[Film] Martial Club, de Liu Chia-Liang (1981)


Le légendaire Wong Fei-Hung dans les années de sa folle jeunesse, encore élève de son père Wong Ki-Ying à l’école Po Chi-Lam…


Avis de Postscriptom :
MARTIAL CLUB est donc enfin proposé dans une édition digne de ce film mythique, car quasi-invisible depuis sa sortie en cassette il y a bien des années, mais surtout oeuvre capitale (bien que tardive) dans la filmo de Liu Chia-Liang, rien de moins que la deuxième aventure de Wong Fei-Hung filmée par le maître, sorte de suite six ans après de son deuxième film, LE COMBAT DES MAITRES / CHALLENGE OF THE MASTERS (1975), qui, on le rappelle aux étourdis, avait révolutionné le cinéma d’arts martiaux en faisant du vieux héros (généralement interprété par Kwan Tak-Hing) un jeune novice (et oui, Tsui Hark lui a repris l’idée bien plus tard avec Jet Lee dans les OUATIC) ne sachant pas se battre… Cependant, après s’être ainsi brillamment réapproprié le personnage, Liu l’avait bizarrement abandonné à son sort, préférant se consacrer à la mythologie Shaolin (EXECUTIONNERS FROM SHAOLIN, LA 36EME CHAMBRE…). Et pourquoi pas, c’est son droit le plus strict, chez Liu Liu Chia-Liang la vedette ce sont les arts martiaux avant tout, et on comprend que dans cette optique il ait rechigné à signer d’autres aventures du héros national…

Mais au début des années 80 la donne a changé, ses plus talentueux suiveurs comme Sammo Hung, Yuen Woo-Ping, et bien sûr Jackie Chan, réutilisent le personnage (et plus généralement l’univers tournant autour de Po Chi-Lam) avec un énorme succès au box-office : DRUNKEN MASTER, LE HEROS MAGNIFIQUE, TIGRE BLANC, des hits qui inaugurent en fanfare la nouvelle vague du kung-fu, qui n’oublie pas de rendre hommage aux anciens, allant même jusqu’à réengager le vieux Kwan Tak-Hing que Liu avait démodé… De plus les films Shaw, malgré leurs décors somptueux, n’attirent plus les foules et le studio mythique fermera d’ailleurs ses portes trois ans plus tard… Ces éléments conjugués ont peut-être incité le Sifu à remettre en scène le personnage, et effectivement pour MARTIAL CLUB le calcul aura été payant, le film ayant connu un succès très honorable au box-office. Liu reprend donc son Wong Fei-Hung là où il l’avait laissé à la fin du COMBAT DES MAITRES, à savoir qu’il est maintenant un pratiquant d’arts martiaux aguerri, un des meilleurs de l’école de son père… Mais pour Liu Chia-Liang on le sait, cela ne suffit pas : Wong Fei-Hung se comporte en effet comme un enfant gâté, ne ratant pas une occasion de provoquer des bagarres… Son meilleur ami et compagnon de jeu est lui aussi un joyeux drille, jamais en retard pour exhiber ses capacités dans le bordel le plus proche (ce qui lui vaudra des ennuis, Liu n’aime pas les frimeurs), et fils du maître de l’autre grande école de Canton… Car Po Chi-Lam est désormais en concurrence pour la suprématie des arts martiaux dans la ville, mais malgré les tensions et bagarres inévitables l’équilibre est assuré par le respect mutuel que se portent les maîtres des deux « clubs martiaux »…

Toute cette première partie est une très agréable kung-fu comédie, rythmée et ponctuée d’affrontements élégants dans le style inimitable de Liu Chia-Liang ici au sommet de sa forme, un régal de kung-fu comédie pour ceux qui connaissent et apprécient ses films tant on se trouve en terrain connu, sans compter qu’on constate qu’il s’essaie pour la première fois au genre du « film d’écoles rivales » qu’il n’avait jamais vraiment abordé auparavant et qui nous a donné quelques œuvres marquantes : LE ROI DU KUNG FU, LA FUREUR DE VAINCRE ou LA MAIN DE FER… Je viens d’ailleurs de découvrir l’incroyable générique de début (purement supprimé dans le « DVD » US), un des exercices de style favori de Liu (voir mon dossier Liu Chia-Liang sur le site) qui, s’il n’est pas martialement extraordinaire, est sûrement un des plus gonflés et drôle jamais vu dans un film d’arts martiaux : il nous propose en effet une danse du lion entre deux écoles (normal jusque-là), mais un des participants enlève tout à coup sa tête (c’est Liu Chia-Liang himself !) et, s’adressant à la caméra (!!), commence à nous dicter les règles à ne pas enfreindre pour faire une bonne danse du lion sous peine de baston (!!!). Par exemple il ne faut pas cligner des yeux trop vite face à un autre lion (sinon ça dégénère), ni lever le pied trop haut (sinon ça dégénère aussi)… Déjà on rigole quand on voit en arrière-plan Gordon Liu et un autre combattant faire ce qui est interdit et se foutre systématiquement sur la gueule, mais on roule carrément sous la table quand Liu Chia-Liang, toujours pédagogue, rajoute le plus sérieusement du monde que surtout les deux lions ne doivent pas se sentir le cul !!!!…

Bref, malgré cette entrée en matière iconoclaste (du dialogue-caméra dans un film d’arts martiaux, ils étaient vraiment dans la panade à la Shaw pour tenter ça), son côté truculent et son entrain communicatif, MARTIAL CLUB n’a pas encore vraiment commencé, et même mieux, tout ceci n’est en fait qu’un énorme trompe-l’œil, une convention destinée à rassurer le public frileux (il ne faut pas trop les bousculer les pauvres choux, ou du moins pas encore…). Car si Liu a accepté de reprendre le personnage après si longtemps, c’est qu’il avait une idée derrière la tête : ainsi au début nos héros ont croisé brièvement la route d’un type étrange et un peu paumé, un artiste martial venu du nord (Wang Lung-Wei) qui tente de retrouver une vague relation, qui n’est autre que le maître d’une troisième école, qui rêve de se faire un nom aux dépends des deux premières. Dupé par les bonnes manières hypocrites de son hôte (une constante chez Liu Chia-Liang, les méchants sont souvent supérieurement intelligents et manipulateurs, par exemple Lo Lieh dans MAD MONKEY KUNG FU), Wang Lung-Wei va donc séjourner chez le méchant pendant quelque temps, et se retrouver bien évidemment à plusieurs reprises face à Gordon Liu, qui est régulièrement en conflit avec ce dernier… Au bout d’un moment on se rend compte que ce personnage rappelle fortement le boxeur un peu dégarni qui se retrouvait presque par hasard dans le mauvais camp dans LA MAIN DE FER, le payant finalement de sa vie pour permettre à Lo Lieh d’arriver à temps au tournoi (film d’ailleurs chorégraphié par le frère de Liu, Lau Kar-Wing). Mais Liu Chia-Liang va plus loin, car si on subodore vite que ce personnage n’est pas un méchant (dès son apparition on le comprend à sa manière d’ouvrir une pastèque !), on se demande alors ce qu’il fait là, cette confusion étant renforcée par le lourd passif de son interprète, Wang Lung-Wei n’ayant joué dans toute sa carrière que des rôles de bad guys !…

Car bien sûr ce contre-emploi, véritable coup de génie du film, est tout sauf innocent. Ainsi dans la scène hallucinante de l’embuscade dans le théâtre, quand le fils du méchant tombe enfin le masque et le somme d’attaquer Gordon Liu, Wang Lung-Wei réagit d’une façon inédite : un peu surpris, il regarde le champ de bataille autour de lui, déclare qu’il ne faut pas se fier aux apparences et qu’il n’a pas tous les éléments en sa possession pour juger de la situation… Puis il croise tranquillement les bras et ne bouge plus ! On a alors droit à un gros plan inoubliable sur le visage halluciné du méchant qui n’en croit pas ses oreilles, lui intimant de nouveau l’ordre de passer à l’attaque, en vain… Et tout à coup le déclic se produit, on comprend enfin où Liu Chia-Liang veut en venir avec ce personnage, et quel est le véritable projet de MARTIAL CLUB : faire de Wang Lung-Wei le héros du film !!! Et toute la première partie nous revient alors en mémoire, avec un Wong Fei-Hung immature qui se bat à tout propos pour rien, et qui fait bien pâle figure face à une telle maîtrise de soi. Pour Liu Chia-Liang ce personnage a en effet atteint le stade suprême du combattant, la vertu martiale ultime, le « wude » : refuser de se battre sinon en dernier recours, jamais pour épater la galerie, et surtout pas pour servir les intérêts ni pour suivre les ordres de quiconque, encore moins sous la pression de circonstances dramatiques… Wang Lung-Wei incarne ici un personnage qui a l’expérience de la vraie vie, et la met en pratique dans chacun de ses actes… Ce qui nous amène quelques instants plus tard à une situation totalement inédite, car quand Wong Fei-Hung débarque finalement à la troisième école pour régler définitivement les comptes, le film est quasiment au bord de la rupture narrative vu qu’on ne s’identifie plus du tout au héros (même si on adore Gordon Liu), mais désormais à ce personnage serein et incroyablement charismatique en arrière-plan qui observe tranquillement la suite des événements, planté à côté du vilain, inoubliable !!! Alors bien sûr, on a ensuite droit à un superbe affrontement entre Wong Fei-Hung et des artistes martiaux de second ordre qui met en scène des draperies (oui, Tsui l’a encore copié pour cette idée…), une scène cependant très originale que je vous laisse découvrir. Mais cette fois-ci on n’est pas dupe, on sait que le vrai duel va avoir lieu ensuite contre Wang Lung-Wei et dans les règles de l’art le plus pur, une scène mythique et inoubliable que certains ont essayé de reproduire (dont… encore Tsui Hark, vous croyez qu’elle sort d’où la scène dans la ruelle étroite à la fin de OUATIC 2 ?), en vain.

LES PLUS LES MOINS
♥ Des combats exceptionnels
♥ Une fin inattendue
♥ Le casting
⊗ …
Mais ce n’est pas fini, allant jusqu’au bout de sa logique, Liu Chia-Liang nous offre ensuite une fin unique, jamais vue auparavant dans un film d’arts martiaux classique (et là on peut l’affirmer sans crainte de se tromper, personne n’a jamais refait ça après lui, on comprend pourquoi on n’entendra jamais le fameux thème de Wong Fei-Hung dans le film), et termine comme il avait commencé, sur une danse du lion mais cette fois plus du tout ironique, mais lourdement symbolique sur ce qu’il pense que doivent être les vrais arts martiaux…



Titre : Martial Club / Instructors of Death / 武館
Année : 1981
Durée : 1h42
Origine : Hong Kong
Genre : Arts Martiaux
Réalisateur : Liu Chia-Liang
Scénario : Ni Kuang

Acteurs : Gordon Liu, Kara Hui, Robert Mak, Johnny Wang, Ku Feng, King Lee, Chu Tit-Wo, Wilson Tong, Hsiao Ho, Sek Gong, Chow Siu-Loi, Lam Hak-Ming

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Auteur : Postscriptom

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