
Dans le japon d’après-guerre, trois frères devenus malfrats par des chemins différents entrent dans une spirale de violence à la suite d’un « coup » organisé par l’un d’entre eux.
Avis de Cherycok :
Kinji Fukasaku fait partie de ces réalisateurs japonais cultes aux côtés d’Akira Kurosawa, Yasujirō Ozu, Kenji Mizoguchi, Hideo Gosha ou encore Masaki Kobayashi. Beaucoup l’ont découvert grâce au succès planétaire de Battle Royale en 2000, son dernier film (bien qu’il ait tourné certaines scènes de Battle Royale 2) avant son décès en 2003 à l’âge de 72 ans. Parmi ses films les plus connus et les plus cultes, on pourrait citer Guerre des Gangs à Okinawa (1971), Okita le Pourfendeur (1972), la saga Combat dans Code d’Honneur (5 films de 1973 à 1974), Le Cimetière de la Morale (1975), Shogun’s Samurai (1978) ou encore La Légende des Huit Samouraïs (1983). C’est au début des années 60 qu’il se fait connaitre avec sa série du Policier Vagabond (1961), qui met en scène un tout jeune Sonny Chiba, Gangsters en plein jour (1961) mais aussi et surtout Hommes, Porcs & Loups (1964), un film charnière dans sa filmographie qui formalisera beaucoup d’éléments du film de gangsters qu’il poussera encore plus loin dans les années 70. Un film important, où l’on voit l’émergence du style social/violent qui fera sa réputation, qui vient de débarquer chez nous sous la houlette de Roboto Films dans une bien belle édition rendant hommage à un très bon film.
Hommes, Porcs & Loups est à la fois un film de casse, un manifeste sur la violence sociale dans le Japon d’après-guerre et une tragédie familiale qui pose certaines bases des futurs films de Fukasaku. Les animaux du titre sont clairement des métaphores sociales, avec des loups qui sont les prédateurs, les porcs qui sont les pauvres gens, les oubliés, les exploités, et les hommes ceux qui sont encore un peu humains. Le film va jouer avec ces catégories morales en plaçant dans chacune d’elle un des trois frères qui vont s’affronter dans le film, aussi bien psychologiquement que physiquement. Nous avons tout d’abord Jirô, incarné par Ken Takakura, le loup, un personnage ambitieux qui veut prendre le pouvoir quitte à instrumentaliser les autres. Il y a Kuroki, l’ainé, joué par Rentarô Mikuni, ancré dans la hiérarchie des yakuzas. Et enfin, il y a le jeune Sabu, le porc, interprété par Kin’ya Kitaôji, la figure tragique, qui a dû s’occuper de sa mère jusqu’à son décès alors que ses deux frères avaient quitté le foyer, incarnant l’innocence perdue et le point de bascule émotionnel du film. Hommes, Porcs & Loups va jouer sur les interactions entre ces trois figures dont les valeurs familiales vont commencer à vaciller au décès de leur mère, puis littéralement exploser lors du vol d’argent/drogue. Ce qui devait être une échappatoire pour certains d’entre eux, grâce à l’argent qu’ils allaient pouvoir gagner, va se transformer en une spirale de trahisons, de violence, et de règlements de compte, obscurcissant petit à petit toute illusion d’avenir radieux pour chacun d’entre eux. Sabu y voyait l’occasion de sortir de la misère avec ses amis ; Jirô pensait faire un gros coup avant de partir à l’étranger avec sa petite amie pour se faire oublier ; Kuroki devait récupérer l’argent pour continuer d’être bien vu de son boss. Forcément, les choses ne tourneront pas en leur faveur et la cellule familiale ne s’en verra que plus désintégrée. Au fur et à mesure que le film avance, la frontière entre les trois catégories sociales du titre va se brouiller, avec des personnages qui vont passer de l’une à l’autre, comme pour rappeler que la misère économique et morale de cette époque finit par tout brouiller, qu’au final aucun ne vaut mieux qu’un autre et que les trajectoires de vie qu’ils ont chacun choisi ne mèneront qu’à leur perte.
Si Kinji Fukasaku choisit de situer son action dans ces taudis en marges des villes, c’est pour dépeindre l’envers du décor de la reconstruction économique du Japon de cette époque. On y voit une jeunesse abandonnée, sans aucune autre perspective que le crime pour essayer de s’en sortir, où la misère et l’appât du gain ne peuvent générer que des rapports de force avec des valeurs familiales qui se transforment en champ de bataille. Les personnages sont parfaitement écrits et à aucun moment tout blanc ou tout noir. Fukasaku nous les présente comme des anti-héros qui vont se diriger vers un cercle vicieux où la violence n’engendre que la violence. Le trio Rentarô Mikuni / Ken Takakura / Kin’ya Kitaôji est au centre du film et Fukasaku les dirige à la perfection, arrivant à faire ressentir au spectateur la moindre émotion qui traverse leurs personnages. On souffre aux côtés de Sabu lorsque son frère Jirô le torture pour qu’il dise où il a caché l’argent. On comprend parfaitement le désarroi de Kuroki lorsqu’il comprend qu’il ne pourra rien faire pour mettre fin à leur gros différent. Hommes, Porcs & Loups est un film qui nous prend aux tripes par son côté âpre et sans concession. Fukasaku nous montre la violence frontalement, sans jamais l’esthétiser, une violence sèche qui, avec le très beau noir et blanc du film, n’en est que plus percutante. L’esthétique du film est rugueuse, le sentiment d’oppression est constant dès lors que l’action revient dans ce petit cabanon en plein bidonville, avec un Fukasaku qui va tout faire pour accentuer l’impression d’urgence de la situation dans laquelle les personnages se trouvent. Le montage va se faire de plus en plus nerveux, une nervosité intensifiée par la très bonne musique jazz / rock accompagnant les images, et nous amener vers un final qu’on sait d’avance crépusculaire. Ce final, aussi intense et réussi qu’il soit, est malheureusement un peu trop précipité et trop vite expédié. Mais cela participe à l’intensité de l’ensemble et au fait que tout peut sans cesse basculer en une fraction de seconde, comme cette fratrie qui va se déchirer 1h30 durant.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ Des personnages intéressants ♥ Une excellente mise en scène ♥ Bien rythmé ♥ La violence sèche et âpre |
⊗ Un final trop précipité |
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Bobine charnière et essentielle dans la filmographie de Kinji Fukasaku, Hommes, Porcs & Loups est un film rugueux sur l’envers du décor du miracle économique japonais de l’après-guerre. Un très bon film de gangsters dont on ne ressort pas indemne. |
HOMMES, PORCS & LOUPS est sorti chez Roboto Films en Blu-ray mediabook au prix de 27.50€. Il est disponible à l’achat ici : Roboto-Films.fr Version Originale sous titrée français – BD 50 – MASTER HAUTE DEFINITION – 1080p – Format 2.35 : 1 respecté – Noir et blanc – DTS-HD Master Audio 2.0 En plus du film, on y trouve : Livret exclusif de 38 pages avec une analyse de Vincent Pelisse et des photos de tournage, Interview exclusive de Kinji Fukasaku par Yves Montmayeur en 2000, Interview avec le scénariste Jun’ya Sato, Interview avec le producteur Tatsu Yoshida, Interviuew avec le biographe de Kinji Fukasaku, Sadao Yamane, Bandes-annonces |
Titre : Hommes, Porcs & Loups / Wolves, Pigs and Men / 狼と豚と人間
Année : 1964
Durée : 1h35
Origine : Japon
Genre : Combat de frères
Réalisateur : Kinji Fukasaku
Scénario : Kinji Fukasaku, Jun’ya Satô
Acteurs : Rentarô Mikuni, Ken Takakura, Kin’ya Kitaôji, Shinjirô Ehara, Renji Ishibashi, Sanae Nakahara, Jirô Okazaki, Hiroko Shima, Shunji Kasuga, Shôjen Sawa, Seiichi Shisui