
Sur l’île d’Hirado, une baleine gigantesque devient l’obsession d’un petit village de pêcheurs. De génération en génération, ces derniers périssent sous l’assaut du « Dieu Baleine » et décident d’en finir et l’éliminer. Parmi eux, Shaki, s’est juré de venger la mort des membres de sa famille. Mais un rival va bousculer ses plans.
Avis de Cherycok :
Après avoir sorti le génial The Snow Woman de Tokuzô Tanaka, l’éditeur Roboto Films s’attarde un peu plus sur la carrière du metteur en scène et nous propose The Whale God, film japonais produit en 1962 par Daiei Film, basé sur le roman éponyme écrit par Kōichirō Uno, lauréat du prix Akutagawa en 1961, s’inspirant du roman Moby Dick d’Herman Melville publié en 1851. Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un kaiju, The Whale God est la première production de la Daiei mettant en scène une créature géante déchainée, trois ans avant Gamera The Giant Monster en 1965. Le succès des deux films, tous deux tournés en noir et blanc en raison d’une situation financière compliquée de la Daiei, semble avoir incité plusieurs sociétés autres que la Toho à se (re)lancer dans les kaijus. The Whale God, tout comme son réalisateur Tokuzô Tanaka, qui a été assistant d’Akira Kurosawa sur Rashomon, est donc important dans le cinéma japonais de cette époque et le film sort enfin de son quasi-anonymat aujourd’hui grâce à Roboto Films. Merci à eux car The Whale God vaut sincèrement qu’on s’y attarde.
Dans The Whale God, point de lézard mutant radioactif mais une créature marine géante, une baleine deux fois plus grosse que la normale, que tout un village de l’île d’Hirado considère comme un Dieu. Une baleine qui, à chaque fois qu’elle fait son apparition, fait des ravages chez les pêcheurs de baleine, emportant nombre d’entre eux avec leurs embarcations depuis plusieurs générations. Pourtant, à chaque fois qu’elle refait son apparition sur les côtes, les pêcheurs de ce petit village se lancent pour mission de tuer ce dieu baleine, une chasse qui sonne comme un défi chez certains habitants, en particulier Shaki, un jeune homme dont le frère, le père et le grand père ont été tués par la bête, et qui ne vit que pour les venger. Lorsque le doyen du petit village promet comme récompense son titre, ses terres et un mariage avec sa jolie fille, Shaki y voit l’occasion d’assouvir son désir de vengeance. Mais une autre voix s’élève, celle de Kishû, un étranger arrivé en ville il y a peu et qui lui aussi veut venir à bout de cette baleine. La rivalité entre les deux hommes est lancée, mais leurs motivations et leur façon de faire sont radicalement différentes. Cette baleine géante, bien qu’au final présente visuellement qu’en introduction et lors du final, est de presque tous les dialogues de The Whale God et va servir à aborder des thématiques telles que la confrontation avec la mort, les peurs et les désirs les plus intimes, les conséquences d’un viol ou encore l’inéluctabilité du destin. Il s’agit ici avant tout de confrontations, tout d’abord celle entre Shaki et Kishû, le premier, doux mais borné, désireux de venger la mort de tant d’hommes de sa famille, le deuxième, dangereux et violent, prêt à tout pour s’attribuer toute la gloire d’un tel exploit. Tous deux se fichent de la récompense promise par le doyen, ils veulent juste être le premier à venir à bout du cétacé et de lui couper le museau. Il y a également la double confrontation homme / femme, celle entre Kishû et la femme de Shaki, mais aussi celle entre Shaki et la future mariée promise par le doyen du village. Et bien entendu enfin, la confrontation entre nos deux hommes et cette baleine géante crainte de tout le monde, qui sera le point culminant du film, d’autant plus que la rivalité entre les deux hommes n’aura fait que monter durant les deux premiers actes de The Whale God.
Une chose est sûre, c’est que les personnages sont parfaitement bien écrits et plus nuancés qu’on pourrait le croire. L’excellent Kojiro Hongo (Satan’s Sword, Gamera vs Buragon) incarne un Shaki attachant, déterminé, honorable, mais prêt à tous les sacrifices. Le tout aussi génial Shintaru Katsu (la saga Zatoichi) est parfait dans le rôle du brutal Kishû qui, le temps de quelques moments d’hésitation, nous montre qu’il est peut-être plus humain qu’il ne le laisse croire malgré tous ses actes extrêmement violents voire immoraux. Ils arrivent parfaitement à retranscrire ce sentiment autodestructeur d’avoir un but dans la vie, qui peut mener aussi bien à la gloire qu’à la ruine, en laissant des plumes dans les deux cas à l’entourage. Les seconds rôles sont tout aussi réussis et parfaitement interprétés par Takashi Shimura (Les 7 Mercenaires), Michiko Takano (Le Testament d’une Femme) ou encore Kyôko Enami (Gamera contre Barugon) qui livrent des prestations d’un très bon niveau. Ils font clairement partie de la réussite de ce film aussi passionnant qu’introspectif, qui nous présente au final une approche assez originale du « film de monstre ». La mise en scène de Tokuzô Tanaka n’est pas en reste. Certes, certains effets spéciaux ont vieilli et il est très facile de voir quelle scène se déroule en studio dans un bassin agrémenté de matte painting, quelle scène fait appel à des maquettes/marionnettes lorsque la baleine fait chavirer des navires et ses occupants. Pourtant, c’est ce qui participe au charme de l’ensemble, à ce côté authentique et ingénieux de ce genre de productions qui, en 1962, n’avaient pas du tout les mêmes moyens qu’aujourd’hui. C’était quand même assez courageux de se lancer dans ce genre d’aventure et surtout de faire quelque chose qui visuellement se tenait voire, comme ici, pouvait parfois être assez impressionnant comme la longue scène d’action finale, l’assaut sur la fameuse baleine. Oui, ça a vieilli, mais le charme désuet fonctionne parfaitement, et le très beau noir et blanc parfois sombre et lugubre confère encore plus de gravité à l’histoire. Les lieux de tournage sont magnifiques, plein de détails, tout comme les costumes et éléments de décors très travaillés. Et que dire de l’excellente musique originale d’Akira Ifukube, créateur de la musique emblématique du Godzilla original, douce et envoutante, correspondant parfaitement au ton du film. Oui, définitivement, The Whale God est un petit trésor caché et on remercie Roboto Films de l’avoir déterré.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ La mise en scène ♥ Un excellent casting ♥ Un final intense ♥ Le charme désuet ♥ Les thématiques abordées |
⊗ Parfois un peu austère |
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A mi-chemin entre le kaiju-eiga et le film historique, The Whale God nous conte un récit passionnant où la baleine du titre, certes centrale au récit, sert surtout à mettre en scène un drame humain captivant. Une pépite méconnue du cinéma japonais. |
THE WHALE GOD est sorti chez Roboto Films en Blu-ray au prix de 20€. Il est disponible à l’achat ici : Roboto-Films.fr Version Originale sous titrée français – BD 50 – MASTER HAUTE DEFINITION – 1080p – Format 2.35 : 1 respecté – Noir et Blanc – DTS-HD Master Audio 2.0 En plus du film, on y trouve : The Whale God par Fabien Mauro, Bande annonce originale, Nouvelle bande annonce exclusive Robot |
Titre : The Whale God / Kujira Gami / 鯨神
Année : 1962
Durée : 1h40
Origine : Japon
Genre : Hommes vs Baleine
Réalisateur : Tokuzô Tanaka
Scénario : Kaneto Shindo
Acteurs : Kojiro Hongo, Shintaro Katsu, Shiho Fujimura, Kyoko Enami, Chikara Hashimoto, Michiko Takano, Takashi Shimura, Kuji Fujiyama, Bontaro Miake