[Film] Les Copains d’Eddie Coyle, de Peter Yates (1973)


Eddie Coyle est un bandit sans envergure qui vit de petits boulots, de trafic d’armes et de contrebande. Pour échapper à une condamnation et éviter de finir ses jours derrière les barreaux il accepte de travailler comme indicateur pour Dave Foley, un agent du FBI.


Avis de Cherycok :
Les Copains d’Eddie Coyle fait partie de ces films qui à leur sortie sont passés en dehors des radars et qui, aujourd’hui, sont considérés comme des classiques de leur époque. Le film a fait un flop au box-office, ne permettant même pas de rentabiliser son coût de production de 3M$US, sans parler des frais de distribution et de publicité. Les critiques professionnelles n’ont, dans l’ensemble pas été tendres non plus. Pourtant, aujourd’hui, le film a une moyenne de 7.4/10 sur plus de 13000 votes sur IMDB, se paie un 98% pour les critiques professionnelles et 87% pour les critiques visiteurs sur Rotten Tomatoes. Des réalisateurs comme Quentin Tarantino, Ben Affleck ou encore Steven Soderbergh le considèrent également comme un film culte. Est-ce que le film n’a tout simplement pas été compris à l’époque ? Est-ce que les gros succès du même genre tels que Serpico, Le Parrain ou Mean Streets, sortis à la même époque, lui ont fait beaucoup d’ombre ? Difficile à dire mais une chose est sûre, c’est qu’avec son approche particulière du milieu des gangsters, Les Copains d’Eddie Coyle est un film qui ne laisse pas indifférent.

Basé sur le roman éponyme du même nom de George V. Higgins, Les Copains d’Eddie Coyle est un film sombre et épuré nous présentant un Boston fade, hostile, aux bars ternes, aux rues presque vides, sans la moindre once de glamour. C’est dans ce Boston défraichi que le film va nous montrer toute une galerie de personnages de gangsters. Mais ici, point de mafieux prestigieux, point de gangster héroïque, point de violence flamboyante, nous sommes au milieu de petits gangsters médiocres, des criminels ordinaires qui font leurs petits trafics non pas pour s’enrichir mais pour essayer d’arriver à boucler les fins de mois. Entre deux petites affaires, on les verra discuter, affronter la solitude, réfléchir sur leur condition. Dans le monde d’Eddie Coyle, tout n’est que petits deals minables, tout n’est que trahison et compromission, et les seuls moments où une quelconque alliance se forme, ce n’est que le temps d’un petit trafic ou casse avant de revenir à ce quotidien où chacun ne peut au final compter que sur lui-même. On se rend compte rapidement que le titre du film, et en particulier le mot « copains », est bien entendu ironique et le film semble clairement être une critique sociale du fameux rêve américain, avec toute cette panoplie de personnages qui, même en choisissant la voie du banditisme, souvent plus dangereuse mais plus lucrative, arrivent à peine à joindre les deux bouts. Le désenchantement est là, la réussite et la liberté ne sont que des mirages qui ne seront jamais atteint, et ce désenchantement est parfaitement incarné par un robert Mitchum impérial. Il est l’incarnation même de ces petits bandits fatigués et résignés. Malgré son passé trouble, son personnage d’Eddie Coyle ne cherche même plus la rédemption. Il veut juste arrêter tout ça, et simplement commencer à vivre normalement avec sa femme et ses enfants. Sauf qu’il est coincé dans un engrenage duquel il peine à sortir et qui peut lui coûter la vie à tout instant. Avec son jeu tout en retenue, son regard désabusé et le poids de l’âge qui commence à se faire sentir, il fait parfaitement bien ressentir cette lente usure d’un homme dans cette société américaine qui n’est au final que désillusion. L’implication de Mitchum est totale et ce dernier est même allé jusqu’à rencontrer des gangsters locaux, en particulier du gang Walter Hill, pour s’imprégner encore plus de ce milieu et le retranscrire du mieux qu’il pouvait.

Ce qui a pu perturber le public de l’époque et leur faire bouder les salles, au point que Les Copains d’Eddie Coyle n’est même pas arrivé à rentabiliser son maigre budget de 3M$US (sans parler des frais de distribution et de publicité), c’est peut-être la mise en scène de Peter Yates (Bullitt) qui joue à fond la carte de la froideur et du réalisme dans le but de rendre son film le plus authentique possible. Le rythme est lent, les dialogues sont nombreux, et surtout tout y est anti-spectaculaire. Alors oui, tous les codes du film de gangster sont là, mais ils sont tous volontairement désamorcés. Le braquage de banque du premier acte se déroule sans aucun mort, sans aucun coup de feu, sans aucun accroc. La course poursuite, qui semble s’amorcer dans un parking plus tard dans le film, est stoppée nette au bout de quelques secondes. Le final n’est à aucun moment épique ou spectaculaire et se résume à un plan de deux secondes. On pourrait même avouer qu’on s’ennuie parfois un peu devant Les Copains d’Eddie Coyle. Et pourtant, on reste comme hypnotisé par ce que Peter Yates nous propose car en refusant ce spectaculaire et en nous empêchant de vivre l’action, il place le spectateur en tant qu’observateur privilégié de ce monde qu’il dépeint, comme pourrait le faire un documentaire ; avec des mouvements de caméra qui se font très rares, une musique qui se fait très discrète, voire carrément absente, comme s’il voulait nous montrer que le crime s’a strictement rien d’héroïque. C’est dans cette sobriété qu’il arrive à faire naitre une tension lourde, mais surtout qu’il arrive à faire passer tout un tas d’émotions et l’exemple le plus frappant est cette petite discussion dans le premier acte, au demeurant anodine, entre Eddie Coyle et son contact, pleine de mélancolie, qui nous fait comprendre que l’argent, la réussite et la liberté ne sont plus des idéaux car ils sont impossibles à atteindre pour lui. Les Copains d’Eddie Coyle n’est peut-être pas un film qui a beaucoup d’éclat, mais c’est clairement un film plein d’âme et si des réalisateurs comme Steven Soderbergh, Quentin Tarantino ou encore Ben Affleck le citent comme une de leurs références, et que bon nombre d’amateurs de cinéma des années 70 ont fini par le classer au rang de film culte, c’est parce qu’il est effectivement un joyau des années 70.

LES PLUS LES MOINS
♥ Le style documentaire
♥ L’ambiance froide
♥ Excellent Robert Mitchum
♥ La critique sociétale
⊗ Un film relativement lent
A mi-chemin entre le film noir des années 40/50 et le polar réaliste des années 70, Les Copains d’Eddie Coyle est possiblement, aux côtés de Bullitt, un des meilleurs films de Peter Yates. Un immanquable du polar américain des années 70.

LE SAVIEZ VOUS ?
• Alex Rocco, qui incarne le braqueur de banque Scalise, était un ancien membre du célèbre gang Winter Hill, basé à Boston, dans le Massachusetts.

• Le 16 juin 2009, quelques semaines seulement après la sortie du DVD, la même banque a été cambriolée d’une manière qui rappelle celle du film. Delroy George Henry s’est rendu en voiture à la banque quelques minutes avant son ouverture. Il a ensuite fait irruption dans la banque et a tenté de forcer le personnel à ouvrir le coffre-fort. Il a également ordonné au personnel de s’asseoir par terre tout en brandissant une arme, comme dans le film. Un employé a envoyé un SMS à un collègue d’une autre succursale, qui a alors appelé le département de police de Dedham. Un policier en service à 100 mètres de là a réagi rapidement et appréhendé Henry.


LES COPAINS D’EDDIE COYLE sort en combo Blu-ray / DVD le 22 octobre 2025 chez RIMINI EDITIONS au prix de 29.99€. Il est disponible à l’achat ICI.

Sur le blu-ray, en plus du film, on trouve : Un livret de 44 pages, Eddie Coyle ou les prolétaires du Crime (49min) – Conversation entre Jean-Baptiste Thoret (réalisateur, historien) et Samuel Blumenfeld (critique de cinéma), Interview de Peter Yates (37min) enregistrée en 1996, Bande annonce



Titre : Les Copains d’Eddie Coyle / The Friends of Eddie Coyle
Année : 1974
Durée : 1h43
Origine : U.S.A
Genre : Polar méconnu
Réalisateur : Peter Yates
Scénario : Paul Monash, George V. Higgins

Acteurs : Robert Mitchum, Peter Boyle, Richard Jordan, Steven Keats, Alex Rocco, Helena Carroll, Joe Santos, Mitch Ryan, Margaret Ladd, Matthew Cowles, Peter MacLean


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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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