[Film] Histoire d’une Prostituée, de Seijun Suzuki (1965)


Harumi est une jeune prostituée que l’on envoie en Mandchourie, afin qu’elle remonte le moral des troupes nippones envoyées là-bas pour lutter contre les chinois. Elle tombe rapidement amoureuse de Mikami, un simple soldat au regard songeur. Et dont le cœur est tout acquis à la cause de l’Empereur.


Avis de Oli :
HISTOIRE D’UNE PROSTITUEE n’a été tourné en noir et blanc que pour faire des économies. On apprend même de Kimura Takeo, le directeur artistique de Suzuki, que la couleur dominante aurait dû être le jaune, pour illustrer cet ocre sec des immensités désertiques des plaines de Mandchourie.

Malgré ce manque de couleurs, le film de Suzuki n’en demeure pas moins une réussite visuelle de tous les instants : la réalisation est en effet très audacieuse (Suzuki déchire l’image, joue avec les angles et les contrastes excessifs, s’amuse autant des décors naturels que des scènes de studio). Ce traitement parfois abstrait ne dessert pourtant pas le propos très réaliste du film : ouvertement antimilitariste, voire carrément cinglant vis-à-vis du Japon, HISTOIRE D’UNE PROSTITUEE est un film engagé. Suzuki y dénonce autant la cruelle bêtise de l’armée japonaise que son coté machiste écervelé. Et cette vision des choses s’étend bien au-delà de la guerre moderne, puisque par ces propos Suzuki Seijun vise la société japonaise prise dans son entier, ses traditions séculaires également, et en particulier cette idée très présente au Pays du Soleil Levant qui voudrait que le suicide soit l’un des actes les plus honorables qui soit. Suzuki s’oppose vivement à ce qu’il considère certainement comme une ineptie, lorsque l’une des prostituées du film affirme que vivre une vie difficile est plus courageux que de se donner la mort.

Personnage central du film, la belle Harumi est une prostituée volontaire et révoltée. Un rôle puissant, merveilleusement servi par le talent de Nogawa Yumiko (la prostituée toute habillée de vert dans LA BARRIERE DE LA CHAIR, c’était déjà elle). Malgré sa douce folie, Harumi incarne ici la raison (et ce n’est pas antinomique, bien au contraire) : face à l’incohérence et à l’aveuglément des hommes, seule une femme osera donc faire face. Tout un symbole, à l’heure où les femmes se réapproprient petit à petit une société japonaise si conservatrice. Tout un symbole oui, illustré par une scène à ranger parmi les plus beaux instants de l’histoire du cinéma, lorsque Harumi, amoureuse et désespérée, court dans les tranchées sous de multiples tirs d’artillerie, afin de retrouver son amant. Blessé, perdu, abandonné comme un chien, quelque part.

LES PLUS LES MOINS
♥ Réalisation audacieuse
♥ Photographie classieuse
♥ La critique de la société japonaise
♥ Le casting
⊗ …

HISTOIRE D’UNE PROSTITUEE brosse donc un exceptionnel portrait de femme, sur fond de guerre sino-japonaise. Un drame engagé d’une grande puissance, qui ne verse pourtant jamais dans la facilité. Amour, dévouement, cruauté, tant de sentiments que l’on pourrait croire éloignés mais qui se rejoignent parfois, lorsque la folie s’empare des hommes. Lorsque le devoir dévore toute entière leur si fragile raison.



Titre :Histoire d’une Prostituée / Story of a Prostitute / 春婦伝
Année : 1965
Durée : 1h36
Origine : Japon
Genre : Drame / Guerre
Réalisateur : Seijun Suzuki
Scénario : Hajime Takaiwa

Acteurs : Yumiko Nogawa, Tamio Kawachi, Isao Tamagawa, Jûkei Fujioka, Shoichi Ozawa

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Auteur : Oli

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