[Interview] Gordon Liu


C’est à Deauville en 2004 que Bastian a eu le plaisir de rencontrer l’un des acteurs mythiques de la Shaw Brothers, un homme qui fut remis sur le devant de la scène grâce à Kill Bill de Quentin Tarantino où il incarne le vieux maître de Uma Thurmann.


Auteurx : Bastian Meiresonne, Arnaud Lanuque
Date : 24/12/2004
Type : Interview

 


Gordon Liu et sa formation martiale

Gordon Liu est une légende vivante. Et un grand homme.Souriant, posé et réfléchi, il dégage le même aura généralement attribué au personnage de Wong Fei-hong. Un homme étonnamment doux et prévenant, mais à l’esprit vif. Un corps parfaitement conservé ; la courte démonstration de ses talents sur scène rendent d’ailleurs compte de ses éternelles aptitudes physiques et martiales. Il donne l’impression d’un énorme talent gâché par la force du temps, étant arrivé au moment même du déclin du genre du kung-fu movie. Au moins n’aura-t-il pas été brader son talent dans d’obscures productions américaines, tels que Jackie Chan ou Jet Li ces dernières années.

Rencontré dans le bruyant VIP Lounge de Deauville et accompagné d’une traductrice sympathique, mais complètement néophyte en ce qui concerne les arts martiaux et le cinéma tout court, nous n’avons pu poser les 1001 questions préparées en vue de cette grande rencontre. Mais quel souvenir !! Compte rendu…


Kung Fu et Hung Gar

Vous êtes considéré comme un descendant des grands maîtres de Shaolin de part votre maître Liu Zhan, lui même disciple de Lin Shirong, lui même disciple de Wong Fei Hung. Cela vous donne-t-il l’impression d’être l’unique porteur d’un héritage séculaire, d’une philosophie et d’un style d’art martial ?

On ne peut pas dire cela. Il y a tellement d’écoles et de formes d’arts martiaux dérivés de l’école Shaolin…On pourrait me définir comme un héritier de l’école Hung Gar, mais pas de l’école de Shaolin.

[NDLR : Situé dans la province du Henan, sur l’une des 5 Montagnes Sacrées de la Chine – le Mont Song – le monastère de Shaolin (voulant dire Petite Forêt) perpétue depuis 495 des arts martiaux chinois traditionnels.]


Comment est aujourd’hui perçu Shaolin et son kung fu en Chine?

De nos jours, beaucoup de gens connaissent bien le Shaolin et ce grâce aux films. Avant, pas grand monde n’en avait entendu parler, surtout avant l’ouverture des Frontières de la Chine Populaire et avant l’apparition des films dans les années ’70s . Aujourd’hui, tout le monde croit que le kung-fu est uniquement issu de l’école Shaolin, alors que ce n’est pas vrai. Il y a multitude de genres de kung-fu complètement différents. Mais cela n’est pas très grave ; l’important est de faire connaître la culture du kung-fu.


Votre formation martiale initiale est le Hung Gar. C’est une forme de kung fu qui préconise la dureté et la douceur en même temps. N’est-ce pas?

Le Hung Gar est un art martial très pénible à apprendre. Pourquoi est-ce que je me suis décidé pour cet art martial plutôt que pour un autre ? Parce que j’aime bien pratiquer les choses les plus pénibles ! Et parce qu’ainsi il est bien plus facile d’apprendre d’autres arts martiaux ou d’endurer d’autres choses difficiles. Commencer par le plus difficile, pour rendre d’autres choses plus douces par la suite.

[NDLR : Hung Gar : Style de combat créé au XVIIe siècle sous la dynastie Qing au Sud de la Chine pour s’opposer à leurs envahisseurs mandchous.]


Pensez vous que le cinéma ait pu rendre justice envers le Hung Gar étant donné sa nature moins spectaculaire que d’autres comme le Taekwondo ou le Wing Chun ?

Chaque type de kung-fu possède ses propres avantages. Quant à leur représentation au cinéma, seule importe la direction et la réalisation des chorégraphies
Le Hung Gar est une forme paisible de kung-fu. Sous la direction de mon maître, Lau Kar Leung, qui connaissait parfaitement cet art martial et avait l’habitude de me diriger, la représentation du Hung Gar est parfaite.

Quant à la représentation des différents kung-fu sur scène, cela dépend vraiment de la réalisation des chorégraphies.


Est-ce que la 36ème Chambre en est donc le représentant parfait ?

(rires) Oui !

le moine San De en action



Gordon Liu et La 36 Chambre de Shaolin

Le tournage de la 36ème Chambre de Shaolin a duré près de 6 mois. Pourquoi le tournage a duré autant de temps ?

 Oui, le tournage a effectivement duré très longtemps. A l’époque, il n’existait bien évidemment pas d’ordinateurs et il a fallu beaucoup de temps à l’équipe de la réalisation pour construire chacune des chambres par la seule force de leurs mains.

Quant à la représentation des combats, je me sentais revenir à mes entraînements ; c’était même plus dur, parce qu’il fallait donner pour chaque combat la vision la plus réaliste possible. Comme c’était très difficile, le tournage a duré plus longtemps.


Etait-ce un tournage éprouvant ?

(Gordon Liu se frotte rapidement la tête pour faire référence à la scène du film, où il donne des coups de tête dans les sacs remplis de sable). Le nombre de blessures infligées sur ce tournage était impressionnant !


Il est dit, que vous avez tourné énormément de choses pour ce film…

Oui ; comme le tournage a été tellement long, nous avons énormément tourné.


Y a-t-il des scènes, que vous n’avez pas conservées dans le montage final ?

D’autres combats historiques (en début de film).

Retour à la 36ème Chambre de Shaolin


Pourquoi y a t il eu 2 suites à ce film ? Lequel préférez-vous ?

On ne peut pas vraiment parler de suites. Le second film est une histoire totalement différente. Nous avons utilisé le même personnage et le monastère des Shaolin.

Mon film préféré est justement le second film, Retour à la 36ème Chambre, parce que nous y avons ajouté plus d’éléments comiques.

[NDLR : Le personnage du moine San Te ; sauf que comme il ne s’agit pas d’une suite directe, mais plutôt d’un remake du premier, Gordon Liu joue cette fois un personnage totalement différent (l’arnaqueur et roi du déguisement Chun Jen-chieh). San Te est incarné par l’acteur / cascadeur Chin Chu. Dans le troisième – et ultime chapitre – ce sera de nouveau Gordon Liu rempilant dans le rôle du moine…]


Quel message avez-vous pour tous vos fans en France ?

Un grand merci à tous mes fans en France et de votre soutien et de votre sympathie pour mes films comme la 36ème Chambre ou encore les Kill Bill.

Même si je ne fais plus de films de kung-fu aujourd’hui, j’espère que mes fans ne m’oublieront pas (rires). Même si je ne fais plus de films aujourd’hui, j’aimerai que vous gardiez l’esprit du kung-fu dans vos cœurs. J’ai toujours voulu véhiculer la philosophie du kung-fu à travers mes films.

Bastian et Gordon Liu



Remerciements chaleureux à Gordon Liu pour son temps et sa gentillesse.

Propos recueillis par Bastian Meiresonne, 12 mars 2004.

Remerciements à Benjamin Gaesseler, WildSide Video
et le Festival du Film Asiatique de Deauville 2004



BONUS HKCINEMAGIC :

Biographie par Philippe Quévillart :

Adopté puis élevé par le père de Liu Chia Liang, maître Liu Zhan, Gordon Liu Chia-hui (ou Lau Kar-fai en cantonais) est une véritable figure de proue du cinéma de kung-fu. Excellent acteur au physique de jeune premier on peut sans peine le situer dans les cinq meilleurs artistes martiaux de l’histoire du cinéma. Son rôle le plus marquant restera sans doute celui du jeune bonze San Tze tentant de passer les différentes épreuves des 36 chambres de Shaolin dans le film du même nom de son frère Liu Chia Liang.

La carrière cinématographique de Gordon Liu commença en 1974 par une apparition très marquante dans le Shaolin Martial Arts de Chang Cheh aux côtés d’Alexander Fu Sheng. Dès le départ il développe de très grandes qualités d’artiste martial et une présence à l’écran assez marquante. La même année il fait partie du casting de Five Shaolin Masters (Cinq Maîtres de Shaolin) du même Chang Cheh. Après une purge dans Marco Polo en 1975, il obtient son premier véritable rôle dans un film de son frère, Challenge Of The Masters (Le Combat Des Maîtres) il y interprète le rôle d’un jeune Wong Fei-hong espiègle dont l’éducation martiale sera parfaite par le maître Lu Ah Tsai, magistralement interprété par Chen Kuan Tai. Un Chen Kuan Tai qu’il retrouvera l’année suivante toujours pour le compte de Liu Chia Liang dans Executioners From Shaolin. L’autre frère de Liu Chia Liang, Liu Chia-yung, plus connu sous le nom cantonais de Lau Kar Wing est également un metteur en scène de renom et un directeur de combats de qualité employé par Chang Cheh notamment.

Il réalise son premier film en 1977 avec Wong Yu et Gordon Liu, son titre He Has Nothing But kung fu, très inspiré du western européen, ce film à aspect comique propose toute une palette de tronches plus patibulaires les unes que les autres. Gordon Liu y tient un rôle important aux côtés d’un certain Mak Kar, alias Karl Maka qui ne tardera pas à se faire un nom dans l’industrie cinématographique hongkongaise, mais ça c’est une autre histoire. Après un second film dirigé par Lau Kar Wing, Gordon Liu interprète son rôle le plus marquant dans l’un des chefs d’oeuvre de Liu Chia-liang et de l’histoire du cinéma de kung-fu, 36th Chamber Of Shaolin, il joue le rôle du jeune San Tze dont la famille a été massacrée par un seigneur despote, et qui n’a d’autres solutions que de rentrer au temple de Shaolin afin d’y parfaire son éducation martiale et pouvoir se venger de ses bourreaux. Il sera également l’interprète de Ah To, le jeune époux chinois de l’actrice japonaise Yuko Mizuno dans l’immense Heroes Of The East (Shaolin Contre Ninja). Il enchaînera ainsi une bonne dizaine de films avec son frère tenant la plupart du temps un rôle important, des films comme Clan Of The White Lotus de Lo Lieh, une excellente suite à Executioners From Shaolin de Liu Chia-liang, où Liu Chia-hui tient le rôle de Hung Wei Ting, l’un des rares survivants du temple de Shaolin. En 1981, il tient le rôle de Wong Fei-hong dans le Martial Club de Liu Chia Liang, puis rejoint son frère Lau Kar Wing et l’acteur Eric Tsang dans Warrior From Shaolin de Lau Kar-wing.

En 1982, il tient le rôle d’un guerrier assassin dans l’immense Legendary Weapons of China. Dès lors sa carrière sera jonchée de films plus moyens, souvent réalisés par d’honnêtes tâcherons, mais avec des moyens un peu plus limités, des titres comme Young Vagabond ou Shaolin Drunken Monk (Shaolin Mantis en vidéo française), dans lesquels sa seule présence présente l’un des rares intérêts. En 1983, il retrouve Liu Chia Liang sur Lady Is The Boss aux côtés de Kara Hui et Wong Yu.

La même année il réalise son unique film, qui est officieusement mis en scène par Liu Chia-liang, il s’agit de l’excellent Shaolin Vs Wutang dans lequel il s’oppose à Adam Cheng dans des joutes explosives et très hautement chorégraphiées. L’année suivante, il interprète le rôle principal du chaotique 8 Diagram Pole Fighter de Liu Chia Liang, un rôle marquant qui le voit interpréter l’un des membres de la famille Yang massacrée par un tyran machiavélique. Il rentrera au temple de Shaolin pour se faire subir une sorte d’autodestruction mentale et faire ressortir une pulsion assassine qui explosera dans un final digne des carnages Chang Chesques.

Par la suite, il interprètera la plupart du temps des rôles de méchant dans des films très inégaux, il apparaîtra dans Tiger On The Beat, mais également dans le polar romanesque de Patrick Tam My Heart Is That Eternal Rose aux côtés de Kenny Bee et Joey Wong. En 1989 il interprète le rôle d’un guerrier dans le très nul Peacock King du Ed Wood chinois, Nam Nai Choi. Il donnera la réplique à Donnie Yen à plusieurs reprises dans des films comme Crystal Hunt de Tsui Pak Lam ou Cheetah On Fire du même Tsui Pak Lam. On le verra également apparaître dans l’excellente comédie délirante de Lee Lik Chi aux côtés de Stephen Chow, Flirting Scholar et dans le rôle d’un méchant dans Last Hero In China (Claws Of Steel), le OUATIC non-sensique de Wong Jing. Ce sera à peu près son dernier rôle marquant. En 1994, il tient le rôle d’un sifu dans The Shaolin Kids In Hong Kong de Stephen Yip aux côtés des enfants Choi Yue et Lau Sek Choi.

En 2003, le réalisateur Quentin Tarantino réalise Kill Bill et Gordon Liu y tient un double rôle aux côtés de Uma Thurman, David Carradine et Sonny Chiba entre autres. Quelle belle fin de carrière !

Philippe, Novembre 2002

NB : Olivier Assayas disait de Chia-hui dans le numéro spécial des Cahiers du Cinéma de 1984 : « Plus fin que Bruce Lee ou Jackie Chan, plus subtil que que Jimmy Wang Yu ou Ti Lung, plus intelligent qu’Alexander Fu Sheng, Liu Chia-hui est unique car en plus de tout il a la classe. Il ne lui manque plus que de s’affirmer pour ce qu’il est : beaucoup plus qu’une invention de Liu Chia Liang. »

Bel hommage en vérité sur un homme qui finalement n’aura pas eu la carrière qu’il aurait mérité.


 


Trombinoscope :


 

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Auteur : HKCinemagic

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