[Film] Angel with the Iron Fist, de Lo Wei (1967)


L’agent 009 (Lily Ho) est chargé de débusquer une dangereuse organisation criminelle : les anges noirs. Pour accomplir sa tâche, elle embobine un séduisant bijoutier Cheng Tie hu (Tang Ching) affilié avec le gang. Même armée de son charme, de sa ruse et d’une panoplie de gadgets (incluant une sacoche pistolet, des lunettes infrarouges et un bijou caméra) elle aura pourtant forte à faire pour surmonter la méfiance d’une ange jalouse (Fanny Fan), et l’affection malsaine de la chef du gang (Tina Chin Fei). Elle doit aussi voir à ne jamais perdre la confiance de Cheng Tie Hu sur lequel repose son plan d’infiltrer puis détruire l’organisation de l’intérieur.


Critique – Lo WeiLily Ho – 


Avis d’Yves Gendron :

1967 pourrait être décrit comme l’année où James Bond a laissé son empreinte en Asie. D’une part parce que le dernier film de la série Bond : You Only Live Twice, se déroulait au Japon. D’autre part à cause des nombreux films d’espionnage et d’aventure produits pour l’occasion par les studios Shaw Brothers et inspirés du personnage et des conventions régissant les aventures du célèbre agent 007. Au total sept films ont été produits en dix mois. Angel With The Iron Fist est le premier d’entre eux (date de sortie 11 Janvier 67). Ce n’était pas là le premier film «pseudo bond» produit par les Shaw, il y a avait eu auparavant Golden Buddha sorti en mai 1965 mais ce film tenait tout autant des films de suspense d’Alfred Hitchcock. Par contre Angel est le premier « spy caper » Shaw à mettre en scène un agent secret dûment numéroté. (spy caper= spy espion, caper: film de genre avec un degré d’humour).

Excepté que dans Angel, l’agent secret n’est pas un « James » mais plutôt une « Jane » Bond ultra chic incarnée par la starlette montante Lily Ho. Comme les vedettes féminines dominaient le cinéma hongkongais dans les années 60, il était plutôt normal que les Shaw présente un agent secret féminin pour leur film d’espion. Toutefois Angel va plus loin encore puisque le grand méchant du film est également de sexe féminin, une dragon lady dirigeant une armée de femmes fatales et auprès desquels les hommes semblent confinés aux rôles de subordonnés.

Le film offre donc une étrange inversion du rôle des sexes par rapport aux Bond originaux. Alors que l’agent 007 accomplit habituellement ses missions à la dure (combats, intrusion secrète) l’agente 009 réussit la sienne par des artifices bien féminins (ruses, duperie, séduction). Même la plupart de ces gadgets sont déguisés en accessoires de femme. Bien qu’elle se batte ou utilise un pistolet à quelques occasions, ce n’est pas avec ses prouesses martiales qu’elle arrive à ses fins.

Cela ne veut pas dire que le rôle des hommes dans le film sont complètement marginalisés : le patron de l’agent 009 est un homme et elle est également pourvue d’un faire valoir avec le personnage du bijoutier chevaleresque incarné par Tang Ching qui même si il est dupé par l’héroïne n’en n’est pas moins le second protagoniste du film et n’hésite pas à se battre pour elle à de nombreuses occasions. Le rôle qu’il occupe est à peu près le même que les chevaliers-servants qui dans les Wu Xia Pian aident et la plupart du temps tombent amoureux de l’héroïne.

Angel with The Iron Fist a le même metteur en scène que Golden BuddhaLo Wei (et aussi le même scénariste). Angel a donc à peu près la même série de défauts que son prédécesseur, soit une mise en scène et une narration manquant tant de rigueur que de zeste. Les personnages sont aussi superficiels et le scénario ne rend aucunement l’avantage au sexe de l’agent secret et de ses adversaires pour créer des dialogues un tant soit peu spirituels. Les scènes d’action sont assez variées et nombreuses mais la plupart du temps sont plus excitantes pour leur trame musicale plutôt que dans la manière dans laquelle ils ont été filmés ou chorégraphiés. Du lot, on pourrait quand même retenir la bagarre semi-comique dans le salon de coiffure (au cours duquel le comédien Lee Kwan dans un cameo surprise prend une volée), le duel de filles : 009 Vs une ange jalouse, dans laquelle elles se donnent des coups de karaté et se tirent les cheveux, le corps à corps implacable entre sbires pour les beaux yeux de 009 et la poursuite dans les égouts de la base secrète lors du dénouement.

A défaut de capturer le brio et l’humour de la série Bond, Angel réussit quand même à en reproduire un tant soit peu l’ambiance grâce à la trame musicale (consistant en des morceaux empruntés ou imités d’autres films Bond) de même que la direction artistique : avec les gadgets, les vêtements chics des personnages et les décors de la base secrète imitations redux de ceux créés pour les James Bond. Il faut aussi signaler le générique d’ouverture qui consiste en un dessin animé réalisé dans le style pop art des années 60 très en vogue à l’époque surtout dans les spy caper et qui donne au film un certain souffle dès le départ qui a tôt fait de se dissiper.

L’atout essentiel du film est sa vedette principale Lily Ho. A l’emploi des Shaw depuis 1965, cette dernière s’était faite remarquer dans des rôles secondaires, amenant le studio à la promouvoir comme vedette dans une série de films distincts dont Angel With The Iron Fists fut le premier à sortir dès janvier 67. Grande, élégamment maquillée de même qu’habillée en accoutrement haute couture Lily Ho est l’incarnation même de la grâce ultra chic. Le charme de Lily ne tient pas juste à son apparence mais au double jeu constant de son personnage une «Jane Bond» confiante, résolue et compétente jouant les jeunes filles vulnérables et émoustillantes. Un des jeux favoris du film est de faire souvent des gros plans sur le visage de l’actrice où les airs rusés du personnage perce derrière son masque frivole et vulnérable. Quoi qu’il arrive, l’Agent 009 contrôle toujours la situation et cela contribue à son attrait.

Deux bémols tout de même, malgré le titre du film « l’Ange aux poings d’acier » et bien que son personnage se batte souvent Lily Ho n’est pas une experte des plus convaincantes au corps à corps, elle est juste trop menue et pas véritablement athlétique. Aussi, au dénouement du film, l’agent 009 est piégé et a besoin d’être prise en charge par « son chevalier » pour s’échapper. A ce moment sans se transformer complètement en demoiselle en détresse, son personnage qui dominait chaque situation doit un peu céder le pas à son faire valoir dans un retournement quelque peu incongru étant donné le fait qu’elle l’ait constamment dupé depuis le début.

En tant que pastiche féminin et asiatique des films Bond, Angel With The Iron Fists a un certain charme rétro-kitch. Le film peut également être considéré comme un lointain ancêtre du genre Girls With Guns des années 80/90. Malheureusement, le manque de style et de vigueur dans la mise en scène et la nature somme toute assez surfait des personnages et du scénario font que le film ne s’élève pas beaucoup. Une appréciation du film dépend si l’on tombe sous le charme de Lily Ho ; si oui les défauts d’Angel paraîtront un peu moins pesants, sinon ce pseudo Bond défaillant lassera très vite.

Pour Lily HoAngel With The Iron Fists marque ses grands débuts comme vedette glamour des Shaw. Ses prestations dans le mélodrame My Dream Boat et le musical Hong Kong Nocturne démontraient sa versatilité et auront consolidé sa position au sommet du star system des studios sur lequel elle resta perchée jusqu’à sa retraite en 1974. Lily Ho est apparue dans d’autres spy capers notamment une suite : Angel Strikes Again, de même que Brain Stealers, et Lady Professional. Vers la fin de sa carrière son rôle de courtisane vengeresse dans Intimate Confessions Of A Chinese Courtesan avait une étrange parenté avec celui de l’agent 009. Comme cette dernière, la courtisane devait séduire et duper ses adversaires pour mieux les détruire et parmi ces cibles l’on comptait une autre femme fatale vénéneuse. Comparer ce film de la maturité de l’actrice avec celui de ses débuts pourrait être un exercice intéressant pour quiconque s’intéresse au Studio Shaw Brothers et son évolution.

Yves Gendron (9 novembre 2010)




Les Bonus du HKCinemagic


Lo Wei

Né le 19 juillet 1918 dans la province de Jiansu, il débute sa carrière cinématographique par le métier d’acteur pendant la Seconde Guerre Mondiale. Avec la Central Motion Picture Theatre Troupe, Lo Wei commence à se faire connaître à Shanghai. Après la guerre, il s’installe à Hong Kong où il se fait remarquer dans son interprétation du général Yuan Shikai dans Sorrow of the Forbidden City en 1948. Dès lors, tout s’accélère et Lo Wei devient même l’idole des petites minettes de la colonie britannique.

Mais les années passent, et sentant sa fin proche, Lo décide de fonder sa propre compagnie de production : la Sze Wei. Cette dernière produit moult de mélodrames, comme il avait l’habitude d’en faire auparavant. Cependant, malgré quelques succès, Lo Wei rejoint la Shaw Brothers en 1965 où il y réalisera 17 films en moins de 6 ans. Là, il devient petit à petit le nouveau maître des wu xia pian avec son actrice fétiche : Cheng Pei-pei. En 1971, après le schisme de Raymond Chow vis à vis de la Shaw Brothers, Lo Wei suit Chow pour la Golden Harvest qu’il vient de créer. Il continue dans le même style de films et y impose une nouvelle furie : Nora Miao.

Mais le nom de Lo Wei reste dans les mémoires des cinéphiles pour avoir surtout dirigé les films HK de Bruce Lee. Mais à la mort de la star, la Golden Harvest confia à Lo le soin de diriger ses remplaçants dont Jimmy Wang Yu. Après quelques bons petits films, ses tentatives de s’internationaliser (il tournera 2 films à San Francisco dont un avec Chuck Norris !) échouent et Lo décide de partir à Taiwan en 1975 où il fonde sa propre compagnie : la Lo Wei Motion Pictures. Hélas, le succès n’est une fois de plus pas au rendez-vous jusqu’à sa rencontre avec la future star numéro 1 de Hong Kong : Jackie Chan. Avec l’Irresistible, le maître lui confie l’un de ses premiers vrais rôles comiques, repris plus tard par le fabuleux Yuen Woo-ping (avec le triomphe du Maître Chinois).

Après quelques entourloupes avec son dernier protégé, Lo Wei se retire du monde du cinéma, laissant derrière lui quelques noms d’acteurs illustres qui ont marqué à jamais l’histoire cinématographique de Hong Kong.


Lily Ho Li Li

Née en 1947 à Taïwan, Lily Ho est propulsée dans l’univers du cinéma dès son plus âge puisqu’à 13 ans elle est découverte par le réalisateur Yuen Chau Fung qui l’engage pour son film Song Of Orchid Island. Deux ans plus tard, elle quitte sa terre natale pour se rendre à Hong Kong et travailler au sein des studios de la Shaw Brothers. Elle fait alors partie d’une jeune génération d’actrices baptisée « the 12 Golden Hairpins » dont Run Run Shaw, fidèle à sa stratégie publicitaire, veut en faire l’élite féminine du cinéma mandarin.

Au début de sa carrière, Lily Ho joue principalement des personnages de fille sexy et rebelle dans des films tels que Till The End Of Time ou The Knight Of Knights, productions où elle fait sensation en y apparaissant à demi-nue. Rapidement, elle devient une actrice polyvalente, jouant aussi bien dans des films d’arts martiaux comme Angel With The Iron Fists et The Water Margin que dans des drames romancés tels My Dreamboat de Tao Qin. Néanmoins, elle reste fortement marquée par ses premiers rôles sexy et continue régulièrement à jouer avec cette image en tournant notamment dans Angel Strikes Again, une sorte de James Bond au féminin réalisé en 1968 par Lo Wei.

Paradoxalement, c’est en interprétant un personnage très masculin qu’elle décrochera le titre de meilleure actrice à l’Asian Film Festival en 1973 pour le film The Fourteen Amazons. La même année, elle joue également dans ce qui reste peut-être son film le plus remarqué par la critique internationale, le très « chaud » Intimate Confessions Of A Chinese Courtisan, une production pour adultes réalisée par le grand Chu Yuan. Totalement décomplexée, elle y joue une esclave de l’amour, lesbienne et sensuel, au service sexuel de la séduisante Betty Pei Dee. En 1974, Lily Ho est incontestablement au sommet de sa popularité. Pourtant, après un ultime film avec Chu Yuan (Sex, Love And Hate) et une dernière incursion dans le films d’arts martiaux (Five Tough Guys de Pao Hsieh Lieh), elle met brusquement fin à sa carrière cinématographique et se marie avec un homme d’affaire. Ce dernier, grand entrepreneur dans le secteur maritime, fera de sa femme une détentrice d’une grande part de ses actions et une très bonne gestionnaire de fortune. Lily Ho est ainsi devenue une redoutable femme d’affaires dans le commerce des navires à Hong Kong…

Désormais mère de famille sans histoire mais auréolée d’un glorieux passé riche de quarante films, Lily Ho mérite indiscutablement de faire partie du panthéon des tigresses de la Shaw Brothers.

(Stéphane Jaunin et Chris Violet)


 

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Auteur : HKCinemagic

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