Naissance et chute de la Shaw Brothers : de 1958 à nos jours
- L’offensive Run Run Shaw et la création de la Shaw Brothers
Naissance de la Shaw Brothers (HK) Ltd
Si l’activité d’exploitation est alors florissante en Malaisie, ce n’est pas le cas à Hong Kong où la Shaw and Sons Ltd. stagne sous les coups des concurrents (et notamment de la MP & GI / Cathay qui avait su se renouveler). Run Run Shaw prend alors la décision, en 1957, de quitter sa base d’Asie du Sud-Est pour gagner la colonie britannique. Runde et lui s’y accordent pour prendre des directions différentes, l’un s’occupant de la production, l’autre de l’exploitation et la distribution.
Run Run rachète à son frère Runde un terrain de 19 hectares situé à Clearwater Bay, Kowloon, pour y construire le studio Shaw et ne tarde pas à annoncer dans la presse, en mars 1958, la création de la Shaw Brothers (HK) Limited, marquant ainsi son indépendance de la Shaw and Sons.
La Shaw Brothers prend en charge la production cinématographique tandis que la Shaw and Sons gère la distribution et l’exploitation des circuits de salles (son circuit hongkongais sera plus tard racheté par Cinema City, une fois que la Shaw Brothers aura construit le sien).
Pour accompagner la naissance de cette nouvelle société, l’année 1958 voit également le lancement de la revue Southern Screen, publication officielle de la Shaw Brothers.

Le Recrutement de nouveaux talents
Tandis que les studios de la Shaw Brothers sont en construction, Run Run lance une grande campagne de recrutement pour sa compagnie : acteurs, scénaristes, techniciens, administratifs, etc. Tous les corps de métiers sont concernés, toutes les compétences bienvenues.
a. Les hommes de l’ombre
En 1959, par l’intermédiaire de ses réseaux shanghaiens à Hong Kong, il recrute Raymond Chow (Zou Wenhuai), journaliste au Hong Kong Standard et producteur de la Voix de l’Amérique / Voice Of America (de la branche hongkongaise de l’US Information Service), pour être son Directeur de la Publicité. C’est ce même Chow qui engage à son tour, dans son département, Leonard Ho (He Guanchang).
Raymond Chow et Leonard Ho, tout deux cantonais parlant parfaitement le mandarin et l’anglais, permettent à la Shaw Brothers de recruter des cadres jeunes et énergiques, prêts à relever les défis de la concurrence.

Raymond Chow (en excellente compagnie)
b. Les artistes chinois
– Les « waijiang ren » : Un certain nombre de metteurs en scènes appelés « waijiang ren » (personnes vivant au dessus de la rivière du Yangtze) par les Cantonais sont recrutés. Parmi eux, on retrouve Li Han-Hsiang, qui débute par la mise en scène de huangmei diao, ou King Hu que Raymond Chow fit venir de la Voice of America.
– Vols à la concurrence : La Shaw Brothers n’hésite également pas à puiser dans le vivier de talents des compagnies concurrentes. C’est ainsi que se voyant offrir de meilleures conditions financières, Linda Lin Dai, Diana Chang ou Peter Chen quittent la Cathay pour le studio de Run Run.
– Les concours : La Shaw Brothers recrute elle-même ses propres vedettes par le biais de concours annoncés dans les magazines à la mode. Les acteurs et actrices dont le potentiel a été à cette occasion découvert se voient offrir une formation maison pour réaliser leur rêve : cours de danse, de chant, d’art dramatique, d’arts martiaux… Le département Publicité du studio se charge ensuite d’en faire des vedettes aux yeux du public (longs articles et reportages dans le magazine cinéma de la Shaw, photos dédicacées envoyées aux fans…).
– Les écoles « maison » : Enfin, les écoles d’art dramatique et de cascades de la Shaw Brothers (une quarantaine de places en tout et pour tout) constituent également un vivier de talents. Chaque année, les postulants, âgés de 15 à 18 ans, affluent par centaines dans l’espoir de se voir sélectionner pour en suivre les cours.
c. L’apport étranger
– Le Japon : Run Run Shaw était depuis longtemps un grand admirateur du cinéma japonais et de ses maîtres à la réputation internationale (Mizoguchi eut d’ailleurs l’occasion de tourner pour la Shaw and Sons Ltd.). L’idée lui vient donc d’engager des techniciens et des metteurs en scène nippons (Inoue Umetsugu, par exemple) afin qu’ils transmettent à ses équipes locales les ficelles du métier. Des équipes de la Shaw Brothers sont également envoyées sur place afin de recevoir des formations techniques. L’effet se fait rapidement sentir à l’écran, notamment dans la maîtrise du ShawScope, marque de fabrique de la firme.
– L’Occident : Dans une moindre mesure, Run Run Shaw fait aussi appel à des techniciens américains et européens pour parfaire la qualité de ses propres équipes.
La Shaw Movietown
Le complexe des studios de la Shaw Brothers est dessiné par le jeune architecte sino-anglais Eric Cumine (parlant anglais, cantonais et shanghaien !), pour une construction sur la partie de Kowloon de la Clearwater Bay.
La première phase, de 1957 à 1961 (à l’occasion de laquelle plus de 70 km² furent déboisés), voit la construction de six plateaux indépendants, dont un avec la technologie ShawScope, inspirée du Cinémascope américain. Le bâtiment administratif, le studio de post-synchronisation, le laboratoire, la cantine et les logements du personnel (des sortes d’HLM pour les plus bas salaires et de beaux appartements pour les « vedettes ») sont achevés à la fin de l’année 1961. Six nouveaux plateaux sont livrés en 1964 après le déboisement de 22 nouveaux km².

La construction du complexe, qu’on appellera désormais la Shaw Movietown et qui s’étend maintenant sur environ 75 km² est terminée en 1967. Les douze plateaux permettent alors le tournage simultané d’autant de films et près de 500 employés contractuels permanents résident sur place (parmi lesquels quinze scénaristes, vingt-cinq écrivains et des représentants de tous les corps métiers : électriciens, charpentiers, architectes, peintres, photographes, preneurs de son, etc.). 30 techniciens pouvent développer 300 mètres de négatif ou 1500 mètres de pellicule par heure ! Les laboratoires sont aussi capables de tirer plus de 100 000 photos des stars de la Shaw Brothers par mois tant la demande des marchés de Hong Kong, Taiwan et de la Malaisie est grande !
Dès le début des années 60, il est donc possible de vivre en quasi autarcie au sein de ce complexe de création cinématographique : on y dort, on y mange, on y travaille, on y étudie… Electricien, plombier, charpentier, médecin, imprimeur, acteur, scénariste… chaque besoin ou presque peut être satisfait sur place !
La politique Shaw
a. Le tournage des films
Run Run Shaw ne s’arrête pas à l’architecture et met en place, avec l’appui de Raymond Chow, un nouveau mode de management et de nouvelles règles de production, permettant à la compagnie de produire jusqu’à 40 films par an. Parmi ces mesures, on note l’arrêt du tournage des scènes nocturnes la nuit, l’abandon de la prise directe pour le son (d’une part les acteurs sont susceptibles de parler des dialectes différents sur un même plateau et, d’autre part, les erreurs ou trous de mémoire sont rectifiables en post-synchronisation : gain de temps et d’argent), la constitution de différentes version d’un même film selon les marchés (trois versions : une « dure » pour les Etats-Unis et l’Europe, une « moyenne » pour Singapour et la Malaisie, et une « douce » pour Hong Kong) et la rationalisation de tous les stades de production, de l’écriture du scénario à la mise en scène, en passant par les cours d’art dramatique (fondation du Southern Drama Group en 1961 sous le patronage de Ku Wen-chung).
La présence de toutes les phases de la vie d’un film au sein de l’empire Shaw, de l’écriture à l’exploitation sur grand écran, s’apparente à une intégration verticale telle qu’on peut la retrouver dans l’industrie. La totalité des métiers est représentée, les employés ayant même la possibilité de vivre sur le site (la Shaw Movietown) dans des dortoirs aménagés à cet effet. Bien entendu, une organisation de ce type est plus séduisante (économiquement parlant) sur le papier que dans la réalité, notamment pour les postes artistiques. Les grands réalisateurs ne tardent donc pas à se créer des clans d’habitués et à se constituer leurs propres équipes.
Côté technique, Run Run Shaw mise sur les dernières technologies en date pour drainer un maximum de spectateurs dans ses salles. Les plus représentatives sont la systématisation de la couleur à l’écran et le tournage en format large (le ShawScope).

Runme Shaw entouré de quelques stars de la SB
b. Le management humain
– Le personnel technique : Les employés des services techniques de la Shaw Brothers sont salariés comme dans n’importe quel type de société. Leurs salaires sont peu élevés et il leur est interdit de se syndiquer.
– Les acteurs : Les contrats types des acteurs sont établis pour une durée de 7 ans, période qui correspond à l’estimation de la durée moyenne d’une carrière (jusqu’à la trentaine pour les hommes et vingt cinq ans pour les femmes, âge auquel elles sont susceptibles de se marier). Les contrats sont très contraignants et peu favorables aux acteurs qui n’ont aucun contrôle sur leur carrière et passent de film en film, parfois plusieurs dans la même journée. Ils ne perçoivent pas de cachet mais un salaire mensuel relativement bas (quelques centaines de dollars hongkongais), une prime par film et un bonus si celui-ci s’avère être un succès commercial. Cette politique de rémunération implacable permet à la Direction de la Shaw Brothers de dégager d’énormes bénéfices.
Une fois leur contrat signé, les acteurs n’ont aucun moyen de contester les conditions d’exploitation des Shaw. Leur unique recours est de mettre définitivement fin à leur carrière et de quitter à jamais le milieu du cinéma…
– Réalisateurs et Direction : Ce sont les seules catégories d’employés qui ont droit à un certain égard de la part de la Shaw Brothers. Leurs salaires sont élevés car ils doivent être ménagés et surtout conservés par le studio. Autant il est aisé de remplacer un acteur, autant un metteur en scène de talent est un atout indéniable et rare qu’il est indispensable de garder en son sein.
Les œuvres
a. Premiers grands succès critiques et publics
1959 marque le premier grand succès critique de la toute nouvelle Shaw Brothers. Li Han Hsiang, déjà fidèle parmi les fidèles, réalise alors pour le studio The Kingdom And The Beauty, huangmei diao avec la vedette populaire Linda Lin Dai. Le film remporte la même année le prix du Meilleur Film au 6ème Festival du Film Asiatique.
Trois ans plus tard, la reconnaissance se fait occidentale avec l’attribution du Grand Prix de la Commission Supérieure Technique du Cinéma Français au drame du même Li Han Hsiang, Yang Kwei Fei, pour sa maîtrise de la photographie couleur, à l’occasion du 15ème Festival du Film de Cannes.
Li Han Hsiang, toujours lui, offre également à la Shaw Brothers son premier grand succès commercial asiatique en 1963 avec The Love Eterne. Le film, un huangmei diao mettant en vedettes Betty Loh Tiet Ivy Ling Po, bat tous les records au box office de Hong Kong et de Taiwan.

b. Les films de genre
Selon un phénomène identique à celui que l’on pouvait observer à Hollywood au temps des majors toutes puissantes, la Shaw Brothers s’engouffre alors dans le film de genre, très prisé par un public fidèle à ses stars et ses univers codés. Acteurs et metteurs en scène se retrouvent bien vite spécialisés dans un type cinématographique quelque peu cloisonné duquel ils auront beaucoup de mal à s’échapper.
Le studio offre ainsi une variété étonnante de genres : huangmei diao, comédies musicales (Les Belles, Dancing Millionairess), comédies romantiques, mélodrames prestigieux (Vermillion Door, Love Without End), drames historiques (Magnificent Concubine, Lady General Hua Mulan), arts martiaux…, auxquels il est facile d’associer acteurs et metteurs en scène habituels.

Les productions Shaw Brothers de cette première partie des années 60 se caractérisent par le fait qu’il s’agit d’un cinéma d’évasion (les préoccupations sociales n’arriveront qu’au début des années 70) presque exclusivement dominé par des vedettes féminines. Les hommes ne sont alors que des faire-valoir, charmants souffre-douleur condamnés à mettre les héroïnes en valeur.
De plus, bien que réalisé à Hong Kong, ce cinéma ne reflète en aucune manière la culture cantonaise. Au contraire, le cinéma mandarin dessine une Chine imaginaire destinée à un public d’exilés : exilés de Chine continentale à Hong Kong, mais également exilés chinois dans tous les Chinatown de la planète.
c. Un genre nouveau : le wuxia pian
– Le choc Come Drink With Me : Jusqu’à présent, les films d’arts martiaux sont considérés par le cinéma mandarin (dont la Shaw Brothers) comme des produits bas de gamme. La révolution vient d’une simple observation que fit Run Run Shaw en analysant le box office asiatique : les chambaras (films de samouraïs japonais) attirent de plus en plus le public chinois et deviennent de véritables succès populaires.
Chang Cheh est alors chargé, à titre d’expérimentation, de mettre en scène un wuxia pian intitulé Tiger Boy. Afin de limiter les dégâts en cas d’échec, le film est tourné en noir et blanc et sans véritable star (les futures « vedettes » de Temple Of The Red Lotus). Présenté par prudence en premier lieu à Taiwan, Tiger Boy rencontre un joli succès qui décide Run Run Shaw à lancer son studio dans une politique « wuxia » maison. Temple Of The Red Lotus (1965) de Chui Chang Wang, en couleurs cette fois-ci, est ainsi le premier film du genre à sortir à Hong Kong (l’œuvre séminale de Chang Cheh y étant encore inédite). Considéré par beaucoup comme le premier wu xia pian, il s’appuie sur quelques vedettes de Tiger Boy pour former un trio qui fera bientôt parler de lui : Jimmy Wang Yu, Chin Ping et Lo Lieh. Mais le résultat demeure un peu trop théâtral malgré les beaux combats de Liu Chia Liang. Le wuxia pian se cherche encore un peu…
Sous ces influences majeure, le style se définit rapidement comme la combinaison de l’âpreté et la violence des chambaras nippons avec les traditions wuxia chinoises.
C’est King Hu, un an plus tard, qui réalise le premier film de chevalerie martial (wuxia pian) véritablement révolutionnaire et qui restera le mètre étalon du genre pendant des années. Come Drink With Me, film initiateur de la vague du « néo wuxia » et d’une descendance pléthorique, propose en tête d’affiche deux nouvelles stars de la Shaw Brothers, Cheng Pei Pei et Yueh Hua, couple qui se retrouvera par la suite bien souvent réuni à l’écran.
La même année, pour promouvoir ses stars maison et fidéliser son public, le studio lance sa deuxième revue officielle, le Hong Kong Movie News. Dans le même temps, consécration internationale, le magazine américain Life publie un article impressionné sur l’usine à rêves hongkongaise.

Jimmy Wang Yu dans le Bras de la Vengeance (Return of the One-armed Swordsman)
– La seconde révolution wuxia : One-Armed Swordsman : Après deux expériences fort encourageantes (Temple Of The Red Lotus et Tiger Boy), Chang Cheh réalise un coup de maître avec la sortie de One-Armed Swordsman, événement sans précédent dans le cinéma local. Ce récit d’un héros masculin voué à souffrir autant qu’à faire souffrir engrange plus d’un million de dollars au box office hongkongais (premier film de la colonie à franchir ce cap) et propulse Jimmy Wang Yu au rang de première vedette martiale de la Shaw Brothers (les prétendants étaient alors nombreux, comme le plus « classique » Yueh Hua). Pour la première fois, le genre du wu xia pian accouche d’une œuvre violente et sanglante, portée par un chevalier torturé dans sa chair et dans son âme : les bases du style « yang gang » (« loyauté masculine » ou « staunch masculinity »), quelque peu ébauchées dans ses œuvres précédentes, sont posées par un Chang Cheh qui les déclinera pendant plus d’une décennie.
Quelques départs vers d’autres cieux…
Le développement d’un empire ne se faisant pas sans heurts, d’autant plus si l’on évolue dans un milieu artistique peuplé de fortes personnalités, certains piliers de la Shaw Brothers seront amenés à quitter l’aventure au cours des années 60 et à émousser la structure du studio.
a. Des départs volontaires liés aux désirs d’émancipation
Li Han-hsiang prend la décision de quitter la Shaw Brothers en 1963 pour aller fonder à Taiwan sa propre compagnie, la Grand (Guolian) Motion Picture Company (une expérience qui prend fin en 1970 avec son retour dans le giron de Run Run).
Trois ans plus tard, en 1966, c’est au tour de King Hu de partir pour Taiwan. Pour lui, les adieux seront définitifs.
Avec ces deux défections, la Shaw Brothers se voit privée de valeurs sûres au box office.Run Run Shaw est profondément marqué par ces départs qui ont pour effet, chez lui, de donner facilement leur chance à de jeunes metteurs en scène afin de renouveler son équipe de réalisateurs. Cette promotion bénéficiera à la fin des années 60 à Chu Yuan (protégé de Chun Kim) et au milieu des années 70 à Liu Chia Liang (chorégraphe de Chang Cheh).
b. Des événements tragiques
L’année 1964 est marquée par le suicide de l’extrêmement populaire actrice Linda Lin Dai. Dès lors, les tragédies ne cesseront pas de se succéder dans la deuxième partie des années 60. Betty Lo met fin à ses jours en 1968. En 1969, ce sont Margaret Tu Chuan et Chun Kim, metteur en scène cantonais personnellement recruté par Run Run Shaw quelques années auparavant, qui se suicident à leur tour.
Enfin, Peter Chan Ho, faire-valoir plein de charme, succombe quant à lui à un cancer.

Linda Lin Dai dans The Blue and the Black
c. L’indiscutable apogée de la Shaw Brothers à partir de la seconde moitié des années 60
Si la tragédie touche alors de plein fouet la Shaw Brothers, le studio n’est pas le seul à être victime du destin tragique de certains de ses piliers.En 1964, la concurrente Cathay (MP&GI) perd dans un accident d’avion son directeur, Loke Wan Tho, ainsi que de nombreux précieux collaborateurs. Fort est alors de constater que malgré la poursuite de ses activités artistiques, le studio a perdu plus qu’un dirigeant : un véritable guide. La Cathay ne s’en remettra jamais et déclinera rapidement, laissant le champ libre à la Shaw Brothers triomphante.
b. Le cinéma cantonais en perte de vitesse
La seconde moitié des années 60 voit le déclin du cinéma populaire cantonais qui s’écroule littéralement au début de la décennie suivante. Profitant d’une importante production en mandarin, la Shaw Brothers augmente ses parts de marché.
L’arrivée de nouvelles stars
Conscient de l’impact des vedettes sur les foules, à l’image des idoles américaines, le studio s’empresse de trouver des remplaçantes à celles l’ont quitté. Le vivier féminin est alors renouvelé avec notamment l’arrivée de Jenny Hu, Lily Ho, Li Ching, Cheng Li, Cheng Pei Pei et Ching Ping.
Les stars masculines occupent quant à elle une place de plus en plus importante dans la cosmogonie cinématographique locale. De simples faire-valoir d’actrices, les acteurs deviennent à leur tour des stars adulées par le public grâce au succès des wu xia pian et de leurs héros masculins. Les premiers à en profiter sont Jimmy Wang Yu, Yueh Hua et Lo Lieh, suivis quelques années plus tard du duo magnifique David Chiang et Ti Lung.
Princess Iron Fan avec Lily Ho et Cheng Pei Pei
d. Les œuvres
En cette deuxième partie des années 60, le wu-xia pian est incontestablement le genre dominant sur les écrans hongkongais et donc à la Shaw Brothers. Chang Cheh demeure toutes ces années le maître du genre et livre des classiques à la pelle : The Magnificent Trio, The Trail Of The Broken Blade, One-Armed Swordsman, The Assassin…Huangmeng diao et drame sont quelque peu relégués en arrière plan mais pas pour autant abandonnés : il faut satisfaire tous les publics !
Une nouvelle co-production avec le Japon est mise en chantier : la Shaw Brothers s’allie en 1967 à la Nikkatsu pour réaliser une parade asiatique au phénomène mondial « James Bond ». Asia-Pol réunit ainsi les stars hongkongaise Jimmy Wang Yu et japonaise Jo Shishido (acteur fétiche de Seijun Suzuki) pour un récit d’espionnage réalisé par Mak Chi Woh, et Mastuo Shoden.
- La Shaw Brothers face à l’émergence d’un nouveau géant : la Golden Harvest
Le développement de la télévision, phénomène social et poison violent
La fin des années 60 voit l’arrivée de la télévision en Asie du Sud Est. C’est un véritable déferlement dans la région et les foyers s’équipent à grande vitesse. Désormais, le divertissement arrive directement à la maison dans la petite lucarne. Les salles de cinéma se trouvent face à un concurrent qu’elles n’ont pas réellement vu venir et qui s’avère des plus redoutables (phénomène vécu par les grands studios américains quelques vingt années auparavant).
Les premiers touchés sont les cinémas cantonais et japonais, pas assez universels dans le sud-est asiatique. Le choc est tel que des studios sont même contraints de fermer leurs portes.
Comme ses pairs, Run Run Shaw panique et ses réflexions immédiates le poussent à jouer la sécurité. Encouragé par le fait qu’aucun concurrent local sérieux n’est capable de lui faire de l’ombre, il estime que les studios Shaw peuvent diminuer leurs standards de qualité sans que cela ne porte préjudice à leurs résultats commerciaux : même si le public s’aperçoit que les années fastes sont désormais révolues pour la firme, il n’aura pas d’autre alternative cinématographique… Ainsi, Run Run songe donc à réduire drastiquement les activités de la Shaw Brothers : coupes dans les budgets de production, licenciement d’une bonne partie des employés, etc. Mais un homme va tenter de s’y opposer : Raymond Chow, bras droit de Run Run. (De directeur de la publicité, ce brillant collaborateur a su au fil des ans s’imposer comme le maître d’œuvre des plus grands succès commerciaux de la Shaw Brothers. Il est également un des instigateurs du développement de la firme, révolutionnant au tout début des années 60 les modes de production et de management.) Visionnaire et aventureux, il prône au contraire en cette période de remous l’adoption d’une stratégie radicalement opposée à celle du nabab. Pour lui, la fermeture de nombreux studios en Asie du sud-est représente une opportunité que la Shaw ne doit pas laisser passer : la disparition de ces sociétés va immanquablement créer un vide dans le marché cinématographique de cette partie du globe. Raymond Chow estime que la firme de Run Run a la possibilité, si elle s’en donne les moyens, de s’approprier ces nouveaux publics en conservant les anciens. Pour y arriver, la Shaw Brothers doit se doter d’une politique de prestige internationale (et pas uniquement centrée sur Hong Kong et la région) ainsi que d’un système de production plus souple.
Mais Run Run Shaw, peu enclin à lâcher de son pouvoir et ses deniers, s’y oppose. En père de famille timoré et d’une autre époque, il s’assoit au lieu de marcher.

L’Entrée en scène de Mona Fong
Mona Fong, née à Shanghai, est la fille d’une vedette de night-club des années 30, Fang Wenxia. Arrivée à Hong Kong à la fin des années 40, elle chante des succès occidentaux dans les cabarets. C’est là qu’elle fait la connaissance de Run Run Shaw en 1952. Elle le fréquente régulièrement et il lui propose, en 1969, de prendre la tête du Département Achats de la Shaw Brothers, avec les pleins pouvoirs.
Son entrée à un si haut poste provoque des remous parmi les cadres dirigeants qui ne lui accordent aucune légitimité. La colère gronde…
Cet événement est également pour Raymond Chow l’occasion de prendre conscience que le système Shaw repose sur les liens familiaux. La « danseuse » de Run Run le prive ainsi de toute perspective au sein du studio.
La création de la Golden Harvest![]()
En réponse au parachutage à un poste de responsabilité de Mona Fong et à la rigidité chronique de Run Run Shaw, un certain nombre de cadres décident de quitter la Shaw Brothers. En juin 1970, le manager de production Raymond Chow accompagné du superviseur de production Leonard Ho, de l’éditeur Lian Feng (nom de plume au Southern Screen : Leung To-kin) et de Cai Lichang (Cai Dusheng) créent avec un capital de 400 000 HK$ la Golden Harvest (HK) Limited (Jiahe). Ils sont bientôt rejoints par les stars Jimmy Wang Yu, Lo Wei, Hsu Tseng-hung, Huang Feng et Wu Jiaxiang.
La grande nouveauté apportée par la Golden Harvest est le partage des profits entre producteurs, metteur en scène et vedette : un mécanisme tout bonnement impensable à la Shaw Brothers ! Ce mode de collaboration inédit, initié sur The Big Boss, devient une marque de fabrique de la société de Raymond Chow. En permettant à ses acteurs de créer des sociétés de production, la Golden Harvest brise l’éternelle relation employeur / employé pour instaurer un mode de rémunération basé sur le partage des profits selon les fonds investis. On passe alors ainsi de l’organisation ultra centralisée de la Shaw Brothers à celle reposant sur des sociétés indépendantes de la Golden Harvest : plus de flexibilité et plus de justice !
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Une première manche remportée par la Shaw
Run Run Shaw prend la création de la Golden Harvest par certains de ses anciens employés comme un affront personnel. Vexé et assez peu habitué à ce qu’on lui résiste, il n’aura dès lors de cesse de la faire disparaître et de montrer aux « traîtres » qui est l’homme puissant de l’industrie cinématographique locale.
Son premier coup d’éclat est de louer tous les plateaux de tournage de l’ancienne colonie afin d’obliger les équipes de la Golden Harvest à se déplacer à Taiwan, en Thaïlande ou en Corée. Il contraint ainsi ses rivaux à consacrer plus de budget aux tournages, grevant ainsi leurs capitaux et réduisant leurs marges de manœuvre financières.
Afin d’éviter de futurs écueils et désireux de s’implanter solidement, le jeune studio loue en 1971 les anciens studios de la Cathay sur Hammer Hill Road (Yung Hwa Motion Pictures Studio) et conclut un accord de distribution avec la Cathay Organisation (Malaisie, Singapour).
Au même moment, la Shaw Brothers traîne la Golden Harvest et Jimmy Wang Yu devant les tribunaux pour l’utilisation abusive du personnage du sabreur manchot (l’acteur renégat avait « exporté » le héros qu’il avait interprété chez Chang Cheh à la Golden Harvest en le rebaptisant « One-Armed Boxer »).
Si la Golden Harvest parvient tout de même à sortir ses premiers films, fort est de constater qu’ils ne rencontrent pas leur public. Au mieux ils remboursent l’investissement initial, au pire ils font perdre de l’argent au studio. Il est vrai que les modestes wu xia pian – on pourrait dire fauchés – qu’il produit ne peuvent rivaliser avec les prestigieuses œuvres de la Shaw Brothers (ironie du sort, Run Run a finalement adopté la stratégie de Raymond Chow !).
Bruce Lee : la riposte de la Golden Harvest
Quelque temps avant le départ de Raymond Chow de la Shaw Brothers, Bruce Lee est venu frapper à la porte du studio de Run Run. De retour des Etats-Unis, celui qu’on n’appelle pas encore le « Petit dragon » n’a à son palmarès qu’une expérience télévisuelle décevante dans la série Green Hornet (il y interprète le faire-valoir d’un justicier bien blanc) et quelques apparitions peu convaincantes au cinéma (là encore, il ne doit sa participation qu’à son côté exotique). Néanmoins conscient de sa valeur, Bruce Lee apparaît trop exigeant aux yeux du nabab qui le renvoie. Pas question pour Run Run qu’un acteur ne se plie pas aux règles maison !
Une fois la Golden Harvest créée, Raymond Chow se souvient de Bruce Lee et ne tarde pas à lui faire une proposition qu’il accepte. Son premier film sera The Big Boss (1971), en co-production avec la société du réalisateur Lo Wei, la Siwei Film Company, et des capitaux thaïlandais. Le film est un triomphe dans toute l’Asie du Sud-est et sauve la Golden Harvest de la faillite. Run Run Shaw prend brusquement conscience qu’il faudra compter sur ce concurrent et renonce aux mesures drastiques qu’il souhaitait mettre en œuvre : la fermeture de la moitié du studio et la réduction de la production sont abandonnées…

C’est sur Bruce Lee que reposent maintenant tous les espoirs de Raymond Chow qui met en chantier, dès l’année suivante, Fist Of Fury et The Way Of The Dragon. En 1973, le désormais acteur-réalisateur-chorégraphe se paie le luxe de retourner aux Etats-Unis en conquérant pour y tourner Enter the Dragon, co-production entre la Golden Harvest et la Warner Bros, mythique studio américain presque quinquagénaire. Ce projet international est important à plus d’un titre : s’il est un énorme succès financier (après l’Asie du sud-est, le Japon, c’était au tour des Etats-Unis et de l’Europe de succomber à la tornade Bruce Lee), il est également la preuve que le studio de Raymond Chow joue, seulement deux années après sa création, dans la cours des grands. (1)
Mais placer l’avenir de sa compagnie sur un seul acteur n’est certainement pas la stratégie la plus sûre. La disparition soudaine de Bruce Lee le 20 juillet 1973, en plein tournage de son prochain film pour la Golden Harvest, The Game Of Death (et avec de nombreux projets en tête), a retenti comme un séisme et mis le studio en grand danger.
La Shaw Brothers ne doit pas se laisser dépasser !
a. Contrer Bruce Lee
Face au phénomène Bruce Lee, qu’il est impossible de nier ou même de minimiser, la Shaw Brothers se met en quête d’un véritable artiste martial pour en faire la vedette du studio (Ti Lung et David Chiang, les deux stars maison du genre n’étant plus, à cette époque, des « jeunots »).
Le choix se porte sur Chen Kuan Tai, un jeune acteur, champion de boxe chinoise du sud-est asiatique en 1969 (sacré au tournoi de Singapour). Après deux films indépendants (Redress et Modern School Life, pour les compagnies Wing Gin et Yue Lok), il rejoint la Shaw Brothers en 1970 pour jouer des rôles de figurants martiaux, plus proche d’un cascadeur que d’un véritable acteur. Il poursuit également une carrière en parallèle, hors du studio (on le retrouve dans Huang Fei Hong : Bravely Crushing the Fire Formation et même dans une production Golden Harvest, The Hurricane !). C’est en 1972, après un dernier film alimentaire pour la Saam Cheung (The Invincible Iron Palm), que Run Run Shaw décide de lui donner un premier rôle : Chen Kuan Tai endosse alors les habits du héros myhthique Ma Yung Chen sous la direction conjointe de Chang Cheh et Pao Hsueh Lieh.
Comme Bruce Lee, Chen Kuan Tai est un véritable athlète martial. Comme lui également, c’est un homme du peuple auquel peut s’identifier un public avide de modèles. Il fera une très belle carrière au sein de la Shaw Brothers et embrassera presque tous les genres, des films d’arts martiaux (Boxer From Shantung, Man Of Iron, The Bloody Escape, Five Tough Guys, Iron Bodyguard…) au cinéma d’exploitation (The Tea House, Big Brother Cheng, Challenge Of The Gamesters…). Cette boulimie cinématographique lui vaudra le surnom de « Mister Shaw Brothers ».
Même si Chen Kuan Tai ne sera jamais l’égal de Bruce Lee, il occupe incontestablement la place de plus solide vedette martiale de la Shaw Brothers entre 1972 et 1977.
1972 est également l’année où la Shaw Brothers fait trembler les box-offices asiatiques et occidentaux avec le hit King Boxer / La Main de fer, mis en scène par un réalisateur coréen, ouvrant la voie aux films de kung-fu.

b. Miser sur les cinéastes et les acteurs
– Chang Cheh devient incontournable : En cette période de vive concurrence, Run Run Shaw s’en remet à Chang Cheh qui devient le metteur en scène incontournable des films d’arts martiaux et d’action du studio, réalisant ou supervisant des dizaines d’œuvres en quelques années seulement (huit en 1972, sept en 1973 et en 1974…). Officiant dans tous les genres, celui qu’on appelle « l’ogre de Hong Kong » dirige pendant cette période pour la Shaw Brothers œuvres prestigieuses (The Water Margin, The Blood Brothers…), drames contemporains (The Delinquent…), film de jeunes contemporain (Young People, Generation Gap…), films historiques (Boxer Rebellion, Marco Polo…), films de guerre (Seven Man Army, Naval Commandos…) et même comédies musicales psychédéliques (The Singing Killer, Heaven And Hell Gate – sorti avec quelques années de retard -…).
Le génie de Chang Cheh est de mettre le pied à l’étrier à de nombreux jeunes, tout d’abord en tant qu’assistants-réalisateurs, puis co-réalisateurs. Parmi les plus célèbres, on retrouve Wu Ma, Pao Hsueh Lieh et John Woo.
Le départ de Chang Cheh pour Taiwan en 1974 ne remet pas en cause son statut au sein de la Shaw Brothers – même s’il est alors considéré par certains comme une défection –, puisque la société qu’il y fonde (la Chang’s Film Company) n’est en fait qu’une filiale du studio de Run Run destinée à dépenser localement les bénéfices qui étaient légalement bloqués sur l’île. (Une situation identique à celle qui existait en Angleterre dans les années 50 : les majors américaines ne pouvant rapatrier aux Etats-Unis les bénéfices que faisaient leurs productions sur le sol anglais, elles étaient contraintes d’y tourner pour ne pas perdre cet argent.)
– Une nouvelle génération d’acteurs et metteurs en scène : Run Run Shaw sait que pour rester dans la course, il a besoin de nouveaux talents. Avec l’aide de Mona Fong, il engage de jeunes acteurs pour remplacer ou seconder la « vieille » génération (David Chiang, Ti Lung, Lo Lieh…) : Chen Kuan Tai, Alexander Fu Sheng, Anthony Lau Wing, Wong Chung.
De même, il donne sa chance à des réalisateurs débutants sous les conseils de Mona Fong (Liu Chia Liang, jusqu’alors chorégraphe attitré de Chang Cheh) ou de Chang Cheh (Wu Ma, Pao Hsueh Li).
– Les anciens : Li Han Hsiang avait quitté la Shaw Brothers pour vivre son aventure taiwanaise au sein de son propre studio. Las, l’expérience ne s’avère pas des plus fructueuses et c’est ruiné qu’il revient à Hong Kong en 1970. Run Run Shaw lui ouvre sa porte sans rancune et se réjouit du retour du fils prodigue. Il ne le sait pas encore, mais c’est commercialement une des meilleures opérations qu’il fera au cours des années 70 !
Les grands mouvements de libération des mœurs ayant eu des effets jusqu’à Hong Kong, Li Han Hsiang s’essaie à un genre nouveau : la comédie érotique (polissonne serait peut-être plus appropriée, tant elle reste pudique…). Legend Of Lust, Happiest Moment ou Golden Lotus, adaptation d’un grand classique de la littérature chinoise, sont de francs succès qui révèlent une nouvelle génération d’actrices « spécialisées » (Hu Chin, Chen Ping, Tien Ni, Siu Yam Yam, Shirley Yu…). Toutefois, loin de s’enfermer dans cette catégorie, il poursuit sa grande œuvre en réalisant, de temps à autre, des superproductions prestigieuses au succès jamais démenti : le diptyque Empress Dowager / The Last Tempest ou quelques comédies irrévérencieuses dans lesquelles il nous révèle un futur grand, Michael Hui (The Warlord, The Happiest Moment…).
C’est à cette époque que Run Run Shaw engage également un vétéran du cinéma cantonais, le prolixe Chu Yuan, ancien acteur, scénariste puis metteur en scène. L’année 1972, il réalise pour le studio deux films qui feront date dans l’histoire du cinéma hongkongais : Intimate Confessions Of A Chinese Courtesan, drame saphique et pur joyau esthétique, et le seul film qui détrône en 1973 un Bruce Lee alors tout puissant, la comédie cantonaise The House of 72 tenants (Enter The Dragon n’est que second au box office national).

c. Offrir au public des productions prestigieuses
Une jeune société a rarement une assise financière des plus solides et les investisseurs font montre d’une certaine frilosité. Devant cette malheureuse – mais bien réelle – règle de nos économies de marché, Run Run Shaw fait le calcul suivant : la balbutiante Golden Harvest ne pourra jamais, tout au moins pendant un bon moment, se lancer dans des productions hasardeuses et chères, susceptibles de mettre en péril son existence même (un échec et c’est la clé sous la porte !). Dès lors, quoi donc de plus facile pour la Shaw Brothers de se lancer dans une politique de productions prestigieuses, laissant à son nouveau concurrent le soin d’œuvrer dans la série B, voire de flirter avec la série Z ?
La Shaw sort donc à tours de bras des films destinés à montrer au public sa toute puissance, soignant les décors, les costumes, les scénarios, la mise en scène et multipliant les stars au générique (Flying Guillotine…). L’exemple le plus fameux reste les 14 Amazones, épopée kitch façon péplum où le nombre de figurants n’a d’égal que les stars qui défilent à l’écran.
La Golden Harvest ne peut, à cette époque, rivaliser avec tant de moyens.

d. Toucher un plus grand nombre de spectateurs en abordant tous les genres
Les années 70 sont également une période au cours de laquelle la Shaw Brothers va se lancer dans une politique de production très éclectique. A l’image des grands studios américains (que Run Run cherchera sans cesse à imiter), la Shaw aborde alors tous les genres cinématographiques : le polar, le film d’horreur, le film érotique… et au début des années 80 le film de jeux, invention d’un futur grand, Wong Jing. Si ces productions ne se sont quasiment jamais hissés au-dessus de l’exploitation et n’ont livré que peu de véritables réussites critiques, elles ont été pour beaucoup de grands succès commerciaux.
On retrouve souvent les mêmes noms au poste de réalisateur (Ho Meng Hua, Sun Chung, Kuei Chih Hung…) et ceux-ci, à de rares exceptions près, ont eu du mal à s’émanciper de cette catégorie bien particulière de cinéma. Pour les acteurs, force est de constater que les films de genre ont largement bénéficié du déclin des productions martiales : cantonné aux wu-xia pian durant des années, un certain nombre de vedettes est venu illuminer les castings d’œuvres fauchées et leur donner un éclat que beaucoup d’entre elles ne méritaient pas. Combien de Ti Lung, Chen Kuan Tai, Lo Lieh ou Ku Feng se sont retrouvés dans des films aux scénarios improbables et ridicules ?
– Les polars : Presque inexistant au cours des années 60, le polar fait un retour en force à la Shaw Brothers dans la deuxième partie de la décennie 70. Genre peu contraignant (costumes et décors contemporains), peu onéreux, se satisfaisant de conditions de tournage difficiles (les plans caméra à l’épaule sont moins choquants que dans un opéra chinois et ils apportent une touche de modernité), les polars sont rapidement plébiscités par le public. Comme dans les « drames sociaux » (voir ci-après), les héros sont souvent issus du peuple et évoluent dans une ville bien connue des spectateurs, montrée dans fards.
Kuei Chih Hung est le metteur en scène qui a donné le plus au genre, tout en flirtant parfois avec l’exploitation, de Payment In Blood (1973) à Spirit Of The Raped (1976), en passant par le célèbre diptyque The Tea House (1974) / Big Brother Cheng (1975). La série The Criminals, initiée par Ho Meng Hua, Ching Gong et Hua Shan en 1976, reçoit un très bon accueil et compte cinq longs métrages en seulement deux ans ! Un auteur plus classique profite de l’occasion de se frotter au genre pour délaisser le temps d’un tournage les films d’arts martiaux : Chu Yuan réalise The Big Hold Up en 1975.
Côté interprètes, on croise souvent à l’écran deux acteurs bien connus, ex-vedettes martiales en pleine reconversion, le grand Chen Kuan Tai et le palot Yueh Hua.

– Les drames sociaux : La frontière est mince entre les polars et les drames sociaux mais on perçoit dans ces derniers un trait encore plus appuyé sur les problèmes des citoyens hongkongais et notamment de la jeunesse. Chang Cheh avait déjà donné le la en 1969 avec son formidable Dead End, porté par un Ti Lung magnifique. En 1973, c’est un habitué du polar, Kuei Ghih Hung, qui sort The Delinquent, histoire d’un garçon qui ne se voit pas d’avenir dans la société et bascule dans la violence. Œuvre intéressante, elle donne le premier rôle à un jeune acteur prometteur, Wong Chung. David Chiang enfonce le clou une année plus tard avec The Drug Addict qui nous présente un Ti Lung en drogué tout droit revenu des enfers. Wong Chung est encore de la partie.
– Les films d’horreur : Aux Etats-Unis et dans le monde entier, les années 70 voient le triomphe des films d’horreur : l’Exorciste de William Friedkin, la série Damien, la malédiction, Amityville… Fidèle à son habitude, Run Run Shaw lance une partie de ses troupes dans l’aventure horrifique pour inonder l’Asie du sud-est de ses déclinaisons maison. Se sont à nouveau les mêmes qui s’y collent et réalisent Ghost Eyes (Kuei Chih Hung en 1974), le diptyque Black Magic I et II (Ho Meng Hua en 1975) qui recycle dans le genre Ti Lung et Lo Lieh, le diptyque Hex / Hex Vs Witchcraft (Kuei Chih Hung en 1980) ou encore Corpse Mania (toujours Kuei Chih Hung en 1981).
Mais s’il est un genre où les affiches ont toujours été plus impressionnantes que les films, c’est bien celui de l’horreur cinématographique à la hongkongaise. Ces productions Shaw font malheureusement plus sourire que frémir.

– Les purs films d’exploitation : La Shaw Brothers rentre également de pleins pieds dans le cinéma d’exploitation le plus pur, où le n’importe quoi le dispute au gratuit. Un seul objectif, choquer, en provoquant le malaise ou la crise de rire. Un quasi sans faute…
L’inénarrable et incontournable Kuei Chih Hung est encore de la partie avec des perles noires : Camps d’amour pour chiens jaunes (1973), où une bande de prisonnières se fait torturer par des gardiens japonais, Killer Snakes (1974), qui raconte comment un attardé se venge de ses ennemis à l’aide de serpents dressés, The Rat Catcher (la même année que les reptiles…) ou encore Spirit Of The Raped(1976), au titre des plus explicites.
Sun Chung, influencé par le cinéma blaxploitation américain des années 60/70, met en scène une série de films où une femme vengeresse donne du fil à retordre à tous ceux qui ont le malheur de lui avoir causé du tort. Sexy Killer (1976), Big Bad Sis (1976) et Lady Exterminator (1977) forment une sorte de trilogie à la gloire de Chen Ping, son actrice fétiche. L’ambiance est à la croisée de Coffy (Jack Hill) et Death Wish (Michael Winner).
Le fade Danny Lee, qui n’a pas véritablement percé dans les films d’arts martiaux, se retrouve embarqué dans une série de films bis assez relevés : The Super Inframan (1975) de Hua Shan, hilarante copie de l’Ultraman japonais des années 60, le Colosse de Hong Kong (1975), navrante transposition de King Kong à Hong Kong, et Oily Maniac, stupéfiante histoire d’un héros qui, tel Hulk, se transforme malgré lui en autre chose (là, une masse huileuse…), tout deux du réalisateur culte Ho Meng Hua (à qui on doit l’adaptation du classique la Pérégrination vers l’Ouest en plusieurs films pour la Shaw Brothers dans les années 60).
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– Les films érotiques : Li Han Hsiang est le chef de fil d’une tribu de metteurs en scène qui se lance dans le créneau des films érotiques (That’s Adultery, Moods Of Love, Love Swindlers…). Gentiment licencieux mais jamais pornographiques (la pornographie est encore aujourd’hui interdite à Hong Kong), ils ont très souvent pour origine des romans classiques de la littérature érotique chinoise (Illicit Desire, Golden Lotus…). On trouve également les mélodrames (Girlie Bar), des comédies (Legend Of Lust), des films d’arts martiaux (Intimate Confession Of A Chinese Courtesan, Killer Kiss) et quelques bizarreries (Sexy Girls Of Denmark).
Le vivier féminin est constitué d’actrices majoritairement d’origine taiwanaise (Hu Chin, Chen Ping, Pei Ti…) et, malheureusement, cantonnées dans ce genre.
De 1972 à 1975, les films érotiques ont tellement de succès auprès du public qu’ils volent souvent la vedette aux films d’arts martiaux ! En cette période de crise, nul doute qu’ils demeurent un des piliers de la réussite de la Shaw Brothers.

– Les films de jeux : C’est à la fin des années 70 qu’apparaissent les films de jeux ou « gambling movies ». Le grand initiateur du genre, qui fait encore aujourd’hui des petits (Conman In Tokyo, Kung Hei Fat Choy…), n’est autre que le prolixe Wong Jing. Son Challenge Of The Gamesters (1981) en est en quelque sorte le film fondateur. Patrick Tse et Chen Kuan Tai reprennent du service l’année suivante devant sa caméra dans Winner takes All (1982), tandis que Sun Chung livre entre les deux œuvres un Notorious Eight (1981) réunissant Chen Kuan Tai, Lo Lieh et le chouchou de Mona Fong, Anthony Lau Wing.
Le principe de ces films est simple : une intrigue criminelle se greffe sur une partie de cartes à fort enjeu, maîtrisée par le méchant. Les protagonistes passent énormément de temps autour d’une table et lorsqu’ils se battent, les cartes qu’ils se lancent deviennent coupantes comme des rasoirs…
La réalisation de films d’arts martiaux n’est pas abandonnée pour autant par la Shaw Brothers. Elle diversifie simplement son offre, comme le ferait un industriel conscient que le marché et la concurrence évoluent.
d. Toucher un plus grand nombre de spectateurs en tentant l’aventure occidentale : la Shaw International
Le succès international de Bruce Lee, et notamment dans des pays occidentaux, a ouvert de nouvelles perspectives aux grands studios de cinéma. Run Run Shaw, lui, a retenu une chose fondamentale de l’aventure Enter The Dragon : il est plus facile de pénétrer un nouveau marché dans le cadre d’une coproduction avec une compagnie étrangère. Dès lors, il n’a de cesse de s’essayer à ce type de montages financier et artistique. Les projets vont donc s’enchaîner, sans pour autant dépasser, au mieux, le stade d’aimable divertissement.
En 1974, la Shaw Brothers s’associe avec la prestigieuse firme anglaise Hammer, spécialisée dans les films d’horreur gothiques, pour produire La Légende des sept vampires d’or et Un dénommé Mr. Shatter. Le casting du premier est des plus impressionnants : Peter Cushing, star anglaise interprète mythique de Van Helsing, David Chiang, Liu Chia Liang, Tong Gaai, Roy Ward Baker (un des piliers de la Hammer) et Chang Cheh. Le résultat est bancal mais fort sympathique. Le second, quant à lui, est un film policier plutôt molasson dans lequel on peut retrouver en vedettes locales Ti Lung et Lily Li Li Li.
La même année, deux ovni sont réalisés en coproduction avec l’Italie : Supermen Against The Orientde Bitto Albertini et Kuei Chih Hung, avec Lo Lieh et Shih Szu, et Supermen contre amazones de Alfonso Brescia avec Yueh Hua.
Toujours en 1974, l’inépuisable Kuei Chih Hung met en scène avec l’Allemand Ernst Hofbauer le film d’action érotique Virgins Of The Seven Seas. Ce nanar raconte les aventures de cinq jeunes filles occidentales kidnappées par des pirates chinois et vendues à un bordel, auxquelles vont venir en aide un couple qui leur enseigne le kung-fu…
L’année 1975 est plus réjouissante avec la coproduction entre la Shaw Brothers et la Warner Brothers pour Dynamite Jones et le casino d’or de Charles Bail, suite du succès américain de la blaxploitation « Dynamite Jones ». Le film se déroule à Hong Kong et bénéficie de la présence de nombreux acteurs de la Shaw Brothers.
Le western n’est pas oublié avec la Brute, le colt et le karaté (1975) d’Antonio Margheriti, collaboration entre Hong Kong, l’Allemagne, l’Italie et les Etats-Unis. Ce film est l’occasion d’une rencontre entre l’icône des westerns spaghettis, Lee Van Cleef, et la star des films d’arts martiaux, Lo Lieh. Pour le plus grand plaisir des chinois, le casting fourmille d’acteurs de l’ancienne colonie.
Un an plus tard, Run Run Shaw est producteur exécutif de Cannonball, mis en scène par l’Américain Paul Bartel. L’histoire est des plus simples : un coureur automobile (interprété par David Carradine) doit relier les deux côtes des Etats-Unis au cours d’une course illégale. On nage une fois de plus en pleine série Z…
Devant les succès tout relatifs de ces films, la Shaw Brothers va petit à petit arrêter de s’engager dans ce type de coproduction. Les dernières œuvres notables sont Meteor (1979 et 16 millions de US$ investis), film catastrophe de Ronald Neame avec Sean Connery, Natalie Wood et Henry Fonda, et le classique de Ridley Scott Blade Runner (1982) avec Harrison Ford.
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e. Communiquer
Résister et montrer qu’on se porte bien, c’est aussi communiquer et s’occuper d’œuvres de charité. La Hongkong Shaw Foundation fut ainsi créée en 1973 pour venir en aide à diverses associations à vocations scolaires.
Ainsi, malgré l’émergence d’une nouvelle et rude concurrence, la première moitié des années 70 fut tout de même une période de succès pour la Shaw Brothers.
Financièrement, la firme de Run Run émit des actions et fut cotée en bourse dès 1971.
- La Shaw Brothers au milieu d’un cinéma hongkongais en pleine évolution
Dès l’année 1973, les choses vont bouger dans le cinéma hongkongais.
1 : Le Petit Dragon s’éteint brusquement
La mort inattendue de Bruce Lee et la politique agressive de la Shaw Brothers permettent au studio de reprendre les rennes du marché cinématographique hongkongaise dès l’année 1973. The House Of 72 Tenants, comédie sociale qui obtient une reconnaissance critique et publique et marque le retour de la comédie cantonaise alors en plein déclin, est à ce titre le film emblématique de cette gloire retrouvée.


Et c’est maintenant la Golden Harvest qui a des difficultés et se perd dans des productions sans ambition, fauchées : en quelques mots, bien peu recommandables. Elle lance alors de nouvelles vedettes maison telles que Jackie Chan et Sammo Hung, ou recrute des transfuges.
2 : Michael Hui change de maison
Mais Run Run Shaw ne pourra savourer longtemps sa victoire. Le brusque départ de Michael Hui en 1974, vedette numéro une du studio, pour la Golden Harvest retentit comme un coup de tonnerre dans un ciel redevenu serein. C’est même l’acteur qui permettra à la jeune compagnie de surmonter le décès de Bruce Lee – perte qui aurait pu lui être fatale tant elle misait sur la star martiale -, voire prospérer, grâce à un genre qui restera des années sa marque de fabrique et sera déclinée dans tous les styles : la comédie.![]()
3 : Les valeurs sûres
Chang Cheh, désormais producteur indépendant pour la Shaw Brothers sur le sol taiwanais, profite de son exil pour lancer la carrière de nouvelles vedettes locales : Alexander Fu Sheng, Chi Kuan Chun, les Venoms… Se souvenant des conseils de Liu Chia Liang et souhaitant capitaliser sur les succès de son ancien chorégraphe, il y crée même un sous-genre martial qui sera le plus populaire de l’après Bruce Lee : le Shaolin Kung-fu.
La place libre laissée à Hong Kong par Chang Cheh, le cinéaste martial par excellence, ne le reste pas longtemps. Poussé par Mona Fong, Liu Chia Liang, qui avait l’intention de se retirer du cinéma, commence à réaliser ses propres films. Il apporte un sang neuf et une philosophie martiale jusqu’alors complètement absente de ce type de productions. Après avoir inventé la comédie kung-fu avec Spiritual Boxer (1975), il enchaîne les classiques (Challenge Of The Masters, Executioners From Shaolin, The 36th Chamber Of Shaolin, Shaolin Mantis…). Un autre réalisateur va se tourner vers le wu-xia pian, Chu Yuan. A partir de l’année 1975 et pendant près de dix années, il est le maître incontesté du wu-xia stylisé, mélangeant habilement des intrigues de romans noirs aux figures du Jiang Hu, dans des décors de studio à l’esthétique très travaillée.
Li Han Hsiang, quant à lui, va poursuivre la réalisation d’œuvres ambitieuses au succès public jamais démenti (il est le metteur en scène qui a rapporté le plus d’argent à la Shaw Brothers).

4 : Des changements incontestables
Si la Shaw Brothers continue d’être un acteur incontournable de la production cinématographique hongkongaise à la fin des années 70, la compagnie a perdu son statut de studio dominant. L’inflation des coûts a sonné le glas des œuvres de prestige et les acteurs ont désormais les moyens de négocier mieux que par le passé leurs cachets. Finis les contrats qui les livraient pieds et poings liés à la Shaw : les vedettes sont maintenant libres d’aller travailler où bon leur semble et les salaires sont rudement discutés. La Golden Harvest a réussi à imposer son mode de production à une grande partie de l’industrie cinématographique locale et, tout en poursuivant la mise en chantier de films, se lance dans le développement de circuits de distribution et de chaînes de vidéoclubs.
Autre effet du succès rencontré par la Golden Harvest, la prolifération de plusieurs dizaines de compagnies indépendantes qui se lancent dans l’aventure cinématographique.
5 : Le rôle de Mona Fong
L’évolution de la politique Shaw est en partie due à l’influence de Mona Fong, désormais bras droit de Run Run (comme Raymond Chow l’avait été dans les années 60). Pour certains commerciale de génie, pour d’autres harpie ou redoutable femme d’affaires, le personnage ne laisse personne indifférent dans la profession. Les rumeurs sur son compte courent : elle aurait nuit à la carrière de certaines vedettes féminines (notamment Li Ching), aurait empêché l’émergence d’une nouvelle génération de stars du beau sexe par crainte qu’elles ne lui volent son Run Run, aurait imposé des coupes drastiques dans les budgets des productions (rognant sur les décors, les accessoires, les costumes, les durées de tournage…)… Fantasme masculin de la concubine intrigante (qui a la vie dure en Chine) ou réalité ?
Il est incontestable que les productions Shaw des années 70 ont moins de panache que celles des années 60, mais il est très délicat d’imputer cette situation à l’influence seule de Mona Fong : les contextes financier et concurrentiel ont vraisemblablement eu un impact énorme sur les œuvres du studio. En revanche, force est de constater que le retour de Li Han Hsiang a été facilité par l’intervention de la dame et que c’est elle qui a imposé Liu Chia Liang à Run Run Shaw. Deux coups de maître qui participeront grandement au succès de la Shaw Brothers dans les années 70.
- Le début de la fin pour les prestigieux studios Shaw Brothers
1 : Un milieu qui bouillonne
Les deux grands studios hongkongais ayant fait montre d’un dynamisme équivalent durant les années 70, la rivalité Shaw Brothers / Golden Harvest aboutit à l’aube des années 80 à une sorte de statu quo, aucune compagnie n’ayant réellement le dessus.
Pourtant, dès 1978, on sent poindre une petite révolution avec l’arrivée de nouveaux genres cinématographiques et l’apparition d’une nouvelle génération d’acteurs du marché : vedettes, réalisateurs, distributeurs… la fin d’une époque.
a. La naissance de la comédie kung-fu
Si l’acte de naissance de la comédie kung-fu se situe traditionnellement à la sortie de Spiritual Boxerde Liu Chia Liang (le pitre est interprété par Wong Yu), le genre explose grâce à une nouvelle génération d’artistes martiaux, la plus importante depuis la découverte de Bruce Lee (beaucoup de ces acteurs sont d’ailleurs passé par la Shaw Brothers dans des rôles secondaires ou employés en tant que cascadeurs).
Sammo Hung et Jackie Chan sont incontestablement les emblèmes de ce genre qui va ravir les foules pour deux raisons principales : la comédie kung-fu est spectaculaire (les artistes martiaux sont souvent issus d’écoles du cirque ou de l’opéra) et très locale dans son humour et sa culture. Yuen Woo Ping est peut-être le réalisateur qui a donné ses plus grands films à la comédie kung-fu.
La Shaw Brothers ne peut rivaliser avec ce nouveau style : elle n’a aucun équivalent maison et ne se remet pas en question pour autant.
Jackie Chan ayant retrouvé sa liberté après son divorce d’avec la société de Lo Wei, il est courtisé par la Golden Harvest et la Shaw Brothers. C’est la compagnie de Raymond Chow qui convainc l’acteur et retrouve une vraie vedette martiale qui lui manquait cruellement depuis la mort de Bruce Lee. La balance penche désormais en faveur de la Golden Harvest…
Wong Yu dans Spiritual Boxer ou la naissance de la « kung-fu comedy »
b. La comédie burlesque
La comédie kung-fu entraîne le développement d’un nouveau genre, plus urbain, contemporain, mais encore typiquement hongkongais, la comédie burlesque. Les vedettes en sont le comédien Dean Shek et le réalisateur Karl Maka qui, forts de leurs succès, fondent la Cinema City Co Ltd. Rapidement troisième société de production locale, le jeune studio remet en question le statu quo entre la Shaw Brothers et la Golden Harvest (avec l’aide, il est vrai, de la Golden Princess).
c. La Nouvelle Vague hongkongaise
Autre événement culturel important, la naissance de la Nouvelle Vague hongkongaise qui propose un cinéma plus libre, plus consistant (les thèmes abordés sont souvent sociaux), novateur et local. Les réalisateurs les plus connus de ce mouvement non organisé sont Ann Hui et Tsui Hark. Ironiquement, ils ont fait leurs premières armes à la TVB, filiale de production télévisuelle et chaîne de la Shaw Brothers…
La Nouvelle Vague hongkongaise va donner un sacré coup de vieux au cinéma des studios Shaw Brothers qui paraît tout à coup bien poussif et figé dans le passé. Du cinéma de papa… Le studio entame alors sa dégringolade populaire qui le mettra hors jeu en moins d’une décennie.
2 : Un nouveau concurrent : la Golden Princess
a. Les Origines de la Golden Princess
Le circuit de la Golden Princess, société gérée par la famille Louey, tire sa force de son alliance avec des sociétés de production telles que la Cinema City Co Ltd de Dean Shek Tin et Karl Maka ou la Always Good Film Co Ltd de Frankie Chan. La relation est fondée sur la base du partage des profits, la Golden Princess investissant dans les films de la Cinema City ou de la Always Good Film et ces dernières lui accordant l’exclusivité pour l’exploitation en salles.
Petit à petit, la Golden Princess s’impose comme un géant et un nouveau concurrent pour la Shaw Brothers.
b. Une alliance contre la Shaw Brothers…
Au début des années 80, la Golden Harvest décide d’allier son circuit Gala au circuit Royal de la Golden Princess pour affaiblir la Shaw Brothers. Cette structure, la Jiale Film Company, est alors riche de 35 salles sur Hong Kong, soit la moitié des salles de première exclusivité de la colonie, contrôlant dates de sortie des films et étranglant l’empire de Run Run.
Mais cette alliance a un effet pervers inattendu : la naissance d’un nouveau concurrent qui profitera de la situation et de ses succès publics pour croître, la Cinema City !

c. … qui finit en alliance avec la Shaw Brothers
Conscientes du danger, la Shaw Brothers et la Golden Harvest unissent leurs forces en 1982 et exploitent ensemble leurs films. Ainsi, leurs salles diffusent pendant l’été de la même année The Miracle Fighters et Buddha’s Palm pour contrer It Takes Two et He Lives By Night. Les résultats sont rudes pour l’association : 8 millions de HK$ et 4,5 millions de HK$ pour The Miracle Fighters et Buddha’s Palm, contre 17 millions de HK$ et 9,5 millions de HK$ pour It Takes Two et He Lives By Night.
Mais la production cinématographique de la Shaw Brothers ne cessant de décroître, la fusion des deux circuits s’avère bénéficier au final surtout à la Golden Harvest.
d. La lutte n’est pas finie
La Shaw Brothers essaie de se renouveler en se lançant dans des wu-xia psychédéliques tels que New Tales Of The Flying Fox ou Buddha’s Palm. Mais ces films ne peuvent lutter contre les productions innovantes de Cinema City et de la Golden Harvest : la série des Aces Go Places est un succès mondial, de même que les comédies d’action historiques ou contemporaines de Sammo Hung (Prodigal Son, Winners And Sinners) et de Jackie Chan (Miracles, Project A).
La Shaw Brothers poursuit également sa politique de promotion de nouvelles stars (Andy Lau, Anita Mui, Leslie Cheung et Maggie Cheung) qui, malheureusement, deviendront des grands chez les concurrents…
En 1983, le studio engage des cinéastes de la « Nouvelle Vague » telle Ann Hui dans l’espoir qu’ils apportent un nouveau style et du sang neuf dans une société vieillissante. Malheureusement, la Shaw Brothers ferme ses portes avant que cette intéressante tentative n’ait pu réellement porter ses fruits.

Leslie Cheung et Maggie Cheung dans Behind the Yellow Line
3 : Le déclin de l’empire cinématographique de la Shaw Brothers
La Shaw Brothers est enlisée dans son système de production, passablement dépassée par les studios plus jeunes et innovants et de plus en plus boudée par le public. Le déclin est constant et sa rapidité affolante.
a. Vente ou location des salles
En 1984, la Shaw Brothers vend 70% de son circuit de salles en Malaisie. En 1985, quatre superbes cinémas hongkongais, le Jade, le Mandarin, le Golden et le Bonds sont loués au circuit de la D&B (Denbao) de Dickson Poon. Les 10 dernières salles de la colonie ne tardent pas à suivre le même chemin et la Shaw Brothers n’y exploite plus aucun écran à la fin de l’année 1985. La production cinématographique, déjà considérablement ralentie depuis le début des années 80, est descendue à 6 ou 8 films par an. C’en est maintenant fini de l’intégration verticale que Run Run Shaw mit en place dans les années 50.
b. Fin des studios
En 1986, Run Run fut amené à louer la majorité de ses plateaux aux productions télévisuelles de la TVB (Television Broadcasts Limited). On divisa alors le studio en deux parties : une consacrée à la télévision et l’autre au cinéma. Si la première était le lieu d’une intense activité, de jour comme de nuit, la seconde était littéralement désertée.
Mais l’histoire des Shaw est loin d’être terminée et Run Run a une dernière carte à jouer. Elle aboutira à une renaissance dans un nouveau médium.

L’intérêt pour la SB est constant : la preuve en est :
la volonté de monter une tournée européenne avec les stars de la belle époque
a. Mainmise sur la Television Broadcasts (TVB) et réorganisation « à la Shaw »
Run Run Shaw était un actionnaire historique de la TVB (il avait même créé avec elle en 1971 le «Shaw-HK-TVB Training Centre» en remplacement du Southern Drama Group). Pour autant, il n’était pas majoritaire et la direction était entre les mains des deux autres plus gros actionnaires Andrew K.W. Eu (Yu Jingwei) et Harold H.W. Lee (Li Xiaohe).
Après la mort de ces deux dirigeants, Run Run devient président du conseil d’administration en 1980. Très vite, il loue à TVB pour ses émissions les plateaux de tournage des studios de cinéma Shaw Brothers et parvient ainsi à recréer dans le milieu télévisuel sa chère intégration verticale ! Une réplique quasi parfaite de ce qu’il avait monté des années auparavant pour le grand écran : un gigantesque studio à l’allure d’une ville, une école pour ses acteurs, scénaristes, metteurs en scène, chorégraphes, etc. (dont sortit une bonne partie des représentants de la Nouvelle Vague hongkongaise).
b. La Tentation du cinéma
En 1988, une fois sa domination bien assise sur la TVB (TV City ouvre officiellement à Clearwater Bay cette année-là), Run Run décide d’allier la chaîne à la Shaw Brothers au sein d’une nouvelle société de production, la Cosmopolitan (Daduhui) Film Productions Co Ltd dirigée par Mona Fong. Le premier film à être produit est Mr Possessed et les succès ne tardent pas : Justice, My Foot ! (1992), Casino Tycoon (1992), Love On Delivery (1994) et Lifeline (1996).

c. Le Vingt-et-unième siècle…
- Restauration des œuvres de la Shaw Brothers
En 2000, Run Run cède les droits de plus de 700 films de la Shaw Brothers au conglomérat malaisien Usaha Tegas Sdn Bhd pour la somme de 600 millions de HK$. Celui-ci octroie les droits de distribution à la société hongkongaise Celestial Pictures Ltd en 2002 pour une sortie sous supports DVD et VCD des films restaurés.
- Acquisition d’une chaîne payante
L’année 2000 est aussi celle de l’acquisition par la société Galaxy (Yinhe) Satellite Broadcasting Limited, filiale de la TVB, d’une licence de chaîne de télévision payante, mise en vente par le gouvernement hongkongais.
- Mécénat et charité
A 85 ans, Run Run Shaw crée le « Prix Run Run Shaw » pour récompenser les scientifiques qui ont brillé dans les disciplines des mathématiques, de la médecine ou de l’astronomie. Le prix, que l’on compare au « Prix Nobel de l’Asie », s’élève à un million de dollars américains. Il a été décerné pour la première fois en 2004.
- La revanche de Run Run.
Le déclin du cinéma hongkongais, amorcé en 1992, a conséquemment entraîné celui de la Golden Harvest qui peine face aux productions américaines et à la baisse de fréquentation des salles. En 2000, Run Run Shaw va pouvoir assouvir une petite vengeance personnelle : Raymond Chow, à la recherche d’un nouveau terrain pour y construire des locaux, a des visées sur une parcelle mise en vente. Mais Run Run Shaw lui souffle le terrain en offrant plus que ce que le patron de la Golden Harvest ne pouvait se permettre. Sorte de coup de grâce psychologique asséné par un ennemi personnel, il coïncide avec les déboires économiques de la compagnie de Raymond Chow, alors dans une situation plus difficile que la Shaw Brothers. Run Run s’est vengé du « traître »…
- L’avenir de la Shaw Brothers : la Tseung Kwan O TV
Run Run Shaw et Mona Fong fondent en 2001 une nouvelle société de production, la Film Power Company Ltd (Dianying Dongli). Le premier film à sortir est Martial Angels, puis viennent Cop Shop Babes, Fighting For Love et My Schoolmate, The Barbarian.
Deux ans plus tard, c’est la Tseung Kwan O TV City, filiale commune avec la China Star (Zhongguoxing) Entertainment Group et dotée de capitaux d’un milliard de dollars, qui est créée. Située à Clearwater Bay, elle constitue une nouvelle « Movietown » avec centre de post-production, bâtiments administratifs, studios, salles de cinéma, salles d’expositions, etc., comme sa glorieuse ancêtre. Selon les dires de Mona Fong, la Tseung Kwan O TV City aura pour objectif, une fois lancée, de produire les prochains films de la Shaw Brothers !

Le merchandising SB : la montre « 36eme chambre de Shaolin » !
L’infatigable et presque centenaire Run Run Shaw, secondé par Mona Fong (devenue son épouse) est bien décidé à ne pas laisser lui échapper le nouveau millénaire. Les investissements et les accords de coopération vont bon train, notamment grâce à la vente des droits du catalogue des films de la Shaw Brothers et des très bonnes opérations financières et immobilières réalisées depuis la fin des années 70.
Quatre-vingts années ont passé et la structure de l’empire est demeurée la même : les pouvoirs restent concentrés dans les mains d’un seul homme, gage de stabilité et de puissance.
Run Run Shaw n’étant plus tout jeune (il est né en 1907), on imagine que son successeur sera Mona Fong, rompue au milieu du divertissement depuis plus de 30 années.
Mais pour l’instant, les espoirs cinématographiques se trouvent dans la Tseung Kwan O TV, société détenue par les Shaw et la China Star Entertainment Group. Le marasme créatif ne durera-t-il pas plus de 20 ans ?
Yves Gendron et David-Olivier Vidouze (mars 2008)
Sources :
-Livres
.The Shaw Screen A Preliminary Study: Hong-Kong Film Archive
.Encyclopédie du cinéma de Hong-Kong Des origines a nos Jour : Eric Gouneau & Leonard Amara
.Hong-Kong The Extra dimension : Stephen Teo
.Hong-Kong Cinema: Cahiers du Cinéma
.Hong-Kong action Cinema : Bey Logan
.Shanghai : Harriet Sergesnt
-Internet
.Wikipedia : Second_Sino-Japanese_War
.Shaw online
Histoire des frères Shaw, des origines à la Shaw Brothers (1/3)










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