[Dossier] Cantonais Vs Mandarin, l’éternel combat

La programmation de la rétrospective du cinéma HK durant le Festival Paris Cinéma 2012 a permis de mettre en valeur l’étonnante dichotomie linguistique cantonais/mandarin qui agite l’industrie cinématographique hongkongaise depuis sa naissance. Arnaud tente dans l’essai qui suit de nous éclairer sur cette situation assez particulière.


 

La séduction d’un public plus large

Quand Shanghai perdit définitivement son statut d’Hollywood de l’Est suite à la prise du pouvoir par les Maoïstes à la fin des années 40/début des années 50, ce fut logiquement Hong Kong qui reprit le flambeau. La transition se fit d’autant plus facilement que nombre d’artistes, techniciens et d’investisseurs Shanghaiais émigrèrent vers le port parfumé. Leur argent et leur savoir faire permirent de donner un puissant coup de fouet à l’industrie locale. De nombreux studios éclosent.

L’histoire spécifique de la Chine et le contexte local firent qu’une division naturelle prit rapidement forme chez les compagnies de production (Division qui s’était déjà naturellement faite avant guerre). Certains studios se spécialisèrent dans le tournage de films en mandarin, d’autres, produisirent des longs métrages en cantonais.

Dans la première catégorie, on trouve la célèbre Shaw Brothers mais aussi la moins connue Cathay (ex MP&GI). Dans la seconde, des studios comme l’Union Film ou la Kong Ngee Co.

Tourner en mandarin était alors l’apanage des compagnies les plus puissantes. Grâce à cela, elles pouvaient commercialiser leurs films par delà les frontières de la colonie dans des marchés majeurs comme Taiwan. Les films cantonais avaient eux un potentiel d’export nettement plus limité. Hors de la ville, seules les communautés cantonaises d’Asie du Sud Est et des USA (San Francisco surtout) y avaient un intérêt.

Empress Wu Tse Tien

Cette division linguistique aboutit logiquement à une division commerciale et thématique. Les films en mandarin cherchèrent à séduire un public aussi large que possible dont le seul dénominateur commun était d’être d’origine chinoise. Par conséquent, nombres de films en mandarin se situèrent dans la Chine ancienne, une Chine souvent fantasmée par rapport à la réalité historique. La Shaw Brothers se fit une spécialité de ce type de productions comme le démontre

Empress Wu Tse Tien de Li Han Hsiang ou Martial Club de Lau Kar Leung. La Cathay, elle, marqua sa différence en produisant des films contemporains mais destinés à une classe moyenne émergente et plus occidentalisée comme on peut le voir à travers l’adaptation de Carmen, Wild Wild Rose réalisée par Wong Tin Lam.


La mort du cantonais et sa résurrection

Les studios cantonais, eux, se spécialisèrent dans un public plus spécifiquement local et plus populaire (comprendre plus pauvre). D’où des thèmes souvent très conservateurs… Même chez les studios gauchistes. Disposant également de budgets plus limités (beaucoup de films étaient tournés en une semaine), ils privilégièrent logiquement les drames contemporains, moins chers à produire. In The Face of Demolition de Lee Tit, The Seventh Heaven de Ng Wui ou Parents’ Hearts de Chun Kim en sont des bons exemples, tout en étant le haut du panier de ce type de productions.

Les choses auraient pu demeurer ainsi pendant longtemps mais un évènement changea la donne. En 1967, la télévision fit son apparition à Hong Kong. Le public jusqu’ici habitué des films cantonais abandonna rapidement son ancien loisir pour embrasser la petite lucarne et sa séduisante gratuité.

Le cinéma cantonais ne se rendit toutefois pas sans combattre. Une nouvelle génération de cinéaste apparut en son sein et déploya d’importants efforts pour en renouveler le contenu thématique et améliorer ses standards techniques. Les hommes à la pointe de cette tendance furent les réalisateurs Chor Yuen et Patrick LungStory of a Discharged Prisoner et Teddy Girls, tous deux par Lung, furent assurément ce que le cinéma cantonais donna de meilleur à cette époque.

La lutte était malheureusement vaine et, malgré tous les efforts consentis, le cinéma cantonais expira définitivement au début des années 1970… La Cathay mourut durant la même période, laissant le champ libre à une Shaw Brothers soudainement toute puissante. Mais le studio de Run Run Shaw créa sa propre concurrence quand Raymond Chow, accompagné de bon nombre de réalisateurs, acteurs et techniciens, quitta la firme pour fonder sa firme, la Golden Harvest.

Ces luttes commerciales ne changèrent pas grand chose au monopole linguistique nouvellement établi. Shaw Brothers et Golden Harvest produisirent ainsi toutes deux leurs films en mandarin. Ce fut le cas des Bruce Lee comme La Fureur du Dragon contrairement à beaucoup d’idées reçues sur le sujet.

L’instrument coupable de la mort du cinéma cantonais fut aussi celui responsable de sa résurrection. La télévision donna sa chance à de nombreux artistes locaux, leur permettant d’exercer leur talent dans leur langue maternelle à l’image de Patrick Tam et la série CID. La mise en place d’une politique gouvernementale de reconnaissance d’une identité hongkongaise suite aux insurrections de 1967 se conjugua pour renforcer l’envie chez les artistes de faire un cinéma propre, spécifiquement hongkongais dans ses thèmes et dans son expression. Un des premiers hommes à affirmer cette volonté sur les grands écrans de la colonie Britannique fut le comique Michael Hui avec des films comme The Private Eyes.

The Private Eyes

La nouvelle vague, apparue à la fin des années 70, enfonça définitivement le clou avec ses Man on the Brink et autres Story of Woo Viet. Le cantonais était redevenu « in », ce fut au tour du mandarin d’être poussé vers la porte de sortie. La Shaw Brothers, studio majeur à avoir promu la langue *, l’abandonna définitivement durant la même période. S’ensuivit une longue période de domination culturelle sans partage du cantonais sur le cinéma local.

La rétrocession à la Chine de 1997 changea toutefois à nouveau la donne. L’intégration des deux industries cinématographique et la censure propre à la Chine continentale recréèrent de facto la division à l’œuvre dans les années 50/60 : Le mandarin se retrouva de nouveau la langue des films en costumes de toutes sortes tandis que le cantonais récupérait sa spécialisation dans les films contemporains. Et pourtant, il suffirait que la censure se relâche pour que le mandarin s’impose à nouveau, recréant la situation du début des années 70…

A croire que ce conflit linguistique au sein de l’industrie cinématographique hongkongaise est l’histoire d’un éternel recommencement !

* En dépit de quelques expérimentations ponctuelles du début des années 70, la firme (et surtout les réalisateurs cantonais de celle-ci) sentant le vent commencer à tourner

Arnaud Lanuque (28/8/2012)

 

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Auteur : HKCinemagic

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