[Avis] Headshot, de Pen-ek Ratanaruang

Titre : Headshot / ฝนตกขึ้นฟ้า
Année : 2011
Durée : 105 mn
Origine : Thailande
Genre : Film noir / film spirituel
Réalisateur : Pen-ek Ratanaruang

Acteurs : Nopachai Jayanama, Sirin Horwang, Chanokporn Sayoungkul, Apisit Opasaimlikit, Krerkkiat Punpiputt

Synopsis : Tul est un tueur à gages. Alors qu’il abat sa nouvelle cible, un politicien corrompu, il se prend une balle dans la tête. A son réveil, il voit les choses à l’envers. Ne pouvant plus prétendre continer son métier, il décide de repenser sa vie et tente de fuir son passé. Sauf que ce dernier le rattrape rapidement.

Avis de yume : 

Un nouveau Pen-ek Ratanaruang est toujours une bonne nouvelle. Non pas qu’il nous ait récemment habitué à des films vraiment prenants comme il le faisait à ses débuts, préférant nettement la mise en place d’une atmosphère en oubliant de dérouler en sus une histoire captivante, mais dans le paysage cinématographique thaïlandais ce réalisateur a quand même une place à part et est un des dignes représentants d’une production pas réellement mainstream (c’est-à-dire sans ladyboy, humour gras et comédie sentimentale) mais pas non plus jusqu’au-boutiste dans l’esprit indé comme pourrait le faire un Weerasethakul. Et quand il promet un film noir bouddhiste, il y a de quoi se montrer intéressé. Alors, il vaut quoi ce Headshot au final ?

Adapté d’un roman très connu en Thaïlande, Headshot assume, tout comme le livre, sa filiation au genre noir dont il reprend les codes par le menu : femme fatale, meurtre, trahison, cadre urbain claustrophobique, personnages ambivalents enfermés dans des situations désespérées…. Sans être plus noir que les dignes représentants du genre, le film de Ratanaruang lui rend un hommage satisfaisant et réjouissant, en majeure partie grâce à son esthétisme. Comme à son habitude le réalisateur soigne de façon maniaque sa lumière, ses cadres, son ambiance. Le travail formel est d’une beauté saisissante, que cela soit lors des nuits urbaines au néon ou des forêts tropicales diurnes aux oranges et verts hyper contrastés. Mais ce qui reste le plus marquant est bien le cadrage. Ne s’adonnant qu’avec parcimonie aux travellings et changements de plans rapides même lors des scènes d’action, exercice nouveau pour lui et plutôt réussi, Ratanaruang préfère composer des scènes millimétrées dans lesquelles le personnage principal est souvent prisonnier, en second ou arrière-plan. Heureusement la métaphore vis-à-vis de la psychologie du personnage principal est plutôt discrète et ce procédé de mise en scène ne se ressent pas lourdement. Mais sur un plan formel, l’un des intérêts du long métrage est son montage. Sans être le moins du monde original, puisqu’on parle ici d’un montage alterné de séquences se déroulant dans le présent et de séquences de flash-back insérées au fur et à mesure afin de révéler un historique en douceur, Ratanaruang a choisi de ne mettre aucun indication temporelle, ni de transitions permettant de se rendre compte d’un changement de time line. Plutôt radical, le procédé n’est pas non plus insurmontable si on s’attache aux détails, et permet de jeter une jolie confusion dans l’esprit du spectateur, en parallèle avec celle que vit le personnage. La métaphore formelle, encore.

Si on ne peut nier qu’Headshot est une réussite technique et visuelle, appuyée par un acteur principal tout en subtilité, le film pêche néanmoins quand il veut raconter quelque chose. Toujours le même reproche pour Ratanaruang. Sauf qu’à contrario des fumistes et bien trop éthérés Ploy et Invisible Waves, Headshot ose avoir une histoire, simple et convenue. Enfin, convenue, si on ne tient pas compte de l’approche bouddhiste voulue par le réalisateur. En effet, Headshot est tout autant un film noir, classique et efficace, qu’une histoire de rédemption, de remise en question, de karma. L’un n’empiétant pas sur l’autre et le film pouvant se savourer de l’une ou l’autre manière. Je ne suis cependant pas certain que le spectateur occidental percevra consciemment toute cette histoire spirituelle. Et le film perdra alors de sa substance pour n’être qu’une banale histoire, certes bien mise en scène, mais une banale histoire quand même. Il manque alors un ingrédient à Headshot : le sentiment. Le film est cliniquement froid, et l’émotion n’empiète jamais le semi réalisme voulu par le réalisateur. C’est tout juste si une ou deux réflexions cyniques arrivent à faire sourire, mais le pire est que la, enfin les, relations du personnage de Tul avec deux femmes, censées servir de pivot à la dramaturgie, ne fonctionnent pas à cause de cette non implication émotionnelle. Etrange, alors qu’une des caractéristiques de Ratanaruang jusqu’ici était la mise en scène de relations humaines, mutiques et spécifiques, mais avec assez d’émotion retenue pour que l’on s’attache. Ici, rien. Et par conséquent on ne s’attache pas spécialement à cet anti héros. C’est même là le principal éceuil d’Headshot.

Bénéficiant d’un savoir technique indéniable, Headshot oublie néanmoins de mettre la dose d’empathie nécessaire. Ca n’en fait pas un mauvais film. Loin de là. Il est meilleur que Ploy, moins nombriliste qu’Invisible Waves. Mais il manque toujours cet ingrédient si spécifique que l’on trouvait chez le jeune Pen-ek Ratanaruang. Et ce n’est pas certain qu’on le retrouve un jour. Ça ne m’empêchera pas de suivre le bonhomme, film après film.

Note : 6,5/10

A lire : l’interview du réalisateur 

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Auteur : yume

Un bon film doit comporter : sailor fuku, frange, grosses joues, tentacules, latex, culotte humide, et dépression. A partir de là, il n'hésite pas à mettre un 10/10. Membre fondateurs de deux clubs majeurs de la blogosphere fandom cinema asitique : « Le cinema coréen c’est nul » World Wide Association Corp (loi 1901) et le CADY (Club Anti Donnie Yen).
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