[Film] The Lighthouse, de Robert Eggers (2019)


Le quotidien claustrophobique de deux gardiens de phare, isolés du reste du monde, à la fin du XIXème siècle.


Avis de Seyren :
Entre mythe, conte et réalité, le phare d’Eggers apparaît comme une allégorie moderne, celle de la solitude, de la folie, des liens toxiques, des faiblesses de l’homme et des vicissitudes de la vie. Dans un format classique, carré, noir et blanc, rappelant clairement l’esthétique de Murnau, et bien au-delà tous les maîtres du bizarre, The Lighthouse replonge son spectateur dans l’histoire d’un cinéma d’image, où chaque détail compte. De Méliès à Lang, Eggers dévoile l’ampleur une photographie oubliée, noyée aujourd’hui à des kilomètres de profondeurs sous des enchainements de plans fades de moins de deux secondes. L’esthétique léchée est irréprochable. Visuellement, le film est une claque, de par la pureté de ses images, la subtilité du jeu de lumière, et les références improbables.

The Lighthouse, Eggers, 2019 / Hypnose, Sascha Schneider, 1904

Le long métrage arpente les longs sentiers de l’ennui. Et comme l’on sait qu’oisiveté est mère de tous les vices, on nage au beau milieu des insomnies, de la violence, d’une répétition débilitante, de l’obsédante nécessité d’assouvissements sexuels (jonglant entre onanisme, bisexualité, voire… comment appeler une forme de sexualité avec une “sirène” ?). Et dans ce fouillis, c’est au spectateur de trouver son compte. Le propos apparaît donc, au premier abord, parfois hermétique. Si les personnages sont rongés par la solitude et l’ennui, il n’empêche que le lien toxique qui les unit ne justifie pas pour autant la folie parfois grotesque qui les possède. Les tentatives du réalisateur de raccrocher ses symboles à toutes formes de mythologie, (la référence claire à Prométhée par exemple) ne parait pas forcément pertinente pour un spectateur qui s’est perdu entre le massacre d’une mouette, la copulation avec une femme poisson et des personnages dont, au final, on peut douter de l’existence. On ne se mentira pas pour autant, même si le scénario semble nous échapper, les jeux de Pattinson et Dafoe sont irréprochables et très vite, le délirium tremens nous emporte avec eux.

Coincé entre des litres d’alcool et un phare hallucinogène, le long métrage met mal à l’aise. Non sans me rappeler les délires alcooliques de Wake in Fright, comme Thomas Howard, nous nous noyons dans les litres frelatés qu’il ingurgite frénétiquement. Et finalement, la seule envie qui nous vient et de boire un verre d’eau. Simplement de l’eau. Ce qui en somme est assez paradoxal dans un long métrage où l’eau (salée) crève l’écran. Véritable huis clos, entouré de murs, de mer et de mouettes, le film est suffocant et, disons-le, efficace. Il me reste cependant un sentiment d’inachevé. L’horreur est au bout du compte trop sage, le propos manque de profondeur, et le film aurait mérité à quelques reprises d’être franchement plus court. Film hommage, d’accord. Image somptueuse, j’accorde. Mais la beauté, on le sait, ne faisant pas tout, subsiste un gout d’incomplétude. Eggers nous livre sans doute une réflexion sur le cinéma qui l’inspire et qu’il recrée dans une société où le septième art souffre de son aseptisation. Il nous permet de nous extirper des remakes, des reboots, des prequels, des sequels et nous propose une vision qui est la sienne, bien loin des codes du grand public américain. Pourtant, je regrette de ne pouvoir creuser plus loin dans un propos que la qualité photographique n’exploite pas. Et c’est armée de cette volonté que je suis naturellement allée vers Nosferatu qui, malgré ses innombrables qualités, ne saura pas une fois de plus, satisfaire mes attentes.

LES PLUS LES MOINS
♥ Une photographie superbe
♥ Un jeu d’acteur irréprochable
♥ Un huit clos assez efficace en termes de claustrophobie
⊗ Un manque de profondeur
⊗ Une narration assez hermétique

The Lighthouse semble être un exercice de style. Le film est impeccable et il n’est que peu de choses à dire sur la qualité de sa technique. Il reste cependant à déplorer un manque global de profondeur. La forme c’est bien, au dépens du fond, ça l’est tout de même moins…



Titre : The Lighthouse
Année : 2019
Durée : 1h49
Origine : U.S.A / Canada
Genre : Epouvante / Thriller
Réalisateur : Robert Eggers
Scénario : Robert Eggers, Max Eggers

Acteurs : Robert Pattinson, Willem Dafoe, Valeriia Karaman, Logan Hawkes, Kyla Nicolle, Shaun Clarke, Pierre Richard, Preston Hudson, Jeffrey Curtis, Sully Seagull

The Lighthouse (2019) on IMDb


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Auteur : Seyren

Enseignante en littérature et cinéma, amatrice de cinéma de genre, de littérature gothique et accro au jeux vidéo. J'aime faire des liens (parfois improbables) entre les différents objets culturels. Inconditionnelle de Lovecraft, en passant par Poe, Romero, Baudelaire, Kitano, Hooper, Craven, Camus et j'en passe...
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