[Avis] Red Eagle, de Wisit Sasanatieng

Titre : Red Eagle / In See Daeng 2010 / อินทรีแดง
Année : 2010
Durée : 2h05
Origine : Thaïlande
Genre : Remake faisandé

Réalisateur : Wisit Sasanatieng

Acteurs : Ananda Everingham, Pornwut Sarasin, Wannasing Prasertkul, Yarinda Boonnak

Synopsis : Une mystérieuse confrérie d’hommes politiques va signer un contrat mirobolant pour la construction d’une centrale nucléaire. Les riverains menacés restent impuissants face à l’hégémonie de cette organisation. Mais un justicier veille sur la cité. Violent et sans pitié, il ne laisse sur les corps de ses victimes qu’une simple carte signée RED EAGLE…

Avis de Laurent : Contrairement aux idées préconçues, le cinéma Thaïlandais n’est pas né à la fin des années 90. En effet, alors que toute une nouvelle vague de réalisateurs tente de réécrire une page mémorable d’un cinéma jusque là boudé en dehors de ses frontières, on en aurait presque oublié que l’ex-royaume de Siam réalisait des films depuis les années 20. Un véritable âge d’or du cinéma local est venu inonder les salles des années 50 aux années 80 avec un style local tout à fait singulier faisant le lien surprenant entre le cinéma indien foutraque et les productions hongkongaises codifiées par la toute puissance des studios. C’est durant ces années folles (entre 1960 et 1970 pour être plus précis) que Mitr Chaibancha venait étaler toute la concurrence au niveau de l’acting en signant 265 films en moins de 15 ans. Parmi ses rôles les plus célèbres citons In See Daeng a.k.a. Red Eagle dans lequel il enfilait un pyjama moulant et un masque rouge afin de défendre la veuve et l’orphelin. Ce personnage de justicier a fait le bonheur du public local jusqu’à la mort tragique de l’acteur lors du tournage de la scène final d’un épisode de la série en 1970 durant laquelle, exténué, il chutait d’une échelle tirée par un hélicoptère … La légende est en marche … jusqu’à ce que la production cinématographique locale sombre dans une cruelle léthargie durant les années 90. Il faudra donc attendre une nouvelle génération de réalisateurs, formés le plus souvent à l’étranger et issu du monde du monde du vidéo clip ou de la publicité pour relancer la machine. L’un de ces réalisateurs – sans doute le plus talentueux avec Pen-Ek Ratanaruang, n’est autre que Wisit Sasanatieng. Son premier film, Les Larmes du Tigre Noir est une sorte de déclaration d’amour au cinéma des années 60. Ce western rétro délicieusement kitsch revisitait un genre extrêmement populaire à l’époque durant laquelle Mitr Chaibancha inondait les écrans de part sa classe nonchalante. 30 années après la mort de ce dernier, on apprend que Wisit Sasanatieng planche sur le remake de ce fameux Red Eagle … on pense alors que l’on tient le cinéaste idéal avec, pour curriculum vitae, une filmographie impressionnante en qualité.

Seulement, Wisit Sasanatieng n’est pas le seul décideur sur ce projet délicat. Le cinéaste aguerri a beau être à l’aise sur ses projets personnels, on sait que le film de commande limite parfois son talent. Le sympathique Unseeable (2006) est là pour témoigner de cet état de fait. Red Eagle propose cette fois-ci une intrigue ambitieuse basée sur tout un éventail de thématiques actuellement tendancieuses en Thaïlande, à savoir les problèmes politiques récurrents du pays (élections chaotiques, corruption, violence contre les minorités et attentats) ainsi qu’un petit pamphlet anti-nucléaire assez inattendu qui, hasard des catastrophes, tombe à peu près au même moment que la polémique alimentant le site industriel de Fukushima.

Difficile d’avoir un avis tranché sur Red Eagle. Les amoureux du cinéaste ne pourront que regretter de le voir associé à l’exhumation de ce mythe populaire du fait que son style si particulier soit resté totalement muselé. En effet, la touche kitsch et rétro qui s’imposait de fait a été totalement éclipsée au profit d’un film d’action de super-héros totalement malvenu. La présence de Wisit Sasanatieng ne se justifie malheureusement pas dans ce remake impersonnel. Pire, la réalisation ne fait pas honneur au standing du réalisateur qui se perd dans un style ultra haché où la tremblote remplace ses habituelles bonnes idées de mise en scène.

Heureusement, tout n’est pas raté dans Red Eagle. En effet, la bonne surprise vient du côté sombre et nihiliste de son personnage principal. En effet, la version originale de l’aigle rouge était très marquée par la comédie douteuse et le comique de situation quelque peu indigeste. En 2010, le justicier devient extrêmement violent, psychopathe sur les bords et ce nouvel antihéros, très loin de l’ersatz de Zorro originel, passe plus de temps à trucider à la machette, à boire, à se droguer et à taquiner la donzelle au lieu d’amuser la galerie. On ne peut qu’apprécier ce parti pris qui devrait troubler le spectateur à l’image des Batmans réappropriés par Tim Burton à la fin des années 80. Malgré la faiblesse de la réalisation poussive au possible, la mayonnaise aurait pu prendre si le casting avait été à la hauteur. Malheureusement, Ananda Everingham n’arrive pas à faire oublier Mitr Chaibancha. Pire, sa prestation est anti-charismatique alors que sa filmographie parle pour lui (Shutter et Ploy pour ne citer que les meilleurs). La faute professionnelle est irréparable.

Red Eagle est donc très loin d’être un bon film. Le parti pris de la production et l’annihilation du talent de Sasanatieng sont cruellement déplorables. Cependant, le film a le mérite de proposer du vrai cinéma thaïlandais avec sa juxtaposition sans queue ni tête de tout un tas d’intrigues et sous-intrigues plus ou moins rapidement expédiées. Les nombreux flashbacks à répétition rappellent ce cinéma du début des années 2000 où, en Thaïlande, on ne savait pas encore raconter efficacement les histoires. Cette mise en scène bancale typiquement thaïe a au moins l’avantage d’apporter une certaine dose de fraîcheur qui fait un bien salutaire dans un monde où tous les cinémas se ressemblent … de Séoul à Los Angeles. Et ça c’est le bien !

Note : 4/10

 

Le trailer :

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Auteur : Laurent

Un des membres les plus anciens de HKmania. N'hésite pas à se délecter aussi bien devant un polar HK nerveux, un film dansant de Bollywood, qu'un vieux bis indonésien des années 80. Aime le cinéma sous toutes ses formes.
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