[Film] Together, de Michael Shanks (2025)


Un couple en bout de course tente de raviver la flamme en s’installant à la campagne. Au milieu des tensions, une force surnaturelle se joue d’eux et les pousse l’un vers l’autre… physiquement.


Avis de Seyren :
Il y a quelque chose de viscéral dans le body horror, forcément. Ça nous prend les tripes, nous empêche de déglutir, et au fond, ça éveille des douleurs insoupçonnées. Pourtant on y retourne. Dans son étude (1), Linda Williams explique que les mises en scènes situées à la limite du respectable, qui définissent les films “gross”, nous fascinent autant qu’ils nous répugnent. Ce genre de l’excès se divise selon elle en trois catégories qui ne sont autres que l’horreur, la pornographie, et le mélodrame. Imitant le système de catharsis, le spectateur peut ainsi expérimenter des sentiments de peur, d’excitation sexuelle, de compassion. Dans son genre bien à lui, le body horror répugne certes, mais surtout intrigue. Et c’est cette étrange attirance que développe brillement Together, davantage au travers de la suggestion que ce que, concrètement, nous voyons à l’écran. Loin des surenchères lourdingues de The Substance, ici c’est le spectateur qui doit s’imaginer le pire au fur et à mesure de scènes qui subtilement parsèment une horreur suggérée. Aucune scène visuelle n’est gratuite, bien au contraire, elles amènent lentement le spectateur vers une irrémédiable pulsion scopique qui l’oblige à regarder. Et en ce sens, Together devient addictif.

Dans un premier temps, si certes j’ai aimé le long métrage, je ne serai pas non plus dithyrambique. Même s’ils sont dotés d’une psychologie fine et profonde, les personnages ont tout de même des réflexes parfois complètement stupides. Ce ne sont que des actions isolées, qui ne m’ont pas sortie de force du film, mais tout de même ! Pourquoi les personnages, qui passent à peine une nuit coincés dans une grotte, se mettraient à boire l’eau d’un trou béant dans la terre qui n’a clairement rien de naturel ? Pourquoi Milie, qui en allant voir son voisin, tandis qu’il ne répond pas à son appel, se permettrait-elle le plus normalement du monde d’entrer sans invitation ? Et sérieusement… le passage des toilettes. Alors je veux bien comprendre que l’abstinence peut rendre fou, mais vraiment, faire copuler une enseignante de primaire sur son lieu de travail… On va trop loin. Je peux comprendre que l’intrigue nécessite des choix parfois douteux, mais quand la fin justifie trop souvent les moyens… même la suspension d’incrédulité ne peut plus grand chose.

Cependant, car il y a toujours un “mais”, si les personnages ont parfois tendance à être insupportables, j’ai tout de même été surprise du réalisme et de la subtilité des sentiments de ce couple bancal. Milie et Tim, les protagonistes, choisissent le cadre bucolique de la campagne pour tenter de raviver la flamme de leur couple en danger. Nous comprenons rapidement qu’elle a longtemps attendu que Tim fasse carrière dans la musique. Comme il n’a finalement jamais percé, elle a pris l’initiative de stabiliser leur vie de couple et a ainsi trouvé un emploi d’enseignante à la campagne. Chacun à sa façon est frustré. Sexuellement, professionnellement, personnellement. Leurs interactions nous font intelligemment comprendre le malaise, principalement au travers des réflexions malaisantes qu’ils s’envoient sans sommation dès l’instant où ils ont un public. Couple à la vie, Alisson Brie et Dave Franco sont excellents à l’écran. Précisons que ce sont eux qui, emballés par le projet, ont produit le long métrage. Leur jeu est impeccable et terriblement vraisemblable. Une fois passées les quelques réactions illogiques, leur complicité révolue, l’amour qu’ils portent l’un pour l’autre mais qui ne suffit plus et leurs désillusions donnent l’image d’un couple touchant, en bout de course, mais qui semble continuer de s’accrocher, car ils ne peuvent à vrai dire, pas se passer l’un de l’autre.

Si le body horror suggéré dès le début est l’article même de l’horreur dans le film, il est surtout présent pour allégoriser une forme de dépendance affective. Le film s’ouvre sur deux chiens qui boivent la même eau que boiront les protagonistes, et nous les retrouvons en fin de séquences en train de … fusionner. Littéralement. Michael Shanks joue subtilement, comme je l’ai déjà dit, avec la suggestion. Tout au long du film, le spectateur a hâte et redoute en même temps ce moment irrémédiable où, le couple devra fusionner à son tour. Il est intéressant de remarquer que dans un film qui paraît être des plus réalistes (sur les difficultés d’un couple) le fantastique, comme souvent, vient matérialiser un malaise. Dès la première nuit dans la grotte ils se réveillent « collés ». Cette scène rapide, déroutante, laisse le spectateur imaginer la suite sans pour autant le préparer à ce qui va se passer. Les mouvements irrépétibles de leur corps qui les colleront l’un à l’autre, jusqu’à forcer une sorte de fusion s’avèreront être intelligemment parsemés dans le film. Pas d’outrance, pas de surenchère, juste l’implicite, qui petit à petit, construit du sens. Un sens. Il faut accepter.

Et que pouvons-nous au bout du compte comprendre ? Together pose davantage de questions qu’il n’offre de réelle réponse. Il invite le spectateur à une profonde réflexion sur le couple. Dans chaque couple, chacun s’inspire, se façonne face à l’autre. Etre ensemble, c’est accepter le changement. Accepter l’autre c’est accepter une nouvelle vision de nous-même. Devons-nous camper nos positions ou accepter d’être “absorbé” par l’autre ? Si certes, les deux options que propose le film sont radicales, elles restent en fin de compte que métaphoriques. Il y a une forme d’acceptation qui doit être faite dans une vie de couple. Tim doit comprendre la volonté de Milie d’avoir une vie stable quand lui se comporte encore comme un adolescent. Elle, de son coté, doit comprendre le besoin de son conjoint de sortir, retourner en ville, voir ses potes, boire et faire le deuil d’espoirs vains. Trouver un juste milieu ne dépend que de ce que l’autre est capable de changer, dans la mesure où il se ne trahit pas lui-même. Changer pour le mieux, là est le maitre mot. Et c’est en s’acceptant totalement tel que nous sommes et tel que nous évoluons au contact de l’autre, en retournant à notre forme androgyne que nous pouvons devenir la meilleure version de nous-même.

LES PLUS LES MOINS
♥ Un suspense haletant
♥ Des effets visuels très efficaces
♥ Une réflexion très pertinente sur la vie de couple
♥ Dave Franco impressionnant
⊗ Une intrigue secondaire qui aurait mérité plus de place
Un film curieux et addictif dont la force symbolique invite à la réflexion. Héritier de toute l’histoire du body horror, Michael Shanks suggère avec intelligence et finesse l’horreur des corps, et surtout l’horreur du couple.


(1) Film Bodies: Gender, Genre and Excess, Linda Williams, in Film Quaterly, Vol 44, 1991, p 2-13



Titre : Together
Année : 2025
Durée : 1h42
Origine : Australie / U.S.A
Genre : Epouvante / Horreur
Réalisateur : Michael Shanks
Scénario : Michael Shanks

Acteurs : Dave Franco, Alison Brie, Damon Herriman, Mia Morrissey, Karl Richmond, Jack Kenny, Francesca Waters, Aljin Abella, Sarah Lang, Rob Brown, Ellora Iris



















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Auteur : Seyren

Enseignante en littérature et cinéma, amatrice de cinéma de genre, de littérature gothique et accro au jeux vidéo. J'aime faire des liens (parfois improbables) entre les différents objets culturels. Inconditionnelle de Lovecraft, en passant par Poe, Romero, Baudelaire, Kitano, Hooper, Craven, Camus et j'en passe...
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