[Film] Les Musiciens de Gion, de Kenji Mizoguchi (1953)


Gion, le quartier des plaisirs dans le Kyoto des années 50. Afin d’échapper à son père, une jeune fille, Eiko, vient trouver refuge auprès de Miyoharu, une geisha réputée, amie de sa défunte mère, geisha elle aussi. Eiko lui fait savoir qu’elle aimerait elle aussi devenir geisha, et profite de son enseignement. Miyoharu finit par accepter la demande.


Avis de Yume :
On sait Kenji Mizoguchi très marqué par le thème des Geishas. En effet, la Geisha est pour lui le personnage le plus intéressant pour traiter de la condition de la femme. Mais il ne faut surtout pas perdre de vue que pour Mizoguchi, la Geisha représente aussi le métier que sa sœur a été obligée de faire pour nourrir la famille.

La relation et la connaissance de Mizoguchi pour ce métier sont très fortes, et le thème reviendra de films en films, et à différentes époques du Japon. Ce Gion Bayashi est d’ailleurs un quasi remake de son propre film de 1936 Gion No Shimai. Alors que pourtant le titre fait naturellement penser à un film perdu de Mizoguchi : Gion Matsuri (1933, N&B, et muet). Le Gion Matsuri est un des festivals japonais les plus importants, se tenant à Kyoto durant le mois de Juillet, et le Gion Bayashi est un genre de musique joué durant le Gion Matsuri. Pourtant dans ces Musiciens de Gion il n’y a pas de moments de réjouissances et de festivités, le ton étant très sombre. En fait, Mizoguchi, en nommant son film, faisait plutôt une référence explicite aux instruments joués pour le Gion Bayashi du Gion Matsuri, c’est à dire flûte japonaise, tambours et gongs. Instruments joués par les apprenties Geishas durant leur formation. Il y a donc une forte dose d’ironie dans ce titre qui ose rapprocher festivités et condition de Geisha. Car à travers ce portrait de deux Geishas, Mizoguchi dépeint un monde sans pitié, où le pouvoir de l’argent domine à l’extrême. Les Geishas passent du statut de femmes, à celui de marchandise voire même de monnaie d’échange, à l’image de Miyoharu à qui on demande de coucher avec un homme qu’elle n’aime pas, pour faciliter la signature d’un contrat très important. Son refus la mettra au ban de la profession, rejetée par celle qui dirige le quartier de Gion, donc sans clients, et sans argent.

Comme à son habitude Mizoguchi sera sans véritable concession morale. Même si à travers de l’image, il milite pour la condition de la femme, son regard reste méticuleusement ancré dans la réalité, immonde et froide. L’amour n’a pas accès à ce monde, où il est simulé jour après jour, pour le travail, pour plaire aux clients qui eux s’entichent facilement de ces femmes dont ils ne connaissent que le masque de beauté. A l’inverse, les Geishas, celles du film tout du moins, nourrissent l’illusoire pensée de pouvoir choisir leurs favoris, mais c’est sans compter sur le fait que finalement elles ne sont que des objets qui doivent impérativement être rentables. Eiko essaiera de se rebeller contre ce système, en commettant même l’impensable : se débattre, donc imposer sa volonté et son libre arbitre. Un geste rebelle, véritable paroxysme révélateur du caractère de la femme de la nouvelle génération, mais aussi bien naïf, de Eiko. D’ailleurs, Mizoguchi résume en une seule scène le conflit qui ronge Eiko, et par extension le problème de la femme en général. Selon les droits de l’homme, un homme ne peut forcer Eiko à faire ce qu’elle ne veut pas. Son instructrice lui répond un sec et lourd de sens :  » En principe « .

La dignité de la femme n’a donc pas court dans le monde des Geishas, et Eiko ne pourra la préserver que par le sacrifice de Miyoharu. Et à ce moment, le fossé générationnel qui séparait les deux Geishas, disons même les deux amies, est comblé. Car c’est aussi là un point que Mizoguchi met en exergue dans ce Gion Bayashi. Pour la première fois, il quitte l’époque médiévale pour incruster son histoire dans le Japon moderne, comme il le fera plus tard avec La Rue de la Honte avec encore plus de force. Eiko est donc une jeune fille moderne, qui croit en la liberté de choix, tandis que Miyoharu est une femme de l’époque d’avant-guerre. Un conflit générationnel oppose donc les deux Geishas sur beaucoup de points. Eiko et Miyoharu représentent chacune des facettes du Japon dans lequel vit Mizoguchi, entre respect des codes ancestraux et modernité capitaliste. Il est même amusant de voir que Eiko, cette enfant de l’après-guerre, malgré son caractère rebelle insiste fortement pour porter le kimono traditionnel lors d’une sortie en ville. Finalement, l’une des deux femmes devra mettre de côté ses idées, poussée à l’extrême par les conditions et les hommes. C’est ainsi que Miyoharu perdra sa pureté pour conserver celle d’Eiko, dépassant le stade de Geisha pour devenir prostituée. Un sacrifice digne d’une mère, car comme elle le soulignera plus tard à une Eiko effondrée :  » Tu es ma seule famille « .

LES PLUS LES MOINS
♥ La vision de la condition de la femme
♥ Les personnages travaillés
♥ Les thématiques du film
⊗ …
Sous couvert d’une description de la vie d’une Geisha moderne, formation puis début étant mis en scène de façon minutieuse, Mizoguchi signe avec Gion Bayashi un formidable manifeste, à la puissance incroyable. Peut-être pas aussi désespéré que La Rue de La Honte, Gion Bayashi ne révèle pas moins un univers perfide, où tout se résume à un simple mot : argent. Le reste n’est qu’apparat, que ce soit amour, ou liberté. A saluer de plus, la présence de Ayako Wakao, toute jeune, dont c’est le premier grand rôle avant la carrière qu’on lui connait. Encore un film immanquable de Mizoguchi



Titre : Les Musiciens de Gion / Gion Bayashi / 祇園囃子
Année : 1953
Durée : 1h25
Origine : Japon
Genre : Drame
Réalisateur : Yukio Noda
Scénario : Yoshikata Yoda

Acteurs : Michiyo Kogure, Ayako Wakao, Seizaburô Kawazu, Saburo Date, Sumao Ishihara, Midori Komatsu, Kanji Koshiba, Kikue Môri, Chieko Naniwa

 Les musiciens de Gion (1953) on IMDb


0 0 votes
Article Rating

Auteur : yume

Un bon film doit comporter : sailor fuku, frange, grosses joues, tentacules, latex, culotte humide, et dépression. A partir de là, il n'hésite pas à mettre un 10/10. Membre fondateurs de deux clubs majeurs de la blogosphere fandom cinema asitique : « Le cinema coréen c’est nul » World Wide Association Corp (loi 1901) et le CADY (Club Anti Donnie Yen).
S’abonner
Notifier de
guest

0 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments