[Film] Clan Feuds, de Cheung Paang Yik (1982)

Un épéiste banni de son clan (Ti Lung) flanqué d’un jeune homme au fort tempérament (Lo Meng) va tenter de sauver les siens. Pour ce faire, il doit mettre le premier la main sur des objets magiques censés rendre leur propriétaire tout puissant.


Critique – Cheung Paang YikTi LungLo Meng


Non, Chu Yuan n’avait pas le monopole des adaptations cinématographiques des romans à succès de Gu Long. En cette année 1982, la Shaw Brothers fait appel à un réalisateur taiwanais, Cheung Paang Yik, pour mettre en scène à Hong Kong un nouvel opus basé sur une œuvre du prolifique écrivain. Clan Feuds sera ainsi l’unique incursion de celui que la profession surnomme le « Chu Yuan taiwanais » dans la production de l’ancienne colonie.

Mais Cheung Paang Yik n’en est pas à ses débuts : acteur et cascadeur, il est également l’assistant-réalisateur de films parmi les plus connus du mogol local, Joseph Kuo (on retiendra particulièrement le célèbre 18 Bronzemen). Une fois ses classes terminées, il passe à la mise en scène et n’arrêtera pas de tourner jusqu’à la fin des années 80, livrant aux spectateurs quelques œuvres non dénuées d’intérêt.

Clan Feuds ne déroge pas à la règle bien connue : les synopsis adaptés de romans de Gu Long sont bien souvent très complexes. Foisonnants, ils lancent dans une arène de papier une multitude de personnages, d’intrigues et de rebondissements, plaçant de la sorte le réalisateur sur le fil du rasoir : parviendra-t-il à capter l’attention du spectateur sans le perdre dans des dédales scénaristiques ? Sera-t-il suffisamment habile pour donner une structure intelligible à son histoire ? Aura-t-il le temps nécessaire au développement de la psychologie de ses personnages ? Le piège Gu Long ne s’est heureusement pas refermé sur Cheung Paang Yik qui, sans trahir l’écrivain, a mené à bien son projet : conserver la luxuriance de l’œuvre sans noyer le spectateur. Et celui-là même est conquis, conduit à son corps défendant sur les chemins aventureux empruntés par les héros, comme toujours dépassés par des événements « surhumains » (On est chez Gu Long parfois très proches de la mythologie grecque, les maîtres aux pouvoirs fabuleux s’apparentant à ceux des dieux de l’Olympe…).

Clan Feuds débute ainsi par la sentence à mort d’un fils de chef de clan (Dang Wai Ho), accusé d’avoir fauté avec une demoiselle (Kao Li Chia) consentante. Mais alors que son propre père (Yeung Chi Hing) prépare son écartèlement, un membre du clan (Ti Lung) lui substitue un jeune homme (Chow Kin Ping), sacrifié volontaire par devoir envers les puissants. Ignorant tout du subterfuge, le frère du condamné (Lo Meng) se rend sur les lieux une fois le supplice achevé et attaque les responsables avant d’être maîtrisé par Ti Lung. Peu de temps après, alors qu’il discute en pleine nuit avec une jeune femme du clan (Lily Li Li Li), ce dernier est à son tour arrêté pour outrage aux bonnes mœurs. Mais en tant que fils d’un grand maître en arts martiaux, sa punition se réduit au bannissement à vie. Prenant la route avec un Lo Meng revanchard et condamné à la même peine, il croisera le chemin de dangereux individus n’ayant qu’un objectif en tête : s’approprier un joyau magique et un manuel d’arts martiaux pour détruire son clan et régner sur le Jiang Hu.

Le premier quart de Clan Feuds pose clairement les bases d’un récit mythologique. Un jeune amoureux innocent se voit infliger une peine barbare, qui plus est prononcée par son propre père. Le Zeus dévorant ses enfants n’est pas loin… Le héros est injustement banni et jeté sur les routes, tel un Ulysse chinois en pleine Odyssée ou un Jason cherchant la Toison d’or, son parcours étant ponctué de rencontres surnaturelles et dangereuses. L’épéiste sera ainsi confronté à une jeune femme habillée de peaux de bêtes (Liu Lai Ling), vivant dans une caverne avec une mère défigurée et à moitié folle (Helen Poon Bing Seung), à un chevalier aveugle (Philip Ko Fei) guidé par une guerrière muette (Yeung Jing Jing), à un tueur (Chan Siu Pang) armé d’une « épée vampire » qui suce le sang de ses victimes, à un homme (Tang Ching) gardant deux cadavres dans un mausolée de glace, à une sorcière (Ha Ping) vivant recluse dans une pièce inondée de noir, à un prince (Sun Chien) entouré d’un harem… et à une horde de tueurs usant de tous les artifices pour s’approprier les reliques qui les rendront maîtres du Jiang Hu.

Avec Clan Feuds, Cheung Paang Yik a composé une sorte de wu-xia pian mâtiné de road movie, qui suit le chemin d’un héros moins fort qu’on pourrait le croire. Car le personnage incarné par Ti Lung, aussi sûr qu’il paraît au premier abord, est en proie à de sérieux démons. La perte de son clan, consécutive à son bannissement, lui rappelle celle d’un père qu’il n’a jamais connu. Et les voies des dieux étant impénétrables, son voyage va être pour lui l’occasion de se recomposer une famille, véritable trésor qu’il obtiendra à la fin de son aventure. On a réellement l’impression que Cheung Paang Yik, en réalisant Clan Feuds, était davantage intéressé par cette histoire de parenté que par les dangers qui guettaient le clan du héros. La famille plutôt que le clan !

Pour autant, Cheung Paang Yik n’oublie jamais que le cinéma est un divertissement et livre au spectateur sa ration de péripéties, de féerie et de combats. Les décors sont somptueux (Chu Yuan semble avoir été une grande source d’inspiration), les éclairages ne sont pas en reste, les costumes recherchés (même si celui porté par Liu Lai Ling est assez laid) et les chorégraphies, signées Yuen Cheung Yan, nombreuses et inventives.

Pour son unique film à la Shaw Brothers, le réalisateur taiwanais bénéficie de surcroît d’un exceptionnel casting : Ti Lung, Philip Ko Fei, Lo Meng, Sun Chien, Jason Pai Piao (et bien d’autres) pour les hommes, et Chan Si Gaai, Liu Lai Ling, Lily Li Li Li, Yeung Jing Jing, Helen Poon Bing Seung et Kao Li Chia pour les femmes ! L’utilisation de ces dernières, jamais reléguées au second plan, est une nouvelle preuve de sa proximité avec un autre grand amoureux des personnages féminins, Chu Yuan.

La vision de Clan Feuds ne pourra faire regretter qu’une seule chose au spectateur : que l’expérience hongkongaise de Cheung Paang Yik soit restée sans lendemain…

David-Olivier Vidouze (20 janvier 2007)


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Cheung Paang Yik

Né dans la province de Shandong en 1940, Cheung Paang Yik émigre à Taiwan avec sa famille après la prise du pouvoir par Mao. C’est au cours de son service militaire qu’il devient un athlète et s’adonne à la lutte. Une fois libéré de l’armée, il intègre le milieu des cascadeurs et devient bien vite assistant réalisateur pour le mogul taiwanais Joseph Kuo sur son classique The 18 Bronzemen. Il met en scène son premier film en 1978, The Clutch Of Power, suivi par Wanderer With Nimble Knife et Awe Inspiring Weapon.

Il est réputé pour ses adaptations des romans de Gu Long, à l’image du réalisateur hongkongais Chu Yuan, ce qui lui vaut le surnom de « Chu Yuan taiwanais ».

Cheung Paang Yik a été invité à mettre en scène Clan Feuds par la Shaw Brothers en 1982. Une fois le tournage achevé, il est reparti travailler à Taiwan.

David-Olivier Vidouze (adapt. trad. IVL)


Ti Lung

Avec son visage de dur et son regard sévère, il est l’un des acteurs les plus importants du cinéma HK tel qu’on l’aime tous. Il jouait le rôle du grand frère de Leslie Cheung dans A Better Tomorrow (Le Syndicat du Crime) de John Woo (pour le spectateur non-initié, il s’agit d’ailleurs de son rôle le plus célèbre), mais il ne faut surtout pas oublier qu’il est au même titre qu’un David Chiang ou qu’un Chen Kuan Tai, un immense acteur qui a donné ses lettres de noblesses aux Wu Xia Pian de Chang Cheh ou de Chu Yuan, où il y interprétait des rôles de guerriers impitoyables et viriles.

Né le 3 Août 1946 à Canton, il fut, comme de nombreux acteurs de sa génération, découvert par Chang Cheh, qui l’opposa à Jimmy Wang Yu dans le délirant Return Of The One-armed Swordsman avant d’en faire le comparse idéal de David Chiang dans des wu xia pian sanglants comme New One-Armed Swordsman (La Rage du Tigre) ou Deadly Duo, après une collaboration fructueuse avec l’ogre qui donna une bonne dizaine de chef d’œuvre du genre, il travailla avec un autre maître du genre, Chor Yuen (Chu Yuan en mandarin), qui remplaçait les débordements sanglants de Chang Cheh par une recherche plus axé sur le suspens et les intrigues à tiroir, il interpréta notamment le rôle titre de The Sentimental Swordsman et de ses suites, puis le rôle principal de l’excellent The Magic Blade dans lequel il interprète le rôle d’un cavalier solitaire qui porte un long manteau sous lequel il dissimule une épée tranchante qu’il manipule avec une grande vitesse, un peu à la manière des outlaws solitaires dans les films de Sergio Leone.

Les années 80 marquant le déclin de l’empire Shaw Brothers, Ti Lung jouera dans une série de films de Kung Fu assez moyens produits à Taïwan, jusqu’en 1986 où il fit la rencontre de John Woo qu’il avait pu croiser sur le tournage de Blood Brothers de Chang Cheh, les deux hommes s’embarquèrent dans l’aventure A Better Tomorrow avec le carton que l’on connaît, puis il y eut la suite de ce film en forme d’hommage aux wu xia pian de Chang Cheh, puis tout une série de tentative d’imitation comme Tiger On The Beat, True Colors, City War voguant sur le succès du film de John Woo.

Depuis, cet immense acteur s’est contenté de second rôle dans des films aux qualités inégales Blade Of Fury, The Bare-Footed Kid, The Killer’s blues, jusqu’en 1994 où l’union Liu Chia Liang / Jackie Chan donna le chef d’œuvre de la kung-fu comédie qu’est Drunken Master II (Combats de maître) et lui permit d’interpréter le père de Wong Fei-hong aux côtés d’Anita Mui.

L’un de ses derniers rôles marquants fut celui d’un vieux flic sur la corde raide dans le bon Clean My Name, Mr Coroner ! de James Yuen.

Philippe Quevillart (septembre 2002)


Lo Meng

Natif de Hong Kong en 1952, Lo Meng est avant tout connu pour ses prestations martiales au sein des « Venoms », une troupe d’acteurs qui signera une vingtaine de films sous la férule de Chang Cheh.

Dès la chute des studios Shaw Brothers, Lo Meng se tourne vers la télévision où il obtient de nombreux rôles. En 1992, son caméo dans Hard Boiled de John Woo lui permet de renouer avec le grand écran. Dès lors, abonné aux seconds rôles de complément, sa carrière se poursuit sans grande secousse. D’abord dans les catégories III entre 1995 et 2000 (Eternal Evil of Asia, Ebola Syndrome, Sex And Zen 3), il retourne ensuite sa veste pour se cantonner désormais dans la comédie (Dry Wood Fierce Fire, Diva Ah Hey, Protege De La Rose Noire).

Stéphane Jaunin (Avril 2004)


 

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Auteur : HKCinemagic

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