiétude glauque au milieu d’un univers en ruines. Car si le temps s’est arrêté durant son enfance, c’est à ce moment précis que Simon développe son fantasme extra-terrestre qui lui permet de se réfugier dans l’espoir d’un monde possible pour sa sœur et lui. Inadapté social, il n’a aucune place dans une société qui maltraite ses handicapés – physique comme Estelle – psychologique comme lui-même (convoqué par son patron, on comprend que Simon ne peut pas travailler avec son traitement, or il ne peut pas vivre sans travailler, ni sans son traitement… Situation qui, en fin de compte ne trouve aucune solution).
Film de genre ? Oui. Film d’horreur ? Non. Ce qui met mal à l’aise dans ce film, au-delà de la nudité d’Estelle qui n’est plus une enfant, c’est la véracité du propos. Car après tout, qu’est-ce que le « cringe » si ce n’est cette gêne, cette honte que l’on ressent pour ce qui est mis en scène, ce que l’on vit par procuration mais qui existe bel et bien. Tous les Dieux du Ciel impose à notre regard ce que la société ne veut pas voir. Il impose une réflexion souvent taboue sur des sujets aussi sensibles que la sexualité des personnages en situation d’handicap lourd. Parlons de cette scène de viol. Simon paye un gigolo pour sa sœur en imaginant de manière plutôt maladroite et surtout mal placée, que sa sœur, malgré l’état végétatif dans lequel elle se trouve, à des besoins assimilables aux siens. Une séquence dérangeante qui, du viol (car absence claire de consentement) se transforme rapidement en une forme de nécrophilie. Et pourtant ? La question première que se pose Michel, si maladroite s’exécute-t-elle, n’était-t-elle pas légitime? Tout être humain n’a-t-il pas, à l’image des animaux que nous sommes, des besoins à exprimer ? A assouvir ? Si des hommes et des femmes travaillent aujourd’hui à être des “assistants sexuels” (nous penserons aux associations telles que l’Appas, ou Ch(s)ose) c’est que le besoin est réel et surtout humain. Alors certes, dans la caméra de Quarxx on est clairement dans le malaise, mais au-delà de l’image, la question subsiste. Et c’est à ce genre d’attentions que répond Estelle à la fin du film. Malgré un premier désir d’étrangler son frère, à l’image de la maltraitance maladroite qu’il lui a fait subir, elle finit par s’endormir près de lui et à son tour, s’occuper de lui. Certains verront une forme de vengeance ? Mais il me semble que leur relation est en fin de compte bien plus subtile que cela.
Je ne m’étalerai pas sur le physique du personnage d’Estelle, sur qui je pense, tout a été dit. Atteinte de dysplasie ectodermique, la mannequin américaine Melanie Gaydos marque aussi et surtout par son mutisme. Sa présence perce l’écran et au-delà de son personnage, c’est tout ce qu’elle incarne qui questionne. L’infantilisation des personnages handicapés, tout comme des personnes âgées d’ailleurs, pose à fortiori la question de leur consentement. Emprisonnée dans un corps sans voix, Estelle est une femme cloitrée dans l’immobilisme qu’elle renvoie. Et ce n’est qu’en la libérant de l’image que Simon lui impose qu’elle peut alors déployer toute sa force, toute sa puissance qui se matérialise dans le pardon. Force est en effet de constater que la fin du long métrage, entre les quatre murs d’un couvent, nous montre non seulement Simon, piégé comme sa sœur, se rendre compte de ce qu’il lui a imposé par ce qu’il le vit, mais dessine également le pardon d’Estelle qui permet par ce biais une forme de rédemption à son frère. Tous les Dieux du Ciel est donc une histoire complexe. Et finalement, la complexité de cette relation fraternelle ne laisse pas la place au développement des quelques fils rouges que le réalisateur laisse malheureusement en suspens. Que sont devenus les parents ? Quid de l’enlèvement de la jeune Zoé ? autant de pistes qui ne trouvent aucune résolution et qui laisse, je l’avoue, un goût d’inachevé.
N’ayant, et je l’avoue, pas vu le court-métrage originel dont il est tiré (car oui il s’agit de la version longue du court Un Ciel Bleu Presque Parfait) ce film a, malgré sa lenteur ou ses images dérangeantes, d’indéniables qualités en termes d’appréhension de certains tabous et d’une nécessité de prise de conscience. L’intervention de l’assistance sociale par exemple, est, pour moi, une analogie claire avec l’insuffisance des moyens donnés aux aides sociales dans nos sociétés. Elle s’insurge contre le traitement d’Estelle et veut la retirer de la garde « inhumaine » de son frère. Mais où est l’humanité dans l’incompétence et la méconnaissance dont ils ont été victimes ? Car si une chose est claire dans le film, c’est que cette situation n’est pas nouvelle et qu’elle perdure dans l’ignorance la plus totale de toutes institutions. Nous penserons bien évidemment (et ce quasiment au même moment, respectivement 2018 et 2019) à la construction du personnage d’Arthur Fleck dans Joker, qui n’est lui aussi que le résultat déplorable d’une politique qui néglige ses malades. La psychose de Simon n’est ainsi que le résultat d’un à peu près médical, et sa situation est celle d’un à peu près social, dans un monde en somme, à peu près humain.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ Un message percutant ♥ Une image dérangeante mais percutante ♥ Un excellent jeu d’acteur |
⊗ Des intrigues secondaires laissées en suspens ⊗ Des personnages parfois trop caricaturaux |
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Entre coup de gueule et images déstabilisantes, Quarxx offre un film certes critiquable, mais qui a le mérite de s’assumer, tant au travers d’une mise en scène marquante que des gueules qu’il met en scène, son propos si dérangeant soit-il. |
Titre : Tous les Dieux du Ciel
Année : 2018
Durée : 1h42
Origine : France
Genre : Drame / Épouvante
Réalisateur : Quarxx
Scénario : Quarxx
Acteurs : Jean-Luc Couchard, Mélanie Gaydos, Zélie Rixhon, Thierry Frémont, Albert Delpy, Loïc Houdré, Sébastian Barrio, Lisa Livane, David Salles