[Film] Le Héros Sacrilège, de Kenji Mizoguchi (1955)


Kyoto, 1137. Gouverné par deux Empereurs, le Japon est en crise : entre les nobles et les moines qui exercent leurs privilèges par la politique ou la superstition, les samouraïs de rang inférieur sont tenus à l’écart du pouvoir. Dégoûté du mépris enduré par son clan, le jeune Kiyomori Taira décide de ne plus obéir aux ordres de la Cour. Mais un complot ourdi contre son père le pousse à passer à l’action.


Avis de Yume :
Le titre japonais du film permet de mieux en comprendre les origines. Shin Heike Monogatari est en fait un roman de Eiji Yoshikawa (auteur tant reconnu pour son bestseller La Pierre et le Sabre), relecture romanesque d’une chronique guerrière du moyen âge : Heike Monogatari. L’histoire originale dépeint l’ascension puis la chute d’un clan, tandis que Eiji Yoshikawa va lui arrêter son roman au paroxysme de la gloire de ce clan Taira (équivalent japonais de Heike), donnant un côté héroïque au personnage principal Kiyomori, là où le conte ancestral le présentait surtout comme traître à l’Empereur. Mizoguchi, lui, reprendra cette histoire jusqu’à son premier élément véritablement important : le sacrilège de Kiyomori qui ose défier le pouvoir politique et religieux. Le sacrilège du titre français du film.

Il est de notoriété publique que Mizoguchi est un cinéaste du social, tout comme son ami et scénariste attitré Yoshikata Yoda, qui lui était même d’extrême gauche, ayant d’ailleurs un temps été emprisonné pour ses idées. Ce n’est donc pas étonnant de voir en ce Héros Sacrilège un personnage de la lutte des classes, un homme luttant pour ses idées sur le terrain. Bien sûr, tous les films de Mizoguchi ont en commun cet amour du peuple, et de leur révolte intérieure ou affirmée contre les idées établies (la femme et sa place dans la société par exemple, pour ne citer que le thème favori du réalisateur). Mais ici Mizoguchi va plus loin avec un héros masculin qui ose réellement franchir le point de non-retour. Son héros, jeune homme indécis, proche du peuple (il aime les marchés populaires, et travaille pour vivre), dans un élan de colère brise les règles en tirant des flèches sur les icônes des Dieux, mais aussi en entrant en arme dans le palais. Une déclaration de guerre nette et précise contre les pouvoirs de la part du peuple dont fait partie Kiyomori. On pourrait même voir dans cette fin une allégorie de la stuation du Japon après la guerre, avec un Empereur faible et des courants de pensées libertaires.

Bien sûr, Mizoguchi ne base pas tout son film sur ce brûlot politique, mais montre le parcours d’un jeune homme qui devra prendre seul ses décisions, hésitant continuellement entre révolte et soumission, une sorte d’adolescence et donc de passage à l’Age adulte, même si finalement la dernière scène montre que Kiyomori n’assume pas réellement son acte, ou commence juste à en mesurer les conséquences. Il faut d’ailleurs signaler l’exceptionnelle performance de Raizo Ichikawa (acteur de Kabuki, et le futur fameux Nemuri Kyoshiro de la série bien connue) qui campe avec aisance les différentes facettes de Kiyomori, de l’audace à la peur, de l’assurance à la fragilité. Autour de lui, deux figures féminines. La mère tout d’abord, ne pensant qu’au statut social et à l’argent. D’ailleurs Kiyomori commence sa révolte en faisant partir sa mère. A l’opposé, on trouve une jeune samouraï de classe inférieure, et pour une fois chez Mizoguchi leur amour est possible. Des figures de femmes bien moins travaillées qu’à l’habitude malheureusement.

Formellement, Shin Heike Monogatari est un tournant dans la filmographie de Kenji Mizoguchi. C’est en effet son premier film couleur (sur les deux qu’il a tourné), et Mizoguchi a réellement travaillé le choix, l’harmonie, et le placement des couleurs, chacune ayant un symbolisme ; le rouge par exemple étant largement présent dans les scènes de colère. Il est juste dommage que le cinémascope ait été refusé à Mizoguchi pour une simple question de budget, tant le rendu final aurait pu être phénoménal. Il reste cependant une débauche grandiose de costumes, de décors, un souffle épique semblant glisser sur la production alors que le thème lui ne l’est pas, se prêtant juste à une reconstitution minutieuse de la vie dans la Japon féodal du 12ème siècle.

LES PLUS LES MOINS
♥ Le héros
♥ Le brûlot politique
♥ Le casting
♥ Visuellement réussi
⊗ …
Shin Heike Monogatari est finalement un film qui dénote dans la filmographie de Mizoguchi, bien qu’on retrouve la patte du Maître dans le discours général. Un film assez long à démarrer devant la profusion de pistes qui s’offrent au spectateur, mais qui prend toute sa dimension assez rapidement. Tant est si bien que la fin parait réellement frustrante, et abrupte. Une pseudo suite a d’ailleurs été mise en chantier, réalisée par Teinosuke Kinugasa (Les Portes de L’Enfer), et se focalisant sur le Clan Minamoto qui fera tomber le Clan Taira.



Titre : Le Héros Sacrilège / The Sacrilegious Hero / 新・平家物語
Année : 1955
Durée : 1h48
Origine : Japon
Genre : Chambara / Drame
Réalisateur : Kenji Mizoguchi
Scénario : Yoshikata Yoda, Masashige Narusawa, Kyuchi Tsuji

Acteurs : Narutoshi Hayashi, Raizo Ichikawa, Tatsuya Ishiguro, Michiyo Kogure, Akitake Kono, Yoshiko Kuga, Tamao Nakamura, Shunji Natsume, Ichijiro Oya

 Le héros sacrilège (1955) on IMDb


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Auteur : yume

Un bon film doit comporter : sailor fuku, frange, grosses joues, tentacules, latex, culotte humide, et dépression. A partir de là, il n'hésite pas à mettre un 10/10. Membre fondateurs de deux clubs majeurs de la blogosphere fandom cinema asitique : « Le cinema coréen c’est nul » World Wide Association Corp (loi 1901) et le CADY (Club Anti Donnie Yen).
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