[Film] Steak, de Quentin Dupieux (2007)

Georges est le souffre-douleur de ses camarades de classe. Un jour, il craque et les mitraille. Son meilleur et seul ami Blaise est accusé à sa place et condamné à 7 ans d’internement dans un hôpital psychiatrique. Le jour de sa sortie, en 2016, Blaise n’a plus qu’une famille : son meilleur ami Georges. Mais ce dernier ne veut plus entendre parler de son ami d’enfance, car il essaie de s’intégrer aux Chivers, une bande aux pratiques très codifiées : ses membres portent un blouson Teddy rouge et des bottines, boivent du lait, roulent en sport truck, et jouent à un jeu incompréhensible qui mélange cricket et calcul mental. Afin d’être définitivement admis par les Chivers, Georges doit cacher son tabagisme et se faire modifier le visage, car la chirurgie esthétique, qui fait des ravages parmi les jeunes, est un rite de passage obligé.


Avis de Rick :
Chivers ! Steak, c’est un cas d’école, un cas de très mauvais marketing qui aura amené dans les salles un public absolument pas préparé pour l’expérience. Forcément, lorsque Eric & Ramzy, bien connu pour leur humour particulier, se retrouvent à jouer dans le premier long métrage de Quentin Dupieux, connu à l’époque sous le nom de Mr Oizo dans la musique, et bien, tout le monde s’attendait à « la nouvelle comédie d’Eric & Ramzy ». Sauf que non, Quentin Dupieux est un artiste, avec un style bien à lui, un humour bien à lui. Si bien qu’au lieu de voir une simple comédie avec l’humour du duo, les spectateurs se sont retrouvés devant un film avec une force charge sociale, un humour totalement absurde, et surtout, une mise en scène lente, prenant son temps, privilégiant les plans larges et longs. Personnellement, dés la découverte de Steak, j’ai été conquis. Enfin une comédie Française (bien que coproduite avec le Canada) qui sortait des sentiers battus, enfin un auteur qui s’exprime, peu importe ce qu’on attend de lui et de ses comédiens. D’ailleurs, Sébastien Tellier, qui a à la fois bossé sur le film sur quelques morceaux de la musique mais également en tant qu’acteur, a parfaitement résumé la situation plus tard. Steak a été vendu comme une comédie populaire, un genre que la France produit à la pelle, et qui a bien souvent le don de m’exaspérer, alors que Steak n’est pas du tout ça. Oui il y a de l’humour, oui je me marre comme un con devant Steak, mais Steak, c’est un film d’auteur, un film qui a des choses à raconter, un film qui se fiche des conventions. Steak, c’est une satire, sociale, d’une époque, d’un milieu aussi, tout en mettant il est vrai en avant un duo pas forcément connu à l’époque pour ce genre là, pour ces considérations là. Pourtant, dés le plan d’ouverture, le ton était donné, Steak n’est pas un film comme les autres. En plus, il affiche dés le début des influences qui n’ont strictement rien à voir avec la comédie.

Oui, voir des étudiants avancer dans la rue, filmés à la steadycam, dans des plans lents et larges, avec en bande son une simple percussion, qui s’accélère doucement, alors qu’ils avancent dans une banlieue typiquement Américaine (tournage au Canada), suivis par un homme armé, cela ne rappelle pas le danger quotidien, étrange et sans visage si cher à Carpenter dans Halloween ? C’est ainsi que tout débute, lorsque George commet l’irréparable, lui qui était martyrisé au lycée, le voilà armé et tuant froidement trois camarades de classe, avant d’errer, sans but, et finalement, d’être « sauvé » par son meilleur ami, Blaise, qui, récupérant l’arme, sera interpellé par la police, arrêté, et tout simplement jeté dans un hôpital pendant 7 longues années. Quand il ressort, le monde a changé. Ce qui permet à Steak, le film, de se lancer dans ce qu’il veut raconter, dans ce qu’il veut nous montrer. À savoir, dans un premier temps, nous montrer un avenir proche, très proche du notre, mais pourtant si différent, si grotesque, à tel point que ce futur à la fois débile et flippant quand on y réfléchit, il n’est qu’une extension que ce que notre monde est déjà. Un monde où « bonjour » ne se dit plus, où la chirurgie esthétique est devenue à la mode même auprès des plus jeunes, où la musique a continuée de se dégrader pour ne plus ressembler à rien, et où fumer est mal vu. Dupieux n’avait finalement pas tort, quand on voit le résultat de la chirurgie qui intéresse toujours autant, que le tabac commence à être très mal vu et interdit partout, et la musique, bon, ben, question de goût mais la musique populaire actuelle, vous vous doutez bien de ce que j’en pense… Steak fait rire, mais du coup, il fait rire souvent avec un humour absurde, décalé, mais avec des situations pas si éloignées que ça de ce qu’est notre monde. Mais oui, l’humour typique d’Eric & Ramzy lui n’est pas dans le film. Au pire, dans quelques tournures de phrases, mais absolument pas dans le contenu. Ils sont ici, comme Chabat, Dujardin, Poelvoorde et d’autres après eux, au service de la vision de Dupieux, de ses dialogues.

Et puis, il y a les fameux Chivers, dont le nom est un hommage au premier long métrage de Cronenberg (Frissons, Shivers en VO, dans son pays d’origine, le Canada tiens), et le comportement, à base de violence, de codes bien étranges et de bouteilles de lait n’est pas sans rappeler un certain gang cher au cinéma de Kubrick, dans le culte Orange Mécanique. Oui, l’affiliation est frappante. Et autant le dire, dés leur apparition, je suis devenu fan des Chivers. Entre leur look improbable (blouson rouge, bottines), leur consommation de lait, leur check inutilement complexe, si bien que Ramzy va galérer à le faire, leur côté totalement space. Et puis, il y a ces phrases cultes, qui ne peuvent provenir que du cinéma de Dupieux. Qui n’a jamais vu après un de ces potes en criant « hey Chivers », ou alors, en montant dans une voiture, s’écrier « et le dernier arrivé est fan de Phil Collins ». Steak nous montre donc ça, un monde très proche du notre, un monde qui se déréglé, ou non, s’est tout simplement déjà bien déréglé, avec ses salles de classes ou plus de la moitié des étudiants portent des bandages à cause de la chirurgie esthétique, ou les jeunes font des jeux étranges, entre le cricket et le calcul mental, et où, si la bonne réponse est donnée, on se prend un bon coup dans le ventre, et où les mères ne s’étonnent même plus que leur fille se fasse kidnapper, et draguent le kidnappeur. Oui, tout est absurde, rien ne va, et si le cinéma de Dupieux est souvent absurde, difficilement accessible pour le grand public qui ne peut que lever un sourcil face au spectacle proposé, Steak demeure une magnifique entrée dans son œuvre, et une carte de visite osée de sa part. Mais surtout, un film dont l’on trouve encore des restes aujourd’hui dans de nombreux films de Dupieux, entre ce monde déréglé (quasiment tous ces films), ses checks improbables (Mandibules), ses personnages qui se perdent dans leur propre obsession (Réalité). Steak est séduisant, Steak a divisé et c’est totalement normal, mais Steak, c’est génial. Et attention, la prochaine partie sera Bleue ! Chivers !

LES PLUS LES MOINS
♥ Eric & Ramzy dans un film différent
♥ Un propos osé
♥ Une comédie absurde au style unique
♥ Les Chivers
♥ Énormément de thématiques abordées
⊗ L’échec critique et public du film à sa sortie
note6
Pour voir Kavinsky en chef de gang qui boit du lait, Eric Judor en homme qui ne comprend pas le monde qui l’entoure, Ramzy Bedia en obsédé par son image dans un monde où la chirurgie est devenue une mode, le tout sous la caméra au style unique et posée de Dupieux, Steak est un bijou.


Titre : Steak
Année : 2007
Durée :
1h20
Origine :
France / Canada
Genre :
Comédie
Réalisation :
Quentin Dupieux
Scénario :
Quentin Dupieux
Avec :
Eric Judor, Ramzy Bedia, Jonathan Lambert, Vincent Belorgey, Sébastien Akchoté, Laurent Nicolas et Sébastien Tellier

Steak (2007) on IMDb


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Auteur : Rick

Grand fan de cinéma depuis son plus jeune âge et également réalisateur à ses heures perdues, Rick aime particulièrement le cinéma qui ose des choses, sort des sentiers battus, et se refuse la facilité. Gros fan de David Lynch, John Carpenter, David Cronenberg, Tsukamoto Shinya, Sono Sion, Nicolas Winding Refn, Denis Villeneuve, Shiraishi Kôji et tant d'autres. Est toujours hanté par la fin de Twin Peaks The Return.
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