
Gordon Chan discute avec nous de sa carrière dans un long entretien effectué à Central, sur l’île de Hong Kong, en janvier 2005.
Gordon Chan est probablement plus connu à l’étranger pour avoir lancé un sous-genre dans le cinéma de HK basé sur les « Forces Spéciales » avec des films comme First Option et Final Option. C’est à lui que l’on doit également le moins réussi The Medallion, un véhicule pour Jackie Chan. Cependant, ces films ne représentent que cinq pour cent de son travail et de ses capacités. Il a abordé tous les genres et a travaillé avec beaucoup de professionnels aussi bien devant que derrière la caméra.
Chan est dans l’industrie depuis des années. Il a commencé chez les Shaw Brothers en tant qu’assistant des effets spéciaux et a continué dans l’écriture de scénarios pour Tsui Hark, John Woo et tant d’autres au sein de la Film Workshop. L’écriture a toujours été un aspect important de sa carrière car c’est lui qui a écrit tous ses films et il n’a jamais hésité à donner un coup de main à beaucoup de cinéastes pour mettre en forme des histoires et des personnages.
En plus
de l’écriture scénaristique, Chan a mis en scène toutes sortes de films, des comédies sociales légères avec Heart to Hearts, The Yuppie Fantasia ou Okinawa Rendez-Vous Vous en passant par l’absurde comme avec la série des Fight Back To School, King of Beggars ou Mr 3 Minutes, des films d’action et des drames policiers avec Beast Cops, 2000 AD ou Final Option, aux films d’arts martiaux avec Fist of Legend, Painted Skin ou encore des purs produits Jackie Chan avec Thunderbolt ou The Medallion.
Qui plus est, en tant que cinéaste Chan juge important le fait d’être impliqué dans l’industrie cinématographique et la vie des hongkongais en général. Ce qu’il a fait comme président du conseil d’administration de beaucoup d’associations comme la Guilde des Réalisateurs de HK (HK Film Directors’ Guild) ou au sein de l’Association des Césars de HK (HK Film Awards Association). Il a aussi aidé sur quelques projets comme le Project 1:99 contre l’épidémie du SRAS qui a sévit en 2003 à HK.
Nous avons discuté de tous ces points jusqu’au film A-1 Headlines dans l’interview qui suit..
Entretien mené par Thomas Podvin, avec l’aide de David Vivier, dans le Landmark, Central, Hong Kong, le 13 janvier 2005. Interview enregistrée par David Vivier.
The Big Heat & Film Workshop
HKCinemagic: Vous avez rejoint l’industrie cinématographique à l’époque de la Shaw Brothers, où vous aviez débuté en tant qu’assistant des effets spéciaux. Puis vous avez écrit des scénarios pour finalement diriger votre premier film, The Yuppie Fantasia, en 1989. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Gordon Chan: Essentiellement grâce à l’écriture. J’ai écrit pour deux ou trois films, mais pas plus. Pour les films de David Chiang essentiellement. Il y avait une comédie sur une grosse femme qui meurt puis revient en se réincarnant dans le corps d’une belle femme. C’était une histoire de fantôme. J’ai oublié le titre anglais [Double Fattiness, 1988 ndlr]. Et c’est Maggie Cheung qui joue le rôle du fantôme qui revient. Mais Maggie Cheung a échoué.
Donc c’est l’un des scénarios que j’ai écrit puis j’ai continué pour Johnnie To. L’un de ses premiers films d’ailleurs – The Big Heat (1988). Ce film fut considéré comme un désastre. Il aura fallu attendre presque deux ans pour le terminer, ce qui était assez rare à HK. Et ce n’était pas un film à gros budget. Au départ ce devait être un premier film expérimental à petit budget et au final il nous a fallu deux ans pour le terminer avec plusieurs réalisateurs : Johnnie To, Andrew Kam Yeung Wah, Jimmy Leung Chi Ming et Ching Siu-tung. Tsui Hark a également fait parti de l’aventure. Quasiment tout le monde tournait alors.
J’étais seulement auteur du script sur ce film mais j’ai été impliqué dans le processus entier pendant deux ans. J’ai écrit quinze scripts pour ce film. Je pensais que c’était suffisant. L’histoire changeait encore en salle de doublage. Je me souviens encore de Tsui Hark me demandant de quoi parlait le film et moi de répondre : « de quelle version parles-tu ? »
Tsui Hark m’a beaucoup appris. En fait, j’ai travaillé sur tous les films de Film Workshop, au sein du département créatif avec Yuen Kai Chi.
Comment cela se passait-il ? En fait Tsui Hark venait à plusieurs réunions de créatifs et nous le joignions à chacune d’entre elles. Nous participions à tous les films, du Syndicat du Crime (A Better Tomorrow) à Histoire de Fantômes Chinois (A Chinese Ghost Story). J’ai écrit le premier scénario pour A Chinese Ghost Story. Mais nous n’avons jamais été crédités. Je pense c’est normal parce que tout le monde était impliqué. Donc j’ai pensé que j’avais suffisamment travaillé à la Film Workshop.
Quand avez-vous quitté la Film Workshop ?
Je pense y avoir travaillé jusqu’en 1988 puis je suis parti écrire pour Jackie Chan et Sammo Hung.
Oui c’était l’un de mes scénarios. Puis j’ai commencé à écrire pour différentes personnes dont Michael Mak. Mais le film n’a jamais été tourné. Un autre film, sur les gangs, devait être tourné et produit par Taylor Wong mais rien n’a été fait dans ce sens.
D&B, Heart to Hearts
J’imagine que la recherche que vous avez faite pour le film de Taylor Wong vous a aidé par la suite.
Oui. Et j’ai commencé à travailler dans le Groupe Dickson (D&B). J’ai fait une comédie pour John Sham. J’ai écrit le scénario de Heart to Hearts (1988) avec George Lam et Dodo Cheng. Mais ils ne trouvaient pas de réalisateur pour le tourner parce que c’était une comédie à la Woody Allen qui ciblait la classe moyenne. Personne ne faisait ce genre de films à HK. Nous avons donné le scénario à deux ou trois réalisateurs mais tous ont refusé de le faire. Ils pensaient que cela serait un flop au box office. Mais George Lam a insisté, il tenait à jouer cette comédie. C’est alors que Stephen Shin, le directeur [de D&B], a voulu que j’essaye de le faire moi-même. C’était mon histoire et il m’a alors dit : « Tu es le seul à comprendre l’histoire aussi bien et depuis le temps que tu es sur les plateaux, tu as l’expérience qu’il faut. » Une chose que je ne pensais pas avoir mais c’est lui qui m’a donné cette opportunité : « Pourquoi tu ne filmes pas toi-même ? »

En fait, je n’ai pas accepté tout de suite. J’ai demandé conseil à Yuen Woo Ping parce que j’écrivais aussi pour lui. C’est lui qui m’a poussé à le faire, j’ai finalement donné mon accord. Mais comme personne ne me connaissait, ils ont mis le nom de Stephen Shin en tant que réalisateur et c’est lui qui a dû supporter toute la pression. Ils m’ont nommé second réalisateur. Tout le monde pensait que le film serait un fiasco – même lorsqu’il était terminé. Finalement, il a engendré un chiffre d’affaires de 26 millions de dollars HK au box-office [Heart to Hearts a engendré 24,6 millions HKD en 51 jours entre le 25/08/88 et le 14/10/88, ndlr] et le film a coûté seulement 3 millions HKD. Cela a tout changé ensuite.
Je ne suis même pas allé à l’avant-première. J’ai fini le film, fait le montage puis j’ai dit à Stephen de faire ce qu’il en voulait. J’ai cru que j’étais fini. J’ai fait mon sac à dos puis suis parti en France, en Belgique, en Suisse. J’ai fait le tour de l’Europe. C’est une fois à Londres que j’ai su combien avait rapporté le film alors qu’il était sorti au même moment que le film de Ringo Lam, School on Fire. Lam était alors considéré comme l’un des meilleurs réalisateurs. Tout le monde a pensé que j’étais fini et que je devais retourner à l’écriture [au lieu de réaliser]. [School on Fire a seulement engrangé 13,7 millions HKD en 27 jours entre le 20/08/88 et le 15/09/88, ndlr]
C’est comme ça que de l’écriture je suis passé à la réalisation. En fait, je me disais que si on voulait que je réalise, je le ferais mais je continuais surtout à écrire. Je n’ai jamais arrêté d’écrire. Même après avoir réalisé mon troisième film [Brief Encounter In Shinjuku]. J’ai même donné un coup de main à deux ou trois types en faisant des premiers jets. Puis j’ai écrit pour Corey Yuen et Jet Li, pour The Bodyguard from Beijing (1994). Nous voulions trouver une manière de transposer Jet Li dans la société moderne. Vous savez, le type qui fait du kung fu, ce qu’il peut faire ici. Au lieu de prétendre qu’il était de Hong-Kong, on a créé un personnage de Chine populaire.
Les comédies & Stephen Chow
Vos sept premiers films étaient des comédies
Personne ne pensait que je pourrais y arriver. (Rire)
Et vous avez même fait trois comédies avec Stephen Chow.
Oui.
Est-ce si difficile de faire une comédie et de trouver un rythme juste ?
Je continue à penser que la comédie est le genre le plus difficile à tourner. Pour une scène d’action, vous la planifiez, vous la chorégraphiez, vous y pensez puis vous vous en faîtes une image mentale. On peut très facilement imaginer la réaction du public. Mais avec une comédie, on ne sait jamais à l’avance si le public aimera ou pas, et même si sur le tournage il y a beaucoup de rires on ne connait jamais à l’avance les réactions du public, et encore moins en fonction des villes ou pays où l’on projette le film.
Il y a une sorte d’alchimie qui doit opérer.
Oui et il y a aussi les différences culturelles qui entrent en jeux. Donc je pense vraiment que la comédie est très difficile et est un genre fragile. Un bon film d’action est toujours un bon film d’action. Avec une comédie, la réaction du public change avec le temps. Il y a deux ans, vous avez pu trouver une comédie drôle mais deux ans plus tard vous la détestez parce que c’est devenu politiquement incorrect. Et pourquoi devrions nous rire des gens de cette manière ? Parler du politiquement correct est aussi compliqué lorsqu’il s’agit de personnages. C’est difficile de trouver quelque chose sur lequel rire et ce quelle que soit l’époque.
Vous pouvez tourner une scène et vous amuser en la faisant mais sur grand écran le résultat est décevant.
Oui et cela ne devient ni correct ni drôle. Donc c’est difficile. Et pour tourner une bonne comédie, il faut trouver une manière différente de la faire. Créer un environnement, créer un tempo autour du jeu sont tout aussi important.
Est-ce pour cela que vous ajoutez des scènes d’action dans vos comédies ?
Je pense que ça permet à la comédie d’avoir une durée de vie plus longue. On peut enlever un peu de pression justement sur la comédie elle-même. Même c’est si dur. J’avais l’habitude de dire que peu importe si les comédiens sont réellement aussi bizarres que leurs personnages, ce qui importe c’est qu’ils puissent jouer différemment. Prenez Mr Bean ou Stephen Chow … Les gens disaient : « comment peuvent-ils se comporter comme ça ? » Et je répondais : « imaginez que votre carrière toute entière soit consacrée à faire rire les gens. » C’est une chose très effrayante.
Et c’est difficile de rester …
.… drôle.
Fight Back To School
Stephen Chow est le roi de la comédie à HK. Vous avez fait quelques films avec lui, de Fight Back to School à King of Beggars. Comment s’est passé votre collaboration avec lui ? Etait-il très impliqué sur le plateau ?
Il l’était et il se le devait. Il a apporté beaucoup. En fait je faisais en sorte de créer toutes ces situations pour le faire réagir. Je ne pouvais pas décider de ses réactions. Moi je créais tous les où, les pourquoi et les comment. Et il disait ensuite : « bien, c’est bon pour moi. Ca c’est amusant et ça aussi ». Je lui donnais les grandes lignes bien sûr, les points majeurs [de l’histoire]. Pour certains acteurs, il suffisait de fixer un chemin pour qu’ils puissent avancer, mais pour Stephen je devais construire une grande route où il pouvait vraiment manœuvrer.
Comment avez-vous rencontré Stephen Chow ?
En fait, c’est lorsque j’ai tourné pour la première fois pour la Wins. Je n’ai pas pris beaucoup de décisions, même si c’est moi qui ai retardé le projet pendant presque une année en partant du principe que je ne trouvais pas la meilleure façon de filmer cette histoire, la façon juste de raconter l’histoire. La seule chose que la société de production m’ait donnée était un nom : “Fight Back to School”. C’est tout. Ils ne savaient pas quoi faire avec ça. Barry Wong [co-scénariste et acteur] et moi avions pensé à plusieurs options. Et nous pensions que ça ne marcherait pas parce qu’un film sur la vie des élèves à l’école n’avait jamais remporté de succès au box-office. Pas une seule fois. Il y avait ce sentiment à HK du « touche pas à mon école ».
Il y a quand même eu School on Fire de Ringo Lam…
Oui, c’était la fin, c’était comme si on disait : «restez à l’écart de l’école ! »
Le film de Lam a soulevé une énorme polémique à l’époque.
Oui
Fight Back to School me rappelle les séries américaines comme 21 Jumpstreet avec Johnny Depp, un flic infiltré dans un lycée.
Oh oui, tout à fait. Vous savez avoir des flics infiltrés à l’école est une idée folle mais c’était justement cette idée idiote qui m’avait vraiment attiré. Je me souviens qu’après presque neuf mois je refusais toujours de tourner le film. Je disais que je ne pensais pas avoir le bon scénario. Avec Wong Jing et Barry Wong, nous nous sommes assis et avons discuté de ce que nous devrions faire. Puis soudain, j’ai dit, j’ai une vision, je sais quoi faire. Ils m’ont regardé puis j’ai continué en disant que je le tournerai comme dans Prison on Fire! Et c’était l’idée principale ; pour nous c’est une école, pour cet infiltré, c’est une prison. J’ai pris cette idée et j’ai dit « bien, on peut commencer à tourner alors. » Le personnage principal à l’origine n’était pas du tout interprété par Stephen Chow, mais quelqu’un d’autre. Je ne dirais pas qui c’était car c’était une grosse déception pour lui.
Les investisseurs pensaient que c’était le même genre que celui de Woody Allen, ils pensaient que je ne faisais que des comédies très légères, comme The Yuppie Fantasia. (En réalité j’aime vraiment ce genre). Donc ils s’attendaient à ce que je tourne Fight Back to School avec quelqu’un de très léger, en en faisant une comédie romantique. J’ai dit : « non. Je vais vous faire rire pendant 90 minutes. C’est mon but. » Donc j’ai choisi Stephen Chow. J’ai dit que c’était le type parfait. C’est le type le plus drôle de toute la ville. Il devait le faire. Donc ils ont obtenu l’accord de Stephen et nous avons commencé à tourner. C’était amusant. C’est l’un des films les plus agréables sur lesquels j’ai travaillé. Nous riions chaque jour.
J’imagine que Chow et Ng Man Tat ont beaucoup contribué à ces éclats de rire.
Oui, il y avait cette scène où Chow invite Sharla Cheung Man Man à venir chez lui et leur hall ressemble à un dépotoir. Chow pousse alors Ng Man Tat à nettoyer. J’ai juste posé la caméra et leur ai dit de nettoyer, « je ne sais pas comment vous allez faire, mais ma caméra restera là à filmer. Alors faites-le ! « Chow et Ng se sont regardés puis sont partis dans des directions opposées ; chacun a réfléchi et quand ils sont revenus ils ont improvisé la scène en entier. La meilleure prise était un NG [Not Good, une mauvaise prise, ndlr] parce que les gars de l’équipe n’en pouvaient tout simplement plus. Tout le monde était assis par terre et riait. Un des gars [assis sous la caméra] n’en pouvait plus, il s’est levé et il a cassé la caméra. C’était la meilleure prise que j’ai obtenue. J’ai presque tué ce type ensuite.

C’est comme ça qu’on a fait. Nous riions tous les jours. À cette époque, nous n’avions pas de moniteur de contrôle, nous devions regarder les rushes tous les jours. Je me souviens qu’après 10 jours de tournage, je suis sorti du laboratoire avec mon assistant-réalisateur, Dante Lam. J’ai dit : « je pense que je tiens là un succès au box-office, » et Dante a dit : « Quoi ? Mais ça fait seulement 10 jours qu’on tourne. » « Tu sais quoi ? » J’ai dit, « Combien de fois as-tu ri ? As-tu vu beaucoup de films où tu peux rire à en mourir au moins 10 fois de suite ? Tous les jours, quand on va voir les rushes dans la petite cabine de projection, le projectionniste et tous les autres éclatent de rire. Je pense qu’on est à l’abri. » Puis il a continué, » Et alors quoi maintenant? » J’ai dit : « devenons fous. » Donc j’ai juste suivi mon instinct.
Vous connaissez le contexte de la Wins, une société fondée par les frères Heung ? Ils faisaient en fait parti des Triades depuis très longtemps, et c’était une époque où ils avaient besoin de changer de business, ils sont donc entrés dans l’industrie cinématographique. Tout le monde avait peur d’eux. Quand nous avons terminé le scénario, le patron de la Wins m’a donné beaucoup d’ajouts. Ses idées, je les jetais les unes après les autres. Barry Wong avait très peur, il est venu me voir sur le plateau en me demandant : « Es-tu sûr que tu veux jeter cette ligne ? C’était la ligne de Heung. » J’ai dit : « Mais ce n’est pas drôle. » Il a dit : « hé, c’est Heung. » J’ai dit : « OK, j’essaye de faire de mon mieux pour que le film soit drôle. S’il pense que c’est mauvais, il ne devrait pas me laisser continuer. Et si je dois être tabasser à cause de ça alors ce sera parfait car je n’aurais pas à retravailler pour eux par la suite. » Donc j’ai continué à tourner [à ma façon], c’était vraiment amusant.

Barry Wong avait aussi un petit rôle dans la série.
Oui, comme inspecteur en chef de la police (rire).
Etait-ce une plaisanterie entre vous ?
Oui, et c’était la première fois que je travaillais avec lui. Il était déjà très connu dans l’industrie, mais c’était la première fois que je travaillais avec lui, nous sommes devenus de très bons amis. Nous parlions de cinéma à longueur de journées. Il était sur le plateau tous les jours. Lui, moi et Stephen sommes devenus des amis proches. C’est tellement triste qu’après le film il soit mort si vite [Wong est décédé en 1992, ndlr].
John Woo & Hard Boiled
Parlons de John Woo. On dit qu’il est votre mentor. Pouvez-vous nous dire comment il vous a influencé ?
Oui. Comme je l’ai dit, j’étais à la Film Workshop quand John Woo tournait Le Syndicat du crime (A Better Tomorrow). Il avait presque fini Le Syndicat du crime 1 lorsque j’ai rejoint la Film Workshop. C’était une personne si agréable, nous l’appelions tous « Directeur ».
Mais vous, vous l’appeliez « Prince » en cantonais …
Rire) C’est comme ça qu’on le traitait. C’était Le directeur. Il nous a tout appris et nous allions le voir pour n’importe quoi. J’étais si chanceux d’avoir Tsui Hark et Woo ensemble. De manière générale, ma vie à la Film Workshop consistait à assister aux réunions avec Tsui Hark et aux réunions avec John Woo. C’était une expérience si enrichissante. J’ai écrit certaines parties du deuxième A Better Tomorrow parce que Chan Hing Kar écrivait pour lui et avait écrit sur A Better Tomorrow 1. Il est finalement devenu mon associé. Nous étions si proches, nous en sommes donc arrivés à travailler ensemble, notamment en faisant des sessions d’écriture. Puis j’ai écrit un scénario pour Woo, qui n’a jamais était tourné, il s’agissait d’une bande de tueurs – un film de pirates. Tsui Hark disait à chaque fois que je devais le garder pour moi et le tourner. Il s’agissait d’une bande d’assassins. J’ai écrit ce scénario puis John a quitté la Film Workshop.
J’ai écrit un script pour John plus tard, c’était pour le film avec Tony Leung Chiu Wai et Chow Yun Fat – A Toute Epreuve (Hard Boiled 1992). Parce que Barry Wong le scénariste de Woo, est mort quand ils étaient encore en plein tournage. J’ai fini le scénario et réécrit la partie de Tony Leung. Je me souviendrai toujours lorsque j’ai eu l’idée de cette scène entre Tony Leung et Kwan Hoi San, le chef de la triade. La scène quand il est entouré par des gangsters et parle à Tony avant d’être exécuté. Et John m’a dit « j’aime ça, j’aime ça … » J’ai écrit ça pour lui… Gratuitement en réalité parce qu’il n’avait aucun budget. Il n’avait pas d’argent.
Aucun budget, si ce n’est pour les explosions.
Parce qu’ils ont eu besoin de l’argent pour les explosions! (rire) Nous ne voulions pas dépenser plus mais nous devions finir le film pour Barry. Et c’est pourquoi moi, Chan Hing Kar et Ip Kwong Kim avons revu le scénario et réécrit tout cela gratuitement et laisser Barry en prendre tout le crédit. John a mis juste une petite mention à la fin du générique, nous étions tous d’accord et avons apprécié.
Comment est John Woo sur un plateau ?
On avait l’habitude d’aller sur le plateau pour le voir faire tout exploser ! (Rire) Oh, oui, c’était amusant. Les plateaux de John sont différents des miens. Les miens ressemblent à un carnaval, John, lui, c’est plutôt un champ de batailles. Et il était si tendu. Il est toujours tendu et très concentré. Il ne rit jamais sur un plateau. Il est très sérieux. C’est très différent de moi où je passe mon temps à rire.
Oui, c’est une approche différente. Vous avez dit dans quelques interviews que vous êtes toujours trop gentil avec les gens.
En 20 longues années de carrière, je me suis seulement énervé deux fois sur un plateau. Je ne sais pas si c’est bon ou mauvais. L’équipe adore. Mais même pour moi, parfois, je me trouve trop gentil.
Est-ce que l’écriture du scénario de Hard Boiled était une façon de passer des comédies aux films d’action ?
h bien, pas tout à fait. Le scénario de The Big Heat était pour un film d’action. Et j’y ai passé deux ans. J’ai écrit 15 scénarios en tout. J’avais beaucoup d’idées sur les films d’action durant cette période. Les films d’action sont devenus mon centre d’intérêt majeur durant ces deux années. Ce qu’on pouvait faire et comment le faire. Après ça j’en ai conclu que je devais peut-être faire un film d’action. Le fait est que j’étais un constructeur de modèles et je travaillais à la Shaw Brothers principalement parce que j’ai construit des maquettes et parce que j’aimais les armes, toute cette quincaillerie et beaucoup de choses de ce genre. Donc j’ai eu très envie de faire des films d’action. C’est pourquoi j’ai fait de Stephen Chow, un policier des Forces Spéciales SDU [dans Fight Back to School, le SDU est une sorte de GIGN, ndlr]. J’ai un peu triché, j’ai fait un film d’action petit à petit. Mais je n’avais pas le temps de convaincre tout le monde que je pouvais en tourner un en entier. J’en n’ai pas l’air : je suis un homme maigre d’1m67.
Vous n’êtes pas fait comme Jackie Chan.
Non, je ne suis pas Jackie Chan! Et ils ne s’attendaient à me voir tourner un film d’action.
Final Option, SDU, Michael Wong
Votre grand film d’action était Final Option en 1994.
En réalité, c’était le premier film d’action que j’ai fait. Si vous appelez King of Beggars (1992) un film d’action, cela me convient, mais King Of Beggars reste une comédie mélangée avec du kung fu, une kung fu comédie.
Final Option était une histoire très difficile à finaliser. Le scénario original, le premier jet, a été écrit très rapidement. On a mis deux ans à développer ce scénario ; c’était juste après avoir tourné King Of Beggars. Je ne voulais plus faire de film de kung fu alors, mais un film d’action, un film sur les SDU (Special Duty Unit). Parce que j’ai fait beaucoup de recherches sur les SDU pour la série des Fight Back to School et que nous visitions déjà les compagnies d’armes à feu avec lesquelles nous sommes devenus familiers. Je commençais à emmagasiner toutes ces recherches. Mais la société de production ne s’attendait pas à ce que je fasse un film d’action pur. Je me souviens avoir demandé « est-ce que je peux faire un film sur les SDU ? » « Oui, pourquoi pas. Avec Stephen ? » J’ai dit « Non, pas ce genre de film sur les SDU. Je veux un vrai film d’action. »
En fait, Final Option est un film d’action mais vous avez aussi développé une trame plus dramatique. Une grande partie du film a été consacrée au développement des personnages et à leurs émotions.
Oui, c’était vraiment rare à HK, personne ne l’avait fait auparavant. L’habitude était surtout de faire des films d’action divertissants.
Pensez-vous que ce soit cette trame dramatique supplémentaire qui en ait fait un succès ?
Je ne pense pas. Les recettes au box-office n’étaient pas aussi bonnes que cela. C’était vraiment réussi dans le sens où j’ai pu prouver que je pouvais m’essayer à l’action. Et c’est tout. [Final Option a réalisé un chiffre d’affaires de 11,2 millions HKD en 49 jours du 17/03/94 à 04/05/94 et a été classé 19ème cette année-là sur les 141 films classés, ndlr]. C’était une manière de filmer des scènes impliquant des armes à feu autres que celles de John Woo. Après John Woo, tout le monde copiait ses films. Quand on regarde les films d’alors, tous ne faisaient que reproduire A Better Tomorrow. Ou dans les autres films on utilisait juste ses poings. Jackie Chan a toujours excellé dans la conception de scènes où on jette les armes et où le combat à mains nues prédomine.
Donc j’essayais juste de faire quelque chose de très différent. Je pense que c’était amusant. Mais ce film était tout de même difficile pour moi. En fait, ce café même où on fait cette interview [au Landmark, à Central, ndlr] est l’endroit où j’ai convaincu Raymond Chow de la Golden Harvest de me laisser tourner ce film à la condition que je ne serais pas payé si ce film était un échec. Ce qui voulait dire que si ce film ne faisait aucun bénéfice je n’obtiendrais pas un dollar. Et je lui ai promis « laissez-moi le faire, laissez-moi juste le faire. » C’était un an et demi après avoir tourné King of Beggars. Les producteurs me demandaient à chaque fois de réaliser des films de kung fu mais j’ai continué à refuser.
Vous ne vouliez pas être assimilé à une tendance.
En réalité je ne crois pas en ces modes à suivre. C’est bien de faire la mode et d’être le premier, mais pourquoi rester en arrière après ? Si tout le monde suit la même voie, je ne pense pas que cela reste aussi intéressant. Il faut trouver des choses nouvelles et je pense que c’est aussi ce que recherche le public. À cette époque-là, toutes les comédies HK comprenaient une séquence de kung fu. J’étais presque le seul cinéaste à apporter alors quelque chose de différent. Toujours à cette époque, il y avait le film dePeter Chan et Lee Chi Ngai, Tom, Dick & Hairy (1993), qui était une comédie et dont j’étais le producteur. C’était ce que nous faisions; on essayait d’échapper aux modes et on suppliait tout le monde de nous laisser apporter un peu de nouveauté.
Revenons sur Final Option, vous avez fait beaucoup de recherches sur les SDU ?
Oui, cela a pris plus de deux ans.
Vous avez rencontré de vrais officiers du SDU ?
Oui et c’était drôle. Les policiers n’osaient pas me parler directement parce que j’étais un peu connu à l’époque. Ils avaient peur d’être … Bon, en fait c’est illégal pour eux de donner des informations sur les SDU. Et quand on les a rencontrés c’était comme une réunion d’une triade. On était assis à des tables différentes [en prétendant ne pas se connaître].
Je ne pouvais pas prendre de notes alors j’ai essayé de me rappeler de tout. On a eu un tuyau sur l’endroit où ils allaient faire leur entrainement alors on les a suivi pour jeter un coup d’oeil. C’était amusant. Et après ce premier film, ils ont commencé à me faire confiance et j’ai pu ainsi compter sur le support du département de police.

À la fin du générique de Final Option, vous remerciez beaucoup la police, donc vous aviez déjà un certain support de leur part.
C’était l’armée – l’Armée britannique. Ils quittaient HK alors et ils m’ont dit : « aucun problème de toute façon on quitte HK….alors faisons le film ! » (Rire).
Vous avez donné à Michael Wong, l’un de ses meilleurs rôles à ce jour, pourquoi l’avez-vous engagé ?
Parce que je voulais un Caucasien.

Les policiers à cette époque étaient tous caucasiens ?
Oui, dans l’unité des SDU, ils étaient tous caucasiens. Il y avait très peu de chinois alors. À cause du S.A.S. aussi. SDU vient du S.A.S. [le Service Aérien Spécial (S.A.S.) est un régiment de forces spéciales dans l’Armée britannique, ndlr]. Les instructeurs à l’origine venaient tous du S.A.S.
Vous attachez beaucoup d’importance au réalisme du film et des personnages.
Je n’étais pas réalisateur de films d’action au début et tous ont été surpris lorsqu’ils ont su que j’allais tourner ce film. J’avais besoin d’un certain réalisme aussi, faire quelque chose de différent. La langue anglaise faisait partie de l’équation. C’était un risque aussi. Avant on doublait les étrangers et les dialogues anglais, personne ne parlait anglais dans les films. Les producteurs ne croyaient pas en cette nouvelle idée, c’était impossible pour eux de survivre à cela. Mais je leur ai apporté les rushes et dit : « Hé, je ne peux pas y renoncer, ils doivent parler anglais » J’ai donc gardé l’histoire originale et essayé et ça a marché…j’ai eu de la chance.
Michael Wong parle aussi bien anglais que cantonais.
Oui, et il l’a fait pour le public de HK. Ils ont vu que ce gweilo parlait le cantonais. C’était bien.
Il est aussi bâti comme un officier du SDU, il est fait pour ça.
Oui et je pense aussi que le succès du film, en partie, vient du fait que c’était le premier film d’action filmé en son synchrone. Heart to Hearts était le premier film avec le son synchrone [le son enregistré pendant le tournage]. Avant cela, personne ne tournait avec un dialogue synchronisé. Le doublage était la norme. Alors j’ai essayé de convaincre tout le monde de me laisser tourner en son synchronisé en même temps. Ils pensaient que pour des films d’action c’était une perte de temps parce que ce serait doublé par la suite. Finalement ils m’ont laissé filmer comme je voulais. J’ai insisté pour tourner avec le sons synchrone pendant les scènes de fusillade. C’était si différent des films de John Woo. Regarder Final Option, c’est comme regarder un documentaire.
En effet et le film raconte les débuts du SDU à HK. Est-ce là la véritable histoire ?
Oui, et c’était presque comme regarder un documentaire ayant pour but d’impressionner et c’était quelque chose de différent alors. De temps en temps, il faut apporter quelque chose de neuf. Mais c’est une chose très dure à dire aux investisseurs parce qu’ils suivent toujours les modes. C’est pourquoi je suis fier de dire que je suis le disciple de Tsui Hark, parce que j’essaye toujours des choses différentes. Même Tsui Hark a été très surpris quand il a vu le film Heart to Hearts.

Dans Final Option, vous montrez beaucoup de tactiques de combats, des armes à feu, etc. Pourquoi ? Il semble que vous tenez à montrer beaucoup de techniques.
Oui, en fait à cette époque là tout le monde filmait des épées, des choses irréelles. Pour mon film, une bande d’acteurs a été formée pendant un mois et demi avec les vrais SDU. Tous les jours, ils prenaient leurs armes et tiraient pour comprendre et apprécier au mieux ces armes. Pour les gens de HK, c’est une chose très rare. Ils étaient très impressionnés de voir des acteurs capables de charger et décharger des armes à feu eux-mêmes.
En réalité dans les films de John Woo, ils ne rechargent jamais…
Ils les tiennent juste comme ça : « et qu’est-ce que je fais avec ça ? » Mes acteurs étaient si bons qu’après leur entrainement ils pouvaient réparer, démonter des armes, ils savaient tout faire. En fait, leur expérience avec des armes à feu était beaucoup plus complète que celui d’un policier ordinaire qu’on voit dans la rue. Donc ça faisait parti de mon processus pour impressionner tout le monde.
Si vous vous rappelez la scène après la fusillade, ils reviennent et déchargent leurs armes. Il y a toujours une balle restante dans la chambre qu’ils éjectent d’un coup, ils la saisissent en plein vol d’une seule main. Eh bien, ce n’était pas la procédure standard des SDU. C’était juste pour le côté fun du film. Il y a deux ou trois ans, je suis allé à Pékin et des gens m’ont montré un documentaire sur les Forces Spéciales de l’Aéroport de Pékin. Et eux aussi, ils attrapent la balle en plein vol à chaque fois! (Rire)
Parce qu’ils ont vu votre film !
Et ça ne faisait pas partie de l’entrainement à l’origine. Donc j’étais quasiment sûr que ça venait de mon film. J’étais si heureux. En Chine, ils n’avaient pas d’entrainement dans les Forces Spéciales, donc ils pouvaient se référer uniquement qu’à mon film.
Les acteurs ont beaucoup appris et ont vraiment travaillé durement, ils étaient très fiers. En fait, la même bande d’acteurs, même s’ils ne sont pas célèbres, joue dans la majeure partie des films d’action de HK de nos jours. Tous les types des Forces Spéciales dans les films, si vous regardez soigneusement ce sont eux. Il y en a encore plus aujourd’hui, parce qu’après Final Option, les films sur les Forces Spéciales sont devenus une vraie tendance à HK. Mais ils sont toujours dans l’industrie et ils enseignent ce qu’ils ont appris pendant cette formation d’un mois et demi.
First Option, The New Option
Final Option a été suivi par First Option (1996), puis par The New Option (2002). Pourquoi des suites ?
Je ne pensais pas tourner le deuxième opus, First Option. En réalité, quelques officiers de la Marine Britannique (British Navy) m’ont approché parce qu’ils avaient vu ce que j’avais fait avec l’Armée. Ils voulaient que je fasse quelque chose pour eux. « Vous pouvez utiliser nos bateaux! » M’ont-ils dit.
J’ai alors trouvé une solution. Ces policiers du SDU se battraient avec une autre bande des Forces Spéciales. Et 1997 approchait. Je pensais que tout le monde dans le film devait ressentir que 1997 allait être un gros obstacle mais ils pouvaient y faire face. Et même Michael Wong, ce gweilo, n’allait pas partir de HK. Il allait rester! C’était un film sur la rétrocession de 97. Et j’ai pensé que je devais le faire de cette manière. Mais à cause du calendrier et tout, le tournage de mon film a été maintes fois reporté. Puis finalement j’ai perdu les bateaux. Tout que j’avais c’était un hors-bord. À l’origine, les bâtiments de la Marine devaient être prêtés pour la grande bataille navale mais cela aussi n’a pas fonctionné.
Cependant, First Option était le premier film pour lequel nous avons même essayé le son Dolby. C’était une époque où j’étais très alarmé : Hollywood arrivait et on devait faire au mieux pour protéger notre industrie, autrement on allait mourir très vite. Et je me suis vraiment battu pour obtenir un son en Dolby et être soutenu dans ma tentative. C’était un film très chaotique.
Mais le film a été reporté et nous avons perdu le support de la Marine et j’ai été repéré par la police alors que je tournais des scènes d’explosions. Ils ont décidé de me poursuivre en justice parce que toutes ces explosions étaient illégales.
Vous parlez de la scène sur l’île à la fin avec l’attaque finale ?
Oui, ce que vous voyez c’était seulement les deux tiers du film. La scène finale n’a jamais été finie. Et j’étais recherché par la police à cause de cela ! Ils ont pris d’assaut mon bureau, ils ont essayé de confisquer mon film mais je l’avais déjà stocké ailleurs. Je me baladais partout avec ma pellicule. On passait notre temps en pourparlers au téléphone. Ils disaient que j’avais enfreint la loi, je répondais « oui, nous avons enfreint la loi chaque fois que nous avons fait ces explosions à HK de toute façon, et ce depuis vingt ans. »
Mais j’imagine qu’à HK, tout était fait sans permis.
Auparavant, il n’y avait aucun permis. C’est pourquoi je tenais absolument à ce que la commission des films permette ce genre de permis.
Est-ce Bruce Law qui était responsable des effets pyrotechniques pour First Option?
Oui. C’était Bruce Law que la police voulait. Mais j’ai refusé de donner des noms. J’ai dit à la police : « non, vous n’allez arrêter personne d’autre que moi. Si vous voulez un responsable, ce sera moi, mais vous savez que vous allez faire les gros titres avec ça. Je vais devoir aller au commissariat de police avec tous les journalistes et demander au gouvernement de HK pourquoi ils ne délivrent pas de permis. »
Nous avons finalement négocié, ils ont laissé tomber et ont voulu poursuivre en justice la société de production pour une amende. J’ai dit que je payerai cette amende.
Etait-ce une importante somme d’argent ?
Non, mais à ce moment-là, mon permis de tournage était annulé et je ne pouvais plus utiliser d’armes à feu. Ils ont annulé mes permis d’armes à feu aussi et on ne pouvait plus tourner. Donc j’ai dû utiliser tout ce que j’avais pu tourner jusqu’à là, nous l’avons monté et avons fini le film. C’était vraiment dommage.
En effet, il y avait un réel potentiel, là. La dernière partie était très tactique
Oui, parce qu’il y avait les scènes avec l’appât, les manœuvres militaires. Tout cela n’a pas vu le jour.
Vous avez fait The New Option en 2002, avec Shawn Yue.
Oui, en réalité, ce film n’était pas censé devenir un long métrage du tout. C’était une production vidéo pour des télévisions. D’une façon ou d’une autre, ils ont trouvé que c’était suffisamment bon pour le sortir sur grand écran. Personnellement je n’étais pas de cet avis.

C’est très étrange lorsque je regarde les crédits sur le DVD. Qu’avez-vous fait en réalité ?
C’était supposé être seulement un téléfilm. Mais ils l’ont tout de même sorti sur grand écran. J’étais très énervé en réalité [Chan semble très réticent à me répondre, ndlr].
Je veux dire qu’en réalité vous avez tourné le film vous-même ?
Non. Pas du tout. Mais ils ont quand même mis mon nom sur la liste des réalisateurs. C’était très étrange. Je suis allé voir le distributeur et ai demandé : « Qu’essayez-vous de faire à ma carrière ? » (Rire) En fait l’idée était amusante, mais le résultat était nul. C’était une bonne idée et ce film aurait pu être refait et devenir un très bon film s’il avait été correctement tourné.
Et Michael Wong a été de nouveau enfermé dans ce genre de rôles, il a beaucoup joué de rôles de SDU.
Oui.

Avez-vous des nouvelles de lui ? Est-ce qu’il est heureux de faire ce genre de films ?
Pas du tout. En fait, je suis très heureux pour lui, parce qu’il vient de jouer son premier film en tant que Mandchou dans le film Seven Swords de Tsui Hark.
Dante Lam
Parlons de Dante Lam. Il a été votre assistant réalisateur un certain temps.
Oh, pendant très longtemps. Il était mon assistant-producteur sur The Yuppie Fantasia (1989). Il est resté avec moi depuis ce jour.
Donc c’était plutôt un travail d’équipe entre vous.
Oui
Quel genre de relation avez-vous avec lui ?
Il s’agit de fraternité entre nous. Il n’y a jamais eu de relation maître-élève entre nous. Je ne l’ai jamais considéré comme un étudiant. Il m’a soutenu depuis le début et quand j’ai pris tous ces paris risqués. Il était avec moi depuis le début.
Donc c’était plutôt un travail d’équipe entre vous.
Oui.
Maintenant il fait ses propres films et a du succès. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que Dante a un problème. Son problème est qu’il aime beaucoup les armes à feu. Beaucoup trop. (Rire)
Il a fait Hit Team, qui était vraiment impressionnant [un film sur des flics d’une unité spéciale].
Oui, et parfois il s’emporte quand il commence à tourner avec tous ces flingues.
Avez-vous suivi son travail ?
Parfois. Et quelque fois je lui rappelais « trop d’armes à feu! ». J’essayais toujours de contrôler [son impulsion]. Vous vous rappelez le film qu’il a réalisé au Japon ? When I Look Upon the Stars (1999) avec Shu Qi et Leo Ku Kui Kei. C’était un film que je lui ai forcé à faire. « Fais une comédie. Tourne une histoire d’amour » lui ai-je dit. « Je ne sais pas ce que tu vas faire mais arrête avec les armes. » Et quand je lui ai demandé de travailler avec Chan Hing Kar. C’était encore un film à petit budget mais il a trouvé une idée pour ajouter une séquence d’assassinat tournée en une journée. C’était si dur mais il a adoré.
En parlant des Forces Spéciales, j’ai récemment vu le film américain appelé S.W.A.T. (Clark Johnson, 2003). L’avez-vous vu ? Qu’en avez-vous pensé ?
Quel gâchis ! (Rire) Le problème avec les Américains c’est que les réalisateurs n’écrivent jamais leurs propres histoires et très peu d’entre eux sont passionnés par l’histoire qu’ils racontent. Ils sont juste des techniciens. C’est un vrai gâchis.
Fist of Legend, Bruce Lee, Jet Li, Chen Zhen
Parlons de Jet Li et de Fist of Legend. Comment avez-vous envisagé ce remake ?
Je crois que le remake du film de Bruce Lee était un autre de ces paris risqués. Bruce Lee était vraiment un excellent combattant etFist of Fury était comme une bible. Quand on a eu l’idée du film Jet était appréhensif, il m’a demandé si j’étais sûr, et pourquoi lui. Se confronter à la légende était dur pour lui, il pensait que les gens le détesteraient pour cela. J’ai dit qu’il était Jet Li et que Bruce Lee était Bruce Lee. Ils sont très différents. Mais j’allais aussi ajouter les idées de Bruce Lee dans le film. Donc je me suis mis dans les baskets d’un fan de Bruce Lee, même si je n’aimais pas la trame dramatique dans son film car je ne pensais pas que tous les Japonais étaient mauvais.
C’était un peu trop manichéen…
Oui, je veux dire que ça faisait très hollywoodien. Il fallait faire quelque chose pour remédier à cela. De là j’ai réécrit tout le film et ai recréé un contexte différent. C’est pourquoi Chen Zhen étudie dans une école d’ingénieurs au Japon au lieu d’être ce type plutôt illettré. Il a une petite amie japonaise de surcroît. C’était un point de départ. J’essayais de dire que les Chinois que les Japonais avaient tous souffert de la guerre.
Vous avez établi des liens entre les deux cultures dans ce film.
Oui, et j’essayais de montrer que les Japonais étaient de bons artistes martiaux aussi. Nous sommes tous au même niveau. C’est les méchants qui faisaient que les personnages se battaient. Même un Chinois pouvait être le méchant.[SPOILER] Dans Fist of Legend, c’est un Chinois, celui en qui on fait le plus confiance qui trahit tout le monde. [/SPOILER] C’est comme cela que j’ai envisagé tout le film. Je déteste la discrimination raciale. Je hais ces clashs entre cultures. J’aime voir les gens se rassembler dans mes films. C’est pourquoi j’ai fait le film comme ça.
J’ai eu de la chance d’avoir Yuen Woo Ping sur le plateau, il était d’un grand soutien. Je le respecte énormément et lui ai demandé de rejoindre la production pour moi. Il a accepté et on a filmé ce film ensemble, c’était une belle expérience.
Comment communiquiez-vous avec Jet Li sur le plateau ?
C’est un acteur tellement agréable. C’est le genre à être à l’entière disposition du réalisateur. Il se met devant vous et dit « fais de moi ce que tu veux ». Il était le patron de la production, c’est lui qui a produit le film et à dégager les fonds nécessaires. Mais il n’a jamais abusé de ce pouvoir. Il n’est pas comme unTom Cruise, il n’a jamais utilisé le fait qu’il était producteur à son avantage.

Une si bonne entente, cela signifie-t-il qu’un autre projet avec lui pourrait être envisageable ?
Oui, j’adorerai tourner avec lui à nouveau.
Comment avez-vous travaillé sur les scènes d’action avec Yuen Woo Ping ?
On ne voulait pas que cela ressemble au film de Bruce Lee. On voulait faire un nouveau film de Jet Li. On a laissé tomber les miaulements de Bruce et tout son style. Après ça, on a réfléchi à quoi faire avec Jet et comment mettre en scène sa puissance.
Dans le film, Jet est très calme et très rapide quand il frappe.
Oui, il est très précis.
Alors que Bruce Lee est très violent, excité et bruyant.
Bruce Lee attaque comme un lion parmi les brebis. Jet joue toujours en défense en fait.
Au début du film, Jet est attaqué dans la classe mais il ne tue personne, il neutralise ses adversaires.
En effet et le maître japonais vient soigner tout le monde. Je pense que le film est en fait une représentation de la philosophie des arts martiaux. Ce n’est que pour l’autodéfense, à n’utiliser qu’en cas de nécessité absolue. On ne va pas battre les faibles, mais combattre les forts.
C’est ce dont on a discuté avec Yuen. Et cela montre qu’il n’est pas seulement un excellent chorégraphe des combats, qu’il ne s’occupe pas que de l’action, mais qu’il discute aussi le concept du film avec le réalisateur. Chacun a des points de vue différents sur les arts martiaux. C’est pourquoi quand j’ai prévu la scène entre Jet et le maître japonais [Yasuaki Kurata], Yuen était content, il savait qu’il s’amuserait bien. Et il a réellement pris son pied. Tout le dialogue entre Jet et le vieux maître représente les idées de Bruce Lee des arts martiaux, sa propre perception des arts martiaux. A mon tour de prendre mon pied. Je ne sais pas me battre c’est certain. Mais je sais apprécier cette philosophie et la transmettre dans un film de kung fu. Fist of Legend était vraiment un film sur les arts martiaux à tout point de vue.
Donc Yuen Woo Ping s’est vraiment amusé, mais cela a été dur pour lui, pour nous, de trouver le juste équilibre entre le style extrême de Bruce Lee et le style d’action plutôt joli d’un Wong Fei Hung [personnage interprété par Jet Li dans Il Etait une fois en Chine (Once Upon A Time In China, 1991), sorti avant Fist of Legend, ndlr].
L’action dans Il Etait une fois en Chine était presque comme de la danse. C’était très joli mais on ne montrait pas la vraie force. On a donc beaucoup discuté avec Yuen à propos de l’action dans Fist et comment montrer la véritable force du personnage. Je me souviens d’une idée que j’ai bien appréciée. Quand Jet stoppe le coup de pied de son adversaire avec son poing et le repousse. Cela monte la puissance de son personnage. Il n’avait pas encore commencé à utiliser ses jambes dans cet affrontement.
Donc l’action était très réfléchie, préparée et mise en scène. On en a discuté beaucoup : que peut-on faire et comment le faire ?
Y a-t-il eu beaucoup d’accidents et de blessés durant le tournage ?
Beaucoup. Il y en avait tellement que je commençais à avoir peur. J’étais assis près de Yuen Woo Ping et il était toujours comme ça : « Coupez ! Le gars mort là, il a mal à la jambe. Au suivant. ». A un moment, je lui ai mis la main sur l’épaule et lui ai demandé « Ba Ye, Je crois que cela est assez. » Je l’appelle « Ba Ye » [une sorte d’équivalent de « maître », ndlr]. « Ils en ont assez. » Il m’a répondu : « cela fait parti de notre travail. Ne t’inquiète pas. Ils ont l’habitude. Continuons. »
J’ai tant appris avec Yuen, et je le respecte beaucoup. Et à cette époque j’ai aussi appris à respecter les arts martiaux. Ce n’était pas comme s’il se fichait de ses gars, il prenait bien soin d’eux. Mais à cette époque, les blessures étaient plus nombreuses que ce à quoi on s’attendait. Il y avait beaucoup de cascadeurs partout avec des bandages. Yuen m’a dit : « ils sont entrainés à souffrir. Il faut qu’ils fassent de leur mieux. »
A l’époque, l’une des grosses difficultés était que l’on n’avait pas de moniteurs de contrôle (en 1994). Donc, quand on voyait toutes ces scènes d’action, on se fiait seulement à nos yeux, pour voir si ce poing fonctionnait, s’il touchait la figure ou pas, s’il était puissant ou non. Maintenant c’est plus simple, il suffit de rembobiner la vidéo et de regarder le moniteur pour voir si la prise et bonne ou non.
Mais Yuen était très dur sur le plateau.
Jet li emprunte aussi à Bruce Lee. Quand il se bat dans le dojo, quelqu’un vient par derrière…
Oui, il l’attrape [par les parties] et le projette.

C’était une idée de Jet de reprendre cette scène ?
Non. C’était en fait un petit hommage à Bruce, car c’est une scène très connue. Le spectateur masculin ressentirait aussi la douleur.
Parlons de la fin assez ambiguë… Chen Zhen est-il un espion ?
Non, je ne voulais tout simplement pas le voir mourir. Je voulais qu’il survive aux yeux de tous.
Avec cette fin, plutôt ouverte, aviez-vous l’intention avec Jet de faire une suite ?
En gros, non. Quand j’ai vu Fist of Fury la première fois, j’étais très triste. A la sortie du cinéma, j’avais comme un poids sur l’estomac. En aucun cas je n’aurais laissé mon Chen Zhen mourir. C’était mon fantasme. Chen Zhen ne meurt pas ! En fait, historiquement parlant il n’est pas mort [tout de suite après cet épisode de sa vie, ndlr].
Vous avez fait un film plein d’espoir en comparaison avec l’original…
Exactement. Il s’agissait d’espoir. Le film montrait que l’on pouvait travailler ensemble, qui que l’on soit on pouvait préserver la paix, arrêter la guerre. En résumé, l’histoire du film était d’arrêter la guerre entre Japonais et Chinois.
Dans le film original Chen Zhen retourne à Shanghai où il découvre que son maître a été assassiné. De là, il devient complètement psychotique…
Oui, le film le montrait entrain de tuer tout le monde. Quand il voit un Japonais ou quelqu’un qui parle le japonais, il le tue. Quel genre d’espoir donne ce film ?
C’était tout du moins acceptable dans les années 1970 quand ce film est sorti. En 1994, la réception d’un tel film aurait été la même ?
En fait on m’a demandé pourquoi j’avais tant changé [l’histoire]. Après tout « c’est amusant de tuer des Japonais dans le film » m’a t-on dit. Le sentiment en Chine de nos jours est peu différent d’alors. Ils détestent toujours autant les Japonais. Il y a un sentiment antijaponais très fort. Critiquer l’impérialisme nippon et leur machine militaire [de l’époque de la seconde guerre mondiale, ndlr] ne me pose aucun problème, mais pas la population civile. Cela n’a aucun sens, c’est dangereux. Cette discrimination raciale est dangereuse et je déteste cela.
Etiez-vous content du résultat sur ce film ?
Quand le film est sorti, les recettes n’étaient pas extraordinaires. C’était moyen. [Fist of Legend a engrangé 14,8 millions HKD en 15 jours d’exploitation, entre le 22/12/94 et le 05/01/95. A titre de comparaison, en 1994 le grand vainqueur au box office était God of Gamblers Return avec 52 millions HKD, ndlr].
Les critiques n’ont pas même pris la peine de critiquer. Ils n’ont pas mentionné le film. Deux de mes amis critiques ont dit que le film était mauvais et m’ont demandé ce que j’avais essayé de faire. J’étais vraiment très déçu car personne n’avait fait mention de ma réécriture des aspects historiques du film ou des aspects humains des personnages. Deux ans plus tard, un professeur a écrit un article sur ces aspects du film. Je suis devenu bon ami avec ce professeur. Je lui ai dit que son article prouve que mon film n’était pas un gâchis entier. Sinon, cela aurait été un total gâchis. Avec ce résultat au box office le film n’a pas perdu d’argent, mais n’en a pas gagné beaucoup non plus. Après tout, Jet Li était supposé être une superstar, quelqu’un capable de battre des records au box office. Mais les gains du film étaient moyens. Je suis allé voir Jet pour m’en excuser. J’étais très reconnaissant que Jet me dise que cela n’était pas grave et que ce film était l’un des meilleurs qu’il avait jamais fait.
Affiche chinoise de Fist of Legend
En effet, vous pouvez être fier d’avoir fait l’un des meilleurs films de Jet Li.
Oui, et finalement, quasiment dix ans plus tard, et cela fait en fait deux ans, Quentin Tarantino est venu à HK et est allé voir Jet [probablement en 2003, ndlr]. Jet m’a dit qu’ils ont passé toute la nuit à discuter de Fist of Legend, et que Quentin pouvait en réciter tous les dialogues. Jet m’a dit « peut-être qu’après tout ce film m’a beaucoup apporté».
Les Wachowski furent influencés par ce film pour The Matrix. Ils ont embauché Yuen Woo Ping. C’est un signe aussi…
Oui, c’est pourquoi je dis souvent « ne considère pas ce que tu as fais comme du gâchis tout de suite ». Cela peut paraître mauvais sur le coup, mais par la suite se développer en quelque chose de positif. Quand des Français m’ont dit que le film sortirait en France, j’étais très surpris. [Le film fut distribué par Metropolitan Filmexport en juin 2001, ndlr].
Il y a deux ans à Cannes, je suis allé à une des soirées, et une dizaine de jeunes Français m’ont arrêtés, se sont agenouillés pour me saluer. Je leur ai dit : « Vous faîtes quoi ? Vous devez faire erreur sur la personne. » Ils ont dit : « Fist of Legend ». J’étais très heureux. Ce film fut une expérience très fructueuse et on ne se sait jamais comment un projet peut se révéler être positif.
The Matrix était un succès grâce à vous.
Non, c’était grâce à Yuen Woo Ping.
Le succès de Fist of Legend était dû à un excellent travail d’équipe.
Je crois que le job du réalisateur est de créer des raisons et des moyens pour que tous travaillent de concert. Ils doivent y avoir des motifs derrière chaque action et chaque prise. Même les chorégraphes des combats on besoin de connaître les motivations des personnages. Donc le job du réalisateur est de créer ces motivations, que les gens sachent pourquoi ils font ce qu’ils doivent faire.
Je suis assez fier de Fist of Legend. Je me suis impliqué dans tous les aspects de la production. J’ai même fait le design du poster. J’ai créé aussi le costume de Jet et ai insisté pour qu’il le porte car avant on le voyait plus comme incarnant le personnage de Wong Fei-hong.
Beast Cops, Anthony Wong, Michael Wong
Donc on a mentionné Fist of Legend comme un film ni tout blanc, ni tout noir. Un autre film de cette veine était…
… Beast Cops. C’était un film dans les nuances de gris (rire).
Dans ce film, il y a de sacrées performances de comédiens. Je pense à Anthony Wong notamment qui sait rester devant la camera plusieurs minutes et rester dans son personnage. Il parvient à capter toute l’attention du spectateur.
Oui, mais pour cela il faut lui faire confiance. Il faut lui donner cette opportunité.
Il a mentionné dans notre entretien qu’il a pas mal improvisé aussi. Par exemple lors de la scène où il rompt avec sa petite amie.
Oui, je crois que cette scène est le meilleur exemple de notre confiance mutuelle sur le plateau.
A l’origine, dans cette prise, le dialogue s’arrête et la fille part, puis il dit : « mais je t’aime. » Donc on a fait un essai puis on a fait une première prise, mais le ton n’était pas correct du tout. On a recommencé, fait une seconde prise. La fille arrive, parle et s’en va, et Anthony Wong reste là.
Dante Lam [l’assistant-réalisateur de Gordon Chan, ndlr] était prêt à dire « coupez » car il pensait qu’Anthony avait oublié son texte. J’ai retenu Dante et Anthony a finalement dit sa réplique.
J’ai compris ce que faisait Anthony en regardant ses yeux. Il l’a vu et était heureux et m’a dit « tu as compris. » « Bien sûr que j’ai compris. » Je lui fais confiance et il me fait confiance. J’en suis reconnaissant car c’est un très bon acteur, un acteur spontané qui a besoin d’espace.
Anthony Wong
Il existe un groupe d’acteurs qui sont vraiment bons et qui ont besoin de vivre une scène, pas de la jouer. Ils ont besoin d’espace pour cela. Ils vivent dans cet espace et ne font pas que jouer la comédie.
Donc, selon vous, Anthony joue ou vit ses scènes ?
Il les vit presque. Parfois il ne peut contrôler le personnage. Quand j’écris, parfois le personnage contrôle mon scénario. Je le suis. Pour Beast Cops, j’ai donné le script à Anthony, il l’a digéré, et est revenu avec un personnage vivant qui réagit parfois spontanément aux situations sans s’occuper du script.
C’était une belle expérience. Mais Anthony a besoin de partenaires de jeu. Et il faut vraiment créer l’environnement propice avec les bons partenaires pour qu’il s’adapte et réagisse. Si je dis : « coupez ! Pourquoi vous ne suivez pas le script ? » Je suis foutu. On a essayé d’apporter de la vie à ces scènes. On a tenté l’expérience avec Andy Lau sur Armageddon [dans lequel Anthony Wong joue également, ndlr]. C’était très sympa et Andy commençait à vraiment apprécier notre style de travail.
Il y a eu des parties très SDU dans Beast cops, avec Michael Wong. Pourquoi ?
Pour le fun. Et parce que le personnage de Michael Wong (Mike) a des antécédents très différents des autres flics. Eux travaillent dans la rue et Mike, lui, vient plutôt d’une classe supérieure. Il conduit un Hummer. Il a une belle vie. Il ne peut jamais comprendre la vie de ces types de la rue. C’est pourquoi je lui fais conduire ce Hummer.
En gros Mike est très manichéen, alors que Tung vit dans une zone de gris…
Oui.

Comment avez-vous préparé Anthony pour la dernière partie du film. Elle est différente du reste. Il devient fou, poignarde tout le monde, était-ce une référence à ses films de catégorie 3 ?
Non, pas une référence. Mais il s’agit bien de folie. Il s’agit d’autodestruction. Tung a tout perdu. Il était prêt à mourir. Il a toujours pensé qu’il était le héros dans la rue, celui qui maintient la paix, et il a créé un monstre. Il avait besoin d’emmener ce monstre avec lui. C’est ce qu’il avait en tête. L’époque du tournage à HK était l’une des plus mauvaises périodes pour les films de HK dans les années 1990. C’était au moment où tout le monde achetait des VCD pirates dans la rue. Les résultats au box office étaient au plus bas. On savait qu’on aurait des pertes sur Beast Cops de toute façon.
En même temps, le film est un petit budget.
Oui, et on a quand même perdu de l’argent. C’était le premier film pour lequel je n’ai pas réussi à faire de bénéfices en 20 ans de carrière.
Donc, cette scène finale correspond à une certaine fureur de votre part.
C’était vraiment de la colère. C’était vraiment une sorte d’explosion finale. Je savais que rien n’était parfait en ce monde, mais la situation à HK n’était vraiment pas bonne.
A-1 Headlines, Anthony Wong
Comment avez-vous été impliqué dans la production de A-1Headlines?
J’ai écrit le film. L’histoire à l’origine ne traitait pas de journalistes mais d’avocats. C’était une expérience très réelle. Mon collègue Chung Kai Cheong, le co-réalisateur du film, a trouvé cette histoire d’avocats. Il est venu me demander de l’aide. Je devais seulement produire. J’ai essayé, mais en cours de route, on est passé des avocats aux journalistes.
Et j’ai commencé à faire pas mal d’ajouts. Un jour, Chung est venu me voir et m’a demandé de réaliser ce film avec lui. Il m’a dit que j’avais beaucoup d’idées sur ce sujet. C’était vraiment un petit budget. Je lui ai dit qu’il ne saurait pas me payer. Mais après réflexion, je pensais que je pouvais baisser mon salaire, car j’aimais bien le script. Donc j’ai commencé à filmer l’histoire. Il y a eu quatre scripts au total, et ce film est issu du script final. Les deux premiers traitaient des avocats.
Pourquoi ce changement ?
Tout le monde s’intéresse aux informations. On ne va pas au tribunal très souvent, mais on lit les journaux tous les jours. De plus, les médias aujourd’hui empruntent vraiment un chemin dangereux. Disons simplement qu’ils ont un comportement des plus turbulents. Les médias sont partout et les employés de ce type d’industrie sont mal à l’aise. Que font-ils ? Ce qu’ils ont appris à l’université ne s’applique plus ici. Ils ne savent presque plus comment se comporter proprement. Je considère ici cette branche notoire des médias bien sûr [les paparazzis et la presse à scandale, ndlr].

Il y a eu quelques exemples dans les journaux ces deux dernières années qui m’ont amenés à faire ce film sur les journaux. Le premier était sur la [tentative d’]assassinat de Deng Xiaoping à Taiwan. C’était une bonne histoire car j’étais à Taiwan à ce moment là. A-t-il vraiment eu une tentative ou était-ce un mythe ? Et j’ai ensuite été témoin de la façon dans la presse s’est emparée de l’histoire et a tenté de déterrer les faits, comment ils ont fait cela, et ce que les gens à l’époque pensaient de cela. Tout le monde écrivait sur cet événement, toutes sortes d’histoires.
Racontaient-ils la vérité ?
Non, en fait, ils n’ont jamais pu raconter ce qui s’était vraiment passé. Que ce passe-t-il ensuite ? Va-t-on laisser tomber les faits, et la vérité ? Je crois que c’était ça qui m’a motivé à dire « d’accord, on n’aura jamais la vérité. » Je sentais aussi qu’il fallait changer notre attitude face aux médias, au lieu de croire en la presse comme en la bible. Comment allons-nous faire confiance aux journaux, à la télévision ?
Il faut utiliser le bon sens.
Oui, c’est aux gens de s’en charger. Il y a 20 ans, on laissait les journalistes prendre la responsabilité de nous rapporter la vérité. Ce n’est plus si facile à faire maintenant. C’est ce dont A-1 traite.
Ce que vous dites me rappelle le film de Johnnie To Breaking News, dans lequel les media s’interposent entre flics et voyous. Celui qui contrôle les medias, ou l’information, quelle que soit la vérité, a le pouvoir.
Oui, et c’est triste. C’est en partie pour cela que j’ai écrit A-1. Je voulais que les gens se mettent aussi à la place des journalistes. Si on n’écrit pas un article qui vend, on ne peut plus écrire. Cela s’appliquent à d’autres types de media aussi, comme les films.
Avez-vous noté une différence entre le Anthony Wong de A-1 et celui de Beast Cops ?
(Rire) Je dois dire que c’était l’un des tournages le plus dur pour Anthony Wong, car je lui ai demandé de ne rien faire si ce n’est d’intérioriser.
Déjà à la base, c’est une personne très introvertie.
Exactement, et c’est là que ça se complique. Tous ces personnages gravitent autour de lui : Eric Kot (sourire), Tony Leung Ka Fai, et même Angelica Lee Sin Jie. Ils étaient très actifs, remuaient beaucoup dans les scènes. Anthony, lui, était comme l’œil du cyclone, lorsque tout le monde couraient autour, il devait rester là, immobile. S’il s’était mis à courir avec eux, j’aurais perdu le centre de gravité du film. Mais c’était très tentant pour lui d’en faire plus, car tout le monde essayer de se voler la vedette. C’est vraiment ce qui s’est passé. Leung Kar Fai et Eric Kot ont été nommés pour les Golden Horse Awards [Césars taïwanais, les deux acteurs furent nommés dans la catégorie « meilleur second rôle », ndlr]. Mais pas Anthony.
Il n’a pas été nommé malgré ses efforts ?
Non, mais je crois qu’il en a conscience, il savait ce qu’il risquait. J’ai apprécié qu’Anthony se tienne juste là, immobile, et toujours le même après beaucoup de prises. Son expression lorsque Leung lui aboie dessus vers la fin du film, il est si calme. Ce n’était pas facile. C’est ce qui s’appelle un bon acteur.
Project 1:99, SARS
Parlez-nous de ce Project 1:99 (aux côtés de Johnnie To, Fruit Chan, Tsui Hark, Peter Chan, etc.) et pour lequel vous avez tourné le court métrage « Waiting For Luck« .
Vous l’avez vu ? J’étais l’un des initiateurs du projet. Quand l’épidémie du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) s’est emparée de HK, on savait tous qu’il fallait agir. C’était une période très déprimante. Leslie Cheung est mort, le SRAS est apparu [en 2003, ndlr]. C’était presque comme la fin du monde. On préparait les HK Film Awards [la version hongkongaise des Césars, Gordon Chan Chan étant un des membres du comité, ndlr] et on a eu bien du mal à réunir tout le monde et leur faire comprendre qu’il fallait continuer. On a préparé la cérémonie de remise des récompenses, même si le SRAS était une menace sérieuse…
… Eric Tsang en était le présentateur. Il a fait un des plus beaux discours pour la cérémonie, c’était très touchant.
J’ai écrit son discours ! (Rire général). On a eu le soutien de tous et on les a tous convaincu de faire la cérémonie car à l’époque, toutes ces représentations publiques devaient être annulées [par ordre du gouvernement local et pour combattre l’épidémie, ndlr]. Eric Tsang et moi sommes allés voir le comité pour les convaincre de faire cette remise de récompenses.

C’était une période chaotique, et les gens attendaient quelque chose de nous (les cinéastes de HK). Tsui Hark , Peter Chan et moi avons eu l’idée du projet 1 :99. On se devait de faire quelque chose. On est allés voir le gouvernement, on a eu les fonds nécessaires et on a commencé le projet [projet de courts métrages réalisés par plusieurs grands cinéastes locaux pour redonner l’espoir aux Hongkongais, ndlr].
La HK Film Directors’ Guild (Guilde des réalisateurs de HK) est un endroit spécial pour moi. On se sent comme appartenant à HK. Les réalisateurs de cette guilde ont tant de passion. A chaque malheur, on sait qu’il faut que l’on réagisse. Comme avec ce grand concert de charité il ya deux jours [pour les victimes du tsunami qui a ravagé les pays de l’océan indien en décembre 2004, ndlr]. On commence à avoir l’habitude. A chaque fois que quelque chose se passe, on sait qu’il faut réagir.
Hong Kong Film Directors’ Guild
Ce projet 1:99 a aidé HK ?
Cela a aidé. Ca a apporté un réconfort aux gens. Ils voyaient qu’on pouvait encore faire des choses à HK, faire des choses amusantes aussi. Mais l’ambiance générale n’était en fait pas plaisante. C’était effrayant. Je faisais parti de ceux qui refusaient de porter un masque et qui disaient qu’il fallait vivre normalement, pas être apeuré. C’était le but de mon court « Waiting for Luck ». On disait au gouvernement qu’on n’avait pas besoin d’eux, qu’on pouvait se débrouiller. Mais le tournage fut intéressant. C’est Wong Kar Wai qui a trouvé le nom « Project 1 :99 », mais il n’a pas pu finir son court métrage.
Il a eu une idée culottée : tourner dans l’hôpital où le premier cas du SRAS fut découvert. Mais il a dû abandonner ses ambitions.
Oui, ce n’était pas encore sûr. Mon idée de départ était de tourner dans ce lotissement Amoy, un complexe d’immeubles résidentiels où beaucoup de gens sont morts et tout le quartier était sous quarantaine. J’y suis resté une semaine, mais j’étais incapable de trouver des idées pour un film réconfortant, car l’ambiance était trop triste.
On était heureux car on voyait tous ces cinéaste travailler d’arrache pied sur le même projet pour toute la communauté. On l’a fait à bas prix. Mon film a dû couté 20 000 dollars HK.

Aucun réalisateur ne fut payé.
Personne n’a jamais été payé à la fin. On a eu des sponsors de partout. Les effets spéciaux étaient gratuits ainsi que les stars. On téléphonait et les gens venaient.
C’est là que vous avez réalisé que l’industrie du film de HK pouvait être soudée.
Oui, on est assez bon dans ce domaine. C’est une industrie si petite, presque familiale. On a tous grandi ensemble. On est tous passé par beaucoup de choses ensemble, comme la rétrocession de 1997. On a l’habitude de travailler ensemble maintenant.
Triades, Police et Marché asiatique
Vos films parlent aussi bien des flics que de triades. Vous connaissez des personnes dans ces deux milieux ? Vous ont-ils aidé dans vos recherches ?
Oui (sourire). Toutes les scènes dans Beast Cops dans la boîte de nuit, où se rend Tung, sont réelles. Elles viennent de mon expérience personnelle (rire).
Un jour, je suis allé dans un club. Je pensais être au mauvais endroit. Il n’y avait personne et je me demandais si j’étais au bon endroit [il était trop tôt, ndlr]. En fait, je me suis assis à la mauvaise place. Elle appartenait à un des chefs de gang. Mais personne ne m’a dit de bouger car on me connaissait aussi. Le chef est arrivé. Il m’a dévisagé et je ne l’ai pas reconnu. Il m’a reconnu. J’étais assis dans un sorte de sofa, à boire et à m’occuper de mes affaires. Il s’est assis près de moi. Pas de problème, c’est une habitude courante ici de s’assoir ensemble. Celui qui m’a emmené dans la boîte m’a expliqué discrètement que c’était un des chefs des triades. Je lui ai dit que j’étais désolé et demandé si c’était sa place. Il a été très agréable et m’a laissé m’assoir à cette place. Cette nuit, nous avons bien discuté. C’est comme cela que j’ai pu écrire les scènes de boîte de nuit dans Beast Cops.
J’ai eu de la chance que ces gens me traitent toujours très amicalement. Il me voyait comme une figure de Hong Kong. J’ai passé beaucoup de temps là-bas à parler à pas mal de gens.

Ils partagent leurs commentaires quand ils regardent vos films?
Oui, je reçois beaucoup de commentaires. Mais heureusement, la police ET les triades reviennent toujours vers moi pour me remercier. Ce qui est assez rare à HK. Mais je crois que je recherche ce qui se passe vraiment dans les rues. J’ai mes propres fantasmes, bien sûr, j’écris encore ces fantasmes, mais ils sont basés sur des faits réels.
Vous avez produit des films avec d’autres pays, comme le Japon avec le réalisateur Miike Takeshi. Comme cela s’est-il passé ?
A vrai dire, j’étais le directeur (C.E.O.) de Emperor Group à cette époque, et j’essayais d’emmener le cinéma de HK sur le marché international. Avant cela, l’industrie du film à HK était plutôt éloignée du marché international. Ils [les producteurs] étaient toujours très passifs, et attendaient que quelqu’un viennent les voir pour collaborer. Je commençais à penser – et Peter Chan aussi – que nous devrions essayer de nous étendre à d’autres territoires asiatiques.
Lorsque j’ai entendu parler du projet de Miike, Koroshiya / Ichi The Killer, j’étais très intéressé car c’est un très bon scénariste. J’ai dis à mon collègue de chercher à impliquer notre société dans le projet, de voir de combien ils avaient besoin, et comment s’impliquer. Au final, cela fût une collaboration entre sept parties. On a eu la responsabilité des ventes internationales. C’était en fait plus un investissement financier qu’une collaboration artistique.
Que pensez-vous des menaces qui pèsent sur l’industrie du film de HK? Les copies pirates, le marché de Chine continentale, la perte de techniciens compétents, etc.
Je crois que c’est tout cela. Mais le problème majeur, et pas seulement pour le marché de HK, c’est que le monde change, et la technologie évolue. L’internet change le monde si vite. Et je crois que l’industrie filmique ne suit pas. Idem pour le secteur de la musique, qui croule aussi. Je crois qu’il faut trouver une autre façon de concevoir ce business, un autre « business model », une nouvelle façon de distribuer, de percevoir les droits, etc. Le piratage sur le territoire de Chine continentale est un problème majeur qui s’ajoute à une situation déjà complexe. Donc c’est vraiment compliqué. Il y a la technologie bi-torrent et le peer-to-peer qui se développent vite. Des milliers de gens en Chine mettent toute sorte de films à disponibilité sur le net. Mais ce n’est pas qu’un problème pour HK, mais aussi pour le reste du monde. Il faut trouver de nouvelles façons de distribuer, ou alors les diverses industries filmiques ne survivront pas.
Que voulez-vous ajouter pour ceux qui apprécient votre travail?
Merci à tous pour votre soutien. Mais je viens à peine de commencer à faire de bons films. J’en suis encore qu’au début. En fait, ce sentiment est très fort pour moi. Avant-hier j’étais assis avec Chen Kaige et je prenais des photos avec lui, Feng Xiaogang et Tian Zhuang Zhuang. Assis là avec eux, je me sentais encore très loin de leur niveau. Je regarde Tsui Hark, et je me sens vraiment très loin de son niveau.
Honnêtement, mis à part Fist of Legend ou King of Beggars, je ne suis toujours pas très fier de mes films. Il me reste encore beaucoup de progrès à faire. C’est pourquoi je dis souvent que mon prochain film sera meilleur. Il faut qu’il le soit.
Entretien mené par Thomas Podvin, avec l’aide de David Vivier, dans le Landmark, Central, Hong Kong, le 13 janvier 2005. Interview enregistrée par David Vivier.
Un grand merci à Gordon Chan pour son amabilité et sa disponibilité.




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